ETUDE DU GENOCIDE DES ARMENIENS: L'IMPACT A LONG TERME DU TRAUMATISME DE MASSE
www.collectifvan.org
Publie le : 10-05-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
livre cette information traduite par Georges Festa et publiee sur le
site Armenian Trends - Mes Armenies le 14 avril 2012.
Legende photo: © Praeger, 2009
Armenian Trends - Mes Armenies
samedi 14 avril 2012
L'impact a long terme du traumatisme de masse
" Explorer l'impact a long terme du traumatisme de masse sur la sante
physique, la resilience et le sens : etude du genocide des Armeniens
perpetre par les Turcs ottomans "
par A. Kalayjian, N. Moore et C. Aberson
Publie in : Kalayjian, Ani et Eugene, Dominique. Mass Trauma and
Emotional Healing around the World : Rituals and practices for
resilience and meaning-making [Traumatisme de masse et guerison
emotionnelle a travers le monde : rituels et pratiques de resilience
et d'elaboration de sens]. New York, NY : ABC-CLIO Publishing, 2010,
p. 287-306
www.keghart.com
Resume
Au cours du 20ème siècle, le genocide a fait de nombreuses victimes
a travers le monde. A elles seules, les politiques genocidaires
gouvernementales se sont traduites par plus de 210 millions de morts
- dont 80 % de victimes civiles et qui representent près de quatre
fois le nombre d'etres humains tues au combat lors des conflits
internationaux et internes durant la meme periode. Il y a près de 90
ans, sous couvert de la Première Guerre mondiale, les forces armees
turques se sont employees de manière systematique a exterminer la
population armenienne de la Turquie.
La presente etude s'interesse a la manière avec laquelle les survivants
armeniens ont gere le genocide, a ce qui leur donna la force de s'en
tirer, a leur niveau de trouble de stress post-traumatique (TSPT),
a l'etendue de la symptomatologie physique et aux significations
associees au traumatisme, tels qu'ils se manifestent dans certains
aspects de recits de survivants emanant de 16 Americains armeniens
(nes avant 1917), qui furent temoins du genocide des Armeniens perpetre
par les Turcs ottomans.
Les resultats preliminaires indiquent que, meme si ces survivants
se sont adaptes et ont reussi dans leur vie en Amerique, certains
niveaux de troubles de stress post-traumatique (TSPT) perdurent. Ceux
qui ont trouve un sens positif a leur vecu s'en sortent mieux et leur
niveau de TSPT et de symptomatologie physique est moins eleve. Ce
projet de recherche fait suite a une etude dans laquelle des styles
et des modèles de resilience de survivants armeniens ont ete etudies,
80 ans après les evenements. Cette etude revèle que face a la toile
de fond des pertes et des atrocites, en dehors de l'objectif d'une
experience de vie conventionnelle, ces survivants âges temoignent
d'un sens de la reussite tempere par une colère visant le deni des
perpetrateurs quant aux modalites de leur victimisation.
Introduction
Bien que des genocides aient ete perpetres au cours des siècles, ce
n'est qu'en 1948, en reponse au genocide des Juifs, que la Convention
des Nations Unies pour la prevention et la repression du crime de
genocide fit du genocide un " crime au regard du droit international "
(Declaration Universelle des Droits de l'Homme, 2000-2008).
Retrospectivement, le genocide aurait dû etre reconnu plus tôt a
travers le monde en general. Le genocide perdure a ce jour, tandis
que les auteurs redigent cet essai. Une des raisons de l'attention
croissante portee au genocide est le genocide en cours au Soudan,
perpetre contre la population du Darfour. Ce genocide a debute en
2003, a fait au moins un million de victimes et deplace 2,3 millions
d'habitants. Les enseignants renoncent a l'incantation " Plus jamais !
" et retiennent l'idee que le genocide ne cesse de se produire. Un
des objectifs corollaires de cette recherche est d'eduquer les jeunes
quant aux modalites du genocide et de son apparition, pour qu'il
y ait une chance de prevention. Le but des auteurs est de faire du
genocide au Darfour l'ultime genocide du 21ème siècle.
Environ 1,5 million d'Armeniens furent massacres entre 1915 et 1923
dans l'empire turc ottoman, alors aux mains des Jeunes-Turcs. Henry
Morgenthau, alors ambassadeur des Etats-Unis dans l'empire ottoman,
fut temoin d'un des premiers exemples de genocide dans le monde "
civilise ". Etant donne l'absence de toute legislation internationale
prohibant l'extermination d'une race, Morgenthau fut incapable de
mettre un terme au genocide armenien, en depit de plusieurs telegrammes
adresses au Departement d'Etat des Etats-Unis. Aucune mesure ne fut
prise par l'empire ottoman afin d'empecher le genocide.
L'histoire etait donc vouee a se repeter. Adolf Hitler declara un
jour : " Qui parle aujourd'hui de l'extermination des Armeniens ? "
(Armenian National Institute [Institut National Armenien], 1998-2008).
Galvanisant les soutiens pour sa " solution finale " du " problème "
juif dans l'Allemagne nazie, Hitler capitalisa sur le genocide oublie
des Armeniens.
Le 25 mars 1915, appuye par les Jeunes-Turcs au pouvoir, le ministre
de l'Interieur, Talaat Pacha, ordonna sa " solution finale " pour les
Armeniens vivant dans la Turquie ottomane : " Le devoir de chacun
est de contribuer le plus largement possible a la realisation du
noble projet d'eradiquer l'existence d'elements bien connus qui,
durant des siècles, ont fait obstacle au progrès de l'empire vers la
civilisation. " (The First World War, 2000-2007).
