" QUAND GARDER LE SILENCE EST LA SAGESSE " PAR MICHAEL BERENBAUM
Haaretz.com
6 janvier 2012
L'audience consacree a la question de la tragedie armenienne, tenue
par sa commission de l'education, met la Knesset dans une situation
dangereuse moralement, politiquement et historiquement.
Par Michael Berenbaum
Peut-on qualifier la tragedie armenienne de "genocide" ? La discussion
de la Knesset de la semaine passee sur ce sujet offrait un triste
et dangereux spectacle, l'un de ceux qui placent Israël dans une
situation où elle n'a rien a gagner et tout a perdre.
D'un côte se rangent ceux qui croient en la justice historique. Mais
telle n'est pas la vraie question, les membres de la Knesset qui ont
organise la session ayant ete rejoints par d'autres, furieux contre
la Turquie pour les nombreux incidents qui ont recemment contribue
a deteriorer considerablement les relations.
De l'autre côte sont les pragmatiques, ceux qui pensent que les
relations d'Israël avec les Turcs est suffisamment tendue en ce moment,
pour ne pas jeter de l'huile sur le feu, etant donnee en particulier
la situation explosive en Syrie. La Turquie s'est montree tellement
hostile au regime d'Asad, meme si les observateurs israeliens se
demandent si leurs interets sont mieux servis avec le diable qu'ils
connaissent ou par une alternative inconnue. Ils sont rejoints par
des membres zeles de la Knesset qui veulent preserver le caractère
unique de l'holocauste nazi, et qui pensent que l'emploi du terme
"genocide" a l'endroit de la tragedie armenienne diminue quelque peu
l'etendue de la Shoah - meme si on a du mal a voir en quoi.
L'audience consacree a la question de la tragedie armenienne, tenue
par sa commission de l'education, met la Knesset dans une situation
dangereuse moralement, politiquement et historiquement. Voici
pourquoi :
Je n'ai aucun doute : le crime commis dans les annees 1915-1918, qui
a coûte la vie a 1,5 million d'Armeniens, etait un genocide. Bien sûr,
le mot meme, compose a partir du grec geno, qui signifie race ou tribu,
et du derive latin cide du mot caedesi, l'action de tuer, a ete cree
d'abord pour decrire les massacre des Armeniens par les Turcs.
Au debut de la dernière decennie, j'ai travaille sur un film pour
decrire le rôle principalement positif de la Turquie au cours de
l'Holocauste, ce qui me donna l'occasion d'etre en contact avec
beaucoup d'officiels turcs. Naturellement, la question du genocide
des Armeniens venait dans les conversations. Je conseillais a ceux
des officiels turcs avec qui je travaillais de près, d'admettre
le genocide et non de depenser autant d'energie nationalement pour
combattre une verite historique. Cela n'implique pas le regime actuel
ni aucun de ses predecesseurs a dater de la fondation de la Republique
turque par Mustafa Kemal Ataturk a la suite de la chute de l'Empire
ottoman après la première guerre mondiale. Dites le une fois, dites
le tranquillement et laissez cela derrière vous.
Personne ne considererait en rien le gouvernement turc actuel diminue
s'il reconnaissait un tel chapitre de l'histoire du pays. En fait,
un tel acte serait pris avec admiration. L'Allemagne st exemplaire
sur ce point : ayant admis le passe et pris des mesures vitales pour
creer un etat democratique, et pour agir et eduquer contre la haine
des Juifs, l'Allemagne a depasse sa periode nazie.
Mais la Knesset doit rester en dehors de cela. Pour la Knesset, voter
une resolution aujourd'hui ne servirait qu'a politiser l'histoire.
Sensible a ses relations avec la Turquie, et aux enormes enjeux que le
gouvernement turc voit dans la negation du genocide, l'etat d'Israël
croit depuis longtemps qu'il n'est pas de l'interet national d'employer
le mot genocide pour les massacres. Il n'est pas fait mention de
ce genocide a Yad Vashem, l'institution officielle du memorial de
l'Holocauste. Les officiels du ministère des affaires etrangères ont
force l'annulation d'une conference universitaire en Israël sur ce
sujet il y a quelques trente ans. L'etat a egalement, formellement et
aussi de facon informelle, fait pression sur les organisations juives
internationales, y compris l'influente communaute juive americaine,
de ne pas toucher a cette question.
