Le Point, France
28 fevr 2012
Génocide arménien : faut-il s'obstiner ?
Après la censure de la loi Boyer par le Conseil constitutionnel, une
nouvelle loi est en préparation. Avec quelles chances de succès ?
Par Laurence Neuer
C'est au nom de la liberté d'expression et de communication que les
Sages ont, le 28 février 2012, censuré la loi Boyer sanctionnant d'un
an de prison et de 45 000 euros d'amende la contestation ou la
minimisation du génocide arménien. Cette loi prévoyait de réprimer les
génocides "reconnus comme tels par la loi française". Or, précise la
décision du Conseil constitutionnel, une disposition législative ayant
pour objet de "reconnaître" un crime de génocide ne saurait, en
elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi.
"Cette décision reflète l'opinion de Robert Badinter selon laquelle le
Parlement n'est pas un tribunal", note l'avocat pénaliste Vincent
Nioré.
En clair, si le législateur fixe une vérité historique, cette loi est
dépourvue d'effet normatif, et s'il sanctionne la violation de ladite
vérité historique, cette loi est contraire à la Constitution.
"Le Conseil ne dit pas que la loi du 29 janvier 2001 reconnaissant la
réalité du génocide arménien est inconstitutionnelle, il dit
simplement qu'elle est déclarative", tempère Me Nioré. Reste que,
juridiquement, une loi déclarative est dépourvue d'effet juridique.
Porte ouverte à tous les génocides
Seuls les génocides et crimes de guerre déclarés tels par une
juridiction internationale pourraient alors devenir le socle de lois
"normatives". Une décision que déplore Me Nioré : "On ne peut pas,
d'un côté, déplorer la tragédie de 1915 en la qualifiant de génocide
et, de l'autre, s'opposer à la pénalisation d'un négationnisme d'État
en établissant une hiérarchisation des crimes contre l'humanité et des
crimes de génocide, s'indigne-t-il. À plus forte raison lorsque les
victimes ont été privées du droit à faire juger leurs bourreaux devant
un Tribunal pénal international par les puissances de l'époque."
Mais le Conseil constitutionnel a tranché : le législateur ne peut pas
s'arroger le pouvoir de déterminer des vérités historiques et d'en
sanctionner le non-respect. "La loi Boyer prévoyait la sanction de
l'ensemble des génocides prévus par la loi. Ce qui signifie qu'il
suffit qu'une nouvelle loi reconnaisse demain un autre génocide pour
que s'appliquent immédiatement les sanctions prévues par ce texte",
rappelle le constitutionnaliste Bertrand Mathieu, professeur à
l'université Panthéon-Sorbonne (Paris-I), et membre du Club des
juristes.
Le Conseil constitutionnel aurait pu, par ricochet, se prononcer sur
la constitutionnalité de la loi de 2001 reconnaissant la réalité du
génocide arménien. "Personne n'a jamais soulevé l'inconstitutionnalité
de cette loi, explique Me Nioré. En outre, ce texte ne pourrait être
contesté que par le seul jeu d'une question prioritaire de
constitutionnalité (QPC), mais cela est impossible, car cette loi
n'incrimine aucun délit et ne prévoit aucune sanction pénale, ce qui
veut dire que personne ne peut être poursuivi sur son fondement et en
constater la constitutionnalité."
La loi pourrait-elle renaître de ses cendres ?
Prenant acte de la décision du Conseil constitutionnel, Nicolas
Sarkozy a chargé le gouvernement de préparer un nouveau texte sur la
pénalisation du génocide arménien. Une initiative qui reste sujette à
caution. "La décision du Conseil constitutionnel va mettre un frein au
délit d'opinion, surtout si c'est le législateur qui fixe lui-même la
vérité historique, assure Bertrand Mathieu. Symboliquement, le Conseil
a choisi de mettre l'accent sur la liberté d'expression sans répondre
aux autres arguments. Or, à partir du moment où il vise ce principe
emblématique très large qui englobe la liberté des chercheurs, des
journalistes et de tout citoyen, cela ne laisse quasiment aucune marge
au gouvernement pour reprendre un texte de loi d'effet équivalent."
Serait-ce bien utile ? En l'état du droit actuel, si une personne nie
le génocide arménien, elle ne resterait pas impunie. L'article 24
alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionne d'un an de prison et
de 45 000 euros d'amende le délit de provocation à la discrimination
raciale ou religieuse.
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/genocide-armenien-faut-il-s-obstiner-28-02-2012-1436121_56.php
From: Baghdasarian
28 fevr 2012
Génocide arménien : faut-il s'obstiner ?
