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Une Histoire De L'Horreur : "Le Sièle Des Camps"

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  • Une Histoire De L'Horreur : "Le Sièle Des Camps"

    UNE HISTOIRE DE L'HORREUR : "LE SIECLE DES CAMP"

    http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=64441
    Publié le : 05-06-2012

    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
    livre cette information traduite par Georges Festa et publiée sur
    le site Armenian Trends - Mes Arménies le 2 juin 2012.

    Armenian Trends - Mes Arménies

    samedi 2 juin 2012

    JoÃ"l Kotek, Pierre Rigoulot - Le Siècle des camps. Détention,
    concentration, extermination : cent ans de mal radical / Century of
    Concentration Camps : 100 Years of Radical Evil

    Photo: © J.C. Lattès, 2000

    par Anne Applebaum

    The New York Review of Books, 18.10.2001

    Contrairement a ce a quoi l'on pourrait s'attendre, le premier usage
    constaté de l'expression Â" camps de concentration Â" n'eut lieu
    ni en Allemagne, ni en Russie. Le terme n'est pas non plus d'origine
    anglaise, comme beaucoup de gens, de même, le croient par erreur. En
    fait, aussi loin qu'il est possible de le vérifier, la première
    personne qui parla de camps de concentration - ou, plus précisément,
    d'une politique de reconcentración - fut Arsenio Martinez Campos,
    alors commandant de la garnison espagnole a Cuba. Nous sommes en 1895
    et Martinez Campos repousse la dernière, apparemment, de toute une
    série ininterrompue de révoltes locales. Cherchant a mettre fin,
    une fois pour toutes, a la lutte des Cubains pour l'indépendance,
    il propose, dans une lettre confidentielle au gouvernement espagnol,
    de Â" reconcentrer Â" la population civile des régions rurales dans
    des camps. Tout en admettant que cette politique puisse entraîner Â"
    misère et famine Â", cela pourrait aussi, explique-t-il, priver les
    insurgés de nourriture, d'abri et de soutien, amenant ainsi la guerre
    a une conclusion plus rapide.

    Martinez Campos ne réussit pas a mettre en Å"uvre cette politique,
    mais son successeur y parvint. Durant les deux années qui suivirent,
    de 1896 a 1898, le général Valeriano Weyler y Nicolau délogea par
    la force plusieurs milliers de paysans cubains de leurs foyers. Comme
    prévu, Â" misère et famine Â" s'ensuivirent. En théorie, les camps
    étaient censés consister en habitations bâties convenablement, sur
    des terres fertiles, près de sources d'eau potable. Dans la pratique,
    les paysans cubains furent jetés dans Â" de vieilles cabanes, des
    maisons a l'abandon, des abris de fortune Â", partout où il semblait
    commode de les jeter. La nourriture était distribuée de facon
    irrégulière. Typhus et dysenterie se propagèrent rapidement. Des
    jeunes filles se prostituaient d'elles-mêmes pour un morceau de
    pain. Plus de 200 000 reconcentrados auraient trouvé la mort.

    Un historien cubain contemporain décrivit ces premiers camps comme un
    Â" holocauste aux proportions gigantesques Â". Au vue des connotations
    liées au mot Â" holocauste Â", cette description est inadéquate.

    Néanmoins, il existe une étrange, et assez étonnante, chaîne de
    connections entre ces premiers camps de concentration caribéens
    et les camps de concentration nazis, qui virent le jour, moins de
    quarante ans plus tard.

    En fait, le terme, comme le concept, se propagèrent et évoluèrent
    assez rapidement. En 1900, deux ans seulement après la fermeture
    des camps cubains, le terme espagnol de reconcentración avait déja
    été traduit en anglais et fut utilisé pour décrire un projet
    britannique similaire, lancé pour des raisons similaires, durant la
    guerre des Boers en Afrique du Sud. Tout comme les Espagnols avaient
    été contrecarrés par la tactique de guérilla des Cubains, les
    Britanniques furent démontés par la capacité des soldats boers
    a vivre grâce a l'aide de leurs sympathisants civils. Lesquels
    sympathisants civils furent dÃ"ment Â" concentrés Â" dans des
    camps, afin de priver les combattants boers d'abri et de soutien. A
    nouveau, misère et famine, ainsi que maladie et privations, en
    résultèrent. Pour les contemporains, le lien entre les camps
    sud-africains et les camps cubains était clair : a l'époque,
    les Britanniques furent a la fois admirés et critiqués pour avoir
    adapté Â" les méthodes du général Weyler Â" au Tansvaal.

