PENALISATION DES NEGATIONNISMES : UNE LOI MEMORABLE !
http://eurotopie.leylekian.eu/2012/01/penalisation-des-negationnisme-une-loi.html
27 janvier 2012
Ca y est : le Senat a adopte la loi "visant a penaliser la negation des
genocides reconnus par la France". En clair et en l'etat, la negation
du genocide des Juifs et de celui des Armeniens. Je ne reviendrais
pas ici sur les nombreuses peripeties techniques et politiques qui
ont conduit a cette adoption pour me concentrer sur les enseignements
que je tire personnellement de cette affaire:
Pour ceux qui en doutaient encore, l'adoption de cette loi constitue
une preuve eclatante du poids determinant de la volonte politique.
Beaucoup ne me croiront pas mais, ce coup-ci, ceux que leurs
detracteurs appellent les "lobbies armeniens" n'ont pas ete a
l'initiative du projet. Tout juste ont ils pris le train en marche
lorsque la machine fut lancee mais c'est bien de l'Elysee et de
lui seul qu'est venue l'initiative, une initiative soutenue par la
plupart des membres de l'opposition socialiste qui, au regard de leurs
engagements precedemment, pouvaient difficilement faire moins. A
cet egard, l'improbable adoption de cette loi dans un contexte de
concurrence electorale exacerbee constitue un tour de force qui vient
recompenser un travail de très longue haleine et auquel ont participe
de nombreux acteurs, pas toujours en phase les uns avec les autres
et dont aucun ne peut revendiquer a lui seul le parachèvement.
Le debat s'est neanmoins montre extremement clivant non pas entre
familles politiques mais au sein meme de celles-ci. Il serait
sans doute interessant de faire une etude sociologique complète
afin d'expliquer ces clivages. Notons que les opposants se sont
plutôt rencontres parmi des parlementaires generalement âges,
souvent tenants d'une conception dirigiste, etroitement jacobine et
parfois ethnocentree de la France : pour citer quelques noms connus,
Chevènement, Poncelet, Baylet ou Hue pour ne rien dire d'un ministre
comme Juppe. Au-dela donc d'une ligne politique donnee, c'est plutôt
une vision voire meme un certain style qui s'est avere determinant.
Bien evidemment, ce schema est loin de tout expliquer et des
forces habituellement reputees "ouvertes", "progressistes" et
"muticulturelles", comme les Verts par exemple, se sont egalement
retrouvees dans le camp des opposants, encore plus heteroclite que
celui des partisans de la loi.
Rarement debat a constitue l'occasion d'un tel etalage de mauvaise
foi et d'hypocrisie. On peut parfaitement comprendre les oppositions
legitimes a ce type de disposition penale mais tous ceux qui
connaissent un peu le dossier auront ete frappes par le fait que les
arguments deployes a l'encontre de la loi ne furent pas toujours ceux
qui ont reellement motive leurs promoteurs. La confusion fut a son
comble par le fait que des arguments semblables ont pu etre employes a
la fois par des personnes qui en avaient le reel souci et par d'autres
qui ne faisaient que s'abriter derrière: Certains evoquèrent la liberte
d'expression ou la constitutionnalite de la loi en ayant vraiment
ces preoccupations en tete tandis que d'autres pensaient relations
commerciales avec la Turquie, exemption de la responsabilite sociale
de la corporation des historiens ou unicite de la Shoah. A cet egard,
ce que l'on appelle communement la question armenienne continue d'agir
comme un revelateur impitoyable des affects et des hubris caches
sous le vernis de la raison policee. Comme a Delphes, c'est bien le
sanctuaire de Dionysos qui constitue le fondement du temple d'Apollon.