Au debut des annees 1990, par exemple, lorsque le Musee Memorial
de l'Holocauste des USA etait en cours de creation, Israël s'est
efforce qu'il ne ferait aucune mention du genocide des Armeniens,
et y est presque parvenu. Le musee a ecarte du film d'ouverture de
l'exposition permanente toute mention de cas de genocide precedents,
et limite le cas armenien en rappelant la citation d' Hitler en 1939
sur ce point, ainsi que la reference a la nouvelle de Frantz Werfel
"Les Quarante Jours de Moussa Dagh".
A cette epoque, j'etais directeur du projet de musee, et le personnel
de l'ambassade d'Israël et les officiels du ministère des affaires
etrangères m'avaient averti de me tenir a l'ecart de ce sujet. Lors
d'une visite en Israël, le vice-president du conseil du Memorial
de l'Holocauste d'alors avait rencontre le ministre des affaires
etrangères lui-meme, qui lui dit que cela constituait un sujet de la
plus grande inquietude pour le gouvernement d'Israël. En consequence,
il avait ordonne a l'equipe de ne pas discuter et lorsque cela fut
presente devant la commission de composition du musee, l'atmosphère
etait explosive. Je recu l'ordre de ne plus jamais faire mention
des Armeniens.
Et il y a beaucoup d'autres exemples plus recents des pressions du
gouvernement israelien.
Et pourquoi donc Israël ne s'interesserait-il pas a cela ? Après tout,
ne pas voter de resolution serait lâche. Cela legitimerait la negation
de l'histoire pour des raisons politiques, pour un agenda politique.
Mais voter une resolution en ce moment, où rien n'a change a part le
fait qu'Israël et la Turquie se querellent, ferait d'Israël l'exemple
d'un pays par excellence que les faits historiques peuvent changer
pour des raisons politiques- un fait que les autres nations pourraient
noter vis-a-vis de la memoire de l'Holocauste.
Israël est dans une situation de perdant-perdant. Au plus les
politiciens debattent sur ce point, au plus la stature morale du pays
diminue et plus le danger est grand pour la memoire de l'Holocauste.
Ne pas reconnaître le genocide des Armeniens le placent du côte des
negationnistes de l'histoire, tandis que le reconnaître maintenant,
a froid, comme une punition infligee aux Turcs, est la politisation
ultime de l'histoire. Quelquefois, comme nous dit le Talmud, le
silence est la sagesse.
Michael Berenbaum est le directeur de l'Institut Sigi Ziering sur
l'Holocauste a l'Universite Juive Americaine a Los Angeles, où il
est professeur d'etudes juives.
http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/when-silence-is-wisdom-1.405752
Traduction et commentaire de Gilbert Beguian
L'auteur de cet article d'Haaretz donne les raisons favorables a la
reconnaissance par Israël du genocide des Armeniens. Il se demarque
ainsi des negationnistes refoules que sont les Jean Daniel, Jack Lang,
Pierre Nora, et autres Marc Ferro.
Mais...le moment est mal choisi, semble-t-il. Si en effet Israël
reconnaissait en ces temps de brouille avec les Turcs, on pourrait
lui reprocher de meler la politique et l'histoire. Du coup, la Shoah
pourrait se trouver exposee au meme reproche et perdre ainsi un peu
de sa substance !
L'article cite le Talmud : quelquefois, la sagesse est dans le
silence, mais la nuance n'apparaît plus dans le titre, beaucoup
plus peremptoire.
L'auteur evalue le rôle de la Turquie vis-a-vis de la Shoah comme
"globalement positif", passant sous silence le refus aux bateaux de
Juifs d'accoster en Turquie entre 1937 et 1944 et le refus de visas
turcs aux Juifs d'Europe a partir de 1938.
Mais le lecteur pourra trouver dans cet article des details sur la
complaisance negationniste d'Israël avec les Turcs.
