REVUE DE PRESSE
Loi pénalisant la négation du génocide arménien : le débat oppose
(aussi) les juristes
`Doit-on pénaliser la négation des génocides ?` À l'heure où le
Conseil constitutionnel examine la loi réprimant la négation du
génocide arménien, un débat organisé par l'Institut de droit pénal du
barreau de Paris le 6 février 2012 s'est penché sur l'opportunité
d'une telle loi qui, si elle est validée par les Sages, punira d'un an
de prison et de 45 000 euros d'amende le fait de contester ou de
minimiser de façon outrancière les crimes de génocide reconnus par la
loi française et notamment celle votée en 2001 reconnaissant
l'existence d'un génocide des Arméniens entre 1915 et 1917. 77
sénateurs et 65 députés ont déposé le 31 janvier un recours devant le
Conseil constitutionnel. Ils font valoir que le texte serait contraire
à la liberté d'expression et mettent en cause la légitimité du
Parlement à légiférer sur l'histoire.
La vérité du jugement `En dehors de sa fonction thérapeutique
d'apaiser les blessures morales des descendants des victimes, je pense
que cette loi n'apportera que des déboires, y compris à la communauté
arménienne elle-même`, assure Robert Badinter. Pour l'ancien garde des
Sceaux qui a présidé le Conseil constitutionnel pendant neuf ans, le
Parlement n'a pas compétence pour dire l'histoire à l'instar d'une
juridiction internationalement reconnue. Ce réquisitoire contre les
lois mémorielles ne date pas d'hier, il s'est largement exprimé par la
voix de l'association Liberté pour l'histoire. `La France avait choisi
l'option de ne reconnaître que les crimes contre l'humanité, génocides
et crimes de guerre déclarés tels par une juridiction internationale`,
souligne l'historien Pierre Nora. Ainsi, le génocide juif a été jugé
par le tribunal de Nuremberg, lui-même issu des Accords de Londres de
1944 signés par la France. Les crimes contre l'humanité sont également
jugés par des juridictions pénales internationales pour
l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. `Or rien de tel n'existe pour le
génocide arménien de 1915 commis avant que conscience soit prise par
la communauté internationale de l'impératif moral que les bourreaux de
l'humanité ne demeurent pas impunis. Mais cette mission relève des
juridictions internationales et en premier lieu de la Cour pénale
internationale`, affirme Robert Badinter.
Loi avant-gardiste `Faux argument ! riposte Sévag Torossian, avocat et
écrivain. Il ne faut pas confondre vérité et autorité de la chose
jugée d'un tribunal. Et d'expliquer que la France vient de voter un
texte avant-gardiste conforme à la philosophie de la Convention de
1948 sur la prévention des crimes contre l'humanité. `La loi Gayssot
et la loi Boyer n'ont pas du tout le même sens, explique-t-il. La
première est un texte post-reconnaissance (l'Allemagne a reconnu la
Shoah) lié à un mal irrationnel, l'antisémitisme. La seconde est un
texte pré-reconnaissance d'un négationnisme d'État (la Turquie n'a pas
reconnu le génocide arménien), qui constitue un rempart contre la
propagande d'un État étranger sur le territoire national. Elle nous
demande de protéger le territoire français des agressions extérieures,
ce dont, en soixante ans de paix apparente, nous avons oublié
l'importance`.
Baliser la liberté de pensée La liberté d'expression autorise-t-elle
pour autant à inscrire dans une loi la négation d'un génocide, quel
qu'il soit ? `Le verbe peut-il être le prolongement d'un crime ?`
interroge l'ancien vice-btonnier Jean-Yves Le Borgne. Non, assure le
célèbre pénaliste Henri Leclerc. `Le délit de blasphème a été supprimé
par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme, il
n'y a donc plus de vérité officielle, souligne-t-il. Or transformer
une vérité de raison en vérité officielle, c'est affaiblir la vérité`,
une vérité d'autant plus cruelle qu'elle est niée par un État, insiste
Me Leclerc. `Cela conduit à faire partager au peuple turc le poids de
ce mensonge, lui qui ne porte aucune responsabilité à l'égard du
génocide`, déplore l'avocat.