La langue employee dans cet ordre livre nombre d'apercus quant aux
intentions, aux circonstances et a la signification du genocide
des Armeniens. Les Armeniens incarnaient une menace concurrente et
un problème ethnique pour l'empire ottoman, a mesure que ce meme
empire retrecissait et perdait sa stabilite politique. Les Armeniens,
premier groupe a avoir adopte le christianisme, se heurtèrent aux
Turcs musulmans nationalistes. Bien avant le genocide armenien,
les Armeniens representaient une menace coloniale pour la Russie en
Transcaucasie, et auparavant ils furent envahis par la Perse.
Traditionnellement, les Armeniens etaient des marchands prospères qui
constituaient une large secteur de la bourgeoisie en Transcaucasie
russe. Les Russes tiraient benefice et contrôlaient le negoce
armenien. Or les Turcs ne se soucièrent pas de profiter du commerce
armenien, y voyant une menace. Ces memes Turcs voulurent donc eliminer
totalement les Armeniens et s'etendre en direction des territoires
armeniens. " Les Turcs voulaient ecarter les Armeniens de leur route ;
ils convoitaient aussi les richesses des Armeniens et se preparèrent
a tuer, torturer et mutiler pour les obtenir. Leurs motifs etaient
anciens ; les moyens pour y parvenir furent nouveaux et effrayants. "
(Winter, 2003, p. 209-210).
En 1914, la combinaison de la forte identite chretienne des Armeniens,
leurs liens avec la Russie (que la Turquie avait combattue en Armenie)
et leur omnipresence dans la bourgeoisie incitèrent les Turcs a vouloir
eliminer ce qu'ils percevaient comme une menace armenienne. De fait,
Talaat Pacha reprochait aux Armeniens d'entraver l'expansion de la
Turquie. Via ses ordres de deportation, il reproche clairement aux
Armeniens le fait de constituer un obstacle aux progrès de l'empire
vers la civilisation (voir plus haut). Les Jeunes-Turcs n'auraient pas
tolere un empire multiethnique. En realite, c'est l'essence meme de
l'identite armenienne chretienne qui menacait l'empire turc. D'après
Vahakn N. Dadrian (1994), la deportation et le meurtre d'un million
et demi d'Armeniens visaient a debarrasser la Turquie orientale
d'une ancienne et prospère communaute, dont les habitants armeniens
suscitaient de la jalousie et qui etaient percus comme ennemis en temps
de guerre. En consequence, lorsque les deportations commencèrent, les
Turcs deportèrent les representants les plus influents et les plus
puissants de la communaute armenienne, âges de 18 a 45 ans, parmi
lesquels des dirigeants, des ecclesiastiques, des intellectuels,
des hommes d'affaires et des journalistes. Les Armeniens etaient
craints des Jeunes-Turcs du fait de leur identite intellectuelle et
culturelle, qui menacait l'empire turc ottoman.
Le christianisme constitue une part centrale de l'identite armenienne ;
aussi les perpetrateurs s'en prirent-ils au christianisme armenien.
Balakian (2004) rapporte qu'une Armenienne se vit remettre les
vetements ensanglantes de son fils decede ; un Turc la conduisit
alors vers une eglise - en clair, un element significatif de la
religion armenienne. " Dans cette eglise, le Turc designa la croix
et lui dit : 'Agenouille-toi et prie ! On te fera ca, comme vous
l'avez fait au Christ ! He la mère ! Prie pour ton fils ! N'as-tu
pas foi en la resurrection ?' " Ce genre de souffrance psychologique,
que tant d'Armeniens connurent lors du genocide, hantera a jamais les
survivants. Membre de la diaspora armenienne, Balakian medite sur la
nature catastrophique du genocide :
" Qu'est-ce que cela signifie, lorsqu'un peuple aimant, travailleur,
qui bâtit une culture sur la terre où il vecut durant trois mille ans,
est detruit ? Qu'est-ce que cela signifie pour la transmission de la
culture ? Qu'est-ce que cela signifie pour la race humaine ?
Lorsqu'une civilisation est effacee, de nouvelles tenèbres s'abattent
sur la terre. Je puis sentir la poussière souffler sur la terre sèche,
la où maintenant le sang fait partie des rochers, et où plus jamais
une eau claire ne s'ecoulera. " (p. 253)
Balakian pose nombre de questions importantes quant a l'impact du
genocide sur les survivants. De fait, les Turcs, a l'instar de tous
les perpetrateurs, cherchèrent a " detruire le sentiment d'autonomie
de la victime " (Herman, 1997, p. 77). Il importe donc de saisir
et de comprendre les repercussions de l'elimination de l'autonomie
personnelle, en particulier ses ramifications psychologiques.
Dans son ouvrage, Trauma and Recovery [Traumatisme et guerison] (1997),
Herman souligne l'importance d'un environnement social positif, suite
a un traumatisme de masse. Dans les cas de genocide, le trouble de
stress post-traumatique est prevalent chez les survivants, du fait
du traumatisme de masse a long terme suscite par le fait d'avoir
ete temoin de morts, de destructions, de famine, de tortures et de
deplacement force.
Recensions
Durant le 20ème siècle, le genocide a coûte d'innombrables vies a
travers le monde. Les Juifs d'Europe Orientale lors de la Shoah, les
Armeniens dans l'empire turc ottoman et les Africains du Rwanda et du
Soudan ne sont que quelques-uns de ceux qui en ont souffert. A elles
seules, les politiques genocidaires gouvernementales ont entraîne
plus de 210 millions de morts - dont 80 % de victimes civiles (170
millions) - un chiffre qui represente près de quatre fois le nombre
d'individus tues lors de combats, durant les conflits internationaux
et internes pour cette meme periode (Robinson, 1998 ; Rummel, 1996).
Ces statistiques n'incluent pas les violations des droits de l'homme
et sous-estiment notablement le coût additionnel en terme de vies
humaines, lie aux cicatrices physiques et psychologiques.
