L'Orient-Le Jour, Liban
27 févr. 2012
Séminaire international sur le génocide arménien : nouvelles théories
juridiques pour la reconnaissance et la réparation
Arméniens « De la reconnaissance à la réparation du génocide arménien
», de nombreux obstacles (politiques) se dressent. Mais c'est par
l'argument juridique que le catholicossat arménien de Cilicie est
déterminé à obtenir la restitution des biens de l'Église.
Le séminaire de deux jours sur le génocide arménien, ayant pour thème
« De la reconnaissance à la réparation », a amorcé une réflexion
juridique nuancée, qui prélude à l'action judiciaire que le
catholicosat arménien de Cilicie compte entamer pour obtenir la
restitution des lieux de culte et des biens de l'Église, confisqués
par les autorités ottomanes en 1915-1916. L'objet de cette demande est
en soi une nouveauté dans la lutte de près d'un siècle du peuple
arménien pour la reconnaissance du génocide. La démarche du
catholicossat vise en effet à obtenir une indemnisation, même si la
reconnaissance n'est pas complétée, et l'indemnisation spécifique des
biens de cette autorité religieuse, sur base de documents puisés dans
les archives des sièges patriarcaux arméniens.
La session de clôture a établi une synthèse consistante des voies
judiciaires ouvertes au catholicossat à cette fin et des problèmes de
forme et de fond que ce dernier devra dénouer ou contourner pour
aboutir à la restitution des biens. Donnant lecture des principaux
points de réflexion traités et de leur résultat, la coordinatrice du
séminaire et professeure de droit international, Nora Bayrakdarian, a
rappelé les enjeux traités par les nombreux experts (européens,
américains et libanais) de droit international public présents au
séminaire : « Adopter des procédures spécifiques, confronter des
arguments juridiques (parfois incompatibles) et envisager de multiples
alternatives légales. »
La Turquie, comme continuité de l'Empire ottoman
D'abord, les intervenants « se sont entendus à l'unanimité sur le fait
que l'actuel État turc est la continuité de l'Empire ottoman et répond
donc de la responsabilité de ce dernier pour des actes condamnés par
le droit international, y compris le génocide ». Cette conclusion est
appuyée par des arguments juridiques, notamment le principe qu'un État
continue d'exister, à moins que des éléments concrets prouvent le
contraire. Or la Turquie résulte d'une « réduction de l'Empire ottoman
à son foyer historique », après une série de démantèlements
territoriaaux et de sécessions. De plus, le peuple turc actuel succède
« aux groupes nationaux qui contrôlaient l'Empire ottoman ». Ainsi,
qualifier l'entité turque comme continuité de l'Empire ottoman «
permet de réfuter d'importants arguments contraires invoqués par les
Turcs actuellement pour s'exonérer de toute responsabilité
d'indemnisation, et avant cela, de reconnaissance », a rappelé Mme
Bayrakdarian.
Rétroactivité de la convention sur le génocide ?
Sur le point de la reconnaissance, d'ailleurs, une tendance a été
particulièrement valorisée, qui tend à abandonner la demande de
reconnaissance du génocide par la Turquie, en se suffisant de la
non-reconnaissance tout cours pour fonder une demande en
indemnisation. Pareille approche est liée à l'interprétation des
faits. Mais il existe un autre problème, lié aux normes légales
applicables, notamment la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide adoptée en 1948, près de trois
décennies après les massacres et déportations de 1915. L'applicabilité
de cette convention est problématique, puisque sa non-rétroactivité a
été consacrée par le tribunal de Nuremberg, créé en 1945 pour juger
les responsables nazis, et qui a qualifié l'holocauste de crime contre
l'humanité, non de génocide. La convention de 1948 n'a d'ailleurs été
appliquée qu'une seule fois par la Cour internationale de justice,
dans l'affaire opposant la Bosnie-Herzégovine à la
Serbie-et-Monténégro. Selon l'arrêt rendu en 2007, la Serbie n'a pas
commis de génocide en Bosnie-Herzegovine mais n'a rien fait pour
l'empêcher. Aucune indemnisation n'a été décidée. D'ailleurs,
l'indemnisation sur le terrain du droit international public n'est pas
chose aisée, surtout lorsqu'une longue période de temps sépare l'acte
condamnable de la demande d'indemnisation.
