Le Huffington Post
29 févr 2012
Loi contre les génocides: le serpent s'est mordu la queue
par Dominique Chagnollaud. Président du Cercle des constitutionnalistes
Comme nous l'avions "annoncé" dans ces colonnes, la loi visant à
réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la
loi vient d'être censurée par le Conseil constitutionnel, le 28
février, sans trop de surprise. L'auteur de ces lignes, avec d'autres,
n'en éprouve aucune joie particulière mais est satisfait simplement
que la raison du droit l'ait emporté sur les passions qui veulent,
c'est humain, l'instrumentaliser.
Au préalable, notons que le Conseil constitutionnel n'a formulé aucune
appréciation sur les faits en cause: il se refuse à écrire l'histoire
et laisse ce travail aux historiens. Il ne s'est pas a fortiori
formellement prononcé dans cette décision sur la loi du 29 janvier
2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien dont il n'était
pas saisi. Mais, en considérant qu'en application de l'article 6 de la
Déclaration de 1789, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et
être revêtue d'une portée normative, il a implicitement rappelé que
cette loi n'en avait aucune: le serpent qui voulait d'une manière
subreptice reconnaître une vérité historique au bénéfice de
généralités -la reconnaissance des génocides par la loi, s'est mordu
finalement la queue. Pour l'avenir, le Conseil constitutionnel indique
ainsi que le législateur n'a pas à écrire l'histoire.
Cependant l'article 1er de la loi avait un objet plus large et de
nature pénale: celui de réprimer la contestation ou la minimisation de
l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide "reconnus comme tels
par la loi française".
Dès lors, c'est sur le fondement de l'article 11 de la Déclaration de
1789 que le Conseil a opéré son contrôle -sans recourir à d'autres
arguments, celui-ci se suffisant à lui-même.
La liberté de communication des pensées et des opinions est, selon une
formule classique du Conseil, une condition de la démocratie et l'une
des garanties du respect des autres droits et libertés. S'il est
loisible au législateur d'instituer des incriminations réprimant les
abus de l'exercice de cette liberté qui portent atteinte à l'ordre
public... et aux droits des tiers, ces atteintes doivent être
nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
Le Conseil a jugé qu'en réprimant la contestation de l'existence de
crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le
législateur a porté une atteinte excessive à l'exercice de la liberté
d'expression et de communication.
Enfin, le Conseil n'avait pas à connaître de la loi du 13 juillet 1990
tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. On ne
peut cependant s'empêcher de penser, peut-être à tort , que le
raisonnement suivi par lui est ici le même que la Cour européenne des
droits de l'Homme. Pour elle, la création d'une incrimination de
contestation ou de minimisation de l'existence d'un génocide reconnu
par la loi est contraire au principe de liberté d'opinion et
d'expression par l'article 10 de la Convention européenne des droits
de l'Homme. Si cette liberté n'est pas absolue, encore faut-il que ces
restrictions soient proportionnées au regard des objectifs poursuivis
(CEDH, 7 décembre 1976, affaire Handyside c. Royaume-Uni).
Or, si la loi Gayssot paraît compatible avec le principe de liberté
d'opinion et d'expression, c'est notamment parce qu'elle tend à
prévenir -aujourd'hui- la résurgence d'un discours antisémite.
Dans une décision Garaudy du 24 juin 2003, la Cour européenne des
droits de l'homme a ainsi considéré que "la contestation des crimes
contre l'humanité apparaît comme l'une des formes les plus aiguës de
diffamation raciale envers les juifs et d'incitation à la haine à leur
égard. La négation ou la révision de faits historiques de ce type
remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme
et l'antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l'ordre
public".
