Slate, France
23 juin 2012
Les têtes turques de Hollande
Après cinq années de relations exécrables entre Paris et Ankara,
comment le nouveau Président va-t-il traiter l'épineux et impopulaire
dossier Turquie? Mais surtout, avec qui?
On se méfie, en Turquie, d'un François Hollande qui serait «sous
influence arménienne». Ne s'est-il pas engagé, candidat, à «reprendre»
le dossier de la pénalisation de la négation du génocide arménien?
N'a-t-il pas déclaré que la reconnaissance de ce génocide par l'Etat
turc devait constituer un «critère» supplémentaire de l'adhésion de la
Turquie à l'Union européenne?
Certains Turcs informés pointent du doigt le rôle joué auprès de lui
par Mourad Papazian, son conseiller sur la question arménienne depuis
une quinzaine d'années, et «communicant» de 2009 à 2011. On pouvait
d'ailleurs voir les deux hommes côte à côte, le 24 avril dernier lors
de la commémoration du génocide de 1915, à Paris.
Mourad Papazian est co-président de la Fédération révolutionnaire
arménienne (FRA ou Dachnak) pour l'Europe, qui représente environ la
moitié de la communauté organisée en France. Or pour les Turcs, qui
dit FRA dit Armée révolutionnaire arménienne, sa branche armée,
laquelle a assassiné de nombreux diplomates turcs dans les années 1970
et 1980. Autrement dit, pas de pire ennemi aux yeux de l'Etat turc,
mis à part le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatiste),
avec lequel il accuse d'ailleurs l'armée révolutionnaire arménienne de
s'être alliée.
Mais Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre turc, tient absolument
à ouvrir un nouveau chapitre dans les relations franco-turques. Il a
donc décidé de taire cette méfiance et vient, le 21 juin, de donner
l'ordre de lever les sanctions, décidées il y a quelques mois par la
Turquie à l'égard de la France à la suite du vote de la loi condamnant
la négation du génocide arménien.
Ils attendaient Moscovici, c'est FabiusMéfiance également à l'égard du
nouveau ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. L'élite
pro-européenne turque aurait préféré que le poste soit confié à Pierre
Moscovici, qui s'est plusieurs fois prononcé en faveur de l'adhésion
turque à l'Union européenne. Pierre Moscovici est toujours, si l'on en
croit le site en ligne, membre du comité scientifique de l'Institut du
Bosphore. Cet espace de rencontre et de débat entre personnalités
turques et françaises, financé par le patronat turc, se veut «l'acteur
incontournable du rapprochement France - Turquie» alors que les
relations bilatérales étaient devenues exécrables sous Nicolas
Sarkozy. Il a tenu sa première réunion en 2009 à Istanbul. A son
retour, Pierre Moscovici évoque ses «Impressions turques» sur son
blog. Il décrit ces «transformations économiques, sociales, visibles à
l'oeil nu et qui témoignent de l'entrée de la Turquie dans la
modernité».
Depuis quelques mois cependant, celui qui dirige désormais le
ministère de l'Economie paraît un brin moins «turco-enthousiaste». Et
puis, le 22 décembre 2011, il a suivi son parti et voté la loi
pénalisant la négation du génocide arménien malgré l'important
lobbying de ses collègues de l'Institut du Bosphore opposés à cette
loi.
Même vote de la part du député Laurent Fabius. Dans Le Monde du 29
mai, le nouveau ministre des Affaires étrangères rappelle cependant
qu'il «faudra tenir compte» de la décision du Conseil constitutionnel
(qui a retoqué la loi pénalisant la négation du génocide en février
2012). Et mentionne l'importance de «renouer les fils avec la Turquie
qui joue un rôle majeur, aux plans économique et diplomatique, par
exemple sur les questions syrienne et iranienne».
