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Le génocide arménien et la souveraineté du peuple français (1)

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  • Le génocide arménien et la souveraineté du peuple français (1)

    Palestine Solidarité
    Dimanche 15 janvier 2012


    Le génocide arménien et la souveraineté du peuple français (1)

    par Manuel de Diéguez


    Introduction

    a- La science historique actuelle

    Depuis le vote de la loi du 23 décembre 2011, qui interdit la sottise
    de contester le génocide arménien de 1915, j'ai laissé passer trois
    semaines sans vous dire mot sur le sujet de la pénalisation de
    l'ignorance, parce qu'il s'agit d'un évènement législatif dont tout
    l'intérêt est de transcender l'actualité parlementaire et de soulever
    la question de fond du statut anthropologique de la mauvaise foi dans
    les sociétés et jusque dans les sciences dures. La première
    interrogation porte sur la réflexion que doit vous 'imposer le
    spectacle de la pauvreté méthodologique dont les historiens
    professionnels d'aujourd'hui ne cessent de vous apporter la
    démonstration, la seconde sur la balance à construire afin que vous
    appreniez à peser les obstacles que rencontre le verbe comprendre
    appliqué à un génocide.

    On voit que ces deux difficultés se rejoignent. Qu'aucun Etat ne porte
    un regard de haut sur la stérilité de "sanctuariser", comme on dit
    maintenant, certains évènements barbares d'hier et d'aujourd'hui -
    massacres, carnages, exterminations, génocides - ce n'est pas une
    surprise, tellement le monde attend depuis longtemps - pour le moins
    depuis la République de Platon - que sonne l'heure du débarquement
    dans l'arène des siècles d'une classe politique réellement réflexive.
    Mais qu'une science historique censée avoir trouvé les chemins de la
    raison républicaine au sein des Universités laïques ne dispose
    aucunement d'une connaissance anthropologique de la notion
    d'objectivité applicable à l'interprétation des meurtres et des
    massacres et des carnages, voilà un fait culturel, social et politique
    à radiographier à l'école d'une Clio devenue plus pensante.

    Or, dans son ordre, la loi du 23 décembre 2011 se révèle précisément
    féconde à titre de témoignage, de la légèreté d'esprit dans laquelle
    la science de la mémoire est tombée, et cela principalement en raison
    de la vassalisation au grand jour ou rampante à laquelle la
    civilisation européenne se trouve soumise depuis 1945.

    b - Le génocide et le sacré

    Vous savez que la science de la mémoire a toujours progressé à la
    faveur, si je puis dire, des convulsions mortelles qui la condamnaient
    à reconstruire l'intelligibilité du genre humain. Thucydide est le
    fils de la guerre du Péloponnèse et de la chute d'Athènes, Tacite, de
    la double impossibilité de confier durablement le sort de l'empire à
    un Sénat des notables locaux et d'éviter le désastre de la chute de la
    République dans la tyrannie, Montaigne, des premiers craquements de la
    monarchie de droit divin, Montesquieu, du débarquement de la raison
    dans le sacré, Tocqueville, de la continuation imperturbable de la
    centralisation monarchique au sein des démocraties, Taine, des
    enseignements de la guerre de 1870. Quant au conflit entre l'histoire
    glorifiée par la sacralisation officielle du passé et l'histoire
    placée sur les plateaux d'une balance pensive, Platon se moquait déjà
    des panégyriques convenus auxquels Périclès se livrait chaque année en
    l'honneur des morts à la bataille de Salamine.

    Mais il se trouve que, pour la première fois depuis 1789, la
    civilisation européenne ne trouve plus, dans les profondeurs de son
    génie, les ressources d'une révolution cérébrale qui lui permettrait
    de porter un regard de géant sur la quadriplégie mondiale dont la
    science historique courant sur les rails de votre raison laïque se
    trouve frappée. La loi du 23 décembre 2011 a conduit M. Pierre Nora à
    publier dans le Monde du 28 décembre 2011 un article sur lequel je
    reviendrai. Pourquoi ne contenait-il pas l'ombre d'une réflexion sur
    le concept de vérité historique en tant que signifiant, ni sur le
    degré variable de rationalité interne dont la connaissance
    scientifique du passé a bénéficié au gré des siècles et des lieux, ni
    sur l'incapacité de l'historien d'aujourd'hui de comprendre la Saint
    Barthelemy ou la Terreur, ni sur les présupposés inconscients qui
    commandent la définition d'une rationalité de la science historique
    tenue pour universelle ni, surtout, sur la connaissance des ressources
    cérébrales dont dispose une espèce que défie la profondeur des sujets
    que le monde moderne l'appelle à traiter? Certes, Mme Chandernagor a
    publié dans le Figaro du 29 décembre 2011 un texte qui effleurait le
    sujet du blasphème, du sacrilège ou de la profanation, mais sans une
    spéléologie des fureurs et des extases religieuses qui enflamment tour
    à tour les évadés de la zoologie il n'y aura pas d'histoire pensante.