Bien que comptant moins de dix ans, le 21ème siècle a deja demontre
qu'il n'est pas plus exempt ou mieux protege du dechaînement macabre
du genocide. La region du Darfour au Soudan est la dernière region
qui abrite et subit quotidiennement des massacres motives au plan
ethno-politique. Tandis que beaucoup de gens continuent de mourir,
les survivants seront contraints de gerer les effets traumatiques,
bien après la fin du conflit. En depit de cette sinistre realite,
la psychologie est seule qualifiee pour traiter les consequences de
telles atrocites (Woolf, 2000).
Si les definitions particulières peuvent varier, le fil commun entre
les genocides est la mort et l'intention de detruire en partie ou en
totalite un groupe ethnique (Office du Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les Droits de l'homme, 2008). La mort resulte souvent
des conditions de torture physique, que sont l'epuisement, la faim,
la deshydratation et la maladie (Kalayjian, Shahinian, Gergerian
et Saraydarian, 1996). En clair, ceci fait de l'etude scientifique
des effets psychologiques du genocide une tâche plutôt ardue. De
nombreuses victimes de genocide ne survivent pas, et souvent celles
qui ont cette chance ne souhaitent pas revivre leur traumatisme a
des fins de recherche scientifique. Outre le coût physique evident,
les survivants de genocide sont aux prises avec de nombreux effets
psychologiques durables lies a leur traumatisme (Kalayjian et al.,
1996). En 1995, Athanase Hagengimana mena une enquete auprès de
survivants du genocide tutsi au Rwanda et decouvrit deux ensembles
communs de symptômes :
1. Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) - Ihahamuka, mot que
les Rwandais ont cree après le genocide, est principalement utilise
pour les enfants ou les personnes qui s'effraient facilement, ont
des cauchemars lies au traumatisme et qui evitent souvent ceux qui
leur rappellent des evenements traumatiques. Ce qui s'applique aux
cas de nombreux enfants et adultes, qui ne peuvent supporter de voir
des soldats en uniforme, car ils ont ete temoins de soldats tuant
leurs proches lors du genocide de 1994.
2. La douleur traumatique chronique - La douleur traumatique s'est
revelee très repandue. Comme 91 % des survivants n'ont pas eu la chance
d'enterrer leurs proches ou d'accomplir des rituels funeraires, cela
a affecte leur processus de deuil. Parmi les survivants interviewes,
88 % n'avaient pas encore vu les cadavres de leurs proches.
Hagengimana (1995) decouvrit que les habitudes des survivants, suite
au genocide, sont elles aussi appelees ihahamuka. Celles-ci incluent
des comportements asociaux chez les jeunes (a savoir, promiscuite
pour les jeunes filles et les veuves), addiction a la boisson qui
n'existait pas avant le genocide, agressivite et irritabilite notables
envers autrui. Guerison des blessures et justice pour les survivants
semblent etre des exigences incontournables pour toute reconciliation.
Schiraldi (2000) voit dans le trouble de stress post-traumatique
(TSPT) une reaction normale de gens normaux a des situations
anormales. Si le TSPT peut succeder a des desastres commis tant
par la nature que par l'homme, ces derniers peuvent etre plus
difficiles a gerer. Frequemment, les perpetrateurs continuent
de vivre dans une grande proximite avec les victimes - rappelant
ainsi constamment le passe, tout en menacant l'avenir. Meme si la
source immediate du traumatisme est supprimee, le temps n'apaise
pas necessairement toutes les blessures. Le survivant peut, en
fait, continuer a souffrir, apparaître comme " fige dans le temps "
(Brahm, 2003-2007). La culpabilite du survivant constitue elle aussi
un symptôme douloureux, associe aux genocides et au TSPT (Niederland,
1981). Danieli (1988) a decrit des fonctions de resilience vis-a-vis
de ce genre de culpabilite parmi des survivants de la Shoah sous la
forme de commemorations. La culpabilite des survivants, soutient-elle,
preserve une loyaute envers les non-survivants, proposant un cimetière
symbolique a l'attention de ceux qui se sont vus refuser a jamais
un lieu legitime de repos. Du fait de la profonde colère suscitee
par le deni de la Turquie, la nature de la culpabilite du survivant
armenien n'est pas necessairement identique (Kupelian, Kalayjian et
Kassabian, 1998). La comorbidite accompagne habituellement le TSPT,
tandis qu'entre 62 et 92 % des patients souffrant de TSPT connaissent
un trouble psychiatrique anterieur ou parallèle, contre une fourchette
allant seulement de 15 a 33 % des groupes comparables, exempts de TSPT
(Helzer, Robins et McEvoy, 1987).
Dans une etude menee en 1996 sur des adultes plus âges, survivants du
genocide armenien, Kalayjian et al. decouvrirent que les survivants
identifiaient destruction de la vie, harcèlement physique, deportation,
pillage et perte du statut social comme les principaux vecteurs
de stress qu'ils etaient obliges de subir. La profondeur d'un tel
traumatisme peut avoir ete modulee par la decision de nombreux
survivants de ne pas parler de leur vecu avant cette enquete. Aucun
consensus n'existe quant a savoir pourquoi les survivants choisissent
de garder le silence. Certains estiment que cela resulte de sentiments
d'humiliation, de faiblesse et de peur (Mazor, Gampel, Enright et
Orenstein, 1990). D'autres restent silencieux par crainte d'etre
tortures a nouveau (Kalayjian et Shahinian, 1998). Danieli (1982) a
mis en evidence le fait que la peur et l'isolement inhibent le deuil
des survivants d'un genocide. Ceci est particulièrement important,
du fait de la correlation positive entre la capacite des survivants
d'un genocide a communiquer leur vecu d'evenements traumatisants et
leur sante post-traumatique (Cahn, 1987). Les methodes de resilience
passent habituellement par la religion, la famille, le travail et le
deni (Kalayjian et al., 1996).