L'adoption de la loi a enterine la perte d'influence d'une certaine
elite intellectuelle et mediatique. On peut gloser longtemps -
comme je l'ai esquisse dans un billet recent - sur les raisons
du positionnement dominant au sein de cette elite plus ou moins
autoproclamee mais le fait est qu'elle fut majoritairement hostile a
la loi. Le fait est aussi qu'elle a perdu. On ne peut s'empecher de
rapprocher cette verite factuelle d'une autre : la nature profondement
"populaire" de Sarkozy et de ses proches. On a suffisamment souligne
que le gouvernement Sarkozy fut le premier de la 5ème Republique a
etre depourvu d'enarques. En ce sens, il y a une vraie rupture avec la
tradition profondement aristocratique des institutions et du personnel
politiques de notre Republique, pourtant reputee regicide. Certains
se feliciteront de cette evolution democratique de notre societe la
où d'autre n'y verront qu'une derive populiste. Il est cependant
probable que de tels jugements de valeur seront cependant pollues
par les affects et les non-dits precedemment evoques.
Cette adoption et les debats qui la precedèrent ont egalement permis
de mesurer l'emprise de l'Etat negationniste en France et en Europe.
Il n'est pas anodin que les organisations extremistes turques - telles
que la Federation des Turcs de France ou celle des Turcs d'Europe,
l'Association pour la Pensee d'Ataturk ou le Comite Talât Pacha
aient pu rassembler a Paris près de 20 000 personnes avec le concours
logistique probable de l'Etat turc. Face a cette deferlante - venue
avec force drapeaux et slogans negationnistes - l'indifference - pour
ne pas dire l'apathie - des medias pose question tout comme l'espèce
d'egalisation morale entre ces Turcs-la (censes etre representatifs
de tous les Turcs ce qu'ils ne sont sans doute pas) et les Francais
d'origine armenienne. On peut raisonnablement penser que si l'extreme
droite "bien de chez nous" s'etait employee a une telle demonstration
de force, les medias l'auraient vertement denoncee. En depit de la
loi, ou peut-etre meme a cause d'elle, il est possible que nous nous
retrouvions demain face a des offensives de grande ampleur de l'Etat
negationniste sur le territoire europeen. Croire que la loi suffira
a proteger nos concitoyens de cette gangrène relèverait de la plus
extreme naïvete. Croire egalement que les organisations armeniennes
seules ou meme epaulees par d'autres plus influentes permettront
de faire face a un Etat hostile et agressif relève egalement de la
naïvete, mais aussi de la confusion des genres .
A cet egard, il faut qu'il soit bien clair pour tous que la loi adoptee
ne constitue pas le terme du combat contre le negationnisme mais un
simple jalon - certes important - dans ce combat. Et comme pour toute
politique bien comprise, le volet repressif ne doit etre que le pendant
d'un volet preventif et educatif. Dans une tribune recemment publiee
par Liberation, un groupe d'historiens specialistes des genocides
a lance "un appel aux pouvoirs publics en France pour la creation
d'une chaire d'histoire sur l'etude des genocides. Elle permettrait de
former, d'eduquer et d'en finir avec les propos negationnistes. Enfin,
nous invitons l'ensemble des collègues reconnus en France et a
l'etranger par leurs travaux sur le genocide des Armeniens ainsi que
les chercheurs en sciences sociales et humaines concernes par cette
approche, a s'associer a cet "Appel pour l'Histoire du genocide des
Armeniens"". Au-dela du seul cas armenien, cette idee d'une chaire sur
les genocides et les crimes de masse doit etre puissamment soutenue au
niveau politique afin de bien montrer par une approche comparatiste les
traits communs et la dangerosite des ideologies meurtrières. On peut
meme formuler le voeu qu'une telle chaire decline ses enseignements
a des niveaux plus elementaires, et eventuellement en langue turque,
afin que nous puissions extirper nos concitoyens originaires de Turquie
des griffes de la propagande negationniste. Le scandale consistant a
abandonner, sous pretexte de leurs origines, le formatage politique
d'une categorie de Francais a une puissance etrangère (dans tous les
sens du terme, c'est-a-dire aussi etrangère a nos valeurs humanistes)
et malfaisante n'a que trop dure.
