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Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy

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  • Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy

    Le Point, France
    5 janv 2012

    Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy
    Sur le génocide arménien : réponse à une poignée d'historiens.


    Par Bernard-Henri Lévy


    Ces gens ne comprennent-ils réellement pas ? Ou feignent-ils juste de
    ne pas entendre ?

    La loi, votée avant Noël, et visant à pénaliser le négationnisme,
    n'est pas une loi qui dit l'Histoire à la place des historiens. Et ce
    pour la bonne raison qu'elle est, cette Histoire, dite, écrite, bien
    écrite, depuis longtemps : que les Arméniens aient été, à partir de
    1915, victimes d'une entreprise d'annihilation méthodique, on le sait
    depuis toujours ; une littérature abondante s'est développée sur le
    sujet et s'est appuyée, en particulier, sur les aveux faits, presque
    aussitôt, à la suite de Hodja Ilyas Sami, par les criminels turcs
    eux-mêmes ; en sorte que, de Yehuda Bauer à Raul Hilberg, des
    chercheurs de Yad Vashem à Yves Ternon et d'autres, on ne connaît
    guère d'historien sérieux pour nier cette réalité ou en douter. Cette
    loi, autrement dit, n'a rien à voir avec la volonté d'établir une
    vérité d'État. Aucun des députés qui l'ont votée n'a prétendu se
    substituer aux historiens et à leur oeuvre. Ils entendaient juste
    rappeler ce droit simple qu'est le droit de chacun à n'être pas
    publiquement injurié - et son droit, corrélatif, à demander réparation
    de cette atteinte particulièrement outrageante qu'est l'atteinte à la
    mémoire des morts. Question de droit, pas d'Histoire.

    Présenter cette loi comme une loi liberticide susceptible d'entraver
    le travail des historiens est un autre argument étrange, et qui laisse
    rêveur. Ce sont les négationnistes qui, jusqu'à nouvel ordre,
    entravent le travail des historiens. Ce sont leurs lubies, leurs
    folies, leurs truquages, ce sont leurs mensonges vertigineux et
    terrifiants qui font trembler le sol sûr où doit, en principe,
    s'établir une science. Et c'est la loi qui, en les pénalisant, en leur
    compliquant un peu la tche, en avertissant le public qu'il a affaire
    avec eux, non à des savants, mais à des incendiaires des esprits,
    protège l'Histoire et la met à l'abri. Y a-t-il un historien que la
    loi Gayssot ait empêché de travailler sur la Shoah ? Y a-t-il un
    auteur qui, en conscience, puisse prétendre qu'elle ait limité sa
    liberté de recherche et de questionnement ? Et n'est-il pas clair que
    les seuls qu'elle a sérieusement embarrassés sont les Faurisson,
    Irving et autres Le Pen ? Eh bien, même chose pour le génocide des
    Arméniens. Cette loi, quand le Sénat l'aura ratifiée, sera une chance
    pour les historiens, qui pourront enfin travailler en paix. A moins...
    Oui, à moins que les opposants à la loi n'aient cette autre
    arrière-pensée, plus trouble : que l'on serait allé trop vite en
    besogne en concluant, justement, et depuis presque un siècle, au
    "génocide"...

    N'y a-t-il pas, disent encore certains, d'autre façon que la loi pour
    intimider les "assassins de papier" ? Et la vérité n'a-t-elle pas, en
    elle-même, dans sa nudité et sa rigueur, les moyens de se défendre et
    de triompher de ceux qui la nient ? Vaste débat. Dont on discute, par
    parenthèse, depuis les origines de la philosophie. Et auquel s'ajoute,
    dans le cas présent, un paramètre spécifique qui fait que, dans le
    doute, il est prudent de s'assurer du renfort de la loi. Ce paramètre
    c'est le négationnisme d'État turc. Et cette spécificité c'est que les
    négationnistes, là, ne sont pas de vagues hurluberlus, mais des gens
    qui s'appuient sur les ressources, la diplomatie, la capacité de
    chantage et de rétorsion d'un État puissant. Imaginez ce qu'eût été la
    situation des rescapés de la Shoah si l'État allemand avait été, après
    la guerre, un État négationniste. Imaginez leur surcroît de détresse
    et de colère s'ils avaient eu à faire face, non à une secte de zozos,
    mais à une Allemagne non repentante faisant pression sur ses
    partenaires et les menaçant de ses foudres s'ils qualifiaient de
    génocide l'extermination des juifs à Auschwitz. C'est, mutatis
    mutandis, la situation des Arméniens. Et c'est pour cela aussi qu'ils
    ont droit à une loi.

    Et puis j'ajoute, enfin, qu'il faut arrêter de tout mélanger et de
    noyer le malheur arménien dans le blabla ritualisé pourfendant les
    "lois mémorielles". Car cette loi n'est pas une loi mémorielle. Ce
    n'est pas l'un de ces dangereux coups de force susceptibles de frayer
    la voie à des dizaines, voire des centaines, de règlements absurdes ou
    scélérats codifiant ce que l'on a le droit de dire sur la
    Saint-Barthélemy, le sens de la colonisation, l'esclavage, le malheur
    occitan, le délit de blasphème, j'en passe. C'est une loi sur un
    génocide - ce qui n'est pas pareil. C'est une loi sanctionnant ceux
    qui, en le niant, redoublent et perpétuent le geste génocidaire - ce
    qui est une autre affaire. Des génocides il n'y en a pas, Dieu soit
    loué, des centaines ni même des dizaines. Il y en a trois. Quatre si,
    aux Arméniens, aux Juifs, aux Rwandais, s'ajoutent les Cambodgiens. Et
    mettre ces trois ou quatre génocides sur le même plan que le reste,
    faire de leur pénalisation l'antichambre d'un politiquement correct
    autorisant une kyrielle de lois inutiles ou perverses sur les aspects
    disputés de notre mémoire nationale, dire : "attention ! vous ouvrez
    une boîte de Pandore d'où peut sortir tout et n'importe quoi !" est
    une autre imbécillité, doublée d'une autre infamie et scellée dans une
    mauvaise foi, pour le coup, caricaturale.

    Opposons à cet argumentaire spécieux la sagesse de la représentation
    nationale. Et puissent les sénateurs aller au bout de la démarche en
    ne se laissant pas intimider par ce quarteron d'historiens.

    http://www.lepoint.fr/editos-du-point/bernard-henri-levy/le-bloc-notes-de-bernard-henri-levy-05-01-2012-1415567_69.php

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