Announcement

Collapse
No announcement yet.

Turquie : L'Ingenierie De La Memoire Se Fissure

Collapse
X
 
  • Filter
  • Time
  • Show
Clear All
new posts

  • Turquie : L'Ingenierie De La Memoire Se Fissure

    TURQUIE : L'INGéNIERIE DE LA MéMOIRE SE FISSURE

    http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=64656
    Publié le : 12-06-2012

    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - L'universitaire turc Cengiz
    Aktar a signé le 6 juin 2012 dans le Today's Zaman, média turc
    anglophone proche du pouvoir AKP, un article intitulé de manière
    fort optimiste Â" L'Anatolie guérie de son amnésie Â". Afin de
    relater la cérémonie d'inauguration de la fontaine multi-jets
    très rare, rénovée dans l'ancien village arménien de Havav, il
    rappelle que Le livre de ma grand-mère publié en Turquie en 2004
    et en France en 2006, avait révélé au grand jour l'ascendance
    arménienne de l'auteure et avocate Fethiye Cetin, soulevant, a
    travers toute la Turquie, le voile sur le sort des enfants arméniens,
    rescapés du génocide. L'ouvrage avait ouvert les vannes de ces
    histoires familiales refoulées, et mis en lumière le destin de
    ceux qu'on appelait "les restes de l'épée". Ces jeunes enfants,
    essentiellement des petites filles, avaient été recueillis ou
    kidnappés, et islamisés de force en 1915, au sein de familles turques
    et kurdes. Depuis la parution du livre de Fethiye Cetin, et surtout
    depuis l'assassinat de Hrant Dink, de nombreux citoyens de Turquie
    se sont interrogés sur l'identité réelle de leur grand-mère et
    ont fini par découvrir leur origine, celle honnie du peuple arménien.

    En Turquie, de trop rares femmes et hommes écrivent clairement,
    avec courage et sincérité - et souvent au prix de leur liberté -
    sur la thématique du génocide arménien.

    Politologue courtisé par les médias francais, le professeur Cengiz
    Aktar fait partie des intellectuels turcs qui Å"uvrent pour que la
    Turquie recouvre sa mémoire effacée. Pourtant, il a un positionnement
    assez complexe : depuis fin 2008 et l'initiative louable de la Â"
    pétition d'excuses aux Arméniens Â", il semble s'appliquer a
    imposer une ingénierie des mots et des définitions. Employant la
    terminologie de Â" désastre de 1915 Â", de Â" massacres Â" et de Â"
    Grande Catastrophe Â", il se garde bien d'utiliser le terme de Â"
    génocide Â", le seul pourtant qui ait un sens juridique. Et quand
    il l'utilise, c'est généralement pour insister sur Â" l'effet
    désastreux Â" que l'emploi de ce terme peut avoir sur la démocratie
    en Turquie...

    A l'instar de la République turque qui s'est évertuée depuis des
    décennies a turquifier le nom des villes et des villages arméniens
    pour faire table rase du passé, Aktar entend-t-il rebaptiser les Â"
    évènements de 1915 Â", afin de les parquer dans les limites d'un
    devoir de mémoire politiquement correct ? Ce serait fâcheux car
    il mène, a son niveau, un travail important, comme ce fut le cas
    notamment a Diyarbakir où du 11 au 13 novembre 2011, il a participé
    a un colloque sous l'égide de la Fondation Hrant Dink. De multiples
    universitaires internationaux y étaient intervenus pour explorer
    largement le génocide arménien, son contexte, ses racines, et ses
    conséquences sur le cours de l'histoire, comme le signalait alors
    sur son blog, Guillaume Perrier, correspondant du quotidien Le Monde
    a Istanbul.