Le nouveau chef du Quai d'Orsay ne dit rien au Monde en revanche sur
la manière dont il conçoit la poursuite des négociations d'adhésion
avec la Turquie. Or durant sa campagne pour le «non» au référendum sur
la constitution européenne en 2005, l'ancien Premier ministre de
François Mitterrand (tout comme son bras droit, l'actuel ministre des
Affaires européennes, Bernard Cazeneuve) avait nettement exprimé son
opposition à l'adhésion de la Turquie. Dans l'interview qu'il
accordait en novembre 2004 aux Nouvelles d'Arménie, Laurent Fabius se
prononçait pour un «partenariat privilégié» et contre l'ouverture des
négociations d'adhésion avec Ankara (lesquelles seront pourtant votées
le mois suivant et débuteront en octobre 2005) car, disait-il,
«l'expérience historique montre que, lorsqu'on commence une
négociation dont l'objet est l'adhésion, cela se termine toujours par
un oui».
Ça ne peut pas être pire qu'avec SarkozyMalgré ces deux fortes
réserves concernant Mourad Papazian et Laurent Fabius, le gouvernement
turc (qui suspectait l'ancien président de la République française
d'avoir instrumentalisé le rejet de la Turquie à des fins de politique
intérieure) veut donc faire bon accueil à François Hollande: «De toute
façon, ça ne peut pas être pire qu'avec Nicolas Sarkozy!», entend-on
régulièrement en Turquie. Ce dernier étant tenu responsable du «coma
avancé» (selon l'expression de l'analyste turc Soli Özel) dans lequel
se trouvent les négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union
européenne.
Une ligne «dure» dont Ankara a parfois pris prétexte. L'universitaire
Beril Dedeoglu explique:
«Sarkozy a conforté l'immobilisme de notre gouvernement. Si le
processus était allé de l'avant, le gouvernement aurait été contraint
de procéder à de nombreuses réformes: en faveur des Kurdes et des
Alévis (minorité musulmane non sunnite). Il lui aurait aussi fallu
modifier ses positions à l'égard d'Israël et de l'Arménie. Le statu
quo avec l'UE autorise des positions plus extrêmes qui vont dans le
sens de la réorientation diplomatique de la Turquie vers l'est.»
«N'oublions pas que c'est M. Erdogan (le Premier ministre turc, NDLR)
qui a essuyé le plus d'humiliation de la part de la France et de l'UE,
ajoute la professeure Fusun Türkmen. Les dégts identitaires sont si
énormes qu'il faudra du temps pour réparer.»
«S'il entend panser ces plaies, (le nouveau président de la République
française) va avoir beaucoup de travail», annonce le chroniqueur
Cengiz Aktar. Durant la campagne électorale, François Hollande n'a
abordé le sujet turc que lorsqu'il y était contraint. Le 17 mars
dernier, il tient une grande réunion au Cirque d'Hiver pour préciser
ses positions sur l'Europe mais ne dit mot de... la Turquie.
Et il ne prend aucun risque lorsqu'il déclare dans l'émission «Des
paroles et des actes» sur France2 le 11 avril, qu'il n'y aura pas
d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne lors du prochain mandat
présidentiel: «Aujourd'hui, il y a un processus de négociation qui est
en cours depuis d'ailleurs des années» mais «aucune condition majeure
n'est réunie, et donc, dans le prochain quinquennat, il n'y aura pas
d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne», explique-t-il. Cette
position qui peut surprendre, vue de France, constitue presqu'une
évidence sur les rives du Bosphore. Voilà déjà plusieurs années que
certains cercles économiques et diplomatiques turcs ont réalisé qu'il
faudrait attendre le budget 2021-2027 avant que l'Union européenne
attribue des fonds structurels et de cohésion à la Turquie.
Les deux mousquetairesLe dossier Turquie sera-t-il géré de l'Elysée,
comme précédemment? Cela n'est pas exclu. Mais François Hollande n'a
officiellement jamais visité la Turquie, à la différence de son
ex-compagne Ségolène Royal, qui s'y était rendue en 1994 pour soutenir
la députée d'origine kurde Leyla Zana durant son procès. Peu au fait
des réalités du terrain, le nouvel occupant de l'Elysée ne négligera
sans doute pas l'avis de deux de ses «trois mousquetaires
historiques», par ailleurs bons connaisseurs et partisans de la
candidature turque à l'Union européenne.