    M. Marian, d'origine arménienne, ancien secrétaire général du CNL et
    grand professeur, exprime son désaccord avec M. Pierre Nora dans le
    Monde du 4 janvier 2012 et M. Serge Klarsfeld estime que, sur la
    shoah, la raison du peuple français doit se trouver guidée par l'Etat.
    Quant à M. Duclert, il demande à la République de donner de bons
    conseils aux historiens turcs et M. Gautheret souligne que la France a
    participé au génocide du Rwanda. Quelle est la spéléologie des fuyards
    de la nuit animale qui vous permettra de descendre dans l'abîme des
    meurtres sacrés auxquels le divin, même chez les chrétiens, se livre
    depuis le paléolithique, puisque la sainteté de "Dieu" demande aux
    fidèles de lui immoler des victimes ensanglantées, tantôt au grand
    jour des autels, tantôt en catimini.

    c - Une scolastique

    A l'heure où toute la classe dirigeante du Vieux Monde passe au large
    du spectacle saisissant de la mort politique de la civilisation de la
    raison, à l'heure où l'occupation de l'Allemagne par deux cents
    gigantesques bases militaires américaines n'attire le regard d'aucun
    historien, à l'heure où le maître de l'OTAN étend sans cesse la
    puissance de ses armes sous l'étendard de son empire de la "liberté",
    à l'heure où aucun parti et aucun candidat à l'élection présidentielle
    française du mois de mai prochain n'ose porter un regard d'historien
    sur la marginalisation politique et militaire accélérée de l'Europe.
    Comprenez qu'une science historique frappée d'aveuglement à l'égard de
    ses propres funérailles perpétue les routines piétinantes d'une
    scolastique à laquelle sa pseudo objectivité se prête à merveille.

    Qu'est-ce qu'une scolastique appliquée à la science historique, sinon
    une méthode d'apprentissage du passé dont les mythes sacrés nous
    avaient longtemps enseigné l'usage? Le "chercheur" démocratique
    s'ampute d'avance de la question de la validité des présupposés sur
    lesquels sa discipline s'est construite, et cela afin de se lover dans
    une cohérence cérébrale partielle et pré-apprêtée. De même que la
    théologie s'interdit d'avance de jamais se poser la question du
    bien-fondé de la croyance en l'existence d'un Dieu qui trônerait dans
    l'immensité ou qui s'y trouverait vaporisé, la science historique
    moderne ne se demande jamais comment les effluves des empires se
    répandent, quels rapports leurs rêves entretiennent avec leurs otages
    et comment ils lubrifient les ressorts et les rouages de leurs
    vassaux. Mais alors, l'histoire demeurera-t-elle la plus sotte des
    sciences humaines? Retournerez-vous au récit naïf des Xénophon ou des
    Hérodote?

    d - A la recherche d'un bathyscaphe

    Vous n'avez pas besoin d'une connaissance trans-chronologique du passé
    pour comprendre la bataille de Verdun - la seule écoute du narrateur y
    suffit. Mais un génocide ? Mais une guerre de religion ? Mais le
    conflit entre les shiites et les sunnites ? Pis que cela : le
    protestant que révulse la consommation de la chair crue de
    Jésus-Christ sur l'autel et que dégoûte le vin de la messe changé en
    hémoglobine n'a ni le même cerveau, ni les mêmes entrailles que le
    catholique qui n'y voit aucune difficultés ou qui se livre sans
    seulement y penser à un rituel coutumier.

    Mais si la science historique actuelle devenait cogitante - on raconte
    qu'elle nourrirait subitement l'ambition de se rendre
    "trans-évènementielle" - comment scellera-t-elle une alliance vivante
    entre la narration greffière et la plongée éclairante, entre la
    mémorisation acéphale des huissiers et la descente dans l'abîme du
    trépas des civilisations, entre la légèreté du chroniqueur et le
    tragique eschylien?

    La loi du 23 décembre 2011 est un fanal éteint et une lampe de
    Diogène. Tentons de nous promener quelques instants sur les sentiers
    riants du mythe de la Liberté, puis de descendre dans la géhenne où
    une autre Clio vous conduira à observer les relations que les
    religions entretiennent avec le génocidaire suprême du cosmos, celui
    dont la sainte démocratie mondiale met en scène les autels
    ensanglantés. .