    Alors quoi ? L'Article 301 du Code pénal turc, qui rend passible
    de prison la qualification de Â" génocide Â", est-il la cause de
    la frilosité du directeur du Centre pour l'Union européenne a
    l'Université de Bahcesehir ? Rien de moins sÃ"r : sans vouloir
    lui faire un procès d'intention (les démarches turques visant a
    briser le tabou du génocide arménien sont trop précieuses pour
    être critiquées sévèrement), Cengiz Aktar semble surtout avoir
    a cÅ"ur de réécrire l'histoire pour présenter Â" 1915 Â" comme un
    accident regrettable, venu mettre un coup d'arrêt a des siècles de
    cohabitation pacifique et amicale entre les peuples d'Anatolie.

    Un éclairage étonnant pour ceux qui ont peu ou prou une connaissance
    du statut des dhimmis de l'Empire ottoman, soumis a toutes sortes
    de discriminations, de brimades, de viols, de rapts, d'attaques et
    d'impôts arbitraires, y compris celui du sang : la Â" cueillette
    Â" des jeunes enfants chrétiens âgés de 10 a 15 ans, prélevés
    selon le système du devchirmé a partir du XVIe siècle et réduits
    en esclavage pour former le corps militaire des janissaires (élite
    dont les unités combattantes assuraient souvent le rôle de garnisons
    contre leur propre population d'origine dans les provinces reculées
    de l'Empire), est assez révélateur de la véritable nature, au cours
    des siècles, des relations arméno-turques et arméno- kurdes. Des
    relations qu'Aktar décrit en ces termes : Â" Autrefois, en Anatolie,
    les religions, les langues ou les races coexistaient sur les mêmes
    terres et bénéficiaient de l'apport des unes et des autres en
    dépit de leurs différences. Les successeurs ne détruisaient pas,
    mais amélioraient le travail de leurs prédécesseurs Â". Vraiment ?

    Notons que Cengiz Aktar n'écrit pas ici pour un lectorat turc :
    il s'adresse en anglais a des observateurs étrangers. Son parti
    pris - que l'on peut qualifier d'Â" angélique Â" - serait-il de
    prouver aux diplomaties occidentales que Turcs et Arméniens se sont
    réconciliés comme Â" au bon vieux temps Â", qu'ils explorent leur
    passé ensemble en toute amitié, et qu'il n'est donc pas opportun
    de fragiliser cet édifice en Â" imposant de l'extérieur Â" une
    reconnaissance du génocide arménien - ni bien sÃ"r, a fortiori,
    de voter des lois pénalisant sa négation ?

    A moins que cet optimisme ne vise, par ricochet, a rendre caduque
    l'option d'un règlement du conflit du Haut-Karabagh répondant a la
    nécessité vitale du droit a l'auto-détermination des Arméniens
    dans cette enclave placée sous la menace turco-azérie?

    L'intellectuel francophone, diplômé de la Sorbonne, bénéficie d'une
    notoriété réelle en France et au sein des instances européennes
    : il pourrait la mettre a profit pour alerter l'opinion publique
    internationale de la dangerosité du négationnisme de l'Etat turc
    et de son allié azerbaïdjanais.

    Mais peut-on en vouloir a Cengiz Aktar de son choix a minima quand on
    sait que le procès d'un défenseur des droits de l'homme, connu pour
    ses prises de position courageuses, se tiendra le 2 juillet prochain
    devant le tribunal de Silivri ? L'éditeur turc Ragip Zarakolu, qui
    a déja subi de nombreuses peines de prison (dont la dernière du 29
    octobre 2011 au 10 avril 2012), y comparaîtra pour Â" terrorisme Â".

    Pressenti pour le Prix Nobel, Zarakolu, démocrate pacifique épris
    de justice, risque jusqu'a 15 ans de prison pour son soutien aux
    droits des Kurdes. Mais surtout, bien que cela ne soit évidemment
    pas mentionné dans l'acte d'accusation, pour ses publications sur
    le génocide arménien.

    C'est le prix réel qu'il en coÃ"te en Turquie pour amener la société
    a secouer la chape de plomb de l'historiographie officielle. Alors,
    non, malheureusement, l'Anatolie n'est pas encore guérie de son
    amnésie.