D'après Herman (1997), le stress post-traumatique se manifeste
habituellement de trois manières :
- premièrement : l'hyperemotivite, issue d'une vigilance continuelle
dans l'espoir que l'experience vecue ne revienne pas - deuxièmement :
le souvenir traumatisant est omnipresent dans l'esprit de la personne
traumatisee. Ce souvenir survient a repetitions, a la manière d'un
flashback, pouvant survenir a tout moment, et la victime est incapable
de distinguer le souvenir du fait de vivre effectivement l'evenement
a nouveau.
- troisièmement : les individus traumatises semblent indifferents,
afin de dissimuler un sentiment de vulnerabilite et d'impuissance.
Ce genre de traumatisme affecte autant les individus que les
communautes. Un accroissement dans la prevalence du traumatisme peut
conduire a une diminution de confiance au sein d'un groupe social. Le
traumatisme evolue souvent hors de contrôle dans un cycle pervers. Les
violations des droits de l'homme creent un traumatisme massif,
lequel peut, en retour, alimenter de nouvelles violations des droits
de l'homme, et ainsi de suite. Des sentiments de traumatisme peuvent
susciter des sentiments de frustration et de revanche, lesquels peuvent
produire ce cycle de violence et perpetuer des sentiments d'identite de
victime des deux côtes du conflit. Le traumatisme partage engendre un "
nous ressentons ", mais cree aussi une mentalite du " nous contre eux "
(United States Institute of Peace, 2001).
Les hommes, les femmes et les enfants sont-ils affectes differemment ?
Les femmes risquent très souvent d'etre marginalisees, après que maris
et enfants aient ete tues lors d'un conflit (Kalayjian et al., 1996).
Elles sont souvent humiliees, ayant le sentiment qu'elles ne peuvent
rien faire pour endiguer la violence. Qui plus est, la perte d'un
mari ou enfant peut entraver la possibilite pour elles de subvenir
a leur famille, aggravant ainsi l'humiliation. Les enfants eux aussi
font face a un traumatisme particulièrement difficile. Ils manquent
d'un developpement emotionnel et d'un vecu susceptible de donner sens
au traumatisme, plus souvent meme que les adultes (Brahm, 203-2007).
Jarman (2001) note en Tchetchenie que des evenements traumatisants
suscitent souvent une colère extreme parmi les adolescents, dont les
existences ont ete devastees et qui ont ete, de fait, prives de leur
jeunesse. Sans surprise, les enfants devenus orphelins du fait d'un
genocide sont souvent recrutes immediatement en tant que soldats.
Les enfants de survivants sont susceptibles de reprendre des
comportements d'adultes au cours de leur vie, donnant ainsi au
traumatisme la possibilite d'etre transmis au fil des generations. Si
les parents tentent parfois de couvrir et de proteger leurs enfants
de la connaissance du traumatisme, les enfants qui percoivent le
fait qu'un parent est incapable de tolerer certains effets, cesseront
d'en faire l'experience et de les exprimer, dans une tentative pour
proteger le lien avec le parent concerne (Kalayjian, 2002).
Il y a plus d'un demi-siècle, Sullivan a souligne l'importance de la
" validation " d'un traumatisme, afin de parvenir a sa resolution
et y mettre un terme (Sullivan, 1953). Une expression explicite de
remords, de la part d'un perpetrateur a l'egard d'une victime, peut
revetir une grande valeur d'apaisement (Staub, 1990). A l'oppose, le
deni perpetue le traumatisme et permet aux perpetrateurs d'esquiver
les consequences de leurs actes (Hovannisian, 1987). Dans le cas des
Turcs et des Armeniens, il n'y a jamais eu reconnaissance officielle
du genocide perpetre par le gouvernement turc. Des Pres voit a juste
titre dans la souffrance des Armeniens une souffrance empreinte d'
" une perte permanente et de la souffrance d'une memoire tournee en
derision par le deni " (Des Pres, 1987, p. 17). Outre les dommages
qu'un tel deni cause aux victimes concernees et a leurs familles, il
peut clairement instituer un precedent dangereux pour des massacres
genocidaires ulterieurs (Smith, Markusen et Lifton, 1995). La preuve
la plus recente en est toute cette serie de genocides qui continuent a
se produire dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne. La violence
au Darfour s'est deployee moins de dix ans après le genocide survenu
chez son voisin, le Rwanda. Apparemment, le genocide peut engendrer un
genocide. " Une fois l'extermination des Armeniens rendue negligeable,
les exterminations de la Shoah furent rendue possibles. " (Kupelian
et al., 1998, p. 206).
Stanton (1996) enumère les huit etapes du genocide : classification,
symbolisation, deshumanisation, organisation, polarisation,
preparation, extermination et negation. Chacune de ces etapes decline
l'extermination d'une population humaine.
Le premier auteur de cette etude a propose huit phases de guerison,
suite a un genocide, a savoir : la reconnaissance, la validation,
la reparation, affronter des sentiments negatifs (tels que la
colère, la peur, la honte et l'humiliation), affronter le deni et le
revisionnisme, parvenir a l'acceptation, au pardon, a la decouverte
d'un sens nouveau, des enseignements appris et la clôture (Kalayjian,
2005).
Methode
Participants
Les participants a cette recherche etaient des Americains armeniens
âges, nes avant 1917, qui avaient ete temoins du genocide armenien et
qui etaient volontaires pour participer a cette etude. Les participants
etaient au nombre de 16 (9 femmes et 7 hommes). L'âge des participants
allait de 79 a 93 ans, pour une moyenne de 85,3 ans. Dans ce groupe,
50 % avaient fait des etudes superieures ; 43 % avaient immigre aux
Etats-Unis entre 1912 et 1952 ; 56 % etaient arrives après 1966. Tous
les participants etaient maries, 56 % etaient devenus ensuite veufs
et 87 % avaient eu des enfants. Au plan professionnel, le groupe le
plus nombreux (31 %) avait travaille dans l'industrie du vetement
(retouchage, sur mesure et confection). Le second groupe le plus
nombreux (25 %) comprenait soit des proprietaires, soit des gerants
d'un magasin. Le troisième groupe en importance se composait de femmes
au foyer (12 %) et de dentistes (12 %). Une personne avait travaille
dans l'enseignement, une autre dans la pharmacie et une troisième
standardiste. Concernant la religion, 87 % etaient de confession
apostolique et 12 % de confession catholique.