Haaretz.com
6 janvier 2012
L'audience consacree a la question de la tragedie armenienne, tenue
par sa commission de l'education, met la Knesset dans une situation
dangereuse moralement, politiquement et historiquement.
Par Michael Berenbaum
Peut-on qualifier la tragedie armenienne de "genocide" ? La discussion
de la Knesset de la semaine passee sur ce sujet offrait un triste
et dangereux spectacle, l'un de ceux qui placent Israël dans une
situation où elle n'a rien a gagner et tout a perdre.
D'un côte se rangent ceux qui croient en la justice historique. Mais
telle n'est pas la vraie question, les membres de la Knesset qui ont
organise la session ayant ete rejoints par d'autres, furieux contre
la Turquie pour les nombreux incidents qui ont recemment contribue
a deteriorer considerablement les relations.
De l'autre côte sont les pragmatiques, ceux qui pensent que les
relations d'Israël avec les Turcs est suffisamment tendue en ce moment,
pour ne pas jeter de l'huile sur le feu, etant donnee en particulier
la situation explosive en Syrie. La Turquie s'est montree tellement
hostile au regime d'Asad, meme si les observateurs israeliens se
demandent si leurs interets sont mieux servis avec le diable qu'ils
connaissent ou par une alternative inconnue. Ils sont rejoints par
des membres zeles de la Knesset qui veulent preserver le caractère
unique de l'holocauste nazi, et qui pensent que l'emploi du terme
"genocide" a l'endroit de la tragedie armenienne diminue quelque peu
l'etendue de la Shoah - meme si on a du mal a voir en quoi.
L'audience consacree a la question de la tragedie armenienne, tenue
par sa commission de l'education, met la Knesset dans une situation
dangereuse moralement, politiquement et historiquement. Voici
pourquoi :
Je n'ai aucun doute : le crime commis dans les annees 1915-1918, qui
a coûte la vie a 1,5 million d'Armeniens, etait un genocide. Bien sûr,
le mot meme, compose a partir du grec geno, qui signifie race ou tribu,
et du derive latin cide du mot caedesi, l'action de tuer, a ete cree
d'abord pour decrire les massacre des Armeniens par les Turcs.
Au debut de la dernière decennie, j'ai travaille sur un film pour
decrire le rôle principalement positif de la Turquie au cours de
l'Holocauste, ce qui me donna l'occasion d'etre en contact avec
beaucoup d'officiels turcs. Naturellement, la question du genocide
des Armeniens venait dans les conversations. Je conseillais a ceux
des officiels turcs avec qui je travaillais de près, d'admettre
le genocide et non de depenser autant d'energie nationalement pour
combattre une verite historique. Cela n'implique pas le regime actuel
ni aucun de ses predecesseurs a dater de la fondation de la Republique
turque par Mustafa Kemal Ataturk a la suite de la chute de l'Empire
ottoman après la première guerre mondiale. Dites le une fois, dites
le tranquillement et laissez cela derrière vous.
Personne ne considererait en rien le gouvernement turc actuel diminue
s'il reconnaissait un tel chapitre de l'histoire du pays. En fait,
un tel acte serait pris avec admiration. L'Allemagne st exemplaire
sur ce point : ayant admis le passe et pris des mesures vitales pour
creer un etat democratique, et pour agir et eduquer contre la haine
des Juifs, l'Allemagne a depasse sa periode nazie.
Mais la Knesset doit rester en dehors de cela. Pour la Knesset, voter
une resolution aujourd'hui ne servirait qu'a politiser l'histoire.
Sensible a ses relations avec la Turquie, et aux enormes enjeux que le
gouvernement turc voit dans la negation du genocide, l'etat d'Israël
croit depuis longtemps qu'il n'est pas de l'interet national d'employer
le mot genocide pour les massacres. Il n'est pas fait mention de
ce genocide a Yad Vashem, l'institution officielle du memorial de
l'Holocauste. Les officiels du ministère des affaires etrangères ont
force l'annulation d'une conference universitaire en Israël sur ce
sujet il y a quelques trente ans. L'etat a egalement, formellement et
aussi de facon informelle, fait pression sur les organisations juives
internationales, y compris l'influente communaute juive americaine,
de ne pas toucher a cette question.