    Quatre ans plus tard, la même politique fut a nouveau adoptée,
    a nouveau dans un contexte colonial, bien que légèrement différent.

    Cette fois, les colonisateurs n'étaient ni espagnols, ni anglais,
    mais allemands. Peu de gens s'en souviennent, mais les Allemands
    possédèrent, durant une brève période, des colonies en Afrique :
    l'une d'elles fut la Deutsche Sud-West Afrika, l'actuelle Namibie. Le
    territoire était peuplé par les Héréros, une tribu qui contrariait
    les Allemands ; non seulement leur nombre gênait la colonisation
    blanche, mais leur présence troublait la pureté ethnique du
    nouvel Etat Â" allemand Â". Tout d'abord, la politique coloniale
    fut simplement de massacrer les Héréros. Aux yeux de certains
    colonialistes allemands, la chose parut inefficace. Suivant l'exemple
    britannique dans l'Afrique du Sud voisine, les Héréros furent
    dÃ"ment conduits dans des camps de concentration. Mais les Héréros
    ne furent pas seulement affamés. Ils moururent aussi d'épuisement,
    après avoir été contraints d'effectuer des travaux physiques très
    durs pour le compte de la colonie allemande. Début 1905, il y avait
    14 000 Héréros en captivité.

    A la fin de cette même année, la moitié d'entre eux étaient morts.

    Du fait des Héréros, le mot Konzentrationslager apparaît pour
    la première fois en allemand, en 1905. C'est aussi dans ces camps
    africains que les premières expériences médicales allemandes sont
    menées sur des êtres humains. Deux professeurs de Joseph Mengele,
    Theodor Mollison et Eugen Fischer, menèrent des recherches sur les
    Héréros, le second pour tenter de prouver ses théories sur la
    supériorité de la race blanche. Il n'était pas le seul a être de
    cet avis. En 1912, un ouvrage allemand qui connut un grand succès,
    La Pensée allemande a travers le monde, affirmait que rien Â"
    ne saurait convaincre les gens sensés que la préservation d'une
    tribu de cafres sud-africains importe davantage, pour l'avenir de
    l'humanité, que l'expansion des grandes nations européennes et de
    la race blanche, en général, Â" et que Â" c'est seulement lorsque
    les populations indigènes auront appris a produire quelque chose
    de valable au service de la race supérieure [...] qu'ils pourront
    être déclarés avoir un droit moral d'exister. Â"

    L'analogie avec le langage raciste de la Shoah est des plus claire
    ; il existe, en outre, une autre coïncidence étrange. Le premier
    gouverneur impérial de la Deutsche Sud-West Afrika fut le docteur
    Heinrich Goering - le père d'Hermann, qui instaura les premiers camps
    nazis en 1933. Les auteurs du Siècle des camps posent la question : Â"
    Ceci explique peut-être cela ? Â" - l'un explique-t-il, peut-être,
    l'autre ? L'expérience corruptrice du colonialisme - qui renforca
    le mythe de la supériorité raciale des Blancs, tout en légitimant
    l'utilisation de la violence contre d'autres races - a peut-être
    contribué a préparer la voie au totalitarisme du 20ème siècle.

    Ce n'est pas aussi simple, bien sÃ"r : les camps allemands ne peuvent
    être Â" expliqués Â" par les camps sud-africains ou cubains, pas plus
    que les camps soviétiques peuvent être Â" expliqués Â" par le fait
    que le terme kontslager apparut, pour la première fois, en russe dans
    une traduction de l'anglais, du fait, probablement, de la familiarité
    de Trotski avec l'histoire de la guerre des Boers (1). Néanmoins,
    il s'agit la de points utiles a explorer. Des étagères entières
    de livres ont été écrites, soutenant que les camps nazis peuvent
    être entièrement expliqués par l'antisémitisme allemand, ou par
    l'histoire intellectuelle allemande, ou encore par l'héritage de
    la Prusse. De même, les camps soviétiques ont été imputés a
    la nature particulière de la théorie révolutionnaire bolchevik,
    a la personnalité de Lénine, a l'héritage tsariste. Bien que des
    nations différentes aient fait un usage très différent des camps,
    et bien que les camps de concentration se soient développés dans
    des situations nationales très particulières pour des raisons
    spécifiques, le phénomène du camp de concentration possède lui
    aussi une histoire multinationale. Il est peut-être temps d'explorer
    comment des méthodes de répression - telles que les méthodes de
    guerre - se sont transmises a travers les frontières et les cultures.