Durant la periode 1995-2005, tous les participants furent interviewes
chez eux dans la region metropolitaine de New York. La langue première
de certains participants etant l'armenien, les questions qui leur
furent posees et les formulaires remis le furent en armenien.
Formulaires qui furent traduits, puis traduits a nouveau.
Procedure
Le formulaire de l'entretien consistait en 23 questions visant
a rassembler des donnees demographiques factuelles. La duree de
l'entretien s'etalait de 30 minutes a quatre heures. Un formulaire de
mini-examen de l'etat mental (MMSE - Examen de Folstein sur l'etat
mental) fut remis afin d'evaluer l'etat cognitif et son eventuelle
deterioration. Ce formulaire evalue l'orientation, la memoire
immediate et a court terme, le langage et la capacite a suivre des
commandes verbales simples. Le MMSE a demontre sa validite et sa
fiabilite en psychiatrie, en neurologie, en geriatrie et dans d'autres
populations medicales (Folstein, Folstein et McHugh, 1975). Bien que
ce formulaire n'exige qu'une trentaine de minutes pour etre renseigne,
de nombreux survivants voulurent parler longuement, faisant durer
l'interview jusqu'a quatre heures. L'Inventaire Bref des Symptômes
(Brief Symptom Inventory - BSI) est un inventaire de symptômes
signales par le patient, constitue de 53 questions, dans le but de
refleter les modalites de symptômes psychologique des patients en
psychiatrie et en medecine, ainsi que des personnes interrogees, non
patients, appartenant a une communaute (Derogatis, 1993). Le BSI est
une echelle de Likert qui comprend des resultats bruts allant de 0 a
212. Ces resultats bruts sont ensuite convertis en scores-T [resultats
standardises] pour chaque niveau. Cet inventaire enregistre le profil
de neuf dimensions symptomatiques primaires et trois indices globaux
de detresse (Derogatis). Les dimensions symptomatiques primaires
sont : 1) la somatisation, 2) l'etat obsessif-compulsif (O-C), 3)
la sensibilite interpersonnelle (I-S), 4) la depression (DEP), 5)
l'anxiete (ANX), 6) l'hostilite (HOS), 7) l'anxiete phobique (PHOB),
8) l'ideation paranoïaque (PAR), 9) l'etat psychotique (PSY). Les
participants donnèrent des scores-T en SOM de 41 a 80, O-C de 38 a
72, I-S de 38 a 74, DEP de 41 a 61, ANX de 38 a 72, HOS de 39 a 70,
PHOB de 44 a 72, PAR de 43 a 80, et PSY de 46 a 67.
Les indices globaux sont : Index General de Severite (IGS), Total
des symptômes positifs (TSP) et Index de detresse des symptômes
positifs (IDSP). Les participants donnèrent des scores-T en IGS
allant de 33 a 73, en TSP de 30 a 70, et en IDSP de 30 a 65. Cet
outil fut choisi, du fait de la fiabilite elevee de sa coherence
interne. Les coefficients alpha pour les 9 dimensions du BSI vont
d'une valeur basse .71 pour l'etat psychotique a celle haute .85 pour
la depression (Derogatis, 1993). Le questionnaire sur l'objet de la
vie [Life Purpose Questionnaire - LPQ] fut utilise afin d'evaluer
l'appreciation personnelle du sens de l'existence. Il s'agit d'un
questionnaire qui produit des resultats allant de 0 a 20. Ces resultats
vont de ne voir aucun sens a la vie a une signification precise donnee
a la vie. Les participants donnèrent des resultats allant de 13 a
19. Ce questionnaire fut choisi du fait de sa fiabilite test-retest,
laquelle se traduit par une correlation .90. En outre, les questions
du LPQ sont concues pour etre aisement comprises et renseignees par
certaines personnes (Hutzell, 1987, cite in Derogatis).
Lire la suite ainsi que les commentaires sur Armenian Trends -
Mes Armenies
Source : http://www.keghart.com/Kalayjian-et-al-PTSD Article publie
en mars 2012.
Traduction : © Georges Festa - 04.2012.
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ans, sous couvert de la Première Guerre mondiale, les forces armees
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population armenienne de la Turquie.
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armeniens ont gere le genocide, a ce qui leur donna la force de s'en
tirer, a leur niveau de trouble de stress post-traumatique (TSPT),
a l'etendue de la symptomatologie physique et aux significations
associees au traumatisme, tels qu'ils se manifestent dans certains
aspects de recits de survivants emanant de 16 Americains armeniens
(nes avant 1917), qui furent temoins du genocide des Armeniens perpetre
par les Turcs ottomans.
Les resultats preliminaires indiquent que, meme si ces survivants
se sont adaptes et ont reussi dans leur vie en Amerique, certains
niveaux de troubles de stress post-traumatique (TSPT) perdurent. Ceux
qui ont trouve un sens positif a leur vecu s'en sortent mieux et leur
niveau de TSPT et de symptomatologie physique est moins eleve. Ce
projet de recherche fait suite a une etude dans laquelle des styles
et des modèles de resilience de survivants armeniens ont ete etudies,
80 ans après les evenements. Cette etude revèle que face a la toile
de fond des pertes et des atrocites, en dehors de l'objectif d'une
experience de vie conventionnelle, ces survivants âges temoignent
d'un sens de la reussite tempere par une colère visant le deni des
perpetrateurs quant aux modalites de leur victimisation.
Introduction
Bien que des genocides aient ete perpetres au cours des siècles, ce
n'est qu'en 1948, en reponse au genocide des Juifs, que la Convention
des Nations Unies pour la prevention et la repression du crime de
genocide fit du genocide un " crime au regard du droit international "
(Declaration Universelle des Droits de l'Homme, 2000-2008).