    1 - Votre vocation intellectuelle
    2 - Les huissiers de Clio
    3 - " Travailler sur "...
    4 - Les narines sacrificielles de l'humanité
    5 - Qu'est-ce que le pouvoir temporel d'un Olympe ?
    6 - Que signifie la sacralisation du réel ?
    7 - Le sacrilège de nier la réalité
    8 - Une histoire de fou
    9 - Une révolution mondiale de la morale
    10 - L'abeille et le miel

    1 - Votre vocation intellectuelle

    Vous savez que les pires ennemis des démocraties s'appellent
    l'ignorance et la sottise des peuples mal informés de la nature de
    leurs droits et de la portée de leurs devoirs. Votre apprentissage
    rapide et fécond du contenu moral et juridique de la souveraineté dont
    la Constitution vous a investis profitera donc d'une tragédie
    politique désastreuse pour la nation, mais utile à votre instruction
    civique. Voici le chemin de votre ascension au rang de citoyens dignes
    de piloter la France de demain sur la scène internationale.

    Dans cet esprit, apprenez bien vite les secrets d'Etat qui se cachent
    sous l'adoption, en toute hte, d'une loi qui permettra de vous jeter
    en prison et de vous frapper d'une lourde amende si, par l'effet d'une
    ignorance ou d'une sottise dont il est insultant de vous accuser, vous
    vous avisiez de nier massivement ou isolément dans vos écrits ou de
    vive voix le génocide auquel la Turquie s'est livrée en 1915 sur une
    partie de sa population, les Arméniens, qui allaient faire sécession.
    Du coup, Ankara menace la France de promulguer, à titre de
    représailles, une loi qui chtierait les Turcs coupables de nier
    l'assassinat par l'armée française de quinze pour cent de la
    population algérienne, laquelle entendait, comme celle de l'Arménie de
    1815, fonder une nation et délivrer son territoire du statut d'une
    colonie, puis, nécessité oblige, le législateur d'un département.

    Or nos historiens s'indignent de l'audace de la Ve République, qui
    entend empiéter sur les prérogatives qui n'appartiennent qu'à eux.
    L'Etat s'appliquerait à arracher la plume des mains de ses savants.
    Mais votre formation précipitée vous aidera à radiographier
    l'inculture que les greffiers de Clio partagent avec tous les
    gouvernements démocratiques d'aujourd'hui - car les uns et les autres
    ignorent que M. Nicolas Sarkozy ne se prend pas pour un hôte de
    passage en ce bas monde et qu'il n'écrit nullement l'histoire
    terrestre de son pays, parce que les Parlements modernes, pense-t-il,
    seraient appelés à rédiger un traité de théologie éternelle à l'usage
    des démocraties séraphiques. A vous d'enseigner à vos historiens que
    le chef de l'Etat met la Constitution de la France laïque au service
    de l'esprit religieux auquel son mépris de la raison républicaine
    entend soumettre la nation de Candide, mais que vos historiens ne sont
    pas encore devenus ni des anthropologues avertis, ni des peseurs
    légitimés de la raison universelle.

    2 - Les huissiers de Clio

    Combien la science historique de l'estimable Pierre Nora souffre des
    carences de la problématique et de la pauvreté des méthodes d'analyse
    des descendants de Thucydide, donc de leur inaptitude à approfondir le
    sens anthropologique du verbe comprendre, vous pourrez le mesurer à
    lire l'article bien intentionné, mais d'une belle candeur que l'auteur
    des Lieux de mémoire a publié dans Le Monde daté du 28 décembre 2011.
    Au titre de président et de fondateur de l'association "Liberté pour
    l'histoire", il nous remet en mémoire les termes de l'appel solennel
    qu'il a lancé à tous les historiens européens à Blois en 2008 et qui
    lui avait valu l'approbation immédiate de plus d'un millier d'entre
    eux. On pouvait y lire : "Dans un Etat libre, il n'appartient à aucune
    autorité politique de définir la vérité historique et de restreindre
    la liberté de l'historien sous peine de sanctions pénales. (...) En
    démocratie, la liberté pour l'histoire est la liberté de tous." (C'est
    moi qui souligne)

    Profitez de cette circonstance pour apprendre à préciser le sens des
    mots de Clio; car ce qui compte dans votre discipline, ce n'est pas
    d'invoquer le vocable incantatoire de Liberté et de la "sanctuariser",
    mais de sonder le babillage épistémologique que ce terme cache à votre
    regard. Précisez donc le contenu scolaire et la portée scientifique de
    l'expression vérité pour l'histoire, demandez-vous si la magistrature
    qu'exerce la scientificité de l'histoire officielle concerne le récit
    fidèle des évènements ou leur explication; et, dans le second cas,
    dites à vos lecteurs à quelle profondeur vous entendez rendre votre
    récit intelligible, tellement il ne suffit pas de raconter l'histoire
    avec exactitude ou de la célébrer au titre d'un " lieu de mémoire "
    pour la rendre compréhensible. Sur quelle balance pesez-vous le verbe
    comprendre?

