LE GENOCIDE ARMENIEN EST SOUVENT UN ENJEU ELECTORAL
Le Figaro
http://www.lefigaro.fr/politique/2012/01/24/01002-20120124ARTFIG00599-le-genocide-armenien-au-c339ur-d-une-bataille-electoraliste.php
24 janvier 2012
France
A l'approche d'echeances electorales majeures, PS et UMP ont
successivement cherche depuis 2001 a legiferer sur la reconnaissance
du massacre de 1915.
"Electoraliste". Le qualificatif revient souvent pour designer la
loi penalisant la negation du genocide armenien, votee lundi soir au
Senat. Qu'ils soient ecologistes, comme la senatrice Esther Benbassa,
socialistes, comme Bertrand Delanoë, centristes, comme Francois
Bayrou, ou soutiens de Nicolas Sarkozy, comme l'ex-ministre des
Affaires etrangères Herve de Charette, ils s'interrogent sur la
portee d'un texte vote a seulement trois mois du premier tour de
la presidentielle. Le terme a egalement ete employe le 17 decembre
dernier par le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, relaye
ensuite par la presse turque, qui a accuse Nicolas Sarkozy de vouloir
recuperer le vote des 500.000 Francais d'origine armenienne.
Force est de constater que ce debat a toujours ete cantonne aux
quelques mois qui precèdent une echeance electorale. En janvier
2001, a deux mois des elections municipales, l'Assemblee nationale
vote ainsi une loi reconnaissant le genocide de 1915, au meme titre
que la Shoah. La texte est porte par des senateurs de tous bords,
qui ont pour seul point commun d'etre elus dans des municipalites
qui comptent une forte concentration d'Armeniens. Parmi eux, les
marseillais Jean-Claude Gaudin et Robert Bret - la cite phoceenne et
son agglomeration comptent plus de 150.000 Armeniens - ou le socialiste
Bernard Piras, elu dans l'agglomeration de Valence (Drôme), l'un des
plus importants foyers de population d'origine armenienne en France.
Une proposition de loi passee a la trappe Rebelote en octobre 2006,
a quelques mois de l'election presidentielle. Une proposition de
loi portee par le socialiste Didier Migaud "tendant a reprimer la
contestation de l'existence du genocide armenien" est votee par
les deputes. Le texte prevoit une peine de 45.000 euros et un an
d'emprisonnement en cas de negation du massacre, identique a celle
prevue par la loi votee lundi au Senat. En campagne, Nicolas Sarkozy
promet alors aux associations armeniennes de soutenir l'adoption de
cette proposition de loi par le Senat. Mais une fois elu, le texte
est vite remise au placard. Selon un telegramme diplomatique du 16 mai
2007, revele en 2010 par WikiLeaks, rapporte que Jean-David Levitte,
le conseiller diplomatique du chef de l'Etat, avait rassure ses
homologues turcs en leur disant: "Sarkozy s'assurera que le projet
de loi du genocide armenien meure au Senat francais."
C'est ce qui est arrive en mai 2011, lorsque les senateurs PS
tentent de faire passer le texte: la proposition est frappee d'une
exception d'irrecevabilite. Le rapporteur de la commission des
lois du Senat, l'UMP Jean-Jacques Hyest, justifie sa decision en
pointant "les consequences diplomatiques inopportunes que susciterait
l'adoption de la proposition de loi, tant sur les relations bilaterales
franco-turques que sur le timide rapprochement engage, avec le soutien
de la France, entre la Turquie et l'Armenie". Son homologue socialiste,
Serge Lagauche, crie a la "man~\uvre politique". "Un certain nombre
de parlementaires sont partisans de l'entree de la Turquie dans
l'Europe. Nicolas Sarkozy a recu la diaspora armenienne a l'Elysee et
a tente de leur expliquer qu'il ne fallait pas contrarier la Turquie
dans le contexte actuel", assure-t-il alors.
Les socialistes pieges Le 6 octobre, le chef de l'Etat fait
volte-face. En visite d'Etat a Erevan, la capitale armenienne,
il invite la Turquie a "revisiter son histoire", assure que "le
genocide des Armeniens est une realite historique" et critique le
"negationnisme collectif". Douze jours plus tard, le 18 octobre, la
proposition de loi portee par la deputee - marseillaise - Valerie
Boyer est enregistree a l'Assemblee. Pris de vitesse, les deputes
socialistes n'ont pas d'autre choix que de soutenir le texte lors
du vote, en decembre. "Les socialistes ont vote cette proposition,
c'est normal, puisqu'ils avaient vote quasiment la meme il y a cinq
ans, explique alors Francois Hollande. Pourquoi a-t-on perdu cinq
ans? Pourquoi le president de la Republique se reveille-t-il a la
fin de son mandat? Poser la question, c'est y repondre, c'est une
operation electorale".
Du côte de l'UMP, on note que la proposition de loi de Valerie Boyer
va plus loin que celle des socialistes. Elle vise a transposer en
droit francais une decision europeenne de 2008 sur "la lutte contre
certaines formes et manifestations de racisme et de xenophobie au
moyen du droit penal". A la difference du texte de 2006, la loi
adoptee au Senat ne concerne pas exclusivement le genocide armenien,
ajoutent ses rapporteurs. Le texte vise en effet a punir la negation
"des crimes de genocide, crimes contre l'humanite et crimes de guerre
(...) qui auront fait l'objet d'une reconnaissance par la loi, une
convention internationale signee et ratifiee par la France". Reste
qu'a ce jour, le droit francais ne reconnaît que deux genocides: le
genocide juif, qui fait deja l'objet d'une legislation penale depuis
1990, et le genocide armenien depuis 2001.
