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Génocide arménien : 97 ans plus tard, sur la route d'Ayach...

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    Génocide arménien : 97 ans plus tard, sur la route d'Ayach...
    Publié le : 07-05-2012


    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
    livre cette information traduite par Georges Festa et publiée sur le
    site Armenian Trends - Mes Arménies le 6 mai 2012.

    Légende photo: Ara Sarafian lors d'un voyage à AyaÅ? [Ayach]

    Armenian Trends - Mes Arménies

    dimanche 6 mai 2012

    97 ans plus tard, sur la route d'Ayach¦ / 97 Years Later, on the Road
    to Ayash...

    par Pinar Ã-Ä?ünç

    Radikal, 24.04.2012

    [L'article qui suit est paru dans le quotidien turc Radikal, le 24
    avril 2012. Il est dû à Pinar Ã-Ä?ünç, qui accompagnait l'historien Ara
    Sarafian lors d'un voyage à AyaÅ? [Ayach], sur la trace des quelque 85
    prisonniers politiques arméniens qui furent déportés lÃ, suite aux
    rafles de Constantinople, le 24 avril 1915. D'après Sarafian, 70 de
    ces prisonniers furent tués durant les mois qui suivirent. Ce voyage
    fait partie d'un projet d'étude plus vaste sur ces arrestations et le
    sort ultime qui attendait les prisonniers.]

    Tout commence par ce train partant de la gare d'HaydarpaÅ?a [Haydar
    Pacha] le 24 avril 1915. Avec Ara Sarafian, nous suivons les
    prisonniers, dont une poignée survécut et écrivit leurs mémoires. Nous
    contemplons Ayach à travers le regard de ces survivants.

    « Si Talaat Bey savait quelles catastrophes et quelles pertes notre
    famille a enduré, il mettrait fin à cet état de fait¦ Ma pauvre femme,
    tu as souffert tant d'épreuves de par cette tyrannie, et maintenant
    que tu as perdu la vue, quel chef de police n'aurait pas pitié de toi,
    au vu de ta situation ? Mais à quoi bon ? Nos souffrances nous
    accompagneront toujours. » (Téotig, Monument du 11 Avril)

    Sempat Piurad, écrivain et enseignant arménien, se trouvait dans ce
    même train en partance d'HaydarpaÅ?a, le 24 avril 1915. Il n'avait pas
    la moindre idée de son sort, tout en se dirigeant vers la ville
    d'Ayach (province d'Ankara) avec tout un groupe de gens, pour la
    plupart des écrivains, poètes et journalistes arméniens. Cette lettre,
    écrite à son épouse à la mi-juin, fut la dernière qu'il écrivit.

    Que s'est-il passé en 1915 ? Près d'un siècle plus tard, l'on s'attend
    encore à ce que le temps recouvre le passé. Au fil des ans, nous en
    savons moins sur ce qui fut fait aux Arméniens en 1915. Ceux qui
    auraient pu aisément évoquer cette question durant les premières
    années de la république de Turquie gardèrent le silence. Comme nous en
    savons moins qu'il conviendrait, nous avons cédé à un entêtement
    aveugle, en guise de jeux politiques quotidiens. Un élément précieux
    fut arraché Ã la nation turque. Nous avons oublié d'éprouver la
    souffrance d'autrui. Tout fut verrouillé via le terme « génocide »,
    tous les efforts visant à diminuer le nombre d'Arméniens qui,
    malheureusement, perdirent la vie. Sommes-nous tombés de 800 000 Ã 300
    000 victimes ? Si tant est, où est la souffrance et la honte, quand
    bien même 300 000 ont péri ?

