TV5 Monde, France
22 janvier 2012
Génocide arménien : une loi en débat
Ce lundi 23 Janvier, un mois après son passage à l'Assemblée
Nationale, le texte visant à pénaliser la négation du génocide
arménien (1915-1916) arrive au Sénat. L'historienne Esther Benbassa
est aujourd'hui sénatrice (EELV). Elle votera contre le texte.
22.01.2012
Propos recueillis par Matthieu Vendrely
Vous avec publié récemment une tribune dans le quotidien français
Libération. Dans ce texte intitulé "lois mémorielles et clientélisme
électorale", vous expliquez pourquoi vous êtes opposées à la loi
pénalisant la négation du génocide arménien. Vos arguments sont
multiples...
Mais attention ! Cela ne veut pas dire que je suis contre la
reconnaissance du génocide arménien. Il a d'ailleurs été reconnu par
la France en 2001. Seulement voilà, et Robert Badinter (ancien
ministre socialiste de la Justice, NDLR) l'a rappelé récemment en
termes juridiques : nous avons déjà une loi de droit commun qui peut
punir l'incitation à la haine, à la violence sur des sujets concernant
un groupe ou une communauté. Par exemple, il y a de très très longues
années (en 1995, NDLR), nous avons fait condamner l'historien Bernard
Lewis pour négation du génocide arménien. A l'époque il n'y avait pas
de loi sur le négationnisme ni d'ailleurs la loi sur la reconnaissance
du génocide arménien. Donc il est toujours possible de faire condamner
pour ce délit, on n'a pas besoin de faire une loi juste en période
électorale. En plus une loi qui a déjà été retoquée l'année
dernière...
Un texte sans grande utilité donc, mais également et surtout -selon
vous- un texte qui risque d'être contre-productif...
Absolument. Cette loi remet en question le dialogue qui doit s'ouvrir
en Turquie. La Turquie, comme la France, est un pays très
nationaliste. Cet ultimatum venu de l'extérieur ne va faire que
crisper les relations et empêcher ce travail. Il y a en Turquie des
intellectuels qui ont lancé un appel à la reconnaissance du génocide
arménien par leur pays. Ce sont des gens qui travaillent sur place,
qui pourraient avoir accès plus facilement que nous aux archives
concernant ce génocide. Donc je trouve très préjudiciable qu'on décide
ainsi de légiférer sans penser en plus à la communauté arménienne
locale qui risque d'avoir des soucis.
Manifestation de turcs à Paris le 22 décembre 2011 - AFPVous pointez
également les risques pour la cohésion sociale...
La cohésion sociale, c'est une nation qui commémore ensemble, qui fait
une synthèse de toutes ses douleurs, de toutes ses souffrances, et qui
écrit son histoire ensemble. Ce ne sont pas des petits groupes comme
ça qui obtiennent l'appui d'une loi mémorielle et qui, ensuite,
demandent des droits. On crée des communautés mémorielles. Vous savez,
de grands historiens ou des personnalités juives qui avaient vécu la
Shoah s'étaient opposées à la loi Gayssot ! Les lois mémorielles de
surcroît empêchent la liberté d'expression et la liberté
intellectuelle. Aux Etats-Unis, le premier article de la Constitution,
c'est la liberté d'expression. Il n'y a pas de lois mémorielles aux
Etats-Unis et ce n'est pas pour autant qu'il y a plus de
négationnisme.
Que pensez-vous de l'attitude de la France dans cette affaire ?
Je pense qu'il faut d'abord balayer devant sa porte avant de donner
des ordres aux autres pays, avant de réécrire les pages noires de leur
histoire. La France devrait faire cela pour ses exactions en Algérie
et aussi pour ce qui s'est passé dans les colonies. Sans oublier le 17
octobre 1961 quand on a jeté dans la Seine un certain nombre
d'algériens dont le tort était de manifester contre le couvre-feu qui
leur était imposé à Paris...
http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/France-Debat-sur-le-genocide-des-armeniens/p-19842-Genocide-armenien-une-loi-en-debat.htm
22 janvier 2012
Génocide arménien : une loi en débat
Ce lundi 23 Janvier, un mois après son passage à l'Assemblée
Nationale, le texte visant à pénaliser la négation du génocide
arménien (1915-1916) arrive au Sénat. L'historienne Esther Benbassa
est aujourd'hui sénatrice (EELV). Elle votera contre le texte.