Le Figaro
http://www.lefigaro.fr/politique/2012/01/24/01002-20120124ARTFIG00599-le-genocide-armenien-au-c339ur-d-une-bataille-electoraliste.php
24 janvier 2012
France
A l'approche d'echeances electorales majeures, PS et UMP ont
successivement cherche depuis 2001 a legiferer sur la reconnaissance
du massacre de 1915.
"Electoraliste". Le qualificatif revient souvent pour designer la
loi penalisant la negation du genocide armenien, votee lundi soir au
Senat. Qu'ils soient ecologistes, comme la senatrice Esther Benbassa,
socialistes, comme Bertrand Delanoë, centristes, comme Francois
Bayrou, ou soutiens de Nicolas Sarkozy, comme l'ex-ministre des
Affaires etrangères Herve de Charette, ils s'interrogent sur la
portee d'un texte vote a seulement trois mois du premier tour de
la presidentielle. Le terme a egalement ete employe le 17 decembre
dernier par le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, relaye
ensuite par la presse turque, qui a accuse Nicolas Sarkozy de vouloir
recuperer le vote des 500.000 Francais d'origine armenienne.
Force est de constater que ce debat a toujours ete cantonne aux
quelques mois qui precèdent une echeance electorale. En janvier
2001, a deux mois des elections municipales, l'Assemblee nationale
vote ainsi une loi reconnaissant le genocide de 1915, au meme titre
que la Shoah. La texte est porte par des senateurs de tous bords,
qui ont pour seul point commun d'etre elus dans des municipalites
qui comptent une forte concentration d'Armeniens. Parmi eux, les
marseillais Jean-Claude Gaudin et Robert Bret - la cite phoceenne et
son agglomeration comptent plus de 150.000 Armeniens - ou le socialiste
Bernard Piras, elu dans l'agglomeration de Valence (Drôme), l'un des
plus importants foyers de population d'origine armenienne en France.
Une proposition de loi passee a la trappe Rebelote en octobre 2006,
a quelques mois de l'election presidentielle. Une proposition de
loi portee par le socialiste Didier Migaud "tendant a reprimer la
contestation de l'existence du genocide armenien" est votee par
les deputes. Le texte prevoit une peine de 45.000 euros et un an
d'emprisonnement en cas de negation du massacre, identique a celle
prevue par la loi votee lundi au Senat. En campagne, Nicolas Sarkozy
promet alors aux associations armeniennes de soutenir l'adoption de
cette proposition de loi par le Senat. Mais une fois elu, le texte
est vite remise au placard. Selon un telegramme diplomatique du 16 mai
2007, revele en 2010 par WikiLeaks, rapporte que Jean-David Levitte,
le conseiller diplomatique du chef de l'Etat, avait rassure ses
homologues turcs en leur disant: "Sarkozy s'assurera que le projet
de loi du genocide armenien meure au Senat francais."
C'est ce qui est arrive en mai 2011, lorsque les senateurs PS
tentent de faire passer le texte: la proposition est frappee d'une
exception d'irrecevabilite. Le rapporteur de la commission des
lois du Senat, l'UMP Jean-Jacques Hyest, justifie sa decision en
pointant "les consequences diplomatiques inopportunes que susciterait
l'adoption de la proposition de loi, tant sur les relations bilaterales
franco-turques que sur le timide rapprochement engage, avec le soutien
de la France, entre la Turquie et l'Armenie". Son homologue socialiste,
Serge Lagauche, crie a la "man~\uvre politique". "Un certain nombre
de parlementaires sont partisans de l'entree de la Turquie dans
l'Europe. Nicolas Sarkozy a recu la diaspora armenienne a l'Elysee et
a tente de leur expliquer qu'il ne fallait pas contrarier la Turquie
dans le contexte actuel", assure-t-il alors.
Les socialistes pieges Le 6 octobre, le chef de l'Etat fait
volte-face. En visite d'Etat a Erevan, la capitale armenienne,
il invite la Turquie a "revisiter son histoire", assure que "le
genocide des Armeniens est une realite historique" et critique le
"negationnisme collectif". Douze jours plus tard, le 18 octobre, la
proposition de loi portee par la deputee - marseillaise - Valerie
Boyer est enregistree a l'Assemblee. Pris de vitesse, les deputes
socialistes n'ont pas d'autre choix que de soutenir le texte lors
du vote, en decembre. "Les socialistes ont vote cette proposition,
c'est normal, puisqu'ils avaient vote quasiment la meme il y a cinq
ans, explique alors Francois Hollande. Pourquoi a-t-on perdu cinq
ans? Pourquoi le president de la Republique se reveille-t-il a la
fin de son mandat? Poser la question, c'est y repondre, c'est une
operation electorale".
Du côte de l'UMP, on note que la proposition de loi de Valerie Boyer
va plus loin que celle des socialistes. Elle vise a transposer en
droit francais une decision europeenne de 2008 sur "la lutte contre
certaines formes et manifestations de racisme et de xenophobie au
moyen du droit penal". A la difference du texte de 2006, la loi
adoptee au Senat ne concerne pas exclusivement le genocide armenien,
ajoutent ses rapporteurs. Le texte vise en effet a punir la negation
"des crimes de genocide, crimes contre l'humanite et crimes de guerre
(...) qui auront fait l'objet d'une reconnaissance par la loi, une
convention internationale signee et ratifiee par la France". Reste
qu'a ce jour, le droit francais ne reconnaît que deux genocides: le
genocide juif, qui fait deja l'objet d'une legislation penale depuis
1990, et le genocide armenien depuis 2001.