FORUM SUR LES NATIONS PRIVEES D'ETAT ET LES AUTRES MINORITES
Jean Eckian
armenews.com
vendredi 27 janvier 2012
Chers lecteurs,
Il est des hommes, non armeniens, qui seuls se battent a nos côtes pour
les Droits de l'Homme, la reconnaissance du genocide des Armeniens et
la defense d'autres minorites persecutees. Monsieur Eilian Williams
est de cette race d'hommes de courage et de conviction. Peut-etre
parce qu'il est un pur terrien du Pays de Galles, berger de son etat
? Toujours est-il qu'il se bat depuis plusieurs annees, pratiquement
seul au Royaume Uni, sans aide de la communaute armenienne pour
faire aboutir son cher desir de faire reconnaître le genocide par la
Chambre. Que celles et ceux, pratiquant l'anglais lui apportent leur
soutien. Merci.
J.E
Reunion a la Chambre des Lords a la veille de la Journee Hrant Dink
18 janvier 2012
Le cinquième anniversaire du martyre de Hrant Dink a ete marque a
Londres par une reunion a la Chambre des Lords le 18 janvier et une
manifestation silencieuse devant l'Ambassade Turque le jour suivant.
La reunion etait organisee sous le patronage de la Baronne Randerson.
Monseigneur Vahan, eveque de l'Eglise Armenienne a dit une prière pour
ouvrir la reunion, et Desmond Fernandes a fait une intervention sur
les persecutions qui se deroulent aujourd'hui en Turquie. Un discours
du docteur Suran Cam sur les Crypto-Armeniens en Turquie a ete lue.
Hiarbir Mari a parle des persecutions des Baluchis au Baluchistan
occupe et Wilson Choudry a parle des persecutions des Chretiens
au Pakistan.
Eilian Williams a cite Rakel Dink pour decrire l'experience de
ceux des Armeniens qui resident a l'interieur de la Turquie :
"Depuis toujours jusqu'a aujourd'hui, nous Armeniens sommes humilies,
insultes en tant qu'Armeniens ; nous entendons des gens employer le
terme Armenien comme une malediction. Nous l'avons entendu et nous
l'entendons encore comme tel dans les journaux, a la television,
dans les bureaux d'enregistrement des naissances ; nous l'entendons
de la part des fonctionnaires jusqu'aux plus hautes autorites."
Il a releve qu'il n'a pas ete fait droit a la demande de Rakel dans
la decision rendue cette semaine, des membres de l'etat profond,
impliques dans ce crime terrible contre la vie de Hrant Dink, etant
restes hors de cause.
1/2 Les Crypto-Armeniens en Turquie, par le docteur Surhan Cam
En 1974 ? Hrant Dink fit la decouverte d'une tribu perdue d'Armeniens
a Varto, dans le Kurdistan. Ses membres ignoraient qu'ils etaient des
Armeniens. Pas plus que d'autres ne savaient qu'ils etaient armeniens.
Pour la plupart, c'etaient des Musulmans Alevis et ne parlaient que le
kurde. Hrant apprit l'armenien a certains d'entre eux et epousa l'une
d'entre elles. C'etait une première decouverte en l'espèce. Mais cela
a ete aussi la dernière.
On en sait très peu aujourd'hui sur les Crypto-Armeniens. Il n'y
a aucune donnee precise sur leur nombre. Les estimations varient
largement, depuis quelques centaines de milliers a des millions. Ne
serait-ce que pour cela, parler des Crypto-Armeniens est un defi
politique. La question est consideree un peu comme une "boîte de
Pandore" par certains commentateurs en Turquie comme en Armenie.
On attire l'attention sur l'emploi qui pourrait etre fait des
Crypto-Armeniens par le gouvernement turc pour saper la credibilite des
"marchands de genocide" comme les appelle le pouvoir turc. Si leur
effectif s'averait etre important après un denombrement credible,
alors le gouvernement turc pourrait pretendre 'on ne les a pas
extermines puisqu'ils vivent parmi nous'. Sans polemiquer, cette sorte
de stratagème pourrait ne rien rapporter au gouvernement turc, pouvant
meme se retourner contre lui en diminuant un peu plus sa credibilite.
Mais les implications latentes d'un tel debat a propos de
Crypto-Armeniens meritent d'etre examinees avec soin.
