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Les Turcs ne sont pas mes ennemis !

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  • Les Turcs ne sont pas mes ennemis !

    Collectif des Démocrates Arméniens d'Europe
    9 mars 2012


    Les Turcs ne sont pas mes ennemis !

    Par FABRICE KEHAYAN, Directeur général d'une agence conseil en communication

    Le Conseil constitutionnel vient de censurer la loi sur la
    pénalisation de la négation des génocides, adoptée le 23 janvier.
    C'est une mauvaise nouvelle, car elle confirme la manipulation dont a
    été victime la communauté arménienne de France en cette période
    électorale. Mais c'est d'abord une bonne nouvelle.

    Je ne suis pas turc. Je suis d'origine arménienne, revendiquée, aimée.
    J'ai toujours pensé que la France ne devait pas légiférer comme elle
    l'a fait. Bien sûr qu'il y a eu génocide. Les historiens en attestent
    et seule la version officielle de l'histoire de la Turquie le
    conteste. La présence de nombreux Arméniens en France et dans le monde
    en témoigne par le vif. Je désire ardemment que le génocide perpétré
    entre 1896 et 1920 soit reconnu par tous et par la Turquie. Mais les
    discussions et le vote de la loi en janvier m'ont dérangé à plusieurs
    titres. D'abord, je trouve extrêmement délicat qu'un pays légifère sur
    l'histoire d'un autre. Le fait que la France ait accueilli nombre
    d'Arméniens dans les années 1915-1920 ou encore qu'elle ait été témoin
    (silencieux) des massacres ne lui donne pas le droit de ce vote. Au
    fond, nos législateurs ont commis un acte d'ingérence anormal et peu
    conforme au principe du droit international public, que les Sages
    viennent d'annuler. Le vote de la loi a été d'autant plus dommageable
    que la position de la Turquie sur la question du génocide progressait.
    Lentement ; peut-être trop lentement. Mais elle avançait néanmoins.
    Des archives s'ouvraient, des historiens turcs travaillaient la
    question, certains d'entre eux posant même le terme de génocide en
    lieu et place de celui de massacres. Des intellectuels s'emparaient de
    l'Histoire, y compris en relation avec des homologues européens. Cela
    se faisait peut-être lentement, mais cela se faisait. Et avec la loi
    votée en janvier qu'allait-il se passer ? Les autorités turques
    allaient-elles laisser les chercheurs travailler comme ils
    commençaient à pouvoir le faire ?

    A vouloir forcer la Turquie à avancer dans la voie de la
    reconnaissance n'a-t-on pas pris le risque de porter un brutal et
    durable coup d'arrêt aux avancées en cours ? Qu'est-ce qui est le plus
    important : que la Turquie ne puisse plus nier par la force ou qu'elle
    accepte, par elle-même, de reconnaître, fut-ce dans plusieurs années ?

    J'ai consacré une partie de mes études à la question de la
    reconnaissance par la France du génocide des Arméniens. Que
    constate-t-on ? Que cette question n'existe réellement en France qu'en
    périodes électorales. L'épisode de fin 2011 début 2012 n'aura pas
    échappé à la règle. Mais fallait-il que l'on prenne le risque d'une
    tension durable avec la Turquie pour quelques voix et un siège de
    député ? Comment peut-on pour de bien faibles résultats électoraux
    créer une tension forte avec un pays qui est un partenaire commercial
    important et avec lequel les échanges doivent et peuvent encore
    progresser ? Un pays qui occupe un espace géopolitique crucial. Un
    pays dont l'Arménie a besoin pour se développer. Un pays fragile
    politiquement et qui a besoin que nous le soutenions et non que nous
    le pointions d'un doigt accusateur, à même de renforcer les
    nationalistes et intégristes contre les tenants de l'ouverture et du
    progrès.

    La Turquie est une pièce majeure d'une stratégie européenne de
    l'euro-méditerranée. Il faut construire avec elle et non contre elle.
    Je ne dis pas qu'il faille nier la question du génocide pour des
    raisons d'ordre économique et stratégique. Je dis qu'elle peut être
    appréhendée différemment et qu'en l'espèce le temps et la pression
    intelligente sont les alliés des descendants des victimes d'hier.
    C'est le travail des historiens qui a largement contribué à la
    reconnaissance du génocide par l'ONU, par l'Europe, par la France.
    C'est ce travail qui fera avancer la Turquie.

    Le débat et le vote de la loi en janvier faisaient de la Turquie
    d'aujourd'hui et de son peuple mon ennemi, moi descendant de victimes
    du génocide des Arméniens. Or, les Turcs d'aujourd'hui ne sont pas mes
    ennemis et ceux d'hier ne sont plus. Si l'on veut que la Turquie
    progresse vers la reconnaissance du génocide, il nous faut aller vers
    elle et avancer avec elle et non simplement lui opposer notre
    frustration et notre colère. Le plus grand enseignement de mon
    grand-père, arrivé d'Anatolie orphelin à Marseille, est le pardon ;
    pas l'oubli, pas le renoncement, le pardon qui fait aller vers
    l'autre, qui fait progresser et grandir ensemble.

    Une fois encore, sur la question du génocide des Arméniens, la courte
    vue électoraliste a failli l'emporter sur la stratégie nationale et
    internationale. C'est regrettable. Il est heureux que le Conseil
    constitutionnel redonne de la hauteur et un avenir à la question de la
    reconnaissance du génocide de 1915 par la Turquie.

    Source : liberation.fr

    http://www.armeniens.net/spip.php?article778

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