    Tant de choses sont débattues, sans que soit opposé le moindre déni Ã
    la vision historique officielle, liée à ces Arméniens qui furent
    arrêtés et forcés de monter dans le train au départ d'HaydarpaÅ?a en
    1915. Nous en savons maintenant beaucoup plus sur ces déportés, grâce
    Ã un article intitulé « Que s'est-il passé le 24 avril 1915 ? »,
    rédigé en 2008 par l'ancien directeur général des Archives d'Etat,
    Yusuf Sarinay, qui a depuis été nommé au Sous-secrétariat du Premier
    ministre, au début de cette année. Tout en niant le sort ultime
    réservé aux déportés, Sarinay livre une longue liste des hommes qui
    furent envoyés à Ayach.

    Ara Sarafian est un historien très réputé en Turquie. La famille de sa
    mère est originaire d'Harpout [Kharpert] et celle de son père de
    Tavshanli [Kütahya]. Directeur de l'Institut Komitas de Londres,
    Sarafian a, dit-il, le sentiment d'appartenir à Harpout. VoilÃ
    pourquoi, ajoute-t-il, il s'adresse au gouvernement turc, et non Ã
    celui de l'Arménie, dans mes recherches. Il espère que l'Institut
    Komitas ouvrira bientôt une délégation en Turquie.

    Sarafian est aussi différent pour d'autres raisons. Lesquelles ? Parce
    que nous faisons route vers Ayach en avril 2012. « Les Arméniens de
    diaspora ont peur. Ils s'imaginent qu'ils seront importunés, s'ils
    viennent en Turquie. D'aucuns pensent même qu'ils seront tués. Je veux
    leur montrer qu'on peut prendre l'avion pour Ankara, louer une voiture
    et conduire jusqu'Ã Ayach. »

    Deux Mémoires éclairants

    Sarafian est accompagné de Gaguik Karagheuzian, réalisateur de films
    documentaires. Ils travaillent ensemble depuis plusieurs années.
    Karagheuzian, dont le père s'est enfui en Iran après que son propre
    père eût été assassiné, est de mère iranienne. Comme il sait peu de
    choses du passé de sa famille, ce qu'il connaît de cette histoire
    familiale provient de livres et d'autres sources. Sarafian lui apprend
    qui fut Sabiha Gökçen, en montant à bord de l'avion au départ de
    l'aéroport Sabiha Gökçen. Voilà comment la journée débute. Lorsque
    nous atterrissons, Sarafian prendra lui-même le volant pour Ayach,
    sans avoir besoin d'une carte.

    Que découvrirons-nous à Ayach ? Le 24 avril [1915], le train s'arrêta
    à Sindjanköy [Sincanköy]. Les prisonniers d'Ayach furent séparés de
    ceux de Chankiri [�ankırı]. D'après Sarafian, le nombre total de
    prisonniers était d'environ 220, Sarinay l'établissant à 235.

    Une quinzaine de prisonniers, sur un total situé entre 80 et 85,
    conduits à Ayach, furent finalement relâchés, car il ne s'agissait pas
    vraiment de responsables politiques. Les 71 restants étaient censés
    avoir conspiré contre l'Etat, pour la plupart des partisans dachnaks.
    « Or, il s'agit là de griefs d'ordre politique, précise Sarafian. Les
    Dachnaks était un parti légal. Durant la révolution de 1908, ils
    étaient du même bord que la parti Union et Progrès ! »

    Nous possédons les Mémoires des prisonniers qui furent élargis,
    certains ayant paru dès 1919. L'un d'eux fut écrit par le docteur
    Avedis Nakachian, et l'autre par Piuzant Bozadjian, neveu du célèbre
    écrivain et éditeur connu sous le nom de Téotig [Théodoros
    Laptshidjian ` NdT]. Ils ont décrit l'endroit où se trouvait la
    prison, quelle existence s'y menait et ce qui leur arriva. Ces notes
    entre nos mains, nous arrivons à Ayach, tandis que la voiture descend
    une colline.