On entend s'exprimer quelques craintes a propos des dangers que
comporte cette question, dans la mesure où des forces fascisantes
en Turquie pourraient aller jusqu'a les designer comme les boucs
emissaires dans les troubles politiques et aussi economiques
de l'actualite turque. Il serait hasardeux de sous-estimer de
telles preoccupations, etant donne que des personnalites en vue des
cercles de la gauche turque prennent part resolument a des campagnes
incessantes contre les communautes comme celle des Juifs, des Kurdes,
des Alevis et des Assyriens tout comme contre celle des Armeniens. Ils
repandent l'idee que de tels groupes minoritaires, se pretendant turcs,
contrôlent les affaires economiques et politiques en Turquie.
Il y a eu recemment une tendance a l'augmentation des tendances
nationalistes. Entre autres, trois evenements de la scène
internationale y ont beaucoup contribue. L'un d'entre eux est la
penalisation recente de la negation des genocides en France. La
reaction turque est allee jusqu'au gel des relations diplomatiques
avec Paris, outre le mot d'ordre de ne pas consommer des produits
francais sur le marche interieur. Le depart des troupes des USA d'Irak
et la montee des tensions entre Washington et Teheran a propos du
detroit d'Ormuz ont dit-on mis en avant l'importance politique de
la cooperation de la Turquie avec l'Occident. Ces incidents sont
consideres par les partisans de la manière forte et les militaires
comme 'une opportunite a saisir pour reduire les Kurdes voyous'
La veille du jour de l'an, plus d'une trentaine de contrebandiers
kurdes traversant la frontière Turquie-Irak ont ete la cible de tirs
et tues par les forces turques sans aucune sommation ou appel a se
rendre. Ce faisant, disent les critiques, l'etat turc terrorise les
civils pour obtenir des mouvements d'independance kurdes qu'ils
renoncent. La responsabilite de personne n'a ete jusqu'a present
mise en cause jusqu'a present dans cet 'accident'. A la lumière de
ces developpements, certains editorialistes postulent que le parti
AKP au pouvoir s'ecarte des tendances islamistes (moderees) pour se
rapprocher du nationalisme. Mais cette conclusion ne reflète qu'une
face de la pièce.
Paradoxalement, il y a egalement une interpretation qui se developpe
en Turquie plus favorable a la democratie et au respect des droits
de l'homme. Lorsqu'Abdullah Gul, le president de la Turquie a rendu
visite pour la première fois en Armenie pour une rencontre amicale
entre les deux pays en 2008, beaucoup de commentateurs l'avaient
interprete comme une man~\uvre pour eviter que le Congrès des USA
ne reconnaisse le genocide Un tel scepticisme pouvait se comprendre
jusqu'a un certain point. Il y avait cependant une vague de fond qui
se developpai dans le pays. Cette vague est apparue a la surface au
cours d'une demonstration historique en 2007 lorsque des centaines
de milliers de Turcs sont descendus dans la rue pour protester
contre l'assassinat de Hrant Dink. Ils scandaient 'nous sommes tous
des Armeniens, nous sommes tous des Hrant Dink'. De meme, dans un
registre different, Erdogan, le premier ministre turc, a denonce
la longue histoire des politiques d'assimilation en Turquie. Et ce
qui est non moins significatif, c'est qu'il l'ait fait au cours de
sa campagne pour les dernières elections, avec l'idee qu'une telle
strategie accroîtrait sa popularite au sein de l'electorat. Après une
victoire ecrasante, il a aussi fait des excuses pour le massacre de
Dersim qui coûta la vie a des milliers de Zazas en 1937-1938.
Le premier ministre turc ne dit aucun mot de regret aux Armeniens. Et
les milieux bourgeois de gauche ne retiennent pas leur souffle dans
la perspective d' un tel geste etant donne que le mot 'genocide' est
toujours tabou en Turquie. Cependant, un examen plus approfondi des
evenements politiques devrait reveler une grande lame de fond. Il y
a une levee de ce qu'on pourrai appeler 'les nationalismes non-turcs'.