Retrospectivement, le genocide aurait dû etre reconnu plus tôt a
travers le monde en general. Le genocide perdure a ce jour, tandis
que les auteurs redigent cet essai. Une des raisons de l'attention
croissante portee au genocide est le genocide en cours au Soudan,
perpetre contre la population du Darfour. Ce genocide a debute en
2003, a fait au moins un million de victimes et deplace 2,3 millions
d'habitants. Les enseignants renoncent a l'incantation " Plus jamais !
" et retiennent l'idee que le genocide ne cesse de se produire. Un
des objectifs corollaires de cette recherche est d'eduquer les jeunes
quant aux modalites du genocide et de son apparition, pour qu'il
y ait une chance de prevention. Le but des auteurs est de faire du
genocide au Darfour l'ultime genocide du 21ème siècle.
Environ 1,5 million d'Armeniens furent massacres entre 1915 et 1923
dans l'empire turc ottoman, alors aux mains des Jeunes-Turcs. Henry
Morgenthau, alors ambassadeur des Etats-Unis dans l'empire ottoman,
fut temoin d'un des premiers exemples de genocide dans le monde "
civilise ". Etant donne l'absence de toute legislation internationale
prohibant l'extermination d'une race, Morgenthau fut incapable de
mettre un terme au genocide armenien, en depit de plusieurs telegrammes
adresses au Departement d'Etat des Etats-Unis. Aucune mesure ne fut
prise par l'empire ottoman afin d'empecher le genocide.
L'histoire etait donc vouee a se repeter. Adolf Hitler declara un
jour : " Qui parle aujourd'hui de l'extermination des Armeniens ? "
(Armenian National Institute [Institut National Armenien], 1998-2008).
Galvanisant les soutiens pour sa " solution finale " du " problème "
juif dans l'Allemagne nazie, Hitler capitalisa sur le genocide oublie
des Armeniens.
Le 25 mars 1915, appuye par les Jeunes-Turcs au pouvoir, le ministre
de l'Interieur, Talaat Pacha, ordonna sa " solution finale " pour les
Armeniens vivant dans la Turquie ottomane : " Le devoir de chacun
est de contribuer le plus largement possible a la realisation du
noble projet d'eradiquer l'existence d'elements bien connus qui,
durant des siècles, ont fait obstacle au progrès de l'empire vers la
civilisation. " (The First World War, 2000-2007).
La langue employee dans cet ordre livre nombre d'apercus quant aux
intentions, aux circonstances et a la signification du genocide
des Armeniens. Les Armeniens incarnaient une menace concurrente et
un problème ethnique pour l'empire ottoman, a mesure que ce meme
empire retrecissait et perdait sa stabilite politique. Les Armeniens,
premier groupe a avoir adopte le christianisme, se heurtèrent aux
Turcs musulmans nationalistes. Bien avant le genocide armenien,
les Armeniens representaient une menace coloniale pour la Russie en
Transcaucasie, et auparavant ils furent envahis par la Perse.
Traditionnellement, les Armeniens etaient des marchands prospères qui
constituaient une large secteur de la bourgeoisie en Transcaucasie
russe. Les Russes tiraient benefice et contrôlaient le negoce
armenien. Or les Turcs ne se soucièrent pas de profiter du commerce
armenien, y voyant une menace. Ces memes Turcs voulurent donc eliminer
totalement les Armeniens et s'etendre en direction des territoires
armeniens. " Les Turcs voulaient ecarter les Armeniens de leur route ;
ils convoitaient aussi les richesses des Armeniens et se preparèrent
a tuer, torturer et mutiler pour les obtenir. Leurs motifs etaient
anciens ; les moyens pour y parvenir furent nouveaux et effrayants. "
(Winter, 2003, p. 209-210).
En 1914, la combinaison de la forte identite chretienne des Armeniens,
leurs liens avec la Russie (que la Turquie avait combattue en Armenie)
et leur omnipresence dans la bourgeoisie incitèrent les Turcs a vouloir
eliminer ce qu'ils percevaient comme une menace armenienne. De fait,
Talaat Pacha reprochait aux Armeniens d'entraver l'expansion de la
Turquie. Via ses ordres de deportation, il reproche clairement aux
Armeniens le fait de constituer un obstacle aux progrès de l'empire
vers la civilisation (voir plus haut). Les Jeunes-Turcs n'auraient pas
tolere un empire multiethnique. En realite, c'est l'essence meme de
l'identite armenienne chretienne qui menacait l'empire turc. D'après
Vahakn N. Dadrian (1994), la deportation et le meurtre d'un million
et demi d'Armeniens visaient a debarrasser la Turquie orientale
d'une ancienne et prospère communaute, dont les habitants armeniens
suscitaient de la jalousie et qui etaient percus comme ennemis en temps
de guerre. En consequence, lorsque les deportations commencèrent, les
Turcs deportèrent les representants les plus influents et les plus
puissants de la communaute armenienne, âges de 18 a 45 ans, parmi
lesquels des dirigeants, des ecclesiastiques, des intellectuels,
des hommes d'affaires et des journalistes. Les Armeniens etaient
craints des Jeunes-Turcs du fait de leur identite intellectuelle et
culturelle, qui menacait l'empire turc ottoman.
Le christianisme constitue une part centrale de l'identite armenienne ;
aussi les perpetrateurs s'en prirent-ils au christianisme armenien.