Publie par Laurent Leylekian a l'adresse 13:50 Libelles :
negationnisme, penalisation
http://eurotopie.leylekian.eu/2012/01/penalisation-des-negationnisme-une-loi.html
27 janvier 2012
Ca y est : le Senat a adopte la loi "visant a penaliser la negation des
genocides reconnus par la France". En clair et en l'etat, la negation
du genocide des Juifs et de celui des Armeniens. Je ne reviendrais
pas ici sur les nombreuses peripeties techniques et politiques qui
ont conduit a cette adoption pour me concentrer sur les enseignements
que je tire personnellement de cette affaire:
Pour ceux qui en doutaient encore, l'adoption de cette loi constitue
une preuve eclatante du poids determinant de la volonte politique.
Beaucoup ne me croiront pas mais, ce coup-ci, ceux que leurs
detracteurs appellent les "lobbies armeniens" n'ont pas ete a
l'initiative du projet. Tout juste ont ils pris le train en marche
lorsque la machine fut lancee mais c'est bien de l'Elysee et de
lui seul qu'est venue l'initiative, une initiative soutenue par la
plupart des membres de l'opposition socialiste qui, au regard de leurs
engagements precedemment, pouvaient difficilement faire moins. A
cet egard, l'improbable adoption de cette loi dans un contexte de
concurrence electorale exacerbee constitue un tour de force qui vient
recompenser un travail de très longue haleine et auquel ont participe
de nombreux acteurs, pas toujours en phase les uns avec les autres
et dont aucun ne peut revendiquer a lui seul le parachèvement.
Le debat s'est neanmoins montre extremement clivant non pas entre
familles politiques mais au sein meme de celles-ci. Il serait
sans doute interessant de faire une etude sociologique complète
afin d'expliquer ces clivages. Notons que les opposants se sont
plutôt rencontres parmi des parlementaires generalement âges,
souvent tenants d'une conception dirigiste, etroitement jacobine et
parfois ethnocentree de la France : pour citer quelques noms connus,
Chevènement, Poncelet, Baylet ou Hue pour ne rien dire d'un ministre
comme Juppe. Au-dela donc d'une ligne politique donnee, c'est plutôt
une vision voire meme un certain style qui s'est avere determinant.
Bien evidemment, ce schema est loin de tout expliquer et des
forces habituellement reputees "ouvertes", "progressistes" et
"muticulturelles", comme les Verts par exemple, se sont egalement
retrouvees dans le camp des opposants, encore plus heteroclite que
celui des partisans de la loi.
Rarement debat a constitue l'occasion d'un tel etalage de mauvaise
foi et d'hypocrisie. On peut parfaitement comprendre les oppositions
legitimes a ce type de disposition penale mais tous ceux qui
connaissent un peu le dossier auront ete frappes par le fait que les
arguments deployes a l'encontre de la loi ne furent pas toujours ceux
qui ont reellement motive leurs promoteurs. La confusion fut a son
comble par le fait que des arguments semblables ont pu etre employes a
la fois par des personnes qui en avaient le reel souci et par d'autres
qui ne faisaient que s'abriter derrière: Certains evoquèrent la liberte
d'expression ou la constitutionnalite de la loi en ayant vraiment
ces preoccupations en tete tandis que d'autres pensaient relations
commerciales avec la Turquie, exemption de la responsabilite sociale
de la corporation des historiens ou unicite de la Shoah. A cet egard,
ce que l'on appelle communement la question armenienne continue d'agir
comme un revelateur impitoyable des affects et des hubris caches
sous le vernis de la raison policee. Comme a Delphes, c'est bien le
sanctuaire de Dionysos qui constitue le fondement du temple d'Apollon.