Au debut des annees 1990, par exemple, lorsque le Musee Memorial
de l'Holocauste des USA etait en cours de creation, Israël s'est
efforce qu'il ne ferait aucune mention du genocide des Armeniens,
et y est presque parvenu. Le musee a ecarte du film d'ouverture de
l'exposition permanente toute mention de cas de genocide precedents,
et limite le cas armenien en rappelant la citation d' Hitler en 1939
sur ce point, ainsi que la reference a la nouvelle de Frantz Werfel
"Les Quarante Jours de Moussa Dagh".
A cette epoque, j'etais directeur du projet de musee, et le personnel
de l'ambassade d'Israël et les officiels du ministère des affaires
etrangères m'avaient averti de me tenir a l'ecart de ce sujet. Lors
d'une visite en Israël, le vice-president du conseil du Memorial
de l'Holocauste d'alors avait rencontre le ministre des affaires
etrangères lui-meme, qui lui dit que cela constituait un sujet de la
plus grande inquietude pour le gouvernement d'Israël. En consequence,
il avait ordonne a l'equipe de ne pas discuter et lorsque cela fut
presente devant la commission de composition du musee, l'atmosphère
etait explosive. Je recu l'ordre de ne plus jamais faire mention
des Armeniens.
Et il y a beaucoup d'autres exemples plus recents des pressions du
gouvernement israelien.
Et pourquoi donc Israël ne s'interesserait-il pas a cela ? Après tout,
ne pas voter de resolution serait lâche. Cela legitimerait la negation
de l'histoire pour des raisons politiques, pour un agenda politique.
Mais voter une resolution en ce moment, où rien n'a change a part le
fait qu'Israël et la Turquie se querellent, ferait d'Israël l'exemple
d'un pays par excellence que les faits historiques peuvent changer
pour des raisons politiques- un fait que les autres nations pourraient
noter vis-a-vis de la memoire de l'Holocauste.
Israël est dans une situation de perdant-perdant. Au plus les
politiciens debattent sur ce point, au plus la stature morale du pays
diminue et plus le danger est grand pour la memoire de l'Holocauste.
Ne pas reconnaître le genocide des Armeniens le placent du côte des
negationnistes de l'histoire, tandis que le reconnaître maintenant,
a froid, comme une punition infligee aux Turcs, est la politisation
ultime de l'histoire. Quelquefois, comme nous dit le Talmud, le
silence est la sagesse.
Michael Berenbaum est le directeur de l'Institut Sigi Ziering sur
l'Holocauste a l'Universite Juive Americaine a Los Angeles, où il
est professeur d'etudes juives.
http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/when-silence-is-wisdom-1.405752
Traduction et commentaire de Gilbert Beguian
L'auteur de cet article d'Haaretz donne les raisons favorables a la
reconnaissance par Israël du genocide des Armeniens. Il se demarque
ainsi des negationnistes refoules que sont les Jean Daniel, Jack Lang,
Pierre Nora, et autres Marc Ferro.
Mais...le moment est mal choisi, semble-t-il. Si en effet Israël
reconnaissait en ces temps de brouille avec les Turcs, on pourrait
lui reprocher de meler la politique et l'histoire. Du coup, la Shoah
pourrait se trouver exposee au meme reproche et perdre ainsi un peu
de sa substance !
L'article cite le Talmud : quelquefois, la sagesse est dans le
silence, mais la nuance n'apparaît plus dans le titre, beaucoup
plus peremptoire.
L'auteur evalue le rôle de la Turquie vis-a-vis de la Shoah comme
"globalement positif", passant sous silence le refus aux bateaux de
Juifs d'accoster en Turquie entre 1937 et 1944 et le refus de visas
turcs aux Juifs d'Europe a partir de 1938.
Mais le lecteur pourra trouver dans cet article des details sur la
complaisance negationniste d'Israël avec les Turcs.