GUEVORGUIAN: "LE HAUT-KARABAGH N'ASPIRE QU'A LA PAIX ET A LA SECURITE"
LAURENT LEYLEKIAN
Membre de l'Observatoire armenien
RECEVEZ LES INFOS DE Laurent Leylekian
http://eurotopie.leylekian.eu/2012/06/hovhannes-guevorguian-le-haut-karabagh.html
Publication: 27/06/2012 06:00
Reagir
Hovhannès Guevorguian a 38 ans et vit depuis neuf ans a Paris.
Parfaitement francophone et profondement francophile, ce jeune
diplomate souriant represente un Etat non reconnu -le Haut-Karabagh,
et tente de faire connaître son peuple et sa cause aux dirigeants
francais. Rencontre sur le vif autour d'un cafe.
Pouvez-vous nous presenter le Haut-Karabagh en quelques mots?
Le Haut-Karabagh est un Etat du Caucase meridional. C'est un territoire
un peu plus grand que le Kosovo avec 11.000 km2 et peuple comme deux
fois Andorre avec 150.000 habitants. En 1991, les Karabaghiotes se sont
separes de l'URSS pour constituer une republique independante. Celle-ci
n'est cependant pas encore reconnue sur le plan international en
depit du fait que nous avons su bâtir des institutions d'Etat plus
democratiques et performantes que celles des pays alentours. Le
Karabagh vit aujourd'hui d'agriculture et d'exploitation minière. Il
s'ouvre egalement au tourisme culturel grâce a son antique patrimoine
architectural chretien mais des obstacles subsistent a son essor
economique...
2012-06-26-7421855174_7dd4e25619_b.jpg
Que voulez-vous dire?
Comme je vous l'ai dit, mon pays n'est pas encore reconnu et
l'Azerbaïdjan voisin empeche la normalisation de la situation.
Lorsque nous avons declare notre independance en 1991, cela a provoque
une reaction violente assortie de pogroms de la part de l'Azerbaïdjan
sous la coupe duquel Staline nous avait places en 1921 - juste après la
sovietisation - afin de creer des frontières artificielles pour mieux
asseoir son pouvoir. En 1991, La resurgence des massacres d'Armeniens
et de Karabaghiotes par le pouvoir azerbaidjanais a conduit a une
guerre de decolonisation que nous avons gagnee en 1994. Depuis, les
negociations sont dans l'impasse et le cessez-le-feu sur le terrain
devient instable.
Pourquoi?
(Sourires...) Et bien...comme vous le savez - ca a ete souligne a
de nombreuses reprises lors du concours de l'Eurovision qui s'est
tenu a Bakou - l'Azerbaïdjan est l'un des pires Etats qui soit en
matière de democratie et de respect des Droits de l'Homme. Divers
rapports recents ont egalement pointe les detournements colossaux
des petrodollars azeris par la famille regnante et sa pratique de
corruption de responsables politiques europeens. Pour le regime Aliev,
maintenir une rhetorique et des actions belliqueuses et expansionnistes
sur le Karabagh permet de detourner l'attention de la population
azerie sur les enormes privations de liberte et sur la spoliation
qu'elle subit. Que l'on regarde des indicateurs comme l'indice de
developpement humain, le classement de Reporters sans frontières ou
celui de Tranparency International, l'Azerbaïdjan apparaît partout
comme un pays pauvre et corrompu en depit de l'enorme rente petrolière
qui se deverse dans les caisses du regime.
Savez-vous que le film de Sacha Baron Cohen, le Dictateur, a
ete interdit en Azerbaïdjan - on comprend pourquoi; finalement,
l'independance de notre pays peut etre vue comme un processus
d'emancipation vis-a-vis d'un système dictatorial. Nous esperons
que les minorites d'Azerbaïdjan - comme les Taliches - et les Azeris
eux-memes vivront un jour une transition democratique similaire.
Cependant, la manne petrolière et gazière qui permet au clan Aliev
d'asseoir son pouvoir est en train de se tarir - la production sature
deja - et le regime peut avoir la dangereuse tentation de recourir
au conflit arme tant qu'il en a encore les moyens.
2012-06-26-mariagegandzassar.jpg Un mariage a Gandzassar -
Haut-Karabagh
La communaute internationale aide-t-elle a la resolution du conflit?