Après la censure de la loi Boyer par le Conseil constitutionnel, une
nouvelle loi est en préparation. Avec quelles chances de succès ?
Par Laurence Neuer
C'est au nom de la liberté d'expression et de communication que les
Sages ont, le 28 février 2012, censuré la loi Boyer sanctionnant d'un
an de prison et de 45 000 euros d'amende la contestation ou la
minimisation du génocide arménien. Cette loi prévoyait de réprimer les
génocides "reconnus comme tels par la loi française". Or, précise la
décision du Conseil constitutionnel, une disposition législative ayant
pour objet de "reconnaître" un crime de génocide ne saurait, en
elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi.
"Cette décision reflète l'opinion de Robert Badinter selon laquelle le
Parlement n'est pas un tribunal", note l'avocat pénaliste Vincent
Nioré.
En clair, si le législateur fixe une vérité historique, cette loi est
dépourvue d'effet normatif, et s'il sanctionne la violation de ladite
vérité historique, cette loi est contraire à la Constitution.
"Le Conseil ne dit pas que la loi du 29 janvier 2001 reconnaissant la
réalité du génocide arménien est inconstitutionnelle, il dit
simplement qu'elle est déclarative", tempère Me Nioré. Reste que,
juridiquement, une loi déclarative est dépourvue d'effet juridique.
Porte ouverte à tous les génocides
Seuls les génocides et crimes de guerre déclarés tels par une
juridiction internationale pourraient alors devenir le socle de lois
"normatives". Une décision que déplore Me Nioré : "On ne peut pas,
d'un côté, déplorer la tragédie de 1915 en la qualifiant de génocide
et, de l'autre, s'opposer à la pénalisation d'un négationnisme d'État
en établissant une hiérarchisation des crimes contre l'humanité et des
crimes de génocide, s'indigne-t-il. À plus forte raison lorsque les
victimes ont été privées du droit à faire juger leurs bourreaux devant
un Tribunal pénal international par les puissances de l'époque."
Mais le Conseil constitutionnel a tranché : le législateur ne peut pas
s'arroger le pouvoir de déterminer des vérités historiques et d'en
sanctionner le non-respect. "La loi Boyer prévoyait la sanction de
l'ensemble des génocides prévus par la loi. Ce qui signifie qu'il
suffit qu'une nouvelle loi reconnaisse demain un autre génocide pour
que s'appliquent immédiatement les sanctions prévues par ce texte",
rappelle le constitutionnaliste Bertrand Mathieu, professeur à
l'université Panthéon-Sorbonne (Paris-I), et membre du Club des
juristes.
Le Conseil constitutionnel aurait pu, par ricochet, se prononcer sur
la constitutionnalité de la loi de 2001 reconnaissant la réalité du
génocide arménien. "Personne n'a jamais soulevé l'inconstitutionnalité
de cette loi, explique Me Nioré. En outre, ce texte ne pourrait être
contesté que par le seul jeu d'une question prioritaire de
constitutionnalité (QPC), mais cela est impossible, car cette loi
n'incrimine aucun délit et ne prévoit aucune sanction pénale, ce qui
veut dire que personne ne peut être poursuivi sur son fondement et en
constater la constitutionnalité."
La loi pourrait-elle renaître de ses cendres ?
Prenant acte de la décision du Conseil constitutionnel, Nicolas
Sarkozy a chargé le gouvernement de préparer un nouveau texte sur la
pénalisation du génocide arménien. Une initiative qui reste sujette à
caution. "La décision du Conseil constitutionnel va mettre un frein au
délit d'opinion, surtout si c'est le législateur qui fixe lui-même la
vérité historique, assure Bertrand Mathieu. Symboliquement, le Conseil
a choisi de mettre l'accent sur la liberté d'expression sans répondre
aux autres arguments. Or, à partir du moment où il vise ce principe
emblématique très large qui englobe la liberté des chercheurs, des
journalistes et de tout citoyen, cela ne laisse quasiment aucune marge
au gouvernement pour reprendre un texte de loi d'effet équivalent."
Serait-ce bien utile ? En l'état du droit actuel, si une personne nie
le génocide arménien, elle ne resterait pas impunie. L'article 24
alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 sanctionne d'un an de prison et
de 45 000 euros d'amende le délit de provocation à la discrimination
raciale ou religieuse.
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/genocide-armenien-faut-il-s-obstiner-28-02-2012-1436121_56.php
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