Qui peut sérieusement considérer qu'à l'égal de l'antisémitisme, la
contestation génocide arménien, si terrible qu'il soit, présente ce
risque sur notre territoire national et rende nécessaire des mesures
telles que la loi censurée?
http://www.huffingtonpost.fr/dominique-chagnollaud/genocide-armenien_b_1308760.html?ref=france
From: A. Papazian
29 févr 2012
Loi contre les génocides: le serpent s'est mordu la queue
par Dominique Chagnollaud. Président du Cercle des constitutionnalistes
Comme nous l'avions "annoncé" dans ces colonnes, la loi visant à
réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la
loi vient d'être censurée par le Conseil constitutionnel, le 28
février, sans trop de surprise. L'auteur de ces lignes, avec d'autres,
n'en éprouve aucune joie particulière mais est satisfait simplement
que la raison du droit l'ait emporté sur les passions qui veulent,
c'est humain, l'instrumentaliser.
Au préalable, notons que le Conseil constitutionnel n'a formulé aucune
appréciation sur les faits en cause: il se refuse à écrire l'histoire
et laisse ce travail aux historiens. Il ne s'est pas a fortiori
formellement prononcé dans cette décision sur la loi du 29 janvier
2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien dont il n'était
pas saisi. Mais, en considérant qu'en application de l'article 6 de la
Déclaration de 1789, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et
être revêtue d'une portée normative, il a implicitement rappelé que
cette loi n'en avait aucune: le serpent qui voulait d'une manière
subreptice reconnaître une vérité historique au bénéfice de
généralités -la reconnaissance des génocides par la loi, s'est mordu
finalement la queue. Pour l'avenir, le Conseil constitutionnel indique
ainsi que le législateur n'a pas à écrire l'histoire.
Cependant l'article 1er de la loi avait un objet plus large et de
nature pénale: celui de réprimer la contestation ou la minimisation de
l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide "reconnus comme tels
par la loi française".
Dès lors, c'est sur le fondement de l'article 11 de la Déclaration de
1789 que le Conseil a opéré son contrôle -sans recourir à d'autres
arguments, celui-ci se suffisant à lui-même.
La liberté de communication des pensées et des opinions est, selon une
formule classique du Conseil, une condition de la démocratie et l'une
des garanties du respect des autres droits et libertés. S'il est
loisible au législateur d'instituer des incriminations réprimant les
abus de l'exercice de cette liberté qui portent atteinte à l'ordre
public... et aux droits des tiers, ces atteintes doivent être
nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
Le Conseil a jugé qu'en réprimant la contestation de l'existence de
crimes qu'il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le
législateur a porté une atteinte excessive à l'exercice de la liberté
d'expression et de communication.
Enfin, le Conseil n'avait pas à connaître de la loi du 13 juillet 1990
tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. On ne
peut cependant s'empêcher de penser, peut-être à tort , que le
raisonnement suivi par lui est ici le même que la Cour européenne des
droits de l'Homme. Pour elle, la création d'une incrimination de
contestation ou de minimisation de l'existence d'un génocide reconnu
par la loi est contraire au principe de liberté d'opinion et
d'expression par l'article 10 de la Convention européenne des droits
de l'Homme. Si cette liberté n'est pas absolue, encore faut-il que ces
restrictions soient proportionnées au regard des objectifs poursuivis
(CEDH, 7 décembre 1976, affaire Handyside c. Royaume-Uni).
Or, si la loi Gayssot paraît compatible avec le principe de liberté
d'opinion et d'expression, c'est notamment parce qu'elle tend à
prévenir -aujourd'hui- la résurgence d'un discours antisémite.
Dans une décision Garaudy du 24 juin 2003, la Cour européenne des
droits de l'homme a ainsi considéré que "la contestation des crimes
contre l'humanité apparaît comme l'une des formes les plus aiguës de
diffamation raciale envers les juifs et d'incitation à la haine à leur
égard. La négation ou la révision de faits historiques de ce type
remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme
et l'antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l'ordre
public".
Qui peut sérieusement considérer qu'à l'égal de l'antisémitisme, la
contestation génocide arménien, si terrible qu'il soit, présente ce
risque sur notre territoire national et rende nécessaire des mesures
telles que la loi censurée?
http://www.huffingtonpost.fr/dominique-chagnollaud/genocide-armenien_b_1308760.html?ref=france
From: A. Papazian