Theoriquement oui, en pratique pas tant que ca: l'OSCE a mis en place
un groupe dit de Minsk - France, Etats-Unis, Russie - en charge d'aider
les parties prenantes a la resolution du conflit. Mais l'Azerbaïdjan
refuse de nous reconnaître ou meme de dialoguer avec nous car il
prefère presenter le conflit comme relevant d'un differend territorial
entre deux Etats reconnus plutôt que comme une lutte de liberation
d'une population asservie. Resultat: les negociations ont lieu avec
l'Armenie voisine ce qui est inapproprie et inefficace. D'ailleurs,
depuis 18 ans, ces negociations ne donnent rien, en partie parce que
nous ne sommes pas impliques, en partie parce que les negociateurs
azeris, une fois rentres a Bakou, refusent en bloc toutes les
bases de negociation qu'ils peuvent eventuellement accepter lors des
rencontres. Ainsi, en juin 2011, une enième rencontre a eu lieu a Kazan
(Russie) entre les presidents russe, armenien et azerbaïdjanais. Alors
que tout le monde s'attendait a une validation des principes arretes
a Madrid en 2007, Ilham Aliev lui-meme a saborde l'accord-cadre avec
des demandes de dernière minute.
La communaute internationale sait bien qu'il n'y a pas de volonte
de paix de la part des leaders azeris mais evite de le pointer. On
remplace une objectivite sur les faits par une impartialite dans les
discours. C'est la meme chose avec les tireurs d'elite embusques
sur la ligne de front: Nos concitoyens - les agriculteurs par
exemple - travaillent la peur au ventre en raison des dizaines de
meurtres annuellement dus aux snipers azeris. Mais, sous pretexte
d'impartialite, les puissances condamnent indistinctement les
"violations du cessez-le-feu" sans jamais nommer l'agresseur.
Mais alors qu'attendez-vous de la communaute internationale?
Priorite a la paix, a la securite et a la democratie. Les peuples -
tous les peuples - ont besoins de paix, de securite et de democratie.
C'est vrai au Karabagh et en Azerbaïdjan comme en Syrie et en Lybie.
On ne peut pas denoncer Ben Ali et soutenir Ben Aliev (sourires). Les
Karabaghiotes veulent vivre en paix, dans un pays sûr et où leur
existence et leur choix sont pris en compte ce qui ne peut etre garanti
par l'Azerbaïdjan, un Etat qui n'est non seulement pas democratique
mais qui se distingue en plus par des politiques de discrimination
ethnique.
Nous sommes convaincus que la communaute internationale seraient plus
credible et plus ecoutee si, d'une part elle ne transigeait pas sur
ses propres principes et si, d'autre part, elle ne pratiquait pas un
double discours. Je prends un exemple: nous avons bâti un Etat de
droit caracterise par des elections presidentielles, legislatives
et municipales. Or, non seulement la communaute internationale
ne reconnaît pas ces instances mais elles condamnent les elections
associees pour complaire a l'Etat petrolifère voisin. Ce faisant, elle
bafoue ses principes generaux - ceux de la Charte des Nations unies -
mais aussi les mecanismes qu'elle a elle-meme mis en place pour la
resolution du conflit; puisque en creant le Groupe de Minsk en 1992,
le Conseil d'Helsinki stipulait que ce groupe rassemblerait onze Etats
(l'Armenie, l'Azerbaïdjan, la Russie, la Turquie, la Tchecoslovaquie,
l'Allemagne, la Suède, la Bielorussie, la France, l'Italie et
les Etats-Unis) mais aussi "des representants elus, ou autres,
du Haut-Karabagh". Est-ce a dire que la communaute internationale
prefère des representants non elus ou elus a l'issue d'un simulacre
d'election comme en Azerbaïdjan? (rires)!
Un dernier exemple: la Commission europeenne octroie des fonds
destines a la reconstruction et au developpement de l'Abkhazie et de
l'Ossetie du Sud, deux regions independantistes de la Georgie mais
pas au Haut-Karabagh. Veut-on nous faire croire que la Commission
europeenne saurait resister a la Russie qui soutient ces Etats et
non pas a l'Azerbaïdjan? Je ne le crois pas et je ferais mienne la
position du Conseil Europeen pour les Relations Exterieures selon
lequel il est temps de mettre un terme a l'idee infondee que nous
n'aurions pas de levier sur l'Azerbaïdjan.
Comment voyez-vous l'avenir?
Je suis malgre tout confiant parce que nous avons desormais une
generation entière de jeune gens qui ont grandi dans un Etat où
ils sont pleinement citoyens et parce qu'en depit des menaces de
represailles de l'Azerbaïdjan, un nombre croissant de responsables
internationaux font le voyage du Karabagh. Des partenariats se
creent et donnent naissance a des projets de developpement sociaux
et economiques. Et puis, en Azerbaïdjan meme, ca n'interesse pas les
jeunes de mourir pour le lointain Karabagh. Une fois la propagande
du système Aliev denoncee, et l'Eurovision y a en partie contribue,
je suis certains que nous trouverons les voies du dialogue et de la
reconciliation avec les Azeris.