    Tel est, en tout cas, l'argument du Siècle des camps, première
    tentative d'une histoire du camp de concentration au 20ème siècle.

    Mais il s'agit d'un argument que les deux auteurs du livre développent
    avec beaucoup de précautions. En le rédigeant, ils ont pris en compte
    la polémique portant sur les points de vue de l'historien allemand
    Ernst Nolte, lequel soutenait, pour abréger, que les crimes d'Hitler
    peuvent être Â" expliqués Â" par le fait que l'Union Soviétique
    construisit ses camps de concentration a une date antérieure. Ils
    veulent aussi, semble-t-il, éluder certains débats qui surgirent
    avec le Livre noir du communisme - une tentative pareillement
    transculturelle, prolixe et francaise, d'évaluer les dommages causés
    par les régimes communistes, de Lénine a Mao et a Kim Il Sung (2).

    Lors de sa publication, le Livre noir déclencha une tempête de
    polémiques en France, en partie parce que son éditeur relevait,
    notamment dans son introduction, que davantage de gens furent tués,
    de facon différente encore, par les régimes communistes qu'il n'y
    en eut a cause d'Hitler. Pour certains, cela ressemblait a nouveau
    a une tentative pour amoindrir la signification de la Shoah.

    Dans leur préface au Siècle des camps, Pierre Rigoulot et JoÃ"l
    Kotek, son coauteur, déclarent vouloir éviter la controverse des
    plus stérile quant a savoir Â" qui fut pire, Hitler ou Staline Â"
    (ainsi que les polémiques sur Â" qui fut pire, Staline ou Mao,
    la Chine ou le Cambodge, l'Amérique Latine autoritaire ou l'Europe
    totalitaire Â"). De même, ils se refusent a établir un parallèle
    entre les Britanniques en Afrique du Sud et les communistes en Chine
    ou les nazis a Auschwitz, ou a affirmer que les camps de détention
    bâtis pour les Américains d'origine japonaise, durant la Seconde
    Guerre mondiale, peuvent être présentés, a juste titre, comme
    Â" le goulag américain Â", comme c'est souvent le cas. Toutefois,
    ils soutiennent que des comparaisons peuvent, en fin de compte, nous
    aider a voir plus clairement l'horreur des camps les plus terrifiants,
    a comprendre d'où elle provint et pourquoi elle advint :

    " Affirmer que Treblinka est Â" unique Â", c'est supposer qu'on l'a
    comparé avec d'autres camps et que l'on est arrivé a la conclusion
    que celui-ci est radicalement différent. L'étude comparée du
    phénomène du camp de concentration n'est pas seulement légitime,
    mais nécessaire, si l'on veut dégager les traits spécifiques de
    chaque cas particulier.

    Finalement, leur recherche est éclairante, car ce phénomène global
    est un de ceux auxquels nous n'avons pas suffisamment réfléchi. Du
    fait de l'horreur que le terme Â" camp de concentration Â" inspire,
    il y a un désir naturel de ne pas l'analyser. Mais savons-nous
    vraiment ce que nous entendons, exactement, par le terme Â" camp de
    concentration Â" - ou encore pourquoi l'utilisons-nous comme nous le
    faisons ? Peut-être est-il plus facile de commencer par définir
    ce que n'est pas un camp de concentration - ce par quoi commencent
    Rigoulot et Kotek. Un camp de concentration, écrivent-ils, n'est pas
    un camp pour prisonniers de guerre, ni un camp de réfugiés, même si,
    parfois, les deux ont pu ressembler a des camps de concentration ;
    l'on songe, par exemple, aux conditions atroces dans lesquelles les
    prisonniers de guerre soviétiques furent détenus dans l'Allemagne
    nazie, ou a la misère dans laquelle les populations déplacées ont
    vécu après la Seconde Guerre mondiale.