Par opposition au nationalisme conventionnel, les nationalistes
non-turcs soutiennent qu'il y a une tension entre le turquisme et les
interets nationaux. Les intellectuels de ce courant de pensee, par
exemple, sont d'avis que l'interet de la Turquie serait de faire face
a son histoire avec ses hauts et ses bas, comme l'ont fait beaucoup
d'autres pays. De tels intermediaires soutiennent que 'nous devrions
commencer a parler des excuses aux Armeniens'. Un editorialiste
en vue a recemment declare sur ce point qu"independamment de ce
qui s'est passe et de la facon dont cela s'est passe, des millions
d'Armeniens ont disparu, et ces disparitions en elles-memes constituent
un genocide'. A la surprise de beaucoup d'observateurs, il n'a pas ete
arrete pour cette remarque. De tels commentateurs ont aussi commence a
critiquer le sentiment officiel qu'accepter le genocide declencherait
les revendications de biens et de terres par les Armeniens. Ils
soulignent de facon pragmatique les opportunites potentielles
d'investissement des Armeniens de la diaspora, specialement dans les
provinces industriellement sous-developpees de l'est de l'Anatolie.
L'histoire est un fardeau politique de la Turquie mais les realites
sociales des temps actuels contribuent a l'alourdir. La question
des Crypto-Armeniens pose questions sur la fabrique de la societe
'Turque'. Le kemalisme s'enorgueillit par l'identification a son
slogan 'quel bonheur est celui qui peut dire je suis Turc'. L'orgueil,
cependant, a commence a ceder la place a la crainte de ne pas savoir
qui pourrait ou pourrait ne pas souhaiter reclamer la qualite de
Turc, une fois que les gens auront la possibilite de le faire. Il est
virtuellement impossible de savoir si oui ou non les Turcs finiront
par se retrouver en minorite parmi les populations. La plupart de
ceux qui decident dans le domaine politique, cependant, semblent
s'etre faits a l'idee que 'les personnes reellement d'origine turque
se retrouveraient marginalisees'. Ils chuchotent egalement a propos
de 'l'inversion du nettoyage ethnique ' que constitue le retour des
expatries. Ce qui est sûr c'est que plusieurs milliers d'Assyriens,
par exemple, sont deja revenus au cours des annees recentes. L'une
de ces personnes etait citee en grand dans les manchettes : 'Je suis
de retour a la maison'.
Il existe un besoin de promouvoir l'idee que les droits de l'homme et
la democratie ne sont pas seulement pour la majorite mais aussi pour
la minorite. Cela signifie entre autres que soit retire l'article 301
qui criminalise arbitrairement les intellectuels et les journalistes
sous le pretexte malveillant d' 'insulte a la nationalite turque'. Le
code sert essentiellement a museler les voix multiculturelles.
D'autres cas de limitations aux libertes d'opinion devraient egalement
etre abolis par la nouvelle constitution qui remplacera l'actuelle on
l'espère en 2012. Par-dessus tout, le droit des minorites d'exister
sans devoir denier leur identite ne peut plus etre conteste. Pour
cette raison, il est essentiel que le gouvernement turc garantissent
aux minorites ethniques et religieuses qu'elles peuvent vivre selon
leur propre culture et pratiquer leur langue et leur religion.
Quoi qu'il en soit, personne ne sera encore longtemps reconnaissant
d'avoir le droit de vivre malgre ce qu'il est. L'etat turc se doit de
repondre a ses obligations culturelles. Pour commencer, les officiels
du gouvernement devraient partager ce qu'ils savent des ancetres avec
le public au lieu de les tenir derrière des portes fermees. Ils doivent
la transparence aux personnes sur ce qu'ils savent du passe ethnique
des communautes locales. Les individus devraient egalement trouver de
l'assistance pour retrouver une telle information lorsqu'elle n'est pas
directement disponible. En outre, il est necessaire que les populations
recoivent un soutien financier et institutionnel pour pratiquer leur
culture. Le gouvernement fait encore defaut, par exemple, s'agissant
de fournir des espaces urbains aux Alevis pour leurs cermevi (lieux de
culte). Les communautes chretiennes s'estiment heureuses lorsqu'elles
sont autorisees a utiliser leurs propres eglises, et lorsqu'on les
laisse reunir les ressources financières pour leur entretien ou pour
en construire d'autres. Tandis que le centenaire de la tragedie de 1915
s'approche, il est possible de preparer l'accès a une ère tournee vers
l'avenir, marquee par des initiatives de construction de la confiance,
et la demystification des prejudices entre les Armeniens et les Turcs.
L'affaire Hrant Dink par exemple qui constitue en Turquie un procès de
premier plan est une occasion de renforcer la confiance du public dans
le système judiciaire parmi les Armeniens et les Turcs. Le procès est
a present emmele dans une guerre interminable a l'interieur de l'etat
turc a travers une serie de procès contre les auteurs militaires de
complots, gangs et maffias d'extreme-droite. La raison en est que
l'auteur est soupconne faire partie de paramilitaires nationalistes.
