Marianne2.fr , France
4 janv 2012
Génocide arménien: les historiens pas plus légitimes que les politiques
Laurent Leylekian - Tribune | Mercredi 4 Janvier 2012
Le projet de loi visant à réprimer le négationnisme des génocides n'a
pas manqué de raviver l'éternel débat autour de la reconnaissance du
génocide arménien. Et par là-même de soulever la question de la
légitimité des politiques à vouloir se réapproprier l'histoire.
Avec l'adoption par l'Assemblée Nationale d'un projet de loi visant «
à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par
la loi », quelques personnalités et historiens à la mode ont
recommencé à faire entendre le petit refrain selon lequel un telle
disposition serait « liberticide », qu'elle attenterait à leur liberté
d'expression.
Passons rapidement sur l'obscénité vaguement ridicule de cette
assertion provenant de personnes dont l'entregent leur permet de se
faire entendre où et quand ils le veulent et de gémir dans tous les
grands médias qu'on les billonne, une licence inouïe dont leurs
prétendus censeurs sont bien loin de jouir.
Passons aussi sur le fait que ces brillants esprits n'ont jamais jugé
suffisamment digne de leur intérêt le Génocide des Arméniens - dont
ils feignent de croire que l'histoire est écrite par nos députés - de
sorte que cette histoire à leurs yeux subalterne a été étudiée et
établie par d'autres historiens français moins connus, moins bruyants
mais fréquentant plus les archives que les plateaux télés, et par
leurs collègues américains, allemands, israéliens, voire par des
chercheurs turcs en exil.
Passons même sur certains propos trop confits d'arménophobie pour
qu'on n'y discerne pas un antisémitisme de substitution, d'autant plus
désespérant qu'il provient parfois de personnalités juives qui
auraient pu - qui auraient dû - savoir combien ces idéologies de haine
justifient en vérité les incitations au meurtre qui peuvent s'ensuivre
quand elles ne prétendent pas excuser celles qui s'en sont suivies.
Profitons-en néanmoins pour rappeler que si la jurisprudence de la
Cour Européenne des Droits de l'Homme affirme avec constance que « la
liberté d'expression vaut non seulement pour les "informations" ou
"idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou
indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou
inquiètent », elle exclut notamment du champ de cette liberté
l'expression d'idées portant atteinte à la sécurité publique comme
celles faisant l'apologie du crime; notons à cet égard que la loi
Gayssot, le projet de loi de Mme Boyer comme la Décision cadre
européenne dont elle émane se réclament de ces limitations prévues par
les Constitutions de tous les Etats démocratiques.
Passons allègrement sur tout cela pour nous concentrer sur le slogan
répété ad nauseam selon lequel « il n'appartient pas au Parlement
d'écrire l'Histoire » et pour noter tout d'abord que la réaction
épidermique de nos historiens médiatiques ne vaut curieusement que
pour le Génocide des Arméniens.
Sans même évoquer la loi Gayssot pour laquelle les indignations ne
sont que de façade, notre représentation nationale a adopté par le
passé quantité de lois « disant l'histoire » sans que cela n'ait ému
personne. Qui s'est élevé par exemple contre la loi 99-882 du 18
octobre 1999 relative à la substitution de l'expression « aux
opérations effectuées en Afrique du Nord » à l'expression « à la
guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc » ?
Les historiens, des experts comme les autres
Mais cette affaire devrait surtout nous questionner sur le statut de
l'Histoire et des historiens. Dire que l'utilisation de l'histoire
n'appartient pas aux politiques est tout d'abord une contre-vérité
historique puisque l'un des premiers usages de l'Histoire fut et reste
précisément la légitimation des régimes en place quand elle ne servit
pas à l'édification des divers romans nationaux. La filiation plus ou
moins mythifiée des dynasties royales françaises d'avec Clovis tout
comme la providentielle invention de « nos ancêtres les Gaulois » par
la IIIe République en restent des témoignages saisissants.
A supposer que nous soyons désormais assez sages pour créer une
Histoire objective et dépassionnée, il n'en reste pas moins que les
historiens constituent une corporation d'experts comme les autres. Que
cette corporation produise des savoirs historiques est un privilège
fonctionnel que nul ne saurait lui contester. Qu'elle ait le monopole
sur les usages et les conséquences politiques de ces savoirs est en
revanche plus que discutable.
Il n'appartient certes pas aux politiques de débattre des équations de
la physique nucléaire; doit-on en extrapoler que nos députés devraient
se taire sur la politique énergétique de la France ? Il n'appartient
certes pas aux politiques de débattre des principes fondamentaux de la
biochimie; doit-on en extrapoler que nos députés devraient ne pas
débattre sur les OGM ?
De tout temps, des castes diverses ont tenté de s'extraire de la loi
commune ou même de se substituer au Prince quant aux politiques
découlant de leur spécialité, voire au-delà. On raconte que dans les
antiques empires babyloniens, les astrologues avaient l'oreille du
monarque et jouissaient de privilèges exorbitants. Prenons garde à ce
que nos démocraties n'engendrent pas de nouveaux mages.
http://www.marianne2.fr/Genocide-armenien-les-historiens-pas-plus-legitimes-que-les-politiques_a214097.html
From: A. Papazian
4 janv 2012
Génocide arménien: les historiens pas plus légitimes que les politiques
Laurent Leylekian - Tribune | Mercredi 4 Janvier 2012
Le projet de loi visant à réprimer le négationnisme des génocides n'a
pas manqué de raviver l'éternel débat autour de la reconnaissance du
génocide arménien. Et par là-même de soulever la question de la
légitimité des politiques à vouloir se réapproprier l'histoire.