    Le Collectif VAN vous livre la traduction de cet article en anglais
    paru sur le site turc anglophone Today's Zaman le 6 juin 2012.

    Today's Zaman

    L'Anatolie guérie de son amnésie

    CENGÄ°Z AKTAR [email protected]

    Mercredi 6 juin 2012

    Â" Ce qui a subsisté des Arméniens après le désastre de 1915, ce
    furent les ruines des maisons incendiées et "les restes de l'épée"
    - on désigne sous ce nom les personnes qui n'ont pas été tuées
    durant les massacres - et que l'on a gardées comme concubines,
    servantes ou les enfants placés dans des familles.

    L'une d'elles était ma grand-mère : Heranus, la fille d'İsquhi
    et d'Hovannes de la famille des Gadarian a Havav... Elle a grandi
    sous le nom de Seher, l'enfant adoptif d'Huseyin OnbaÅ~_ı a
    Cermik, Diyarbakır ; elle s'est mariée, a eu des enfants et des
    petits-enfants. Un jour, elle a raconté a ses petits-enfants son
    histoire déchirante, qu'elle n'avait cessé de se murmurer pendant des
    années. Â" Ceci est le prologue du livre de Fethiye Cetin, Anneannem
    (Le livre de ma grand-mère).

    Suite a la publication de ce livre en 2004, l'une des demandes des
    habitants de Habab (aujourd'hui Ekinözu, et connu sous le nom de
    Havav en arménien) fut que les bâtiments arméniens qui avaient
    subsistés dans le village, soient réparés, en particulier la
    fontaine multi-jets très rare. Â" Dès cet instant, j'ai commencé
    a rêver. Cette fontaine devrait être restaurée et son eau claire
    et délicieuse devait se remettre a couler. Ceci devrait être fait
    pour soulager les âmes de ceux qui ont été brutalement tués,
    ceux qui ont été expulsés de chez eux, ceux qui n'ont jamais pu
    revenir pour boire l'eau de leur fontaine bien-aimée, HeranuÅ~_,
    Mariam, Horen ; ceci devrait être fait, afin que leurs petits-enfants
    puissent boire l'eau que leurs grands-parents n'ont pas pu boire... Â"

    La cérémonie d'inauguration de la fontaine rénovée a Habab a
    eu lieu fin mai a Ekinözu. Des personnes différentes venues de
    l'étranger, des villages alentours et du village lui-même ont bu
    la même eau. Parmi cette foule considérable, se trouvaient les
    nombreux petits-enfants dont Fethiye Cetin avait parlé, originaire
    d'ici ou des pays où ils se sont exilés.

    Dans l'Anatolie rurale, le mot Â" Arménien Â" est généralement
    associé a Â" l'or enterré Â" que les Arméniens auraient soi-disant
    laissé derrière eux. Par conséquent, cette initiative, qui signifie
    "renouveau" ou "rafraîchissement" dans tous les sens du terme,
    n'a pas été une tâche aisée. Mais les problèmes ont été
    surmontés grâce a la détermination de l'équipe, la contribution
    des administrations locales et au fait que la majorité du travail
    a été accompli par les villageois.

    Nous avons visité Harput, qui fut un jour la ville la plus importante
    de la région, et nous nous sommes arrêtés a Palu, ville a laquelle
    Habab était administrativement relié. Les deux districts étaient des
    centres majeurs avant 1915. Autrefois, en Anatolie, les religions,
    les langues ou les races coexistaient sur les mêmes terres et
    bénéficiaient de l'apport des unes et des autres en dépit de leurs
    différences. Les successeurs ne détruisaient pas, mais amélioraient
    le travail de leurs prédécesseurs. Et ceci a perduré jusqu'a ce que
    les discours soient remaniés sur la base du Â" sentiment national. Â"

    Harput/Palu d'un côté et Elazıg/New Palu de l'autre sont de bons
    exemples de ce fait. Ã~@ Harput, tout, sauf les mosquées, a été
    détruit et les pierres ont été réutilisées pour la construction
    de maisons dans la ville sans âme d'Elazıg. La destruction a Palu
    a été accomplie a l'époque d'İsmet İnönu dans les années 1940,
    et une ville impersonnelle de Palu a été construite sur la rive de
    la rivière Murat.