Toutes ces enquetes judiciaires devraient immediatement etre finalisees
conformement aux exigences de la justice.
En plus, les restrictions d'accès aux archives ottomanes devraient
etre levees pour les chercheurs nationaux et internationaux. En
particulier, le gouvernement armenien devrait mettre a profit un
appel recent du gouvernement turc pour le faire mutuellement tout en
essayant de convaincre les pays tiers.
Et pour finir, des fonds speciaux devraient etre alloues, en
particulier par la Commission Europeenne, pour explorer la population
des Crypto-Armeniens pour la restauration de leurs cultures menacees
d'extinction.
Une etude qui a le merite de mettre en evidence le cas dechirant des
Crypto-Armeniens mais qui laisse beaucoup de questions sans reponse.
Qui sont-ils (et que sont elles) et quel est leur nombre ? L'auteur
positionne clairement les effets du code penal turc, essentiellement
destine a maintenir le statut des minorites. Cette declaration du
premier ministre turc denoncant la politique d 'assimilation aurait dû
etre developpee (si elle est vraie) : la seule declaration entendue
d'ailleurs en France l'an passe etait dirigee contre l'assimilation
des emigres turcs. De meme cette tendance de "certains cercles de
gauche" a reprendre des campagnes dirigees contre les minorites
devrait etre precisee.
Il ya egalement dans cette etude une tendance fâcheuse a renvoyer dos a
dos l'Armenie et les Armeniens dos a dos sur des questions importantes
: le prejudice subi par les Armeniens en 1915 n'a pas besoin d'etre
demystifie par eux. Tout au plus y aurait-il besoin que les Armeniens
aient une idee plus concrète des reparations qu'ils attendent. La
meme tendance a mettre dans le meme sac la situation des archives
armeniennes et celle de la Turquie est tout a fait inacceptable.
Il semble enfin que les espoirs de l'auteur sur les effets que
pourrait avoir le procès des assassins de Hrant Dink soient decus,
suite au recent jugement rendu dans cette affaire. L'idee que se
fait la minorite armenienne du système judiciaire en Turquie n'en
sera pas changee. A suivre...
Jean Eckian
armenews.com
vendredi 27 janvier 2012
Chers lecteurs,
Il est des hommes, non armeniens, qui seuls se battent a nos côtes pour
les Droits de l'Homme, la reconnaissance du genocide des Armeniens et
la defense d'autres minorites persecutees. Monsieur Eilian Williams
est de cette race d'hommes de courage et de conviction. Peut-etre
parce qu'il est un pur terrien du Pays de Galles, berger de son etat
? Toujours est-il qu'il se bat depuis plusieurs annees, pratiquement
seul au Royaume Uni, sans aide de la communaute armenienne pour
faire aboutir son cher desir de faire reconnaître le genocide par la
Chambre. Que celles et ceux, pratiquant l'anglais lui apportent leur
soutien. Merci.
J.E
Reunion a la Chambre des Lords a la veille de la Journee Hrant Dink
18 janvier 2012
Le cinquième anniversaire du martyre de Hrant Dink a ete marque a
Londres par une reunion a la Chambre des Lords le 18 janvier et une
manifestation silencieuse devant l'Ambassade Turque le jour suivant.
La reunion etait organisee sous le patronage de la Baronne Randerson.
Monseigneur Vahan, eveque de l'Eglise Armenienne a dit une prière pour
ouvrir la reunion, et Desmond Fernandes a fait une intervention sur
les persecutions qui se deroulent aujourd'hui en Turquie. Un discours
du docteur Suran Cam sur les Crypto-Armeniens en Turquie a ete lue.
Hiarbir Mari a parle des persecutions des Baluchis au Baluchistan
occupe et Wilson Choudry a parle des persecutions des Chretiens
au Pakistan.
Eilian Williams a cite Rakel Dink pour decrire l'experience de
ceux des Armeniens qui resident a l'interieur de la Turquie :
"Depuis toujours jusqu'a aujourd'hui, nous Armeniens sommes humilies,
insultes en tant qu'Armeniens ; nous entendons des gens employer le
terme Armenien comme une malediction. Nous l'avons entendu et nous
l'entendons encore comme tel dans les journaux, a la television,
dans les bureaux d'enregistrement des naissances ; nous l'entendons
de la part des fonctionnaires jusqu'aux plus hautes autorites."