    Il y a quelques tombeaux saints, si vous voulez

    D'après nos informations, la prison se trouvait à 46 mètres environ de
    la préfecture. Il doit y avoir un cimetière non loin. Lorsque nous
    sortons de la voiture, Sarafian reprend un air grave en lisant le nom
    du hammam historique, tout proche. D'après les Mémoires, c'est là où
    les prisonniers étaient conduits depuis la prison pour prendre le
    bain. Lorsque nous nous approchons d'un vieil homme, Ã la moustache
    blanche, sur la place de la ville, deux autres nous rejoignent. Nous
    l'interrogeons sur l'ancienne préfecture et il nous montre un bâtiment
    jaune avoisinant. « Un incendie s'est déclaré dans les années 1970. Il
    a été rebâti et c'est maintenant un hôpital, » nous précise le vieil
    homme. Il nous donne aussi quelques conseils : « Goûtez au civet
    local, avant de partir ! », « Vous devez acheter du soudjouk, il est
    bien meilleur que celui de Kayseri ! ».

    Le secteur de la restauration se développe pour le tourisme. Les
    demeures historiques d'Ankara, avec leurs baies vitrées, sont
    transformées en hôtels ou en résidences estivales. Lorsque nous
    arrivons à l'hôpital, l'ancienne préfecture, deux routes s'ouvrent
    devant nous¦ Nous en prenons une et demandons à une vieille dame, que
    nous remarquons dans son jardin, si elle connaît un ancien cimetière
    non loin. Elle donne les noms de plusieurs tombeaux saints. Ayach est
    le paradis des tombeaux saints. Jugez vous-même ! Il y a même une
    tombe appelée Notre père la terre pour les enfants qui mangent la
    terre ! Un peu plus tard, la vieille dame mentionne le cimetière, qui
    ne se trouve qu'à quelques mètres de la route. La prison se situait
    peut-être là où se trouve sa maison maintenant. Autre possibilité,
    l'autre route, toute proche.

    « La paix chez nous »

    Le point de vue turc officiel soutient que les prisonniers d'Ayach y
    furent détenus jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale, puis
    relâchés. Or, selon Sarafian, il n'y eut plus aucune communication de
    la part des prisonniers après l'été 1915 et l'on perd leur trace
    ensuite. Hampartsoum Boyadjian (Mourad), ancien révolutionnaire opposé
    Ã Abd ul-Hamid II et membre du Parlement ottoman, figure parmi ceux
    qui auraient été jugés par une cour martiale (et exécutés). Un autre
    groupe de prisonniers d'Ayach fut envoyé devant une cour martiale Ã
    Diyarbakir, mais n'atteignit jamais cette ville. Ils disparurent et
    auraient été tués. D'après Sarafian, un groupe nombreux de prisonniers
    d'Ayach restants fut envoyé Ã Ankara et déporté avec d'autres
    Arméniens. Eux aussi ont disparu, tandis qu'un autre groupe, composé
    de 25 prisonniers environ, fut massacré Ã Ayach Beli, dans les
    environs.

    Voilà comment Nakachian fut informé de ces tueries par un notable
    turc. Les prisonniers furent attachés les uns aux autres, marchèrent
    deux heures durant, puis furent abattus à Ayach Beli. Sarafian est
    pourtant dans l'impossibilité de fournir des preuves supplémentaires.
    Néanmoins, de retour, il découvre Ayach Beli (qui ne se trouve pas sur
    la carte), saute de la voiture, sans se soucier de la pluie soudaine,
    et contemple l'horizon pour prendre des photos. Il pense probablement
    être parmi les quelques Arméniens qui sont venus à Ayach depuis
    quasiment un siècle.

    Tout en comptant nos pas à Ayach, afin de localiser la prison, il se
    produit alors quelque chose qui me ferait dire « Le réalisateur
    exagère, là ! », si nous étions dans un film. Un camion de la mairie
    s'arrête et le conducteur, tout joyeux, de déclarer : « Vous arrivez
    juste à temps ! Je vais déployer le drapeau maintenant ! » Je réalise
    alors la dimension du mât, comme s'il était haut d'un kilomètre. Il
    est dangereux de déployer ce drapeau géant par un temps pareil. Un
    jour, me dit-on, il s'étendit sur la colline avoisinante. Mais nous
    sommes le 23 avril et il est obligatoire de le déployer.