À cet égard, les intervenants ont proposé divers arguments juridiques
aptes à pallier la non-rétroactivité de la convention de 1948, dont
l'élaboration a (ironiquement) été influencée par la persécution des
Arméniens en 1915. Parmi les raisonnements légaux proposés, celui de
prouver la violation d'une norme coutumière (non d'une convention) qui
était de rigueur à l'époque des massacres, c'est-à-dire de déceler une
opinio juris (la conviction que l'usage répété est une règle de droit)
qui prévalait avant 1915. Le juge Fausto Pocar, ancien président du
Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie et éminent invité du
séminaire, est allé jusqu'à proposer « d'établir la preuve non pas du
génocide, mais de son impact », qui appuierait ainsi le caractère
continu (par opposition au caractère immédiat et ponctuel) des actes
de violence. Les effets qui s'étendent au-delà de la période du
génocide pourraient ainsi jouer en faveur de la mise en application de
la convention sur le génocide.
Du génocide culturel
Dans ce cadre, l'objet spécifique de la demande du catholicossat
arménien de Cilicie de reprendre les biens qui lui ont été confisqués
pourrait amener à un précédent en termes d'applicabilité de la
convention sur le génocide. Si le meurtre n'est pas un acte continu,
puisque ses éléments sont ponctuels et son effet instantané, la
confiscation de biens ou encore le recel des objets volés pourraient
constituer un terrain utile pour invoquer la continuité du génocide,
ou de certains de ses effets, et demander le dédommagement sur cette
base. Un autre point important dénote la spécificité du cas du
génocide arménien et son apport au droit international, celui
d'envisager la dimension culturelle du génocide, que la convention de
1948 ne prévoit pas. « La question du patrimoine culturel devrait être
exploitée », conclut Mme Bayrakdarian, après que certains intervenants
eurent évoqué la possibilité de situer la confiscation des biens de
l'Église dans la lignée d'un « génocide culturel », qui consiste à
éradiquer le legs culturel de tout un peuple.
Au-delà de l'angle juridique, le problème reste étroitement historique
et politique, comme l'ont rappelé nombre de juristes. Mais
l'exploitation de la norme de droit comme moyen de guider l'opinion
internationale vers une nouvelle approche du génocide a sous-tendu la
volonté des experts réunis. Une première étape théorique fructueuse,
dans l'attente de la mise en `uvre du plan d'action du catholicossat
arménien de Cilicie.
http://www.lorientlejour.com/category/%C3%80+La+Une/article/747055/Seminaire_international_sur_le_genocide_armenien+% 3A_nouvelles_theories_juridiques_pour_la_reconnais sance_et_la_reparation.html
From: A. Papazian
27 févr. 2012
Séminaire international sur le génocide arménien : nouvelles théories
juridiques pour la reconnaissance et la réparation
Arméniens « De la reconnaissance à la réparation du génocide arménien
», de nombreux obstacles (politiques) se dressent. Mais c'est par
l'argument juridique que le catholicossat arménien de Cilicie est
déterminé à obtenir la restitution des biens de l'Église.
Le séminaire de deux jours sur le génocide arménien, ayant pour thème
« De la reconnaissance à la réparation », a amorcé une réflexion
juridique nuancée, qui prélude à l'action judiciaire que le
catholicosat arménien de Cilicie compte entamer pour obtenir la
restitution des lieux de culte et des biens de l'Église, confisqués
par les autorités ottomanes en 1915-1916. L'objet de cette demande est
en soi une nouveauté dans la lutte de près d'un siècle du peuple
arménien pour la reconnaissance du génocide. La démarche du
catholicossat vise en effet à obtenir une indemnisation, même si la
reconnaissance n'est pas complétée, et l'indemnisation spécifique des
biens de cette autorité religieuse, sur base de documents puisés dans
les archives des sièges patriarcaux arméniens.
La session de clôture a établi une synthèse consistante des voies
judiciaires ouvertes au catholicossat à cette fin et des problèmes de
forme et de fond que ce dernier devra dénouer ou contourner pour
aboutir à la restitution des biens. Donnant lecture des principaux
points de réflexion traités et de leur résultat, la coordinatrice du
séminaire et professeure de droit international, Nora Bayrakdarian, a
rappelé les enjeux traités par les nombreux experts (européens,
américains et libanais) de droit international public présents au
séminaire : « Adopter des procédures spécifiques, confronter des
arguments juridiques (parfois incompatibles) et envisager de multiples
alternatives légales. »
La Turquie, comme continuité de l'Empire ottoman
D'abord, les intervenants « se sont entendus à l'unanimité sur le fait
que l'actuel État turc est la continuité de l'Empire ottoman et répond
donc de la responsabilité de ce dernier pour des actes condamnés par
le droit international, y compris le génocide ». Cette conclusion est
appuyée par des arguments juridiques, notamment le principe qu'un État
continue d'exister, à moins que des éléments concrets prouvent le
contraire. Or la Turquie résulte d'une « réduction de l'Empire ottoman
à son foyer historique », après une série de démantèlements
territoriaaux et de sécessions. De plus, le peuple turc actuel succède
« aux groupes nationaux qui contrôlaient l'Empire ottoman ». Ainsi,
qualifier l'entité turque comme continuité de l'Empire ottoman «
permet de réfuter d'importants arguments contraires invoqués par les
Turcs actuellement pour s'exonérer de toute responsabilité
d'indemnisation, et avant cela, de reconnaissance », a rappelé Mme
Bayrakdarian.