    3 - " Travailler sur "...

    C'est évidemment à juste titre que M. Pierre Nora dénonce, dans la loi
    du 23 décembre 2011, une "soviétisation" de l'histoire. Mais, en
    l'espèce, soviétiser signifie simplement pénaliser "la contestation
    des génocides établis par la loi". Si votre science historique ignore
    tout de la spécificité psychique qui s'attache à la pénalisation de
    type idéologique ou confessionnel, si Clio ignore tout de
    l'inconscient théologique, eschatologique et doctrinal qui commandait
    le marxisme rédempteur, vous vous interrogerez sur le sens suspect que
    les historiens actuels donnent au terme de "raison" qui guide leur
    scolastique du compréhensible, tellement il faut recourir à des
    radiographie anthropologiques du sacré répressif et salvifique
    toujours étroitement associés pour comprendre le contenu mental de la
    pénalisation d'un écrit que la loi du 23 décembre 2011 fait monter sur
    les planches d'une intelligibilité pré-apprise et bancale de
    l'histoire. Mais si une République inconsciemment doctrinale et
    inspirée par le souffle du mythe de la Liberté s'imagine savoir déjà
    ce qu'il faut officiellement entendre par la catéchèse qui sous-tend
    les verbes expliquer et comprendre et si elle les prend dans le sens
    global et superficiel que l'opinion publique leur attribue, M. Pierre
    Nora condamne à son tour la science historique à la légèreté d'esprit
    des chroniqueurs scolastiques et des mémorialistes dévots de votre
    temps.

    Mais jugez à quel point les défenseurs du sens commun le plus trompeur
    et le plus creux ont d'ores et déjà fait irruption, leurs armes
    confessionnelles à la main, dans l'enceinte d'un Etat banalisé par le
    langage pseudo-rationnel de la laïcité: "La criminalisation de la
    guerre de Vendée, écrit-il, était sur le point d'arriver sur le bureau
    de l'Assemblée nationale. (...) D'autres propositions de la loi se
    pressaient sur l'Ukraine affamée par le pouvoir stalinien en 1932-1933
    et (sur) les crimes communistes dans les pays de l' Est, sur
    l'extermination des Tziganes par les nazis et sur le massacre de la
    garde suisse aux Tuileries en 1793. A quand la criminalisation des
    historiens qui travaillent sur l'Algérie, sur la Saint Barthelemy, sur
    la Croisade des Albigeois"?

    Que signifie le verbe criminaliser si je criminalise la théologie de
    l'enfer et si l'auteur du déluge est le premier génocidaire de
    l'Histoire ? Quant à l'expression "travailler sur", elle se présente
    fréquemment sous la plume des praticiens de la raison seulement
    narratrice. Elle signifie que le conteur dispose de la pelle et de la
    pioche en usage parmi les historiens, mais que le récitant ne sait ni
    quelle terre il déplace ni ce qu'elle cache aux yeux du piocheur.

    4 - Les narines sacrificielles de l'humanité

    Or, vous remarquerez que, dans cette énumération nullement exhaustive
    des travaux qui attendent le "travailleur", seuls les massacres de
    Tsiganes et des garde-suisses ne ressortissent pas essentiellement à
    la connaissance anthropologique des mythes religieux. Si l'ignorance
    du sacré est un désert d'une étendue immense au sein de la science
    historique d'aujourd'hui, ce n'est pas seulement la mémoire des
    siècles, mais tout progrès dans le décryptage des neurones du genre
    humain qu'interdit la loi répressive du 23 décembre 2011; et si nos
    esprits circonscripteurs et cadastraux ont pris autant de retard sur
    les prospecteurs et les spéléologues d'aujourd'hui que l'Eglise du
    XVIe siècle sur les philologues de la Renaissance, comment M. Pierre
    Nora peut-il demander à une science historique dont la loi de
    séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905 est la parturiante de
    "travailler" sur la Saint Barthelemy, et cela "objectivement", alors
    que, dans son état actuel, la discipline du passé ne dispose d'aucune
    connaissance réelle des raisons mythologiques, donc psychobiologiques
    qui la divisaient, en 1572, entre les défenseurs de l'efficacité d'une
    immolation bien saignante sur l'autel du sacrifice catholique et les
    partisans de l'assassinat cultuel plus symbolique des protestants,
    mais qu'ils jugent depuis lors non moins de bonne odeur que le meurtre
    plus olfactif que le Concile de Trente déclarait seul "vrai et réel "?