Mais à l'inverse, la loi n'a-t-elle pas valeur de rempart contre les
abus de langage et les propos qui, selon l'expression de plusieurs
historiens, tendent à nier la mémoire du crime ? `Sans une loi qui
consacre l'évidence historique, la haine et l'aveuglement continueront
d'inspirer aux négationnistes leur volonté de causer de la douleur aux
victimes, a fortiori de celles qui n'ont pas bénéficié de la justice
des hommes et de leurs descendants`, augure l'ancien btonnier
Christian Charrière-Bournazel. Pour preuve, `les délits posés par la
loi de 1972 contre les diffamations, injures et discriminations
raciales, ou même celui d'apologie de crime contre l'humanité n'ont
pas permis de poursuivre utilement la diffusion publique des thèses
révisionnistes notamment soutenues par le professeur Faurisson`,
souligne Basile Ader. Ce qui a conduit le législateur à incriminer la
diffusion des thèses révisionnistes en tant que telles, par
l'adoption, le 13 juillet 1990, de la loi Gayssot, qui vise toute
forme de `contestation` publique liée aux crimes contre l'humanité
commis durant la Seconde Guerre mondiale`. C'est en effet sur le
fondement du délit de contestation de crimes contre l'humanité que
Roger Garaudy a pu être condamné à plusieurs reprises pour avoir
notamment minoré le nombre de victimes et contesté la solution finale.
Enfin, note Me Vincent Nioré, `depuis la loi Gayssot, aucun historien
n'a été inquiété pour ses propos négationnistes`. D'où l'intérêt,
selon lui, de légiférer pour éviter de `réhabiliter les criminels`.
Par Laurence Neuer
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/loi-penalisant-la-negation-du-genocide-armenien-le-debat-oppose-aussi-les-juristes-09-02-2012-1429120_56.php
dimanche 12 février 2012,
Stéphane ©armenews.com
From: Baghdasarian
Loi pénalisant la négation du génocide arménien : le débat oppose
(aussi) les juristes
`Doit-on pénaliser la négation des génocides ?` À l'heure où le
Conseil constitutionnel examine la loi réprimant la négation du
génocide arménien, un débat organisé par l'Institut de droit pénal du
barreau de Paris le 6 février 2012 s'est penché sur l'opportunité
d'une telle loi qui, si elle est validée par les Sages, punira d'un an
de prison et de 45 000 euros d'amende le fait de contester ou de
minimiser de façon outrancière les crimes de génocide reconnus par la
loi française et notamment celle votée en 2001 reconnaissant
l'existence d'un génocide des Arméniens entre 1915 et 1917. 77
sénateurs et 65 députés ont déposé le 31 janvier un recours devant le
Conseil constitutionnel. Ils font valoir que le texte serait contraire
à la liberté d'expression et mettent en cause la légitimité du
Parlement à légiférer sur l'histoire.
La vérité du jugement `En dehors de sa fonction thérapeutique
d'apaiser les blessures morales des descendants des victimes, je pense
que cette loi n'apportera que des déboires, y compris à la communauté
arménienne elle-même`, assure Robert Badinter. Pour l'ancien garde des
Sceaux qui a présidé le Conseil constitutionnel pendant neuf ans, le
Parlement n'a pas compétence pour dire l'histoire à l'instar d'une
juridiction internationalement reconnue. Ce réquisitoire contre les
lois mémorielles ne date pas d'hier, il s'est largement exprimé par la
voix de l'association Liberté pour l'histoire. `La France avait choisi
l'option de ne reconnaître que les crimes contre l'humanité, génocides
et crimes de guerre déclarés tels par une juridiction internationale`,
souligne l'historien Pierre Nora. Ainsi, le génocide juif a été jugé
par le tribunal de Nuremberg, lui-même issu des Accords de Londres de
1944 signés par la France. Les crimes contre l'humanité sont également
jugés par des juridictions pénales internationales pour
l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. `Or rien de tel n'existe pour le
génocide arménien de 1915 commis avant que conscience soit prise par
la communauté internationale de l'impératif moral que les bourreaux de
l'humanité ne demeurent pas impunis. Mais cette mission relève des
juridictions internationales et en premier lieu de la Cour pénale
internationale`, affirme Robert Badinter.