    Un camp de concentration n'est pas, non plus, semblable a une banale
    prison, ni a un banal camp de détention pour criminels, bien que
    la démarcation entre prisons et camps de concentration ne soit pas
    toujours facile a établir, elle non plus. Généralement parlant, les
    criminels sont condamnés par un système judiciaire qui examine la
    culpabilité individuelle, alors que les gens sont envoyés dans des
    camps de concentration par la police et les forces armées exécutant
    des ordres politiques. La encore, cette distinction est parfois mise
    a bas. Dans le cas de l'Union Soviétique, un système judiciaire fut
    mis en place pour condamner un grand nombre d' Â" ennemis de l'Etat
    Â" a des camps de concentration. Cet système fut de pue forme -
    les Â" procès Â" prenaient rarement plus de quelques minutes - mais
    il exista, contribuant a légitimer les camps aux yeux de ceux qui
    les concurent.

    De même, le fait que les prisonniers politiques, les prisonniers
    criminels et même les prisonniers de guerre soviétiques étaient
    fréquemment détenus ensemble dans les mêmes camps et prisons.

    Un système de camps de concentration n'est pas, non plus, un système
    de meurtre en masse. Au risque de brouiller la aussi les définitions,
    la plupart des camps de concentration, y compris la plupart des camps
    nazis, ne furent pas organisés seulement pour éliminer des gens,
    même si cela fut le résultat pratique du travail forcé, d'une
    hygiène déplorable et de rations alimentaires drastiques. Les auteurs
    soulignent, comme d'autres l'ont fait, que les nazis ne considéraient
    pas leurs camps de la mort - a savoir, les camps où les prisonniers
    arrivaient et étaient immédiatement exécutés - comme faisant
    partie du même système que leurs camps de concentration. Ces camps
    de la mort furent au nombre de quatre - Belzec, Chelmno, Sobibor et
    Treblinka. En outre, Majdanek et Auschwitz servirent a la fois de
    camps de concentration et de camps de la mort. Ces six camps sont
    parfois appelés Vernichtungslager - camps d'extermination - plutôt
    que camps de concentration.

    Il devrait être évident, par ailleurs, que les camps ne sont pas
    nécessairement au service du meurtre de masse : maints régimes, dans
    nombre d'endroits, durant des siècles, ont trouvé des méthodes pour
    massacrer un grand nombre de gens, sans recourir a quelque camp que ce
    fÃ"t. Si le choix de Rigoulot et Kotek de n'écrire que sur les camps
    a certainement un sens, cela signifie aussi que beaucoup de choses en
    rapport sont éludées. Ils font, par exemple, brièvement allusion
    a la politique de réinstallation du gouvernement sud-vietnamien,
    qui concentra les civils dans des Â" villages stratégiques Â", afin
    de nuire aux guérillas communistes. Ce fut certainement une politique
    cruelle, mais pas plus cruelle que le bombardement de l'Afghanistan par
    le gouvernement soviétique, censé avoir fait un million de victimes.

    Cette politique se proposait, elle aussi, de réduire le soutien aux
    guérillas, mais ne cadre pas avec le propos de cet ouvrage.

    Néanmoins, si l'on compare les camps de concentration a d'autres
    formes d'emprisonnement, une définition émerge progressivement.

    Rigoulot et Kotek concluent que, lorsque l'on parle de camps de
    concentration, l'on entend généralement des camps pour des gens
    qui furent emprisonnés non pour ce qu'ils ont fait, mais pour ce
    qu'ils furent. Les camps de concentration ne sont pas construits
    pour des délinquants individuels, mais plutôt pour un genre
    particulier de prisonniers non criminels, civils, les membres d'un
    groupe Â" ennemi Â" ou, en tout cas, d'une catégorie de gens qui,
    en raison de leur race ou de leur supposée appartenance politique,
    sont regardés comme dangereux ou inutiles pour la société. Dans son
    premier usage recensé du terme kontslager en aoÃ"t 1918 - il semble
    l'avoir emprunté a Trotski - Lénine n'appelle pas a ce que les Â"
    coupables Â" soient condamnés aux camps, mais a l'emprisonnement
    en masse des Â" éléments non fiables Â". Ce n'est pas un hasard
    si les camps de concentration sont réapparus en Europe durant la
    décennie précédente, lors de la guerre de Bosnie, qui fut une
    guerre se proposant d'instaurer la pureté ethnique dans certaines
    régions de l'ancienne Yougoslavie.