Il a releve qu'il n'a pas ete fait droit a la demande de Rakel dans
la decision rendue cette semaine, des membres de l'etat profond,
impliques dans ce crime terrible contre la vie de Hrant Dink, etant
restes hors de cause.
1/2 Les Crypto-Armeniens en Turquie, par le docteur Surhan Cam
En 1974 ? Hrant Dink fit la decouverte d'une tribu perdue d'Armeniens
a Varto, dans le Kurdistan. Ses membres ignoraient qu'ils etaient des
Armeniens. Pas plus que d'autres ne savaient qu'ils etaient armeniens.
Pour la plupart, c'etaient des Musulmans Alevis et ne parlaient que le
kurde. Hrant apprit l'armenien a certains d'entre eux et epousa l'une
d'entre elles. C'etait une première decouverte en l'espèce. Mais cela
a ete aussi la dernière.
On en sait très peu aujourd'hui sur les Crypto-Armeniens. Il n'y
a aucune donnee precise sur leur nombre. Les estimations varient
largement, depuis quelques centaines de milliers a des millions. Ne
serait-ce que pour cela, parler des Crypto-Armeniens est un defi
politique. La question est consideree un peu comme une "boîte de
Pandore" par certains commentateurs en Turquie comme en Armenie.
On attire l'attention sur l'emploi qui pourrait etre fait des
Crypto-Armeniens par le gouvernement turc pour saper la credibilite des
"marchands de genocide" comme les appelle le pouvoir turc. Si leur
effectif s'averait etre important après un denombrement credible,
alors le gouvernement turc pourrait pretendre 'on ne les a pas
extermines puisqu'ils vivent parmi nous'. Sans polemiquer, cette sorte
de stratagème pourrait ne rien rapporter au gouvernement turc, pouvant
meme se retourner contre lui en diminuant un peu plus sa credibilite.
Mais les implications latentes d'un tel debat a propos de
Crypto-Armeniens meritent d'etre examinees avec soin.
On entend s'exprimer quelques craintes a propos des dangers que
comporte cette question, dans la mesure où des forces fascisantes
en Turquie pourraient aller jusqu'a les designer comme les boucs
emissaires dans les troubles politiques et aussi economiques
de l'actualite turque. Il serait hasardeux de sous-estimer de
telles preoccupations, etant donne que des personnalites en vue des
cercles de la gauche turque prennent part resolument a des campagnes
incessantes contre les communautes comme celle des Juifs, des Kurdes,
des Alevis et des Assyriens tout comme contre celle des Armeniens. Ils
repandent l'idee que de tels groupes minoritaires, se pretendant turcs,
contrôlent les affaires economiques et politiques en Turquie.
Il y a eu recemment une tendance a l'augmentation des tendances
nationalistes. Entre autres, trois evenements de la scène
internationale y ont beaucoup contribue. L'un d'entre eux est la
penalisation recente de la negation des genocides en France. La
reaction turque est allee jusqu'au gel des relations diplomatiques
avec Paris, outre le mot d'ordre de ne pas consommer des produits
francais sur le marche interieur. Le depart des troupes des USA d'Irak
et la montee des tensions entre Washington et Teheran a propos du
detroit d'Ormuz ont dit-on mis en avant l'importance politique de
la cooperation de la Turquie avec l'Occident. Ces incidents sont
consideres par les partisans de la manière forte et les militaires
comme 'une opportunite a saisir pour reduire les Kurdes voyous'
La veille du jour de l'an, plus d'une trentaine de contrebandiers
kurdes traversant la frontière Turquie-Irak ont ete la cible de tirs
et tues par les forces turques sans aucune sommation ou appel a se
rendre. Ce faisant, disent les critiques, l'etat turc terrorise les
civils pour obtenir des mouvements d'independance kurdes qu'ils
renoncent. La responsabilite de personne n'a ete jusqu'a present
mise en cause jusqu'a present dans cet 'accident'. A la lumière de
ces developpements, certains editorialistes postulent que le parti
AKP au pouvoir s'ecarte des tendances islamistes (moderees) pour se
rapprocher du nationalisme. Mais cette conclusion ne reflète qu'une
face de la pièce.