Le premier s'appelle Jean-Maurice Ripert. Entré au PSU à l'ge de 15
ans, camarade de promotion à l'ENA, il est tout à la fois l'ami et le
camarade politique des débuts, selon Paris Match qui consacre un
portrait aux amis du jeune François Hollande. Fin diplomate, jusqu'à
récemment plutôt attaché au Quai d'Orsay qu'à l'Union européenne,
Jean-Maurice Ripert est nommé au poste de chef de la délégation de
l'Union européenne en Turquie en août 2011.
A peine François Hollande élu le 6 mai, l'ami Ripert s'envole pour
Paris. En Turquie, la rumeur le voit nommé conseiller diplomatique de
François Hollande, en remplacement de Jean-David Levitte. Deux jours
après l'investiture présidentielle de son ami, il est pourtant de
retour à Ankara au côté du Commissaire européen pour l'élargissement,
Stefan Füle, afin de donner un nouvel élan aux négociations
d'adhésion.
Les deux hommes lancent l'«agenda positif», une initiative où il
«s'agit de discuter de tous les points qui peuvent être ouverts à
négociation, sans vraiment négocier», explique-t-on à Bruxelles. Dans
cette perspective, la Commission européenne veut mettre l'accent sur
les «droits de l'Homme et le fonctionnement de la justice» ainsi que
dans les domaines où elle possède une compétence exclusive, sans avoir
besoin de l'accord des 27. L'«agenda positif» attendait le feu vert
français depuis l'automne 2011.
«Le fait que Jean-Maurice Ripert soit (pour l'instant) maintenu en
poste à Ankara peut être interprété comme un signe de la part de
François Hollande. En maintenant son ami et homme de confiance en
Turquie, il semble nous dire qu'il accorde de l'importance à ce
dossier délicat», suggère le Turc Sinan Ulgen, directeur du
think-thank Edam. «Une question reste de savoir si le nouveau pouvoir
politique français peut lever le veto imposé par Nicolas Sarkozy sur
cinq chapitres de négociation et quand», s'interroge un haut
fonctionnaire européen. «Droit-de-l'hommiste», Jean-Maurice Ripert
vient, en accord avec Bruxelles, de condamner, sans le citer, le
Premier ministre turc pour ses propos contre l'avortement.
Egalement «en ligne directe» avec le Président, le second «pro-Turc»
de François Hollande est aussi un camarade du temps de la promotion
Voltaire à l'ENA et de l'école des officiers de Coëtquidan. Actuel
patron de l'Autorité des marchés financiers, Jean-Pierre Jouyet a été
membre du cabinet du Président Delors à la Commission européenne. Il
fut secrétaire d'Etat aux affaires européennes entre 2007 et 2008 sous
Nicolas Sarkozy. Il n'a jamais fait mystère de ses positions en faveur
de l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne.
Cet ami de longue date qui devrait être appelé à exercer de nouvelles
fonctions importantes constitue un canal privilégié d'accès à François
Hollande qu'il peut conseiller sur le dossier turc, ainsi que l'a bien
compris l'économiste turc et haut fonctionnaire international Kemal
Dervis. En visite à Paris le 16 mars, ce dernier a exposé à
Jean-Pierre Jouyet sa dernière idée: «intégrer graduellement» la
Turquie à l'Union européenne, c'est-à-dire donner aux Turcs plus de
place dans certaines institutions européennes, au fur et à mesure de
l'avancement des dossiers, sans attendre la fin du processus de
négociation.
Car Kemal Dervis pense qu'il est urgent que les négociations entre la
Turquie et l'Union européenne sortent de l'impasse actuelle.
Jean-Pierre Jouyet en est depuis longtemps convaincu. François
Hollande écoute.