Rétroactivité de la convention sur le génocide ?
Sur le point de la reconnaissance, d'ailleurs, une tendance a été
particulièrement valorisée, qui tend à abandonner la demande de
reconnaissance du génocide par la Turquie, en se suffisant de la
non-reconnaissance tout cours pour fonder une demande en
indemnisation. Pareille approche est liée à l'interprétation des
faits. Mais il existe un autre problème, lié aux normes légales
applicables, notamment la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide adoptée en 1948, près de trois
décennies après les massacres et déportations de 1915. L'applicabilité
de cette convention est problématique, puisque sa non-rétroactivité a
été consacrée par le tribunal de Nuremberg, créé en 1945 pour juger
les responsables nazis, et qui a qualifié l'holocauste de crime contre
l'humanité, non de génocide. La convention de 1948 n'a d'ailleurs été
appliquée qu'une seule fois par la Cour internationale de justice,
dans l'affaire opposant la Bosnie-Herzégovine à la
Serbie-et-Monténégro. Selon l'arrêt rendu en 2007, la Serbie n'a pas
commis de génocide en Bosnie-Herzegovine mais n'a rien fait pour
l'empêcher. Aucune indemnisation n'a été décidée. D'ailleurs,
l'indemnisation sur le terrain du droit international public n'est pas
chose aisée, surtout lorsqu'une longue période de temps sépare l'acte
condamnable de la demande d'indemnisation.
À cet égard, les intervenants ont proposé divers arguments juridiques
aptes à pallier la non-rétroactivité de la convention de 1948, dont
l'élaboration a (ironiquement) été influencée par la persécution des
Arméniens en 1915. Parmi les raisonnements légaux proposés, celui de
prouver la violation d'une norme coutumière (non d'une convention) qui
était de rigueur à l'époque des massacres, c'est-à-dire de déceler une
opinio juris (la conviction que l'usage répété est une règle de droit)
qui prévalait avant 1915. Le juge Fausto Pocar, ancien président du
Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie et éminent invité du
séminaire, est allé jusqu'à proposer « d'établir la preuve non pas du
génocide, mais de son impact », qui appuierait ainsi le caractère
continu (par opposition au caractère immédiat et ponctuel) des actes
de violence. Les effets qui s'étendent au-delà de la période du
génocide pourraient ainsi jouer en faveur de la mise en application de
la convention sur le génocide.
Du génocide culturel
Dans ce cadre, l'objet spécifique de la demande du catholicossat
arménien de Cilicie de reprendre les biens qui lui ont été confisqués
pourrait amener à un précédent en termes d'applicabilité de la
convention sur le génocide. Si le meurtre n'est pas un acte continu,
puisque ses éléments sont ponctuels et son effet instantané, la
confiscation de biens ou encore le recel des objets volés pourraient
constituer un terrain utile pour invoquer la continuité du génocide,
ou de certains de ses effets, et demander le dédommagement sur cette
base. Un autre point important dénote la spécificité du cas du
génocide arménien et son apport au droit international, celui
d'envisager la dimension culturelle du génocide, que la convention de
1948 ne prévoit pas. « La question du patrimoine culturel devrait être
exploitée », conclut Mme Bayrakdarian, après que certains intervenants
eurent évoqué la possibilité de situer la confiscation des biens de
l'Église dans la lignée d'un « génocide culturel », qui consiste à
éradiquer le legs culturel de tout un peuple.
Au-delà de l'angle juridique, le problème reste étroitement historique
et politique, comme l'ont rappelé nombre de juristes. Mais
l'exploitation de la norme de droit comme moyen de guider l'opinion
internationale vers une nouvelle approche du génocide a sous-tendu la
volonté des experts réunis. Une première étape théorique fructueuse,
dans l'attente de la mise en `uvre du plan d'action du catholicossat
arménien de Cilicie.
http://www.lorientlejour.com/category/%C3%80+La+Une/article/747055/Seminaire_international_sur_le_genocide_armenien+% 3A_nouvelles_theories_juridiques_pour_la_reconnais sance_et_la_reparation.html
From: A. Papazian