Balakian (2004) rapporte qu'une Armenienne se vit remettre les
vetements ensanglantes de son fils decede ; un Turc la conduisit
alors vers une eglise - en clair, un element significatif de la
religion armenienne. " Dans cette eglise, le Turc designa la croix
et lui dit : 'Agenouille-toi et prie ! On te fera ca, comme vous
l'avez fait au Christ ! He la mère ! Prie pour ton fils ! N'as-tu
pas foi en la resurrection ?' " Ce genre de souffrance psychologique,
que tant d'Armeniens connurent lors du genocide, hantera a jamais les
survivants. Membre de la diaspora armenienne, Balakian medite sur la
nature catastrophique du genocide :
" Qu'est-ce que cela signifie, lorsqu'un peuple aimant, travailleur,
qui bâtit une culture sur la terre où il vecut durant trois mille ans,
est detruit ? Qu'est-ce que cela signifie pour la transmission de la
culture ? Qu'est-ce que cela signifie pour la race humaine ?
Lorsqu'une civilisation est effacee, de nouvelles tenèbres s'abattent
sur la terre. Je puis sentir la poussière souffler sur la terre sèche,
la où maintenant le sang fait partie des rochers, et où plus jamais
une eau claire ne s'ecoulera. " (p. 253)
Balakian pose nombre de questions importantes quant a l'impact du
genocide sur les survivants. De fait, les Turcs, a l'instar de tous
les perpetrateurs, cherchèrent a " detruire le sentiment d'autonomie
de la victime " (Herman, 1997, p. 77). Il importe donc de saisir
et de comprendre les repercussions de l'elimination de l'autonomie
personnelle, en particulier ses ramifications psychologiques.
Dans son ouvrage, Trauma and Recovery [Traumatisme et guerison] (1997),
Herman souligne l'importance d'un environnement social positif, suite
a un traumatisme de masse. Dans les cas de genocide, le trouble de
stress post-traumatique est prevalent chez les survivants, du fait
du traumatisme de masse a long terme suscite par le fait d'avoir
ete temoin de morts, de destructions, de famine, de tortures et de
deplacement force.
Recensions
Durant le 20ème siècle, le genocide a coûte d'innombrables vies a
travers le monde. Les Juifs d'Europe Orientale lors de la Shoah, les
Armeniens dans l'empire turc ottoman et les Africains du Rwanda et du
Soudan ne sont que quelques-uns de ceux qui en ont souffert. A elles
seules, les politiques genocidaires gouvernementales ont entraîne
plus de 210 millions de morts - dont 80 % de victimes civiles (170
millions) - un chiffre qui represente près de quatre fois le nombre
d'individus tues lors de combats, durant les conflits internationaux
et internes pour cette meme periode (Robinson, 1998 ; Rummel, 1996).
Ces statistiques n'incluent pas les violations des droits de l'homme
et sous-estiment notablement le coût additionnel en terme de vies
humaines, lie aux cicatrices physiques et psychologiques.
Bien que comptant moins de dix ans, le 21ème siècle a deja demontre
qu'il n'est pas plus exempt ou mieux protege du dechaînement macabre
du genocide. La region du Darfour au Soudan est la dernière region
qui abrite et subit quotidiennement des massacres motives au plan
ethno-politique. Tandis que beaucoup de gens continuent de mourir,
les survivants seront contraints de gerer les effets traumatiques,
bien après la fin du conflit. En depit de cette sinistre realite,
la psychologie est seule qualifiee pour traiter les consequences de
telles atrocites (Woolf, 2000).
Si les definitions particulières peuvent varier, le fil commun entre
les genocides est la mort et l'intention de detruire en partie ou en
totalite un groupe ethnique (Office du Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les Droits de l'homme, 2008). La mort resulte souvent
des conditions de torture physique, que sont l'epuisement, la faim,
la deshydratation et la maladie (Kalayjian, Shahinian, Gergerian
et Saraydarian, 1996). En clair, ceci fait de l'etude scientifique
des effets psychologiques du genocide une tâche plutôt ardue. De
nombreuses victimes de genocide ne survivent pas, et souvent celles
qui ont cette chance ne souhaitent pas revivre leur traumatisme a
des fins de recherche scientifique. Outre le coût physique evident,
les survivants de genocide sont aux prises avec de nombreux effets
psychologiques durables lies a leur traumatisme (Kalayjian et al.,
1996). En 1995, Athanase Hagengimana mena une enquete auprès de
survivants du genocide tutsi au Rwanda et decouvrit deux ensembles
communs de symptômes :
1. Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) - Ihahamuka, mot que
les Rwandais ont cree après le genocide, est principalement utilise
pour les enfants ou les personnes qui s'effraient facilement, ont
des cauchemars lies au traumatisme et qui evitent souvent ceux qui
leur rappellent des evenements traumatiques. Ce qui s'applique aux
cas de nombreux enfants et adultes, qui ne peuvent supporter de voir
des soldats en uniforme, car ils ont ete temoins de soldats tuant
leurs proches lors du genocide de 1994.
2. La douleur traumatique chronique - La douleur traumatique s'est
revelee très repandue. Comme 91 % des survivants n'ont pas eu la chance
d'enterrer leurs proches ou d'accomplir des rituels funeraires, cela
a affecte leur processus de deuil. Parmi les survivants interviewes,
88 % n'avaient pas encore vu les cadavres de leurs proches.
Hagengimana (1995) decouvrit que les habitudes des survivants, suite
au genocide, sont elles aussi appelees ihahamuka. Celles-ci incluent
des comportements asociaux chez les jeunes (a savoir, promiscuite
pour les jeunes filles et les veuves), addiction a la boisson qui
n'existait pas avant le genocide, agressivite et irritabilite notables
envers autrui. Guerison des blessures et justice pour les survivants
semblent etre des exigences incontournables pour toute reconciliation.