Ariane Bonzon
http://www.slate.fr/story/58263/hollande-turquie
23 juin 2012
Les têtes turques de Hollande
Après cinq années de relations exécrables entre Paris et Ankara,
comment le nouveau Président va-t-il traiter l'épineux et impopulaire
dossier Turquie? Mais surtout, avec qui?
On se méfie, en Turquie, d'un François Hollande qui serait «sous
influence arménienne». Ne s'est-il pas engagé, candidat, à «reprendre»
le dossier de la pénalisation de la négation du génocide arménien?
N'a-t-il pas déclaré que la reconnaissance de ce génocide par l'Etat
turc devait constituer un «critère» supplémentaire de l'adhésion de la
Turquie à l'Union européenne?
Certains Turcs informés pointent du doigt le rôle joué auprès de lui
par Mourad Papazian, son conseiller sur la question arménienne depuis
une quinzaine d'années, et «communicant» de 2009 à 2011. On pouvait
d'ailleurs voir les deux hommes côte à côte, le 24 avril dernier lors
de la commémoration du génocide de 1915, à Paris.
Mourad Papazian est co-président de la Fédération révolutionnaire
arménienne (FRA ou Dachnak) pour l'Europe, qui représente environ la
moitié de la communauté organisée en France. Or pour les Turcs, qui
dit FRA dit Armée révolutionnaire arménienne, sa branche armée,
laquelle a assassiné de nombreux diplomates turcs dans les années 1970
et 1980. Autrement dit, pas de pire ennemi aux yeux de l'Etat turc,
mis à part le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatiste),
avec lequel il accuse d'ailleurs l'armée révolutionnaire arménienne de
s'être alliée.
Mais Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre turc, tient absolument
à ouvrir un nouveau chapitre dans les relations franco-turques. Il a
donc décidé de taire cette méfiance et vient, le 21 juin, de donner
l'ordre de lever les sanctions, décidées il y a quelques mois par la
Turquie à l'égard de la France à la suite du vote de la loi condamnant
la négation du génocide arménien.
Ils attendaient Moscovici, c'est FabiusMéfiance également à l'égard du
nouveau ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. L'élite
pro-européenne turque aurait préféré que le poste soit confié à Pierre
Moscovici, qui s'est plusieurs fois prononcé en faveur de l'adhésion
turque à l'Union européenne. Pierre Moscovici est toujours, si l'on en
croit le site en ligne, membre du comité scientifique de l'Institut du
Bosphore. Cet espace de rencontre et de débat entre personnalités
turques et françaises, financé par le patronat turc, se veut «l'acteur
incontournable du rapprochement France - Turquie» alors que les
relations bilatérales étaient devenues exécrables sous Nicolas
Sarkozy. Il a tenu sa première réunion en 2009 à Istanbul. A son
retour, Pierre Moscovici évoque ses «Impressions turques» sur son
blog. Il décrit ces «transformations économiques, sociales, visibles à
l'oeil nu et qui témoignent de l'entrée de la Turquie dans la
modernité».
Depuis quelques mois cependant, celui qui dirige désormais le
ministère de l'Economie paraît un brin moins «turco-enthousiaste». Et
puis, le 22 décembre 2011, il a suivi son parti et voté la loi
pénalisant la négation du génocide arménien malgré l'important
lobbying de ses collègues de l'Institut du Bosphore opposés à cette
loi.
Même vote de la part du député Laurent Fabius. Dans Le Monde du 29
mai, le nouveau ministre des Affaires étrangères rappelle cependant
qu'il «faudra tenir compte» de la décision du Conseil constitutionnel
(qui a retoqué la loi pénalisant la négation du génocide en février
2012). Et mentionne l'importance de «renouer les fils avec la Turquie
qui joue un rôle majeur, aux plans économique et diplomatique, par
exemple sur les questions syrienne et iranienne».
