poilitque-actu
22 janvier 2012
"Le poisson pourrit par la tête" Par Jean-Pierre CHEVENEMENT
(A propos de la répression de la contestation de l'existence du
génocide arménien)
Retenu à Belfort par les obsèques de Philippe Garot qui fut mon
adjoint à la Ville de 1989 à 2007, je ne pourrai intervenir à la
tribune du Sénat lundi 23 janvier, comme je me le proposais, pour dire
ma ferme opposition au type de proposition de loi que, sous
l'impulsion conjointe du Président de la République et du Parti
socialiste, on s'apprête à faire voter par la Chambre haute après son
adoption par une poignée de députés à l'Assemblée Nationale.
***
Curieuse conjonction, à moins de trois mois de l'élection
présidentielle ! Mais déjà tout est dit : la proposition de loi visant
à « réprimer la contestation de l'existence du génocide arménien » est
avant tout une opération de récupération électoraliste. Et cela des
deux côtés. J'ai le plus grand respect pour la mémoire douloureuse du
peuple arménien, mais croit-on en servir la cause en ajoutant, loi
mémorielle après loi mémorielle, un texte liberticide et
anticonstitutionnel, grave atteinte à la liberté de recherche des
historiens mais d'abord à la liberté tout court, c'est-à-dire à la
République elle-même ? Il n'est un mystère pour personne que les
auteurs directs et indirects de ces lois mémorielles visent d'abord à
capter les suffrages des minorités qui ont gardé dans leur mémoire la
souffrance de leurs aïeux.
Mais que restera-t-il alors de l'Histoire de France si elle se réduit
peu à peu, par l'intervention d'un législateur incontinent, à n'être
plus bientôt que la marquetterie de mémoires particulières ?
Jusqu'où la décomposition de ce qui nous unissait : la France et la
République n'ira-t-elle donc pas ? C'est sur leur cadavre que
prospèrent les communautarismes aujourd'hui florissants.
La sagesse eût été de favoriser la recherche et d'abord entre Turcs et
Arméniens d'une reconnaissance des massacres de 1915, à la fois de
l'intention politique qui y a présidé et du contexte de la Première
guerre mondiale qui les a permis. Est-ce le rôle du Parlement français
de s'ingérer dans l'écriture de l'Histoire, fût-ce de peuples qui nous
sont proches ? Cela ne peut se faire qu'au mépris des intérêts et de
la vocation de la France.
La mémoire des peuples est chose délicate et il est imprudent de
vouloir s'y immiscer. Cela est d'autant plus vrai que la Turquie est
un grand pays « émergent », héritier d'une civilisation prestigieuse,
dont le rôle au XXIe siècle sera essentiel au Proche et Moyen-Orient,
en Asie Centrale et bien sûr en Méditerranée.
Quelle méconnaissance de l'Histoire en train de se faire ! Un proverbe
chinois dit que le poisson pourrit par la tête. Ainsi en va-t-il de
notre pauvre France dont l'intérêt national est le dernier souci de
ceux qui la dirigent ou prétendent la diriger. Quelle diplomatie un
tel pays, mis en coupe réglée par les communautarismes, peut-il encore
conduire ?
Je proteste contre ce texte qui porte atteinte au principe de la
séparation des pouvoirs législatif et judiciaire. Le législateur n'a
qualité que pour fixer les règles concernant la détermination des
crimes et délits et les peines qui leur sont applicables. La
Constitution ne lui donne pas le pouvoir de prononcer l'équivalent
d'une condamnation sur des faits qui se sont produits il y a bientôt
un siècle, sur un territoire étranger, sans qu'on connaisse ni
victimes ni auteurs français.
De la même manière la proposition de loi porte atteinte au principe
fondateur de la liberté d'expression et ce, tout particulièrement dans
le domaine de la recherche historique. Si nos dirigeants étaient
encore des républicains, ils se souviendraient que la vérité est assez
grande pour se défendre toute seule, que Clemenceau, Zola, Jaurès
n'ont eu recours qu'à des arguments pour faire innocenter Dreyfus
devant la justice de la République. Les lois qui visent à judiciariser
l'espace public constituent une gangrène qui permet à une multitude
d'associations plus ou moins instrumentées de restreindre le champ de
la liberté d'expression. Cette gangrène, s'il n'est pas mis un terme à
cette dérive, se retournera un jour contre la France et contre la
République. La Vendée, la colonisation, et pourquoi pas la Croisade
des Albigeois ? fourniront le terrain de guerres mémorielles que seule
saurait prévenir une recherche historique exigeante.
***
Ceux qui courent après les quelques centaines de milliers de voix que
peuvent leur apporter telle ou telle communauté n'oublient qu'une
chose : il y a encore dans le peuple français des républicains (par
exemple les 1,5 millions d'électeurs qui s'étaient portés sur ma
candidature en 2002) qui, sous une forme ou sous une autre,
exprimeront leur refus de voir ainsi s'abîmer la République.