    Si vous ignorez tout des narines sacrificielles de l'humanité et de
    ses idoles, votre compréhension du passé ressortira-t-elle au comique
    pseudo scientifique? Et si la peur et le courage de l'intelligence
    sont les clés de la scientificité de la connaissance réelle de
    l'histoire, et si la saint Barthélémy se révèle précisément un
    baromètre précieux de la crainte que les dieux inspirent encore à la
    République laïque, le tragique va-t-il fourrer son nez dans les
    souterrains de la notion d'objectivité appliquée à la science
    républicaine de la mémoire? Où allons-nous si ni l'Etat, ni Clio ne
    radiographient le contenu psychologique de la cécité d'une science du
    passé qui n'a pas de balance à peser l'encéphale orthodoxe ou
    hétérodoxe de l'humanité et qui ne sait sur quels plateaux déposer la
    raison et la folie religieuses? Xénophon et Hérodote ne sont pas loin,
    eux qu'aurait stupéfiés le spectacle absurde et dément de
    l'Inquisition ou des Croisades. Mais, encore une fois, que savent nos
    historiens d'un type de délire collectif que la loi de 1905 a mise
    sous le boisseau sans l'avoir radiographié ? Si vous deviez persévérer
    à ignorer les secrets de l'encéphale onirique de notre espèce, jamais
    vous ne prendrez conscience de ce que la science historique de demain
    sera condamnée à conquérir le regard de la pensée sur les documents
    anthropologiques qu'on appelle des théologies.

    A quel point votre tche de responsables de la cervelle de l'Etat de
    demain, donc d'historiens de la raison du monde vous contraindra de
    vous initier au fonctionnement de la boîte osseuse des déserteurs des
    ténèbres et à quel point votre éducation civique sera philosophique et
    anthropologique ou ne sera pas, vous le comprendrez mieux si vous
    consacrez quelques instants à peser le retard que les démocraties
    modernes ont pris sur la connaissance scientifique des théologies.

    5 - Qu'est-ce que le pouvoir temporel d'un Olympe ?

    Vous savez que la politique extérieure des nations républicaines est
    dirigée par un chef de l'Etat élu au suffrage universel et secondé par
    un Ministre des affaires étrangère. En France, le titulaire actuel de
    ce poste a déclaré publiquement aux journaux que le chef de l'Etat
    avait non seulement provoqué un désastre diplomatique sans précédent,
    mais qu'il était coupable d'une hérésie intellectuelle. Qu'est-ce
    qu'une hérésie en tant que document anthropologico-diplomatique?

    Le patriotisme d'Alain Juppé vous appelle indirectement à peser
    l'inconscient théologique de l'adjectif "intellectuel" appliqué à une
    démocratie à laquelle le chef de l'Etat a coupé les ailes: il s'agit,
    vous le savez, de vous interdire de nier tels faits ou tels évènements
    prédéfinis par l'Etat de droit comme des énoncés à damner. Apprenez
    donc le contenu psychique, politique et doctrinal des interdits
    prononcés par la voix des dogmes et qui vouent aux gémonies les
    énoncés jugés hérétiques.

    Si vous entendez chtier la négation d'un évènement imaginaire par
    nature, mais soutenu par une orthodoxie, il faut, au préalable, que
    votre réfutation du relaps et renégat qui aura insolemment ridiculisé
    une sottise catéchétique ait été rendue punissable par l'autorité du
    droit canon, donc par l'intervention impérieuse d'une instance
    expressément habilitée par le ciel de l'endroit à débarquer légalement
    dans la question. Mais son efficacité exigera l'appel à la force du
    glaive, sinon la croyance en certains miracles et prodiges ennemis de
    la logique humaine ne saurait s'imposer par l'effroi et à tout le
    monde.

    C'est pourquoi la souveraineté d'une Eglise jugée inattaquable en
    raison du pouvoir sacral qu'elle s'est accordée de soutenir des
    allégations évidemment absurdes repose toujours sur la gloire d'un
    Olympe; et tout Olympe se fonde nécessairement sur la terreur
    qu'inspire sa légitimité pénale, c'est-à-dire sur la sagesse, à
    l'entendre, de vous faire trembler. Mais comme il est impossible de
    mettre votre cerveau sous le joug de l'ignorance et de la sottise sans
    recourir à la foudre d'un Jupiter tenu pour crédible, on qualifie de
    blasphème, de sacrilège ou de profanation une énonciation de la vérité
    interdite de formulation pour cause de lèse-majesté. Le sceptre de la
    peur religieuse dispose donc des armes de l'épouvante qu'inspirent les
    souverains.