Paradoxalement, il y a egalement une interpretation qui se developpe
en Turquie plus favorable a la democratie et au respect des droits
de l'homme. Lorsqu'Abdullah Gul, le president de la Turquie a rendu
visite pour la première fois en Armenie pour une rencontre amicale
entre les deux pays en 2008, beaucoup de commentateurs l'avaient
interprete comme une man~\uvre pour eviter que le Congrès des USA
ne reconnaisse le genocide Un tel scepticisme pouvait se comprendre
jusqu'a un certain point. Il y avait cependant une vague de fond qui
se developpai dans le pays. Cette vague est apparue a la surface au
cours d'une demonstration historique en 2007 lorsque des centaines
de milliers de Turcs sont descendus dans la rue pour protester
contre l'assassinat de Hrant Dink. Ils scandaient 'nous sommes tous
des Armeniens, nous sommes tous des Hrant Dink'. De meme, dans un
registre different, Erdogan, le premier ministre turc, a denonce
la longue histoire des politiques d'assimilation en Turquie. Et ce
qui est non moins significatif, c'est qu'il l'ait fait au cours de
sa campagne pour les dernières elections, avec l'idee qu'une telle
strategie accroîtrait sa popularite au sein de l'electorat. Après une
victoire ecrasante, il a aussi fait des excuses pour le massacre de
Dersim qui coûta la vie a des milliers de Zazas en 1937-1938.
Le premier ministre turc ne dit aucun mot de regret aux Armeniens. Et
les milieux bourgeois de gauche ne retiennent pas leur souffle dans
la perspective d' un tel geste etant donne que le mot 'genocide' est
toujours tabou en Turquie. Cependant, un examen plus approfondi des
evenements politiques devrait reveler une grande lame de fond. Il y
a une levee de ce qu'on pourrai appeler 'les nationalismes non-turcs'.
Par opposition au nationalisme conventionnel, les nationalistes
non-turcs soutiennent qu'il y a une tension entre le turquisme et les
interets nationaux. Les intellectuels de ce courant de pensee, par
exemple, sont d'avis que l'interet de la Turquie serait de faire face
a son histoire avec ses hauts et ses bas, comme l'ont fait beaucoup
d'autres pays. De tels intermediaires soutiennent que 'nous devrions
commencer a parler des excuses aux Armeniens'. Un editorialiste
en vue a recemment declare sur ce point qu"independamment de ce
qui s'est passe et de la facon dont cela s'est passe, des millions
d'Armeniens ont disparu, et ces disparitions en elles-memes constituent
un genocide'. A la surprise de beaucoup d'observateurs, il n'a pas ete
arrete pour cette remarque. De tels commentateurs ont aussi commence a
critiquer le sentiment officiel qu'accepter le genocide declencherait
les revendications de biens et de terres par les Armeniens. Ils
soulignent de facon pragmatique les opportunites potentielles
d'investissement des Armeniens de la diaspora, specialement dans les
provinces industriellement sous-developpees de l'est de l'Anatolie.
L'histoire est un fardeau politique de la Turquie mais les realites
sociales des temps actuels contribuent a l'alourdir. La question
des Crypto-Armeniens pose questions sur la fabrique de la societe
'Turque'. Le kemalisme s'enorgueillit par l'identification a son
slogan 'quel bonheur est celui qui peut dire je suis Turc'. L'orgueil,
cependant, a commence a ceder la place a la crainte de ne pas savoir
qui pourrait ou pourrait ne pas souhaiter reclamer la qualite de
Turc, une fois que les gens auront la possibilite de le faire. Il est
virtuellement impossible de savoir si oui ou non les Turcs finiront
par se retrouver en minorite parmi les populations. La plupart de
ceux qui decident dans le domaine politique, cependant, semblent
s'etre faits a l'idee que 'les personnes reellement d'origine turque
se retrouveraient marginalisees'. Ils chuchotent egalement a propos
de 'l'inversion du nettoyage ethnique ' que constitue le retour des
expatries. Ce qui est sûr c'est que plusieurs milliers d'Assyriens,
par exemple, sont deja revenus au cours des annees recentes. L'une
de ces personnes etait citee en grand dans les manchettes : 'Je suis
de retour a la maison'.
Il existe un besoin de promouvoir l'idee que les droits de l'homme et
la democratie ne sont pas seulement pour la majorite mais aussi pour
la minorite. Cela signifie entre autres que soit retire l'article 301
qui criminalise arbitrairement les intellectuels et les journalistes
sous le pretexte malveillant d' 'insulte a la nationalite turque'. Le
code sert essentiellement a museler les voix multiculturelles.