    Par dela leur recherche d'un type particulier de prisonnier, on ne
    saurait affirmer que les camps décrits dans Le Siècle des camps
    aient beaucoup en commun. Certains, tels les camps de détention mis
    en place pour les Américains d'origine japonaise durant la Seconde
    Guerre mondiale, visaient simplement a isoler des gens considérés,
    sans preuve individuelle, comme potentiellement déloyaux. D'autres
    furent concus pour faire pleinement usage du travail bon marché des
    détenus : a son apogée, le système soviétique des camps constituait
    une part essentielle de l'économie soviétique, et les prisonniers
    étaient employés dans toutes les industries imaginables. D'autres
    encore se proposèrent de Â" rééduquer Â" des prisonniers a
    la loyauté douteuse, exigeant parfois d'eux qu'ils s'accusent
    et des aveux imaginaires, tout en leur infligeant un traitement
    rigoureux. Généralement parlant, les régimes démocratiques ont
    utilisé les camps de concentration comme mesures temporaires, en
    temps de guerre. Les régimes totalitaires les déploient comme faisant
    partie permanente et intrinsèque du système : par définition, les
    régimes totalitaires sont ceux qui établissent un idéal social,
    cherchant ensuite a éliminer ou a rééduquer tous ceux qui ne
    cadrent pas avec lui.

    Rigoulot et Kotek s'attellent a ces différences, en partie
    via une exploration de la singularité de la vie quotidienne
    dans chaque complexe du camp, utilisant les sources secondaires
    disponibles. Ces récits sont des plus inégaux, ce a quoi il
    fallait peut-être s'attendre : tous les camps créés au cours
    des cent dernières années n'ont pas été étudiés avec une
    égale minutie. La documentation n'est pas, elle non plus, toujours
    accessible. Les camps nazis sont décrits dans des centaines de
    mémoires, documents d'archives et une littérature secondaire qui
    continue a s'accroître. Nous ne connaissons les camps contemporains
    de Corée du Nord qu'a travers les descriptions de très rares
    transfuges. Néanmoins, les auteurs semblent parfois n'avoir
    pas connaissance de publications récentes a partir d'archives
    soviétiques récemment ouvertes ; ils s'interrogent, par exemple, sur
    l'existence possible de Â" camps au régime spécial Â" - a savoir,
    des camps comportant des régimes particulièrement brutaux - pour
    les prisonniers politiques, alors qu'en fait, l'existence de tels
    camps est amplement documentée.

    Les auteurs classent, de même, les camps en quatre catégories assez
    vagues : ceux concus a seule fin d'isoler des populations (Cuba,
    Afrique du Sud) ; ceux concus en vue de profiter des travaux forcés
    (camps soviétiques, premiers camps nazis, camps chinois et autres
    d'Asie) ; ceux concus pour humilier tout d'abord, puis éliminer
    les prisonniers (les camps nazis ultérieurs) ; et, finalement,
    les six Vernichtungslager, qui n'étaient pas du tout, en fait,
    des Â" camps Â", mais des usines de mort. Les auteurs reconnaissent
    que certaines distinctions opérées entre leurs catégories sont
    difficiles a tracer.

    Quoi qu'il en soit, tant les descriptions quelque peu prolixes de
    camps particuliers que les catégories utilisées servent un objectif.

    Elles constituent, simplement, un dispositif qui permet a Rigoulot et
    a Kotek d'analyser le phénomène global du camp de concentration,
    sans avoir a dire que tous les camps de concentration, ou tous les
    régimes totalitaires, furent partout identiques, ou que l'existence
    de crimes atroces dans tel pays amoindrit la culpabilité de ceux
    qui perpétrèrent des crimes horribles dans tel autre.

    Si l'on considère les camps d'un point de vue global, plusieurs
    modèles émergent. Il est frappant de voir, par exemple, comment
    de nombreux systèmes de camps surgissent spontanément. Goering
    lui-même, lors de son procès a Nuremberg, remarque que les premiers
    camps nazis apparurent du simple fait que, du jour au lendemain, Â"
    nous nous retrouvâmes avec plusieurs milliers de prisonniers entre
    nos mains Â".

    Même chose en Union Soviétique, où les prisonniers, a partir de
    1918, furent souvent installés, par mesure d'urgence, dans d'anciens
    monastères et églises. Pas plus tard qu'en 1943, les camps italiens
    réservés aux Juifs - ils commencèrent a apparaître en 1939,
    sous l'influence directe d'Hitler - se trouvaient encore dans des Â"
    écoles, villas, couvents, châteaux Â". Lors de la guerre civile en
    Grèce, des camps furent installés en toute hâte dans des îles,
    où les détenus vivaient dans des campements de fortune ou dormaient
    simplement a la belle étoile.