    Si je nie que, dans le "vrai et réel" sacrifice des chrétiens, le pain
    et le vin de la messe se métamorphosent en chair et en sang de la
    victime censée effectivement assassinée par les paroles que le prêtre
    prononce sur l'offertoire de l'immolation, si je nie que ce prodige,
    qu'on appelle la transsubstantiation, serait le fruit instantané des
    formules dites de la consécration, j'outrage le maître absolu du
    cosmos, lequel se vengera de l'impiété d'un tel affront par la sainte
    cruauté de me précipiter pour l'éternité dans les tortures de l'enfer,
    puisque tel est le chtiment effroyable réservé à tous les mécréants
    par la bonté vengeresse du créateur. Quand M. Alain Juppé, qui n'est
    pas un ignorant en théologie, évoque une erreur de type intellectuel,
    vous renvoie-t-il à l'interdiction que promulguent les Eglises de nier
    des faits fantastiques et tenus pour avérés par l'autorité du dogme?
    Nullement.

    6 - Que signifie la sacralisation du réel ?

    Car tel n'est pas le cas du génocide arménien. Pourquoi nieriez-vous
    des faits dûment attestés depuis 1915 par les historiens du monde
    entier et par le gouvernement français de l'époque? On ne vous demande
    pas de reconnaître qu'au cours de la guerre du Péloponnèse, qui a
    conduit à la défaite navale d'Athènes devant Sparte, l'amiral Lysandre
    ait fait assassiner six mille marins de l'ennemi à la suite de
    l'anéantissement de la flotte de guerre du vaincu à Aegos Potamos, on
    ne vous interdit pas de nier que Jules César ait fait couper le poing
    droit à douze mille guerriers gaulois à la suite de la reddition
    d'Uxellodonum, trop tardive à ses yeux, on ne vous interdit pas de
    nier la Saint Barthelemy ou les massacres de la Terreur, parce que
    l'on juge sainement que si le faux crève les yeux, il est sot de
    protéger la vérité par le recours à l'épouvante dissuasive, tellement
    l'erreur s'auto-réfute spectaculairement et tellement il est grotesque
    de chtier l'ignorance, la stupidité ou la mauvaise foi les plus
    évidentes. Quant à la spécificité juridique du génocide, genos
    signifie espèce, tribu ou peuple - les Etrusques ont éradiqué les
    Italiotes, mais non les Espagnols les Incas, les conquérants
    anglo-saxons les Indiens et Hitler les juifs : dans génocide, cide
    renvoie au latin occidere, tuer, mais non exterminer, extinguere.

    L'incarcération du négateur dans les geôles d'un Etat de droit ou la
    crémation du mal-pensant sur les bûchers de l'Inquisition ne sont plus
    de saison. Mais alors, il faut que vous vous demandiez comment le
    sacrilège et le blasphème ont pu évoluer jusqu'à l'imbécillité de
    protéger de la profanation des vérités historiques incontestable et
    que ne réfute qu'une poignée de cerveaux en délire. Massacres,
    carnages, exterminations, génocides, levez-vous et plaidez votre cause
    devant le tribunal de la mémoire du monde!

    7 - Le sacrilège de nier la réalité

    Sachez donc qu'au XVIe siècle, les outrages aux verdicts du ciel ont
    pris une tournure nouvelle: l'impiété a commencé de se nourrir des
    découvertes de la science physique et des mathématiques. Le
    débarquement de l'astronomie de Copernic réfutait celle de Ptolémée,
    un Egyptien que l'orthodoxie du ciel des chrétiens sacralisait depuis
    de longs siècles. Or, il a été démontré que ce genre d'hérésies, fort
    récent dans l'histoire des dieux, triomphe toujours, mais au terme
    d'une résistance de deux siècles environ des plaideurs de la
    cosmologie mythique réfutée par l'expérience, parce que la science n'a
    pas besoin de procureurs: elle se contente d'accumuler dans le
    prétoire des preuves visibles de ses dires, tandis qu'une religion
    convaincue d'erreur par un verdict de la nature ou par la course
    réelle des astres dans le ciel se trouve contrainte par la sainteté de
    son enceinte doctrinale de camper dans une argumentation de plus en
    plus hiératique et de fortifier les murailles du sacré contre les
    assauts inlassables des magistrats de l'évidence.