Le nouveau chef du Quai d'Orsay ne dit rien au Monde en revanche sur
la manière dont il conçoit la poursuite des négociations d'adhésion
avec la Turquie. Or durant sa campagne pour le «non» au référendum sur
la constitution européenne en 2005, l'ancien Premier ministre de
François Mitterrand (tout comme son bras droit, l'actuel ministre des
Affaires européennes, Bernard Cazeneuve) avait nettement exprimé son
opposition à l'adhésion de la Turquie. Dans l'interview qu'il
accordait en novembre 2004 aux Nouvelles d'Arménie, Laurent Fabius se
prononçait pour un «partenariat privilégié» et contre l'ouverture des
négociations d'adhésion avec Ankara (lesquelles seront pourtant votées
le mois suivant et débuteront en octobre 2005) car, disait-il,
«l'expérience historique montre que, lorsqu'on commence une
négociation dont l'objet est l'adhésion, cela se termine toujours par
un oui».
Ça ne peut pas être pire qu'avec SarkozyMalgré ces deux fortes
réserves concernant Mourad Papazian et Laurent Fabius, le gouvernement
turc (qui suspectait l'ancien président de la République française
d'avoir instrumentalisé le rejet de la Turquie à des fins de politique
intérieure) veut donc faire bon accueil à François Hollande: «De toute
façon, ça ne peut pas être pire qu'avec Nicolas Sarkozy!», entend-on
régulièrement en Turquie. Ce dernier étant tenu responsable du «coma
avancé» (selon l'expression de l'analyste turc Soli Özel) dans lequel
se trouvent les négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union
européenne.
Une ligne «dure» dont Ankara a parfois pris prétexte. L'universitaire
Beril Dedeoglu explique:
«Sarkozy a conforté l'immobilisme de notre gouvernement. Si le
processus était allé de l'avant, le gouvernement aurait été contraint
de procéder à de nombreuses réformes: en faveur des Kurdes et des
Alévis (minorité musulmane non sunnite). Il lui aurait aussi fallu
modifier ses positions à l'égard d'Israël et de l'Arménie. Le statu
quo avec l'UE autorise des positions plus extrêmes qui vont dans le
sens de la réorientation diplomatique de la Turquie vers l'est.»
«N'oublions pas que c'est M. Erdogan (le Premier ministre turc, NDLR)
qui a essuyé le plus d'humiliation de la part de la France et de l'UE,
ajoute la professeure Fusun Türkmen. Les dégts identitaires sont si
énormes qu'il faudra du temps pour réparer.»
«S'il entend panser ces plaies, (le nouveau président de la République
française) va avoir beaucoup de travail», annonce le chroniqueur
Cengiz Aktar. Durant la campagne électorale, François Hollande n'a
abordé le sujet turc que lorsqu'il y était contraint. Le 17 mars
dernier, il tient une grande réunion au Cirque d'Hiver pour préciser
ses positions sur l'Europe mais ne dit mot de... la Turquie.
Et il ne prend aucun risque lorsqu'il déclare dans l'émission «Des
paroles et des actes» sur France2 le 11 avril, qu'il n'y aura pas
d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne lors du prochain mandat
présidentiel: «Aujourd'hui, il y a un processus de négociation qui est
en cours depuis d'ailleurs des années» mais «aucune condition majeure
n'est réunie, et donc, dans le prochain quinquennat, il n'y aura pas
d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne», explique-t-il. Cette
position qui peut surprendre, vue de France, constitue presqu'une
évidence sur les rives du Bosphore. Voilà déjà plusieurs années que
certains cercles économiques et diplomatiques turcs ont réalisé qu'il
faudrait attendre le budget 2021-2027 avant que l'Union européenne
attribue des fonds structurels et de cohésion à la Turquie.
Les deux mousquetairesLe dossier Turquie sera-t-il géré de l'Elysée,
comme précédemment? Cela n'est pas exclu. Mais François Hollande n'a
officiellement jamais visité la Turquie, à la différence de son
ex-compagne Ségolène Royal, qui s'y était rendue en 1994 pour soutenir
la députée d'origine kurde Leyla Zana durant son procès. Peu au fait
des réalités du terrain, le nouvel occupant de l'Elysée ne négligera
sans doute pas l'avis de deux de ses «trois mousquetaires
historiques», par ailleurs bons connaisseurs et partisans de la
candidature turque à l'Union européenne.