SOURCE:
http://www.chevenement.fr/Le-poisson-pourrit-par-la-tete_a1348.html
http://www.politique-actu.com/elu/poisson-pourrit-tete-proposition-genocide-armenien-jean-pierre-chevenement/348561/
22 janvier 2012
"Le poisson pourrit par la tête" Par Jean-Pierre CHEVENEMENT
(A propos de la répression de la contestation de l'existence du
génocide arménien)
Retenu à Belfort par les obsèques de Philippe Garot qui fut mon
adjoint à la Ville de 1989 à 2007, je ne pourrai intervenir à la
tribune du Sénat lundi 23 janvier, comme je me le proposais, pour dire
ma ferme opposition au type de proposition de loi que, sous
l'impulsion conjointe du Président de la République et du Parti
socialiste, on s'apprête à faire voter par la Chambre haute après son
adoption par une poignée de députés à l'Assemblée Nationale.
***
Curieuse conjonction, à moins de trois mois de l'élection
présidentielle ! Mais déjà tout est dit : la proposition de loi visant
à « réprimer la contestation de l'existence du génocide arménien » est
avant tout une opération de récupération électoraliste. Et cela des
deux côtés. J'ai le plus grand respect pour la mémoire douloureuse du
peuple arménien, mais croit-on en servir la cause en ajoutant, loi
mémorielle après loi mémorielle, un texte liberticide et
anticonstitutionnel, grave atteinte à la liberté de recherche des
historiens mais d'abord à la liberté tout court, c'est-à-dire à la
République elle-même ? Il n'est un mystère pour personne que les
auteurs directs et indirects de ces lois mémorielles visent d'abord à
capter les suffrages des minorités qui ont gardé dans leur mémoire la
souffrance de leurs aïeux.
Mais que restera-t-il alors de l'Histoire de France si elle se réduit
peu à peu, par l'intervention d'un législateur incontinent, à n'être
plus bientôt que la marquetterie de mémoires particulières ?
Jusqu'où la décomposition de ce qui nous unissait : la France et la
République n'ira-t-elle donc pas ? C'est sur leur cadavre que
prospèrent les communautarismes aujourd'hui florissants.
La sagesse eût été de favoriser la recherche et d'abord entre Turcs et
Arméniens d'une reconnaissance des massacres de 1915, à la fois de
l'intention politique qui y a présidé et du contexte de la Première
guerre mondiale qui les a permis. Est-ce le rôle du Parlement français
de s'ingérer dans l'écriture de l'Histoire, fût-ce de peuples qui nous
sont proches ? Cela ne peut se faire qu'au mépris des intérêts et de
la vocation de la France.
La mémoire des peuples est chose délicate et il est imprudent de
vouloir s'y immiscer. Cela est d'autant plus vrai que la Turquie est
un grand pays « émergent », héritier d'une civilisation prestigieuse,
dont le rôle au XXIe siècle sera essentiel au Proche et Moyen-Orient,
en Asie Centrale et bien sûr en Méditerranée.
Quelle méconnaissance de l'Histoire en train de se faire ! Un proverbe
chinois dit que le poisson pourrit par la tête. Ainsi en va-t-il de
notre pauvre France dont l'intérêt national est le dernier souci de
ceux qui la dirigent ou prétendent la diriger. Quelle diplomatie un
tel pays, mis en coupe réglée par les communautarismes, peut-il encore
conduire ?
Je proteste contre ce texte qui porte atteinte au principe de la
séparation des pouvoirs législatif et judiciaire. Le législateur n'a
qualité que pour fixer les règles concernant la détermination des
crimes et délits et les peines qui leur sont applicables. La
Constitution ne lui donne pas le pouvoir de prononcer l'équivalent
d'une condamnation sur des faits qui se sont produits il y a bientôt
un siècle, sur un territoire étranger, sans qu'on connaisse ni
victimes ni auteurs français.
De la même manière la proposition de loi porte atteinte au principe
fondateur de la liberté d'expression et ce, tout particulièrement dans
le domaine de la recherche historique. Si nos dirigeants étaient
encore des républicains, ils se souviendraient que la vérité est assez
grande pour se défendre toute seule, que Clemenceau, Zola, Jaurès
n'ont eu recours qu'à des arguments pour faire innocenter Dreyfus
devant la justice de la République. Les lois qui visent à judiciariser
l'espace public constituent une gangrène qui permet à une multitude
d'associations plus ou moins instrumentées de restreindre le champ de
la liberté d'expression. Cette gangrène, s'il n'est pas mis un terme à
cette dérive, se retournera un jour contre la France et contre la
République. La Vendée, la colonisation, et pourquoi pas la Croisade
des Albigeois ? fourniront le terrain de guerres mémorielles que seule
saurait prévenir une recherche historique exigeante.
***
Ceux qui courent après les quelques centaines de milliers de voix que
peuvent leur apporter telle ou telle communauté n'oublient qu'une
chose : il y a encore dans le peuple français des républicains (par
exemple les 1,5 millions d'électeurs qui s'étaient portés sur ma
candidature en 2002) qui, sous une forme ou sous une autre,
exprimeront leur refus de voir ainsi s'abîmer la République.
SOURCE:
http://www.chevenement.fr/Le-poisson-pourrit-par-la-tete_a1348.html
http://www.politique-actu.com/elu/poisson-pourrit-tete-proposition-genocide-armenien-jean-pierre-chevenement/348561/