    Vous savez que le tribunal de l'Eglise a donné au bras séculier de
    Dieu, c'est-à-dire à l'Etat, le droit de brûler vif Giordano Bruno
    pour cause de copernicisme, qu'elle a fait se rétracter Galilée metu
    mortis - par crainte de la mort - ainsi que des milliers de
    protestants espagnols qui réfutaient le prodige de la
    transsubstantiation eucharistique. Plus d'un siècle et demi après la
    parution de L'Origine des espèces de Darwin, Jean Paul II a dû
    reconnaître que l'évolutionnisme est "davantage qu'une hypothèse",
    déclaration dont l'ambiguïté politique et la timidité calculée
    permettaient à l'Eglise de satisfaire la raison scientifique, mais
    seulement du bout des lèvres afin de ne pas trop effaroucher les
    fidèles.

    Mais si la notion de sacrilège en vient à protéger non plus la
    sainteté doctorale des représentations erronées de la science
    astronomique des Anciens, mais l'histoire démontrée des métamorphoses
    de la vie sur la mappemonde et au fond des mers, une terre d'accueil
    s'ouvrira à la construction de barricades théologiques qu'on dressera
    à une grande hauteur autour des évènements historiques les mieux
    attestés. Puis, le retour de l'esprit de piété s'attachera non plus
    seulement à sanctifier des évènements fabuleux et qui ont besoin,
    précisément à ce titre, de se perpétuer à l'écoute de prêtres
    assermentés par une divinité jugée irréfutable , mais, en outre, de
    théologiser des faits que certains esprits pourraient nier par sottise
    invétérée, ignorance crasse ou malice de démagogues.

    8 - Une histoire de fou

    Pour vous faire comprendre ce point difficile, examinons un instant la
    question de savoir ce qui se passerait dans vos têtes dans le cas où
    l'Etat de M. Nicolas Sarkozy interdirait aux hérétiques de demain de
    nier l'existence de la lune et du soleil. Sans doute êtes-vous étonnés
    que j'en vienne à évoquer un délire aussi extrême de l'Etat et que
    j'en croie capables les législateurs actuels du sacré républicanisé.
    Mais songez que vous vous diriez in petto: "Nous avons toujours cru
    dur comme fer que nous devions en croire nos yeux, nous avons toujours
    cru non seulement que ces astres couraient au-dessus de nos têtes,
    mais qu'ils gravaient leur effigie sur notre rétine. Et maintenant
    l'Etat nous laisse clairement entendre que nos lumières pourraient
    fort vilainement nous tromper, et maintenant notre Etat insinue que
    nous serions - et depuis le berceau - des victimes sans défense de nos
    sens abusés. Se peut-il que la République de la raison ait perdu la
    tête à ce point? N'est-il pas plus vraisemblable de supposer, au
    contraire, que le genre simiohumain tout entier aurait perdu la raison
    des siècles durant et qu'il n'en aurait retrouvé que quelques bribes à
    la Renaissance?

    "Il se peut donc que l'Elysée ait acquis depuis longtemps une science
    des mystères de nos encéphales, il se peut même que, sur les hauteurs
    éclairées où siège sa sagesse, il capte d'avance les senteurs d'un
    savoir encore inaccessible à ses créatures, il se peut même que
    quelque divinité soit subitement descendue de son Olympe pour
    n'informer que lui des secrets encore interdits au pauvre entendement
    des Français. Car enfin, si nous étions si sûrs, hier encore, que nous
    voyions ce que nous croyions voir à seulement lever les yeux au ciel,
    pourquoi l'Elysée nous mettrait-il soudainement en garde contre des
    erreurs qui menaceraient nos lumières naturelles en catimini?"

    On voit par quels chemins l'esprit religieux seulement endormi de
    l'humanité pourrait faire retour dans la candeur des démocraties , on
    voit à quel point la laïcité actuelle demeure fragile: s'il n'est pas
    sûr du tout que le soleil et la lune courent dans le ciel et si c'est
    nous, à n'en pas douter, que charrie le soleil de l'Etat, quel
    bonheur, pour nous, n'est-ce pas, que son omniscience condescende à
    jouer à titre préventif le rôle de gardien de l'orthodoxie
    républicaine dans nos têtes ébranlées et que l'encens de la démocratie
    nous enivre durablement de ses grces! Mais si vous respirez les
    effluves ineffables du sacré dont la loi des sorciers du 23 décembre
    2011 fleure si bon et si l'Elysée n'a peut-être pas entièrement égaré
    les recettes éprouvées des Eglises , souvenez-vous que vous êtes
    dépositaires des odeurs de la souveraineté d'une nation en
    apprentissage de sa raison.