    Il est de même frappant de voir comment, souvent, les camps
    émergent en pleine guerre, au beau milieu d'une révolution et
    dans un climat de violence généralisée. Tout en affirmant que
    l'héritage de l'impérialisme a été souvent négligé comme
    influence dans la préhistoire du totalitarisme au 20ème siècle,
    Kotek et Rigoulot soulignent aussi l'influence brutalisante de la
    guerre au 20ème siècle, telle qu'elle fut conduite, en particulier,
    durant la Première Guerre mondiale en Europe et, par extension,
    durant la Seconde Guerre mondiale en Chine. Des armes nouvelles
    et des inventions nouvelles (le fil de fer barbelé, entre autres)
    rendirent soudain plus facile de terroriser davantage de gens plus
    rapidement. La Première Guerre mondiale engendra aussi ses propres
    camps : vastes camps d'internement, en Alsace-Lorraine, pour les
    civils Â" suspects Â", et immenses camps pour prisonniers de guerre,
    plus a l'Est. L'expérience infernale des tranchées peut, elle aussi,
    avoir contribué, en Allemagne et en Russie, a inspirer un mépris pour
    la vie humaine, qui est une composante essentielle du totalitarisme.

    Mais, pour que les différentes sortes de camps se développent
    et perdurent sur une longue période - comme ce fut le cas dans
    l'Allemagne nazie, en Union Soviétique et en Chine - quelque chose
    d'autre devait être présent, outre la nécessité immédiate et
    spontanée de rassembler un grand nombre de prisonniers et de les
    traiter comme du bétail ou une cargaison. A savoir l'idéologie,
    mais il convient de préciser qu'il devait exister une rhétorique
    de déshumanisation, de dépersonnalisation. Comme cela a été
    maintes fois décrit, la déshumanisation nazie des Juifs précéda
    la création, de fait, des camps : avant que les Juifs ne fussent,
    en pratique, raflés et déportés, ils furent privés du droit de
    travailler en tant que fonctionnaires, avocats et juges ; il leur
    fut interdit d'épouser des Aryens, de s'inscrire a des écoles
    aryennes, d'abattre des animaux selon le rite casher ; ils furent
    obligés d'arborer l'étoile jaune de David et subissaient mauvais
    traitements et humiliations en pleine rue.

    Au sein des camps, ce processus se fit plus extrême. Dans son long
    entretien avec Franz Stangl, le commander de Treblinka, Gitta Sereny
    lui demande pourquoi les détenus du camp, avant d'être tués,
    étaient aussi battus, humiliés, privés de leurs vêtements. Stangl
    répond : Â" Pour conditionner ceux qui, en fait, devaient mettre
    en Å"uvre cette politique. Pour qu'il leur soit possible de faire ce
    qu'ils ont fait.

    Â" (3). Dans son ouvrage qui eut un grand retentissement, The Order of
    Terror : The Concentration Camp [L'Ordre de la terreur : le camp de
    concentration], le sociologue allemand Wolfgang Sofsky a, lui aussi,
    montré comment la déshumanisation des prisonniers dans les camps
    nazis fut méthodiquement appliquée a chaque aspect de la vie du
    camp, des haillons uniformes a la privation de l'intimité, a une
    discipline de fer - des règles strictes présidaient au couchage -
    et a l'attente constante de la mort (4).

    Ce n'est peut-être pas totalement un hasard si, dans le cas
    soviétique, les comportements a l'égard des prisonniers connurent
    une profonde transformation, précisément a l'époque où le système
    des camps commenca a se développer. Dès la fin des années 1930,
    Staline se mit a faire référence en public aux Â" ennemis du
    peuple Â", recourant a ce qu'un historien a nommé des Â" termes
    biologico-hygiéniques Â". Les dénoncant comme de la vermine, une
    pollution, une saleté devant Â" faire l'objet d'un nettoyage Â",
    et les comparant a de Â" mauvaises herbes vénéneuses Â" (5). Les
    prisonniers furent parallèlement Â" excommuniés Â" de la vie
    soviétique, n'étaient pas autorisés a se traiter mutuellement de Â"
    camarades Â", ne pouvaient plus porter le titre de Â" stakhanoviste
    Â" ou d' Â" ouvrier de choc Â", se fussent-ils bien comportés ou
    eussent-ils travaillé avec ardeur. Cette exclusion de la société
    soviétique affecta si fortement les prisonniers concernés, écrit
    Jacques Rossi, que dès les années 1940,

    Â" une brigade qui venait juste d'effectuer un poste de 11 heures et
    demie accepta de rester et de travailler le poste suivant, uniquement
    parce que l'ingénieur en chef [...] déclara aux prisonniers : Â"
    Je vous demande de le faire, camarades ! Â" (6)

    Les sociétés asiatiques qui ont instauré des systèmes de camps en
    masse et des systèmes de répression en masse, ne font pas exception.