From: A. Papazian
LAURENT LEYLEKIAN
Membre de l'Observatoire armenien
RECEVEZ LES INFOS DE Laurent Leylekian
http://eurotopie.leylekian.eu/2012/06/hovhannes-guevorguian-le-haut-karabagh.html
Publication: 27/06/2012 06:00
Reagir
Hovhannès Guevorguian a 38 ans et vit depuis neuf ans a Paris.
Parfaitement francophone et profondement francophile, ce jeune
diplomate souriant represente un Etat non reconnu -le Haut-Karabagh,
et tente de faire connaître son peuple et sa cause aux dirigeants
francais. Rencontre sur le vif autour d'un cafe.
Pouvez-vous nous presenter le Haut-Karabagh en quelques mots?
Le Haut-Karabagh est un Etat du Caucase meridional. C'est un territoire
un peu plus grand que le Kosovo avec 11.000 km2 et peuple comme deux
fois Andorre avec 150.000 habitants. En 1991, les Karabaghiotes se sont
separes de l'URSS pour constituer une republique independante. Celle-ci
n'est cependant pas encore reconnue sur le plan international en
depit du fait que nous avons su bâtir des institutions d'Etat plus
democratiques et performantes que celles des pays alentours. Le
Karabagh vit aujourd'hui d'agriculture et d'exploitation minière. Il
s'ouvre egalement au tourisme culturel grâce a son antique patrimoine
architectural chretien mais des obstacles subsistent a son essor
economique...
2012-06-26-7421855174_7dd4e25619_b.jpg
Que voulez-vous dire?
Comme je vous l'ai dit, mon pays n'est pas encore reconnu et
l'Azerbaïdjan voisin empeche la normalisation de la situation.
Lorsque nous avons declare notre independance en 1991, cela a provoque
une reaction violente assortie de pogroms de la part de l'Azerbaïdjan
sous la coupe duquel Staline nous avait places en 1921 - juste après la
sovietisation - afin de creer des frontières artificielles pour mieux
asseoir son pouvoir. En 1991, La resurgence des massacres d'Armeniens
et de Karabaghiotes par le pouvoir azerbaidjanais a conduit a une
guerre de decolonisation que nous avons gagnee en 1994. Depuis, les
negociations sont dans l'impasse et le cessez-le-feu sur le terrain
devient instable.
Pourquoi?
(Sourires...) Et bien...comme vous le savez - ca a ete souligne a
de nombreuses reprises lors du concours de l'Eurovision qui s'est
tenu a Bakou - l'Azerbaïdjan est l'un des pires Etats qui soit en
matière de democratie et de respect des Droits de l'Homme. Divers
rapports recents ont egalement pointe les detournements colossaux
des petrodollars azeris par la famille regnante et sa pratique de
corruption de responsables politiques europeens. Pour le regime Aliev,
maintenir une rhetorique et des actions belliqueuses et expansionnistes
sur le Karabagh permet de detourner l'attention de la population
azerie sur les enormes privations de liberte et sur la spoliation
qu'elle subit. Que l'on regarde des indicateurs comme l'indice de
developpement humain, le classement de Reporters sans frontières ou
celui de Tranparency International, l'Azerbaïdjan apparaît partout
comme un pays pauvre et corrompu en depit de l'enorme rente petrolière
qui se deverse dans les caisses du regime.
Savez-vous que le film de Sacha Baron Cohen, le Dictateur, a
ete interdit en Azerbaïdjan - on comprend pourquoi; finalement,
l'independance de notre pays peut etre vue comme un processus
d'emancipation vis-a-vis d'un système dictatorial. Nous esperons
que les minorites d'Azerbaïdjan - comme les Taliches - et les Azeris
eux-memes vivront un jour une transition democratique similaire.
Cependant, la manne petrolière et gazière qui permet au clan Aliev
d'asseoir son pouvoir est en train de se tarir - la production sature
deja - et le regime peut avoir la dangereuse tentation de recourir
au conflit arme tant qu'il en a encore les moyens.
2012-06-26-mariagegandzassar.jpg Un mariage a Gandzassar -
Haut-Karabagh
La communaute internationale aide-t-elle a la resolution du conflit?