    9 - Une révolution mondiale de la morale

    Vous voici devenus les citoyens d'un Etat dans lequel l'immoralité
    partagée de la gauche sénatoriale et de la droite parlementaire
    méprise votre souveraineté au point que les deux partis au pouvoir
    menacent ensemble de jeter en prison ceux d'entre vous qui nieraient
    un fait évident et attesté depuis 1915. Comment ferez-vous face à une
    situation aussi ubuesque, sinon en vous collant aux oreilles les
    écouteurs d'une science historique dont la distanciation
    intellectuelle scannera les documents tragiques qu'on appelle des
    cerveaux? Mais pour cela, il vous faut faire franchir un pas de géant
    à la morale universelle. Dites-vous donc: "Si la divinité "toute
    puissante et miséricordieuse" n'était pas celle de ma conscience et
    d'elle seule, si je me prosterne devant le monstre sanguinaire et
    dément qui me torturera éternellement aux enfers, si j'adore une idole
    dont les chtiments devraient la couvrir de honte, si je juge
    saintement méritées les rôtissoires qui m'attendent, comment ne
    serais-je pas moi-même cette idole-là ? Mais comme je me vois
    maintenant dans le miroir à double face où mon encéphale schizoïde me
    renvoie à la théologie des sauvages, il faut que j'enseigne à la
    science historique ce qu'on appelle un génocide."

    Pour le comprendre, demandez-vous à quelle étrange nature l'idée de
    justice ressortit; et pour cela, observez le jeu serré que joue
    Socrate avec la République d'Athènes. D'un côté, dans la célèbre
    Prosopopée des lois, que vous trouverez dans le Criton, il fait tenir
    à ces pauvresses un discours apeuré: "Socrate, disent-elles au
    philosophe, ne sommes-nous pas les éducatrices de cette ville, ne nous
    doit-elle pas de la reconnaissance pour l'enseignement que nous lui
    avons dispensé, ne serait-elle pas une ingrate de nous désavouer, ne
    tomberait-elle pas en ruine à ébranler notre autorité et à mettre en
    doute les services immenses que nous lui avons rendus si tu refusais
    de boire la ciguë et si tu t'enfuyais pour goûter un sûr refuge à
    Mégare?"

    Socrate paraît les approuver hautement. Mais voyez ce qu'il leur
    glisse dans le creux de l'oreille: "Mon pauvre ami, dit-il à Criton,
    tu crois savoir où se trouve le vrai Socrate; tu crois même que tu vas
    transporter en terre ton Socrate en chair et en os et tu te lamentes
    d'avance sur son cadavre. Mais je partirai comme l'abeille emporte son
    miel."

    10 - L'abeille et le miel

    Depuis ce temps-là, le sceptre de la justice du monde a changé de
    mains. Jusqu'alors l'Etat disait : "Justice est faite!" quand son
    glaive avait prouvé son bon droit à brandir une dépouille mortelle
    pour témoin de sa légitimité; et maintenant l'Etat se trouve dépossédé
    de sa victoire à l'école de l'abeille et du miel; et maintenant, le
    vainqueur n'est plus l'Etat, mais l'absent qui le nargue et qui lui
    dit: "Vois, je n'étais pas à l'endroit que tu croyais." Et la loi
    s'enfuit piteusement, la loi a perdu son trophée de chair et de sang.

    Voilà la balance sur laquelle la loi du 23 décembre 2011 attend votre
    pesée. Car M. Sarkozy répète que Socrate, ce sera bel et bien l'impie
    dont vous jetterez la carcasse en prison pour sacrilège. Mais la
    France vous dit: "Je suis l'abeille et le miel de votre raison" .Où
    donc la vérité historique sur le génocide se trouve-t-elle? Aurait-on
    trouvé son gîte en Turquie, ou bien ici et maintenant ? Portez donc
    votre regard sur l'idole génocidaire que vous êtes à vous-mêmes quand
    vous vous prosternez la face contre terre devant un tueur titanesque
    et qui vous jettera vous-mêmes en prison pour l'éternité sous la
    terre. Comment adoreriez vous la sainteté de ce tortionnaire si vous
    n'étiez à son image et ressemblance ? Dites à M. Nicolas Sarkozy: "Tu
    te trompes, si tu crois voir la France de l'abeille et du miel dans le
    cadavre de la justice du monde." Si votre encéphale apprenait à
    connaître la preuve par l'abeille et le miel, peut-être votre
    intelligence remettra-t-elle une France tombée en panne du
    "Connais-toi" sur le trône de sa Liberté.

    Le 22 janvier j'analyserai les dessous du désastre proprement
    diplomatique, afin d'illustrer les relations que les problématiques
    englobantes entretiennent avec la pratique politique au quotidien.

    15 janvier 2012

    http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Manuel_de-Dieguez.150112.htm

Working...
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