    En Chine, la Révolution Culturelle diabolisa les Â" Noirs Â" par
    opposition aux Â" Rouges Â". Au Cambodge, les Khmers Rouges punirent
    sévèrement les Â" 75 Â", les gens qui furent expulsés des villes en
    1975. En Corée du Nord, les autorités parlent des Â" non réformables
    Â", semblables a de la Â" mauvaise herbe qui doit être arrachée Â".

    Que ce genre de langage franchisse les frontières, tel groupe
    de révolutionnaires l'empruntant a d'autres (et il est utile de
    noter combien, souvent, la métaphore des Â" mauvaises herbes Â"
    est utilisée), ou que le besoin de déshumaniser des groupes
    étrangers soit comme intrinsèque a la nature humaine, pose une
    question apparemment insoluble. Mais il est clair que les méthodes
    d'organisation des camps purent et furent exportées. En mettant a
    part la question probablement insoluble de savoir ce qu'Hitler savait
    réellement des camps de Staline, l'on peut affirmer, sans aucun doute,
    que les Chinois en avaient une connaissance approfondie. A l'apogée de
    la collaboration sino-soviétique, au début des années 1950, des Â"
    spécialistes Â" soviétiques aidèrent a mettre en place plusieurs
    camps chinois et organisèrent des brigades de travaux forcés dans
    une mine de charbon, près de Fuchun.

    Dans l'Europe orientale de l'après-guerre, les camps communistes ne
    furent pas simplement mis en place sur les conseils des Soviétiques,
    mais furent en fait organisés et dirigés, au début, par l'Armée
    Rouge et la police secrète soviétique. Tel fut certainement le cas
    en Allemagne de l'Est, où certains prisonniers du nouveau régime
    furent affectés dans des camps nazis récemment libérés, dont
    Sachsenhausen et Buchenwald. En Roumanie, qui instaura, elle aussi,
    un vaste système de travaux forcés a la soviétique, la police
    secrète agissait sous les ordres directs de son homologue soviétique.

    Rien, naturellement, n'empêcha d'autres cultures de revoir le modèle
    soviétique pour l'adapter a leurs besoins spécifiques. Après la
    mort de Staline, même les camps situés dans les Etats communistes
    d'Europe de l'Est commencèrent a différer sensiblement. Les
    Tchèques démantelèrent progressivement leurs camps, alors que
    les communistes bulgares conservèrent les leurs jusque dans les
    années 1970. Les camps chinois - les laogai - existent toujours,
    même s'ils ne ressemblent plus aux camps staliniens qu'ils étaient
    censés reproduire. Bien que les camps staliniens maintinssent leurs
    services Â" culturels - éducatifs Â", et bien que leurs commandants
    adhérassent pour la forme a l'idée de rééducation, ils n'avaient
    rien a voir avec le système rigide de rééducation que les camps
    chinois comportent actuellement, un système dans lequel l'expiation
    et l'avilissement rituel des prisonniers devant le Parti - autre forme
    de dépersonnalisation - semblent revêtir une importance bien plus
    grande, aux yeux des autorités, que les biens que les prisonniers
    réussissent a produire.

    L'idée du camp de concentration est suffisamment vague pour qu'elle
    s'exporte ; mais les détails spécifiques - a quoi servent les camps,
    comment ils se développent finalement, a quel point ils se rigidifient
    ou se désorganisent, ou encore demeurent cruels ou libéraux - tout
    cela dépend de tel ou tel pays, de la culture, du régime en place.