L'adoption de la loi a enterine la perte d'influence d'une certaine
elite intellectuelle et mediatique. On peut gloser longtemps -
comme je l'ai esquisse dans un billet recent - sur les raisons
du positionnement dominant au sein de cette elite plus ou moins
autoproclamee mais le fait est qu'elle fut majoritairement hostile a
la loi. Le fait est aussi qu'elle a perdu. On ne peut s'empecher de
rapprocher cette verite factuelle d'une autre : la nature profondement
"populaire" de Sarkozy et de ses proches. On a suffisamment souligne
que le gouvernement Sarkozy fut le premier de la 5ème Republique a
etre depourvu d'enarques. En ce sens, il y a une vraie rupture avec la
tradition profondement aristocratique des institutions et du personnel
politiques de notre Republique, pourtant reputee regicide. Certains
se feliciteront de cette evolution democratique de notre societe la
où d'autre n'y verront qu'une derive populiste. Il est cependant
probable que de tels jugements de valeur seront cependant pollues
par les affects et les non-dits precedemment evoques.
Cette adoption et les debats qui la precedèrent ont egalement permis
de mesurer l'emprise de l'Etat negationniste en France et en Europe.
Il n'est pas anodin que les organisations extremistes turques - telles
que la Federation des Turcs de France ou celle des Turcs d'Europe,
l'Association pour la Pensee d'Ataturk ou le Comite Talât Pacha
aient pu rassembler a Paris près de 20 000 personnes avec le concours
logistique probable de l'Etat turc. Face a cette deferlante - venue
avec force drapeaux et slogans negationnistes - l'indifference - pour
ne pas dire l'apathie - des medias pose question tout comme l'espèce
d'egalisation morale entre ces Turcs-la (censes etre representatifs
de tous les Turcs ce qu'ils ne sont sans doute pas) et les Francais
d'origine armenienne. On peut raisonnablement penser que si l'extreme
droite "bien de chez nous" s'etait employee a une telle demonstration
de force, les medias l'auraient vertement denoncee. En depit de la
loi, ou peut-etre meme a cause d'elle, il est possible que nous nous
retrouvions demain face a des offensives de grande ampleur de l'Etat
negationniste sur le territoire europeen. Croire que la loi suffira
a proteger nos concitoyens de cette gangrène relèverait de la plus
extreme naïvete. Croire egalement que les organisations armeniennes
seules ou meme epaulees par d'autres plus influentes permettront
de faire face a un Etat hostile et agressif relève egalement de la
naïvete, mais aussi de la confusion des genres .
A cet egard, il faut qu'il soit bien clair pour tous que la loi adoptee
ne constitue pas le terme du combat contre le negationnisme mais un
simple jalon - certes important - dans ce combat. Et comme pour toute
politique bien comprise, le volet repressif ne doit etre que le pendant
d'un volet preventif et educatif. Dans une tribune recemment publiee
par Liberation, un groupe d'historiens specialistes des genocides
a lance "un appel aux pouvoirs publics en France pour la creation
d'une chaire d'histoire sur l'etude des genocides. Elle permettrait de
former, d'eduquer et d'en finir avec les propos negationnistes. Enfin,
nous invitons l'ensemble des collègues reconnus en France et a
l'etranger par leurs travaux sur le genocide des Armeniens ainsi que
les chercheurs en sciences sociales et humaines concernes par cette
approche, a s'associer a cet "Appel pour l'Histoire du genocide des
Armeniens"". Au-dela du seul cas armenien, cette idee d'une chaire sur
les genocides et les crimes de masse doit etre puissamment soutenue au
niveau politique afin de bien montrer par une approche comparatiste les
traits communs et la dangerosite des ideologies meurtrières. On peut
meme formuler le voeu qu'une telle chaire decline ses enseignements
a des niveaux plus elementaires, et eventuellement en langue turque,
afin que nous puissions extirper nos concitoyens originaires de Turquie
des griffes de la propagande negationniste. Le scandale consistant a
abandonner, sous pretexte de leurs origines, le formatage politique
d'une categorie de Francais a une puissance etrangère (dans tous les
sens du terme, c'est-a-dire aussi etrangère a nos valeurs humanistes)
et malfaisante n'a que trop dure.
Publie par Laurent Leylekian a l'adresse 13:50 Libelles :
negationnisme, penalisation