Le premier s'appelle Jean-Maurice Ripert. Entré au PSU à l'ge de 15
ans, camarade de promotion à l'ENA, il est tout à la fois l'ami et le
camarade politique des débuts, selon Paris Match qui consacre un
portrait aux amis du jeune François Hollande. Fin diplomate, jusqu'à
récemment plutôt attaché au Quai d'Orsay qu'à l'Union européenne,
Jean-Maurice Ripert est nommé au poste de chef de la délégation de
l'Union européenne en Turquie en août 2011.
A peine François Hollande élu le 6 mai, l'ami Ripert s'envole pour
Paris. En Turquie, la rumeur le voit nommé conseiller diplomatique de
François Hollande, en remplacement de Jean-David Levitte. Deux jours
après l'investiture présidentielle de son ami, il est pourtant de
retour à Ankara au côté du Commissaire européen pour l'élargissement,
Stefan Füle, afin de donner un nouvel élan aux négociations
d'adhésion.
Les deux hommes lancent l'«agenda positif», une initiative où il
«s'agit de discuter de tous les points qui peuvent être ouverts à
négociation, sans vraiment négocier», explique-t-on à Bruxelles. Dans
cette perspective, la Commission européenne veut mettre l'accent sur
les «droits de l'Homme et le fonctionnement de la justice» ainsi que
dans les domaines où elle possède une compétence exclusive, sans avoir
besoin de l'accord des 27. L'«agenda positif» attendait le feu vert
français depuis l'automne 2011.
«Le fait que Jean-Maurice Ripert soit (pour l'instant) maintenu en
poste à Ankara peut être interprété comme un signe de la part de
François Hollande. En maintenant son ami et homme de confiance en
Turquie, il semble nous dire qu'il accorde de l'importance à ce
dossier délicat», suggère le Turc Sinan Ulgen, directeur du
think-thank Edam. «Une question reste de savoir si le nouveau pouvoir
politique français peut lever le veto imposé par Nicolas Sarkozy sur
cinq chapitres de négociation et quand», s'interroge un haut
fonctionnaire européen. «Droit-de-l'hommiste», Jean-Maurice Ripert
vient, en accord avec Bruxelles, de condamner, sans le citer, le
Premier ministre turc pour ses propos contre l'avortement.
Egalement «en ligne directe» avec le Président, le second «pro-Turc»
de François Hollande est aussi un camarade du temps de la promotion
Voltaire à l'ENA et de l'école des officiers de Coëtquidan. Actuel
patron de l'Autorité des marchés financiers, Jean-Pierre Jouyet a été
membre du cabinet du Président Delors à la Commission européenne. Il
fut secrétaire d'Etat aux affaires européennes entre 2007 et 2008 sous
Nicolas Sarkozy. Il n'a jamais fait mystère de ses positions en faveur
de l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne.
Cet ami de longue date qui devrait être appelé à exercer de nouvelles
fonctions importantes constitue un canal privilégié d'accès à François
Hollande qu'il peut conseiller sur le dossier turc, ainsi que l'a bien
compris l'économiste turc et haut fonctionnaire international Kemal
Dervis. En visite à Paris le 16 mars, ce dernier a exposé à
Jean-Pierre Jouyet sa dernière idée: «intégrer graduellement» la
Turquie à l'Union européenne, c'est-à-dire donner aux Turcs plus de
place dans certaines institutions européennes, au fur et à mesure de
l'avancement des dossiers, sans attendre la fin du processus de
négociation.
Car Kemal Dervis pense qu'il est urgent que les négociations entre la
Turquie et l'Union européenne sortent de l'impasse actuelle.
Jean-Pierre Jouyet en est depuis longtemps convaincu. François
Hollande écoute.
Ariane Bonzon
http://www.slate.fr/story/58263/hollande-turquie