    En fin de compte, toute exploration du sujet général des camps
    ramène invariablement a un débat sur ce qui les différencie et sur
    la singularité du régime qui les a instaurés. Ce qui ne veut pas
    dire que les comparaisons s'arrêteront : en fait, a mesure que l'on
    commence a avoir un regard rétrospectif sur l'histoire du 20ème
    siècle, il sera difficile d'éluder le sujet. Dans leur conclusion,
    les auteurs du Siècle des camps notent que la Â" globalisation Â"
    de l'histoire des camps a peut-être déja commencé. Deux anciennes
    victimes des camps asiatiques, Pramoedya Ananta Toer, d'Indonésie,
    et Harry Wu, de Chine, ont visité les sites des camps nazis. J'étais
    présente a un séminaire a Cracovie, où les camps nazis, soviétiques
    et nord-coréens furent évoqués. Un des ouvrages récents les
    plus intéressants sur ce que les Francais nomment le Â" phénomène
    concentrationnaire Â", Face a l'extrême, de Tzvetan Todorov (1991),
    examine l'expérience des prisonniers dans les systèmes nazi et
    soviétique, se demandant s'il leur était possible de maintenir
    quelque morale que ce soit dans le monde inhumain des camps (7).

    De même, la globalisation n'est pas entièrement nouvelle. C'est
    Hannah Arendt, après tout, qui appelait a écrire une histoire du camp
    de concentration, depuis ses débuts dans les pays impérialistes,
    en passant par son utilisation, comme mesure temporaire, en temps de
    guerre, pour arriver a son institutionnalisation comme organe permanent
    de gouvernement dans des régimes de terreur. Â" Kotek et Rigoulot
    reconnaissent humblement que leur ouvrage constitue simplement un
    début de réponse a sa proposition. Espérons qu'il y en ait d'autres.

    Notes

    1. Mikhail Geller, Kontsentratsionni Mir i Sovetskaya Literatura [Le
    monde concentrationnaire et la littérature soviétique], Londres :
    Overseas Publications Exchange Ltd, 1974. L'ouvrage de Geller, qui
    a été traduit en francais [éd. L'Age d'Homme, 1974 - NdT], mais
    pas en anglais, est le premier a étudier l'évolution des camps de
    concentration dans le cadre de l'idéologie bolchevik.

    2. Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné, Andrzej
    Paczkowski, Karel Bartošek, Jean-Louis Margolin. Le Livre noir du
    communisme. Paris : Editions Robert Laffont, 1997, 846 p.

    3. Gitta Sereny, Into that Darkness : An Examination of Conscience,
    New York : McGraw-Hill, 1974, p. 101. [Traduction francaise par Colette
    Audry, Au fond des ténèbres, parue en 1975 aux éditions DenoÃ"l,
    rééd. en 2007 - NdT].

    4. Wolfgang Sofsky, The Order of Terror : The Concentration Camp,
    Princeton University Press, 1997. [Traduit de l'allemand en francais
    par Olivier Mannoni, édtions Calmann-Lévy, 1995 - NdT].

    5. Amir Wiener, Â" Nature, Nurture, and Memory in a Socialist Utopia :
    Delineating the Soviet Socio-Ethnic Body in the Age of Socialism, Â"
    The American Historical Review, Vol. 104, n° 4 (oct. 1999), p. 1121.

    6. Jacques Rossi, The Gulag Handbook : An Encyclopedia Dictionary of
    Soviet Penitentiary Institutions and Terms Related to the Forced Labor
    Camps, traduit du russe en anglais par William A. Burhans, New York
    : Paragon House, 1989, p. 449. [Traduction francaise, Le Manuel du
    Goulag, du russe en francais, par l'A. en collaboration avec Sophie
    Benech et Véronique Patte, Le Cherche Midi Editeur, 1997 - NdT].

    7. Tzvetan Todorov, Facing the Extreme : Moral Life in the
    Concentration Camps, traduit du francais en anglais par Arthur Denner
    et Abigail Pollak, New York : Metropolitan Books, 1996. [Edition
    francaise, Face a l'extrême, Seuil, 1991 - NdT].

    [Anne Applebaum est notamment l'auteure de Gulag. A History of the
    Soviet Camps, Londres : Allen Lane, 2003. L'ouvrage de JoÃ"l Kotek
    et Pierre Rigoulot est paru en anglais, Londres : Orion / Weidenfeld,
    2004. (NdT)].

    ______________

    Source :
    http://www.nybooks.com/articles/archives/2001/oct/18/a-history-of-horror/?pagination=false
    Traduction : © Georges Festa - 06.2012.

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    Source/Lien : Armenian Trends - Mes Arménies


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