22.01.2012
Propos recueillis par Matthieu Vendrely
Vous avec publié récemment une tribune dans le quotidien français
Libération. Dans ce texte intitulé "lois mémorielles et clientélisme
électorale", vous expliquez pourquoi vous êtes opposées à la loi
pénalisant la négation du génocide arménien. Vos arguments sont
multiples...
Mais attention ! Cela ne veut pas dire que je suis contre la
reconnaissance du génocide arménien. Il a d'ailleurs été reconnu par
la France en 2001. Seulement voilà, et Robert Badinter (ancien
ministre socialiste de la Justice, NDLR) l'a rappelé récemment en
termes juridiques : nous avons déjà une loi de droit commun qui peut
punir l'incitation à la haine, à la violence sur des sujets concernant
un groupe ou une communauté. Par exemple, il y a de très très longues
années (en 1995, NDLR), nous avons fait condamner l'historien Bernard
Lewis pour négation du génocide arménien. A l'époque il n'y avait pas
de loi sur le négationnisme ni d'ailleurs la loi sur la reconnaissance
du génocide arménien. Donc il est toujours possible de faire condamner
pour ce délit, on n'a pas besoin de faire une loi juste en période
électorale. En plus une loi qui a déjà été retoquée l'année
dernière...
Un texte sans grande utilité donc, mais également et surtout -selon
vous- un texte qui risque d'être contre-productif...
Absolument. Cette loi remet en question le dialogue qui doit s'ouvrir
en Turquie. La Turquie, comme la France, est un pays très
nationaliste. Cet ultimatum venu de l'extérieur ne va faire que
crisper les relations et empêcher ce travail. Il y a en Turquie des
intellectuels qui ont lancé un appel à la reconnaissance du génocide
arménien par leur pays. Ce sont des gens qui travaillent sur place,
qui pourraient avoir accès plus facilement que nous aux archives
concernant ce génocide. Donc je trouve très préjudiciable qu'on décide
ainsi de légiférer sans penser en plus à la communauté arménienne
locale qui risque d'avoir des soucis.
Manifestation de turcs à Paris le 22 décembre 2011 - AFPVous pointez
également les risques pour la cohésion sociale...
La cohésion sociale, c'est une nation qui commémore ensemble, qui fait
une synthèse de toutes ses douleurs, de toutes ses souffrances, et qui
écrit son histoire ensemble. Ce ne sont pas des petits groupes comme
ça qui obtiennent l'appui d'une loi mémorielle et qui, ensuite,
demandent des droits. On crée des communautés mémorielles. Vous savez,
de grands historiens ou des personnalités juives qui avaient vécu la
Shoah s'étaient opposées à la loi Gayssot ! Les lois mémorielles de
surcroît empêchent la liberté d'expression et la liberté
intellectuelle. Aux Etats-Unis, le premier article de la Constitution,
c'est la liberté d'expression. Il n'y a pas de lois mémorielles aux
Etats-Unis et ce n'est pas pour autant qu'il y a plus de
négationnisme.
Que pensez-vous de l'attitude de la France dans cette affaire ?
Je pense qu'il faut d'abord balayer devant sa porte avant de donner
des ordres aux autres pays, avant de réécrire les pages noires de leur
histoire. La France devrait faire cela pour ses exactions en Algérie
et aussi pour ce qui s'est passé dans les colonies. Sans oublier le 17
octobre 1961 quand on a jeté dans la Seine un certain nombre
d'algériens dont le tort était de manifester contre le couvre-feu qui
leur était imposé à Paris...
http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/France-Debat-sur-le-genocide-des-armeniens/p-19842-Genocide-armenien-une-loi-en-debat.htm