D'autres cas de limitations aux libertes d'opinion devraient egalement
etre abolis par la nouvelle constitution qui remplacera l'actuelle on
l'espère en 2012. Par-dessus tout, le droit des minorites d'exister
sans devoir denier leur identite ne peut plus etre conteste. Pour
cette raison, il est essentiel que le gouvernement turc garantissent
aux minorites ethniques et religieuses qu'elles peuvent vivre selon
leur propre culture et pratiquer leur langue et leur religion.
Quoi qu'il en soit, personne ne sera encore longtemps reconnaissant
d'avoir le droit de vivre malgre ce qu'il est. L'etat turc se doit de
repondre a ses obligations culturelles. Pour commencer, les officiels
du gouvernement devraient partager ce qu'ils savent des ancetres avec
le public au lieu de les tenir derrière des portes fermees. Ils doivent
la transparence aux personnes sur ce qu'ils savent du passe ethnique
des communautes locales. Les individus devraient egalement trouver de
l'assistance pour retrouver une telle information lorsqu'elle n'est pas
directement disponible. En outre, il est necessaire que les populations
recoivent un soutien financier et institutionnel pour pratiquer leur
culture. Le gouvernement fait encore defaut, par exemple, s'agissant
de fournir des espaces urbains aux Alevis pour leurs cermevi (lieux de
culte). Les communautes chretiennes s'estiment heureuses lorsqu'elles
sont autorisees a utiliser leurs propres eglises, et lorsqu'on les
laisse reunir les ressources financières pour leur entretien ou pour
en construire d'autres. Tandis que le centenaire de la tragedie de 1915
s'approche, il est possible de preparer l'accès a une ère tournee vers
l'avenir, marquee par des initiatives de construction de la confiance,
et la demystification des prejudices entre les Armeniens et les Turcs.
L'affaire Hrant Dink par exemple qui constitue en Turquie un procès de
premier plan est une occasion de renforcer la confiance du public dans
le système judiciaire parmi les Armeniens et les Turcs. Le procès est
a present emmele dans une guerre interminable a l'interieur de l'etat
turc a travers une serie de procès contre les auteurs militaires de
complots, gangs et maffias d'extreme-droite. La raison en est que
l'auteur est soupconne faire partie de paramilitaires nationalistes.
Toutes ces enquetes judiciaires devraient immediatement etre finalisees
conformement aux exigences de la justice.
En plus, les restrictions d'accès aux archives ottomanes devraient
etre levees pour les chercheurs nationaux et internationaux. En
particulier, le gouvernement armenien devrait mettre a profit un
appel recent du gouvernement turc pour le faire mutuellement tout en
essayant de convaincre les pays tiers.
Et pour finir, des fonds speciaux devraient etre alloues, en
particulier par la Commission Europeenne, pour explorer la population
des Crypto-Armeniens pour la restauration de leurs cultures menacees
d'extinction.
Une etude qui a le merite de mettre en evidence le cas dechirant des
Crypto-Armeniens mais qui laisse beaucoup de questions sans reponse.
Qui sont-ils (et que sont elles) et quel est leur nombre ? L'auteur
positionne clairement les effets du code penal turc, essentiellement
destine a maintenir le statut des minorites. Cette declaration du
premier ministre turc denoncant la politique d 'assimilation aurait dû
etre developpee (si elle est vraie) : la seule declaration entendue
d'ailleurs en France l'an passe etait dirigee contre l'assimilation
des emigres turcs. De meme cette tendance de "certains cercles de
gauche" a reprendre des campagnes dirigees contre les minorites
devrait etre precisee.
Il ya egalement dans cette etude une tendance fâcheuse a renvoyer dos a
dos l'Armenie et les Armeniens dos a dos sur des questions importantes
: le prejudice subi par les Armeniens en 1915 n'a pas besoin d'etre
demystifie par eux. Tout au plus y aurait-il besoin que les Armeniens
aient une idee plus concrète des reparations qu'ils attendent. La
meme tendance a mettre dans le meme sac la situation des archives
armeniennes et celle de la Turquie est tout a fait inacceptable.
Il semble enfin que les espoirs de l'auteur sur les effets que
pourrait avoir le procès des assassins de Hrant Dink soient decus,
suite au recent jugement rendu dans cette affaire. L'idee que se
fait la minorite armenienne du système judiciaire en Turquie n'en
sera pas changee. A suivre...