Loi avant-gardiste `Faux argument ! riposte Sévag Torossian, avocat et
écrivain. Il ne faut pas confondre vérité et autorité de la chose
jugée d'un tribunal. Et d'expliquer que la France vient de voter un
texte avant-gardiste conforme à la philosophie de la Convention de
1948 sur la prévention des crimes contre l'humanité. `La loi Gayssot
et la loi Boyer n'ont pas du tout le même sens, explique-t-il. La
première est un texte post-reconnaissance (l'Allemagne a reconnu la
Shoah) lié à un mal irrationnel, l'antisémitisme. La seconde est un
texte pré-reconnaissance d'un négationnisme d'État (la Turquie n'a pas
reconnu le génocide arménien), qui constitue un rempart contre la
propagande d'un État étranger sur le territoire national. Elle nous
demande de protéger le territoire français des agressions extérieures,
ce dont, en soixante ans de paix apparente, nous avons oublié
l'importance`.
Baliser la liberté de pensée La liberté d'expression autorise-t-elle
pour autant à inscrire dans une loi la négation d'un génocide, quel
qu'il soit ? `Le verbe peut-il être le prolongement d'un crime ?`
interroge l'ancien vice-btonnier Jean-Yves Le Borgne. Non, assure le
célèbre pénaliste Henri Leclerc. `Le délit de blasphème a été supprimé
par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme, il
n'y a donc plus de vérité officielle, souligne-t-il. Or transformer
une vérité de raison en vérité officielle, c'est affaiblir la vérité`,
une vérité d'autant plus cruelle qu'elle est niée par un État, insiste
Me Leclerc. `Cela conduit à faire partager au peuple turc le poids de
ce mensonge, lui qui ne porte aucune responsabilité à l'égard du
génocide`, déplore l'avocat.
Mais à l'inverse, la loi n'a-t-elle pas valeur de rempart contre les
abus de langage et les propos qui, selon l'expression de plusieurs
historiens, tendent à nier la mémoire du crime ? `Sans une loi qui
consacre l'évidence historique, la haine et l'aveuglement continueront
d'inspirer aux négationnistes leur volonté de causer de la douleur aux
victimes, a fortiori de celles qui n'ont pas bénéficié de la justice
des hommes et de leurs descendants`, augure l'ancien btonnier
Christian Charrière-Bournazel. Pour preuve, `les délits posés par la
loi de 1972 contre les diffamations, injures et discriminations
raciales, ou même celui d'apologie de crime contre l'humanité n'ont
pas permis de poursuivre utilement la diffusion publique des thèses
révisionnistes notamment soutenues par le professeur Faurisson`,
souligne Basile Ader. Ce qui a conduit le législateur à incriminer la
diffusion des thèses révisionnistes en tant que telles, par
l'adoption, le 13 juillet 1990, de la loi Gayssot, qui vise toute
forme de `contestation` publique liée aux crimes contre l'humanité
commis durant la Seconde Guerre mondiale`. C'est en effet sur le
fondement du délit de contestation de crimes contre l'humanité que
Roger Garaudy a pu être condamné à plusieurs reprises pour avoir
notamment minoré le nombre de victimes et contesté la solution finale.
Enfin, note Me Vincent Nioré, `depuis la loi Gayssot, aucun historien
n'a été inquiété pour ses propos négationnistes`. D'où l'intérêt,
selon lui, de légiférer pour éviter de `réhabiliter les criminels`.
Par Laurence Neuer
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/loi-penalisant-la-negation-du-genocide-armenien-le-debat-oppose-aussi-les-juristes-09-02-2012-1429120_56.php
dimanche 12 février 2012,
Stéphane ©armenews.com
From: Baghdasarian