EDITORIAL
Génocide : Elysée contre Quai d'Orsay
La cacophonie entre le quai d'Orsay et l'Elysée sur la question
arménienne n'est pas nouvelle. Même si celle qui vient de se faire
entendre à la faveur des déclarations discordantes de François
Hollande et de Laurent Fabius sur la loi de pénalisation du
négationnisme semble particulièrement spectaculaire. On se souvient
qu'Alain Juppé, interrogé sur ses divergences avec Nicolas Sarkozy sur
cette même question avait repris à son compte le 2 février dernier la
formule de Jean-Pierre Chevènement : « un ministre, ça ferme sa gueule
ou ça s'en va ». Le ministre est resté. Faut-il en déduire que sa
différence de position avec le Président n'était pas à ce point
fondamentale pour justifier une démission ?
En tout cas, Laurent Fabius a voté en tant que député la loi sur
laquelle s'est engagé l'actuel Chef de l'Etat et dont le PS a été
l'artisan historique. Et sa récente déclaration devant Ahmet Davutoglu
ne porte à cet égard pas tant sa marque personnelle, que celle de
l'administration du Quai qui a toujours manifesté une grande force
d'inertie pour intégrer, jusque dans son vocabulaire, les décisions du
pouvoir politique, qu'il soit législatif ou exécutif. Il a fallu en
effet attendre plus de cinq ans, c'était en l'occurrence à la faveur
de l'année de l'Arménie en France, pour que ses membres fassent usage
du concept de génocide arménien, pourtant reconnu par le Parlement et
promulgué par Jacques Chirac le 29 janvier 2001.
Cette résistance à répercuter les prises de décisions démocratiques
s'inscrit dans le conservatisme inhérent à cette vénérable institution
qui a vocation à privilégier ses relations avec les Etats constitués
plutôt qu'à s'épancher sur les doléances des peuples. Pour elle encore
plus que pour toute autre instance gouvernementale, une injustice vaut
toujours mieux qu'un désordre. L'histoire des Arméniens a été
endeuillée plus souvent qu'à son tour par ce cynisme. D'ailleurs, si
le Quai remplissait bien son rôle, et s'il se mettaient à la
disposition du pouvoir élu au lieu de chercher à lui en imposer, il
n'y aurait pas besoin d'une cellule parallèle à l'Elysée, et celle-ci
ne serait pas encline à court-circuiter les canaux habituels de la
diplomatie. L'épisode de la guerre Lybienne constitue une illustration
récente de cette réalité. Et il est probable que Fabius n'a été qu'à
moitié dupe de l'influence de son administration, dont tout semble
indiqué qu'elle voulait prendre une revanche sur ce sujet. Le ministre
des Affaires étrangères avait en effet exactement déclaré le 2 juillet
que « Le Conseil constitutionnel a décidé que la proposition de loi
qui avait été présentée par les parlementaires était contraire à notre
Constitution, donc il n'est pas possible de reprendre le même chemin
sinon le résultat sera évidemment le même ». Des propos dont la portée
négative par rapport à ce texte de loi n'ont échappé à personne, mais
dont le sens renvoyait plus à sa forme plutôt qu'à son fond.
Face à ces ambiguïtés génératrices de graves malentendus, François
Hollande a eu le courage politique qu'on attendait de lui en tranchant
dans le vif, rappelant la philosophie de sa campagne qui doit présider
à son exercice du pouvoir : « je ferais ce que j'ai dit » et « quand
il faudra décider, la justice sera au centre de mes choix ». Un geste
qui l'honore et dont il n'est pas innocent qu'il trouve à s'exprimer
en ce début de mandat justement dans le registre des Affaires
étrangères.
Ara Toranian
dimanche 8 juillet 2012,
Ara ©armenews.com
Génocide : Elysée contre Quai d'Orsay
La cacophonie entre le quai d'Orsay et l'Elysée sur la question
arménienne n'est pas nouvelle. Même si celle qui vient de se faire
entendre à la faveur des déclarations discordantes de François
Hollande et de Laurent Fabius sur la loi de pénalisation du
négationnisme semble particulièrement spectaculaire. On se souvient
qu'Alain Juppé, interrogé sur ses divergences avec Nicolas Sarkozy sur
cette même question avait repris à son compte le 2 février dernier la
formule de Jean-Pierre Chevènement : « un ministre, ça ferme sa gueule
ou ça s'en va ». Le ministre est resté. Faut-il en déduire que sa
différence de position avec le Président n'était pas à ce point
fondamentale pour justifier une démission ?
En tout cas, Laurent Fabius a voté en tant que député la loi sur
laquelle s'est engagé l'actuel Chef de l'Etat et dont le PS a été
l'artisan historique. Et sa récente déclaration devant Ahmet Davutoglu
ne porte à cet égard pas tant sa marque personnelle, que celle de
l'administration du Quai qui a toujours manifesté une grande force
d'inertie pour intégrer, jusque dans son vocabulaire, les décisions du
pouvoir politique, qu'il soit législatif ou exécutif. Il a fallu en
effet attendre plus de cinq ans, c'était en l'occurrence à la faveur
de l'année de l'Arménie en France, pour que ses membres fassent usage
du concept de génocide arménien, pourtant reconnu par le Parlement et
promulgué par Jacques Chirac le 29 janvier 2001.
Cette résistance à répercuter les prises de décisions démocratiques
s'inscrit dans le conservatisme inhérent à cette vénérable institution
qui a vocation à privilégier ses relations avec les Etats constitués
plutôt qu'à s'épancher sur les doléances des peuples. Pour elle encore
plus que pour toute autre instance gouvernementale, une injustice vaut
toujours mieux qu'un désordre. L'histoire des Arméniens a été
endeuillée plus souvent qu'à son tour par ce cynisme. D'ailleurs, si
le Quai remplissait bien son rôle, et s'il se mettaient à la
disposition du pouvoir élu au lieu de chercher à lui en imposer, il
n'y aurait pas besoin d'une cellule parallèle à l'Elysée, et celle-ci
ne serait pas encline à court-circuiter les canaux habituels de la
diplomatie. L'épisode de la guerre Lybienne constitue une illustration
récente de cette réalité. Et il est probable que Fabius n'a été qu'à
moitié dupe de l'influence de son administration, dont tout semble
indiqué qu'elle voulait prendre une revanche sur ce sujet. Le ministre
des Affaires étrangères avait en effet exactement déclaré le 2 juillet
que « Le Conseil constitutionnel a décidé que la proposition de loi
qui avait été présentée par les parlementaires était contraire à notre
Constitution, donc il n'est pas possible de reprendre le même chemin
sinon le résultat sera évidemment le même ». Des propos dont la portée
négative par rapport à ce texte de loi n'ont échappé à personne, mais
dont le sens renvoyait plus à sa forme plutôt qu'à son fond.
Face à ces ambiguïtés génératrices de graves malentendus, François
Hollande a eu le courage politique qu'on attendait de lui en tranchant
dans le vif, rappelant la philosophie de sa campagne qui doit présider
à son exercice du pouvoir : « je ferais ce que j'ai dit » et « quand
il faudra décider, la justice sera au centre de mes choix ». Un geste
qui l'honore et dont il n'est pas innocent qu'il trouve à s'exprimer
en ce début de mandat justement dans le registre des Affaires
étrangères.
Ara Toranian
dimanche 8 juillet 2012,
Ara ©armenews.com