    Tout en hissant le drapeau, l'homme hurle à notre intention : «
    N'approchez pas ! C'est très dangereux ! » J'attends près d'un
    monument dédié à Atatürk, où il est écrit : « [¦], paix dans le monde.
    » Impossible d'escalader cinq mètres et d'effacer la première partie «
    Paix chez nous », et pourtant c'est arrivé, en quelque sorte,
    spontanément. Hum !¦

    « Que les législateurs discutent, pas les historiens ! »

    « Je ne pense pas que la diaspora arménienne s'intéresse vraiment Ã
    tout ceci. Pratiquement personne n'a lu l'article de Yusuf Sarinay
    débattant et niant le sort réservé aux prisonniers qui furent envoyés
    ici. Une foule de gens prennent la parole, mais les professionnels
    capables de lire réellement des publications et des documents en turc
    ne sont guère plus que cinq ou six. Je suis souvent critiqué, parce
    que j'oppose ce genre de matériaux à la posture négationniste
    officielle de la Turquie. Or tout cela fait partie de mon travail. Si
    nous voulons assumer une position sérieuse sur le génocide arménien,
    alors il nous faut écouter ce qui est dit. Quant à l'accusation de «
    génocide » et à l'argument « Laissons ce débat aux historiens », je
    réponds : « Laissons cela aux avocats et aux juges ! ». A titre
    personnel, j'utilise le terme de génocide, car il décrit les
    événements de 1915. Je n'ai aucun problème à m'asseoir avec des
    historiens qui ne qualifient pas cela de génocide, du moment qu'ils
    sont sincères et qu'ils s'engagent dans de vrais débats. La polémique
    actuelle quant à savoir s'il s'agit ou non d'un génocide est devenu un
    jeu, et cela nous fait perdre beaucoup de temps. »

    Les survivants racontent

    Sarafian nous traduit certains passages des Mémoires du docteur Avédis
    Nakachian :

    « La prison était construite en bois et mesurait 6 mètres sur 15. Il y
    avait là des gens comme Kévork Mesrop, qui avait été arrêté à la place
    de son gendre. Chacun se demandait pourquoi un épicier quasi aveugle
    de Péra, Haïg Tiryakian, ou un attrapeur de chiens, Artin Assadourian,
    avaient été conduits ici.

    Nous dûmes nous répartir les corvées. Les uns s'occupaient du feu,
    d'autres de la cuisine. Nous décernions même des titres particuliers Ã
    certains. Par exemple, Samuelov était le ministre en charge de la
    vaisselle. Nous organisions des chants et des lectures de poésie. Il y
    avait là des poètes très connus, comme Siamanto et Lévon Larents, qui
    avait traduit le Coran en arménien. Nous débattions de politique, de
    la vie et des arts. Le célèbre illustrateur « Gigo » (Krikor
    Torossian) se mit à croquer des caricatures au quotidien. Il pensait
    même les publier. Mais cela n'eut pas de suite. »

    Gigo fut assassiné comme la plupart des autres prisonniers.

    Nakachian relate comment ils préparèrent un télégramme à l'attention
    de Talaat Pacha, où ils déclaraient être innocents et implorer son
    intervention. Ils discutèrent sur l'utilisation du mot « implorer »,
    d'aucuns jugeant la chose par trop humiliante. Parallèlement, des
    nouvelles sur des massacres et des exécutions commençaient à parvenir
    de toutes parts. C'est alors que le désespoir s'installa.
    _____________

    Source : http://massispost.com/2012/05/02/97-years-later-on-the-road-to-ayash/

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