    Contrairement a Harput, le vieux Palu possède encore des vestiges.

    L'un des plus impressionnants est l'ancien pont qui enjambe la rivière
    Murat. Ã~@ chaque fois, que je vois une Å"uvre d'art historique en
    Anatolie orientale, elle est presque toujours due a une dynastie
    turque comme celles des Akkoyunlu, Artuklu, ou Karakoyunlu, etc. On
    ne trouve aucune information sur les cultures chrétiennes antiques
    d'Anatolie, excepté dans les municipalités gérées par le parti
    Paix et Démocratie (BDP). Le pont, également, a subi sa part
    d'ingénierie de la mémoire au début de la République. Son nom
    est le pont Artuklu.

    Malgré son nom, il n'a pas été construit sous la dynastie Artuklu,
    mais a l'époque du roi arménien Tigrane le Grand, qui a régné
    de 95 a 55 av. J.C, et il était situé sur la Route de la Soie. En
    réalité, il n'est fait aucune mention du pont dans les archives
    sérieuses, quelles qu'elles soient, comme étant une Å"uvre de la
    dynastie Artuklu.

    Naturellement, chaque puissance qui a par la suite dominé la région,
    l'a réparé ou amélioré et utilisé comme point de passage
    stratégique.

    Le pont a également une horrible histoire, qui, bien sÃ"r, n'est pas
    énoncée sur la mince plaque d'une fortification. Il était connu
    sous le nom de "Passage sanglant" car les hommes de la région de
    Palu furent décapités a cet endroit lors de la Grande Catastrophe.

    Â" Anneannem Â" a été le premier exemple de preuve vivante de la
    Grande Catastrophe malgré un siècle de négation et d'efforts de
    révisionnisme de la part de l'Ã~Itat. Aujourd'hui, la rénovation
    des Fontaines de Habab signifie la première réapparition publique de
    vestiges arméniens dans des lieux reculés d'Anatolie. Ã~@ Habab, qui
    était un village arménien jusqu'en 1915. et qui est kurde depuis,
    on a parlé arménien en plus du kurde et turc, pour la première
    fois depuis un siècle.

    Ce n'est que récemment que la Turquie a commencé a recouvrer sa
    mémoire effacée. La cérémonie a Habab a été l'un des moments les
    plus intenses pour savoir ce qu'il s'est passé et l'affronter. Telle
    l'eau des Fontaines de Habab, la mémoire ressurgit en Anatolie. Aucun
    acte horrible n'est oublié. La beauté du passé est maintenant
    célébrée. Il y a un dynamisme que même le plus puissant des hommes
    ne peut empêcher. Comme Rakel Dink l'a dit a Habab, citant la Bible :
    Â" Tout ce qui est caché sera découvert, et tout ce qui est secret
    sera connu.

    Â" (NdT :Mt, 10,26)

    ©Traduction de l'anglais C.Gardon pour le Collectif VAN - 12 juin
    2012 - 07:00 - www.collectifvan.org

    Lire aussi :

    Turquie - Les Arméniens islamisés : le silence et la peur

    Ã~Bmes errantes : La mémoire retrouvée des Arméniens cachés
    d'Anatolie

    Les Â"Arméniens cachésÂ", secret de famille, secret d'Etat

    Agenda - Parution du livre "Les restes de l'épée"

    Fethiye Cetin, Â" métisse Â" turco-arménienne

    Retour a la rubrique

    Source/Lien : Today's Zaman

Working...
X