Le Figaro Économie, France
Jeudi 22 Mars 2012
L'Arménie à Venise
par Goetz, Adrien
L'objet fait rêver : dans un reliquaire d'argent et d'or, un morceau
de bois pétrifié, sur lequel est placée une croix ornée de pierres
précieuses. C'est une des reliques les plus saintes de l'Église
d'Arménie, conservée d'ordinaire dans la sacristie de la cathédrale
d'Etchmiadzine. Elle n'est montrée, là-bas, que tous les sept ans,
lors de grandes cérémonies présidées ar le catholicos.
C'est une planche de l'arche de Noé. Jacques de Nisibe, contemporain
de saint Grégoire, était parti à sa recherche, vers les sommets
enneigés du mont Ararat, au coeur de l'Arménie. Un ange vola à sa
rencontre et lui apporta ce fragment. Devant ce reliquaire on sent
l'me de tout un peuple. Il est exposé pour quelques semaines encore,
à Venise, là où tant de bateaux ont accosté depuis des siècles, mais
jamais encore celui-là, le plus sacré et le plus ancien de tous.
L'arche de Noé place Saint-Marc, dans les salles archéologiques du
Musée Correr, à quelques pas des mosaïques de la basilique qui le
représentent, le symbole est fort : la République d'Arménie, aidée par
les musées municipaux de Venise, a pris l'initiative d'une exposition
qui montre dans toute sa splendeur la culture de ce pays - pour une
fois, on n'en parle pas seulement pour le souvenir du martyre subi au
début du XXe siècle. Il y a cinq cents ans était imprimé à Venise le
premier ouvrage en langue arménienne. Sur la lagune, la communauté
arménienne était forte. L'exposition, qui consacre une section à la
Venise des Arméniens, ne se limite pas à rassembler les témoignages
artistiques de cette histoire qui commence avec l'Évangile de
Trébizonde, manuscrit du Xe siècle conservé dans la bibliothèque du
monastère de San Lazzaro degli Armeni. Ces quelques salles de musée
tendues de noir sont une arche où se trouvent embarqués les
témoignages les plus glorieux de ce pays si longtemps oublié. On
découvre une pensée scientifique, la philosophie médiévale qui
rayonnait depuis ce carrefour des civilisations. En Arménie, des
savants inventaient des symboles, traçaient des cartes, composaient
une musique et savaient la noter. Ce peuple de voyageurs donna
naissance à des communautés en Inde et dans l'océan Indien. Des livres
et des atlas, en alphabet arménien, étaient imprimés jusqu'au XIXe
siècle d'Amsterdam à Singapore, de Marseille à Ispahan. Pour saluer
les Arméniens, une exposition comme celle-là, c'est peut-être mieux
qu'une loi...« Arménie, impressions d'une civilisation », jusqu'au 10
avril, Musée Correr, Venise. Catalogue Skira, en français, 29 eur.
Jeudi 22 Mars 2012
L'Arménie à Venise
par Goetz, Adrien
L'objet fait rêver : dans un reliquaire d'argent et d'or, un morceau
de bois pétrifié, sur lequel est placée une croix ornée de pierres
précieuses. C'est une des reliques les plus saintes de l'Église
d'Arménie, conservée d'ordinaire dans la sacristie de la cathédrale
d'Etchmiadzine. Elle n'est montrée, là-bas, que tous les sept ans,
lors de grandes cérémonies présidées ar le catholicos.
C'est une planche de l'arche de Noé. Jacques de Nisibe, contemporain
de saint Grégoire, était parti à sa recherche, vers les sommets
enneigés du mont Ararat, au coeur de l'Arménie. Un ange vola à sa
rencontre et lui apporta ce fragment. Devant ce reliquaire on sent
l'me de tout un peuple. Il est exposé pour quelques semaines encore,
à Venise, là où tant de bateaux ont accosté depuis des siècles, mais
jamais encore celui-là, le plus sacré et le plus ancien de tous.
L'arche de Noé place Saint-Marc, dans les salles archéologiques du
Musée Correr, à quelques pas des mosaïques de la basilique qui le
représentent, le symbole est fort : la République d'Arménie, aidée par
les musées municipaux de Venise, a pris l'initiative d'une exposition
qui montre dans toute sa splendeur la culture de ce pays - pour une
fois, on n'en parle pas seulement pour le souvenir du martyre subi au
début du XXe siècle. Il y a cinq cents ans était imprimé à Venise le
premier ouvrage en langue arménienne. Sur la lagune, la communauté
arménienne était forte. L'exposition, qui consacre une section à la
Venise des Arméniens, ne se limite pas à rassembler les témoignages
artistiques de cette histoire qui commence avec l'Évangile de
Trébizonde, manuscrit du Xe siècle conservé dans la bibliothèque du
monastère de San Lazzaro degli Armeni. Ces quelques salles de musée
tendues de noir sont une arche où se trouvent embarqués les
témoignages les plus glorieux de ce pays si longtemps oublié. On
découvre une pensée scientifique, la philosophie médiévale qui
rayonnait depuis ce carrefour des civilisations. En Arménie, des
savants inventaient des symboles, traçaient des cartes, composaient
une musique et savaient la noter. Ce peuple de voyageurs donna
naissance à des communautés en Inde et dans l'océan Indien. Des livres
et des atlas, en alphabet arménien, étaient imprimés jusqu'au XIXe
siècle d'Amsterdam à Singapore, de Marseille à Ispahan. Pour saluer
les Arméniens, une exposition comme celle-là, c'est peut-être mieux
qu'une loi...« Arménie, impressions d'une civilisation », jusqu'au 10
avril, Musée Correr, Venise. Catalogue Skira, en français, 29 eur.