Theoriquement oui, en pratique pas tant que ca: l'OSCE a mis en place
un groupe dit de Minsk - France, Etats-Unis, Russie - en charge d'aider
les parties prenantes a la resolution du conflit. Mais l'Azerbaïdjan
refuse de nous reconnaître ou meme de dialoguer avec nous car il
prefère presenter le conflit comme relevant d'un differend territorial
entre deux Etats reconnus plutôt que comme une lutte de liberation
d'une population asservie. Resultat: les negociations ont lieu avec
l'Armenie voisine ce qui est inapproprie et inefficace. D'ailleurs,
depuis 18 ans, ces negociations ne donnent rien, en partie parce que
nous ne sommes pas impliques, en partie parce que les negociateurs
azeris, une fois rentres a Bakou, refusent en bloc toutes les
bases de negociation qu'ils peuvent eventuellement accepter lors des
rencontres. Ainsi, en juin 2011, une enième rencontre a eu lieu a Kazan
(Russie) entre les presidents russe, armenien et azerbaïdjanais. Alors
que tout le monde s'attendait a une validation des principes arretes
a Madrid en 2007, Ilham Aliev lui-meme a saborde l'accord-cadre avec
des demandes de dernière minute.
La communaute internationale sait bien qu'il n'y a pas de volonte
de paix de la part des leaders azeris mais evite de le pointer. On
remplace une objectivite sur les faits par une impartialite dans les
discours. C'est la meme chose avec les tireurs d'elite embusques
sur la ligne de front: Nos concitoyens - les agriculteurs par
exemple - travaillent la peur au ventre en raison des dizaines de
meurtres annuellement dus aux snipers azeris. Mais, sous pretexte
d'impartialite, les puissances condamnent indistinctement les
"violations du cessez-le-feu" sans jamais nommer l'agresseur.
Mais alors qu'attendez-vous de la communaute internationale?
Priorite a la paix, a la securite et a la democratie. Les peuples -
tous les peuples - ont besoins de paix, de securite et de democratie.
C'est vrai au Karabagh et en Azerbaïdjan comme en Syrie et en Lybie.
On ne peut pas denoncer Ben Ali et soutenir Ben Aliev (sourires). Les
Karabaghiotes veulent vivre en paix, dans un pays sûr et où leur
existence et leur choix sont pris en compte ce qui ne peut etre garanti
par l'Azerbaïdjan, un Etat qui n'est non seulement pas democratique
mais qui se distingue en plus par des politiques de discrimination
ethnique.
Nous sommes convaincus que la communaute internationale seraient plus
credible et plus ecoutee si, d'une part elle ne transigeait pas sur
ses propres principes et si, d'autre part, elle ne pratiquait pas un
double discours. Je prends un exemple: nous avons bâti un Etat de
droit caracterise par des elections presidentielles, legislatives
et municipales. Or, non seulement la communaute internationale
ne reconnaît pas ces instances mais elles condamnent les elections
associees pour complaire a l'Etat petrolifère voisin. Ce faisant, elle
bafoue ses principes generaux - ceux de la Charte des Nations unies -
mais aussi les mecanismes qu'elle a elle-meme mis en place pour la
resolution du conflit; puisque en creant le Groupe de Minsk en 1992,
le Conseil d'Helsinki stipulait que ce groupe rassemblerait onze Etats
(l'Armenie, l'Azerbaïdjan, la Russie, la Turquie, la Tchecoslovaquie,
l'Allemagne, la Suède, la Bielorussie, la France, l'Italie et
les Etats-Unis) mais aussi "des representants elus, ou autres,
du Haut-Karabagh". Est-ce a dire que la communaute internationale
prefère des representants non elus ou elus a l'issue d'un simulacre
d'election comme en Azerbaïdjan? (rires)!
Un dernier exemple: la Commission europeenne octroie des fonds
destines a la reconstruction et au developpement de l'Abkhazie et de
l'Ossetie du Sud, deux regions independantistes de la Georgie mais
pas au Haut-Karabagh. Veut-on nous faire croire que la Commission
europeenne saurait resister a la Russie qui soutient ces Etats et
non pas a l'Azerbaïdjan? Je ne le crois pas et je ferais mienne la
position du Conseil Europeen pour les Relations Exterieures selon
lequel il est temps de mettre un terme a l'idee infondee que nous
n'aurions pas de levier sur l'Azerbaïdjan.
Comment voyez-vous l'avenir?
Je suis malgre tout confiant parce que nous avons desormais une
generation entière de jeune gens qui ont grandi dans un Etat où
ils sont pleinement citoyens et parce qu'en depit des menaces de
represailles de l'Azerbaïdjan, un nombre croissant de responsables
internationaux font le voyage du Karabagh. Des partenariats se
creent et donnent naissance a des projets de developpement sociaux
et economiques. Et puis, en Azerbaïdjan meme, ca n'interesse pas les
jeunes de mourir pour le lointain Karabagh. Une fois la propagande
du système Aliev denoncee, et l'Eurovision y a en partie contribue,
je suis certains que nous trouverons les voies du dialogue et de la
reconciliation avec les Azeris.
From: A. Papazian