Avec l'adoption par l'Assemblée Nationale d'un projet de loi visant «
à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par
la loi », quelques personnalités et historiens à la mode ont
recommencé à faire entendre le petit refrain selon lequel un telle
disposition serait « liberticide », qu'elle attenterait à leur liberté
d'expression.
Passons rapidement sur l'obscénité vaguement ridicule de cette
assertion provenant de personnes dont l'entregent leur permet de se
faire entendre où et quand ils le veulent et de gémir dans tous les
grands médias qu'on les billonne, une licence inouïe dont leurs
prétendus censeurs sont bien loin de jouir.
Passons aussi sur le fait que ces brillants esprits n'ont jamais jugé
suffisamment digne de leur intérêt le Génocide des Arméniens - dont
ils feignent de croire que l'histoire est écrite par nos députés - de
sorte que cette histoire à leurs yeux subalterne a été étudiée et
établie par d'autres historiens français moins connus, moins bruyants
mais fréquentant plus les archives que les plateaux télés, et par
leurs collègues américains, allemands, israéliens, voire par des
chercheurs turcs en exil.
Passons même sur certains propos trop confits d'arménophobie pour
qu'on n'y discerne pas un antisémitisme de substitution, d'autant plus
désespérant qu'il provient parfois de personnalités juives qui
auraient pu - qui auraient dû - savoir combien ces idéologies de haine
justifient en vérité les incitations au meurtre qui peuvent s'ensuivre
quand elles ne prétendent pas excuser celles qui s'en sont suivies.
Profitons-en néanmoins pour rappeler que si la jurisprudence de la
Cour Européenne des Droits de l'Homme affirme avec constance que « la
liberté d'expression vaut non seulement pour les "informations" ou
"idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou
indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou
inquiètent », elle exclut notamment du champ de cette liberté
l'expression d'idées portant atteinte à la sécurité publique comme
celles faisant l'apologie du crime; notons à cet égard que la loi
Gayssot, le projet de loi de Mme Boyer comme la Décision cadre
européenne dont elle émane se réclament de ces limitations prévues par
les Constitutions de tous les Etats démocratiques.
Passons allègrement sur tout cela pour nous concentrer sur le slogan
répété ad nauseam selon lequel « il n'appartient pas au Parlement
d'écrire l'Histoire » et pour noter tout d'abord que la réaction
épidermique de nos historiens médiatiques ne vaut curieusement que
pour le Génocide des Arméniens.
Sans même évoquer la loi Gayssot pour laquelle les indignations ne
sont que de façade, notre représentation nationale a adopté par le
passé quantité de lois « disant l'histoire » sans que cela n'ait ému
personne. Qui s'est élevé par exemple contre la loi 99-882 du 18
octobre 1999 relative à la substitution de l'expression « aux
opérations effectuées en Afrique du Nord » à l'expression « à la
guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc » ?
Les historiens, des experts comme les autres
Mais cette affaire devrait surtout nous questionner sur le statut de
l'Histoire et des historiens. Dire que l'utilisation de l'histoire
n'appartient pas aux politiques est tout d'abord une contre-vérité
historique puisque l'un des premiers usages de l'Histoire fut et reste
précisément la légitimation des régimes en place quand elle ne servit
pas à l'édification des divers romans nationaux. La filiation plus ou
moins mythifiée des dynasties royales françaises d'avec Clovis tout
comme la providentielle invention de « nos ancêtres les Gaulois » par
la IIIe République en restent des témoignages saisissants.
A supposer que nous soyons désormais assez sages pour créer une
Histoire objective et dépassionnée, il n'en reste pas moins que les
historiens constituent une corporation d'experts comme les autres. Que
cette corporation produise des savoirs historiques est un privilège
fonctionnel que nul ne saurait lui contester. Qu'elle ait le monopole
sur les usages et les conséquences politiques de ces savoirs est en
revanche plus que discutable.
Il n'appartient certes pas aux politiques de débattre des équations de
la physique nucléaire; doit-on en extrapoler que nos députés devraient
se taire sur la politique énergétique de la France ? Il n'appartient
certes pas aux politiques de débattre des principes fondamentaux de la
biochimie; doit-on en extrapoler que nos députés devraient ne pas
débattre sur les OGM ?
De tout temps, des castes diverses ont tenté de s'extraire de la loi
commune ou même de se substituer au Prince quant aux politiques
découlant de leur spécialité, voire au-delà. On raconte que dans les
antiques empires babyloniens, les astrologues avaient l'oreille du
monarque et jouissaient de privilèges exorbitants. Prenons garde à ce
que nos démocraties n'engendrent pas de nouveaux mages.
http://www.marianne2.fr/Genocide-armenien-les-historiens-pas-plus-legitimes-que-les-politiques_a214097.html
From: A. Papazian