Schiraldi (2000) voit dans le trouble de stress post-traumatique
(TSPT) une reaction normale de gens normaux a des situations
anormales. Si le TSPT peut succeder a des desastres commis tant
par la nature que par l'homme, ces derniers peuvent etre plus
difficiles a gerer. Frequemment, les perpetrateurs continuent
de vivre dans une grande proximite avec les victimes - rappelant
ainsi constamment le passe, tout en menacant l'avenir. Meme si la
source immediate du traumatisme est supprimee, le temps n'apaise
pas necessairement toutes les blessures. Le survivant peut, en
fait, continuer a souffrir, apparaître comme " fige dans le temps "
(Brahm, 2003-2007). La culpabilite du survivant constitue elle aussi
un symptôme douloureux, associe aux genocides et au TSPT (Niederland,
1981). Danieli (1988) a decrit des fonctions de resilience vis-a-vis
de ce genre de culpabilite parmi des survivants de la Shoah sous la
forme de commemorations. La culpabilite des survivants, soutient-elle,
preserve une loyaute envers les non-survivants, proposant un cimetière
symbolique a l'attention de ceux qui se sont vus refuser a jamais
un lieu legitime de repos. Du fait de la profonde colère suscitee
par le deni de la Turquie, la nature de la culpabilite du survivant
armenien n'est pas necessairement identique (Kupelian, Kalayjian et
Kassabian, 1998). La comorbidite accompagne habituellement le TSPT,
tandis qu'entre 62 et 92 % des patients souffrant de TSPT connaissent
un trouble psychiatrique anterieur ou parallèle, contre une fourchette
allant seulement de 15 a 33 % des groupes comparables, exempts de TSPT
(Helzer, Robins et McEvoy, 1987).
Dans une etude menee en 1996 sur des adultes plus âges, survivants du
genocide armenien, Kalayjian et al. decouvrirent que les survivants
identifiaient destruction de la vie, harcèlement physique, deportation,
pillage et perte du statut social comme les principaux vecteurs
de stress qu'ils etaient obliges de subir. La profondeur d'un tel
traumatisme peut avoir ete modulee par la decision de nombreux
survivants de ne pas parler de leur vecu avant cette enquete. Aucun
consensus n'existe quant a savoir pourquoi les survivants choisissent
de garder le silence. Certains estiment que cela resulte de sentiments
d'humiliation, de faiblesse et de peur (Mazor, Gampel, Enright et
Orenstein, 1990). D'autres restent silencieux par crainte d'etre
tortures a nouveau (Kalayjian et Shahinian, 1998). Danieli (1982) a
mis en evidence le fait que la peur et l'isolement inhibent le deuil
des survivants d'un genocide. Ceci est particulièrement important,
du fait de la correlation positive entre la capacite des survivants
d'un genocide a communiquer leur vecu d'evenements traumatisants et
leur sante post-traumatique (Cahn, 1987). Les methodes de resilience
passent habituellement par la religion, la famille, le travail et le
deni (Kalayjian et al., 1996).
D'après Herman (1997), le stress post-traumatique se manifeste
habituellement de trois manières :
- premièrement : l'hyperemotivite, issue d'une vigilance continuelle
dans l'espoir que l'experience vecue ne revienne pas - deuxièmement :
le souvenir traumatisant est omnipresent dans l'esprit de la personne
traumatisee. Ce souvenir survient a repetitions, a la manière d'un
flashback, pouvant survenir a tout moment, et la victime est incapable
de distinguer le souvenir du fait de vivre effectivement l'evenement
a nouveau.
- troisièmement : les individus traumatises semblent indifferents,
afin de dissimuler un sentiment de vulnerabilite et d'impuissance.
Ce genre de traumatisme affecte autant les individus que les
communautes. Un accroissement dans la prevalence du traumatisme peut
conduire a une diminution de confiance au sein d'un groupe social. Le
traumatisme evolue souvent hors de contrôle dans un cycle pervers. Les
violations des droits de l'homme creent un traumatisme massif,
lequel peut, en retour, alimenter de nouvelles violations des droits
de l'homme, et ainsi de suite. Des sentiments de traumatisme peuvent
susciter des sentiments de frustration et de revanche, lesquels peuvent
produire ce cycle de violence et perpetuer des sentiments d'identite de
victime des deux côtes du conflit. Le traumatisme partage engendre un "
nous ressentons ", mais cree aussi une mentalite du " nous contre eux "
(United States Institute of Peace, 2001).
Les hommes, les femmes et les enfants sont-ils affectes differemment ?
Les femmes risquent très souvent d'etre marginalisees, après que maris
et enfants aient ete tues lors d'un conflit (Kalayjian et al., 1996).
Elles sont souvent humiliees, ayant le sentiment qu'elles ne peuvent
rien faire pour endiguer la violence. Qui plus est, la perte d'un
mari ou enfant peut entraver la possibilite pour elles de subvenir
a leur famille, aggravant ainsi l'humiliation. Les enfants eux aussi
font face a un traumatisme particulièrement difficile. Ils manquent
d'un developpement emotionnel et d'un vecu susceptible de donner sens
au traumatisme, plus souvent meme que les adultes (Brahm, 203-2007).
Jarman (2001) note en Tchetchenie que des evenements traumatisants
suscitent souvent une colère extreme parmi les adolescents, dont les
existences ont ete devastees et qui ont ete, de fait, prives de leur
jeunesse. Sans surprise, les enfants devenus orphelins du fait d'un
genocide sont souvent recrutes immediatement en tant que soldats.
Les enfants de survivants sont susceptibles de reprendre des
comportements d'adultes au cours de leur vie, donnant ainsi au
traumatisme la possibilite d'etre transmis au fil des generations. Si
les parents tentent parfois de couvrir et de proteger leurs enfants
de la connaissance du traumatisme, les enfants qui percoivent le
fait qu'un parent est incapable de tolerer certains effets, cesseront
d'en faire l'experience et de les exprimer, dans une tentative pour
proteger le lien avec le parent concerne (Kalayjian, 2002).
Il y a plus d'un demi-siècle, Sullivan a souligne l'importance de la
" validation " d'un traumatisme, afin de parvenir a sa resolution
et y mettre un terme (Sullivan, 1953). Une expression explicite de
remords, de la part d'un perpetrateur a l'egard d'une victime, peut
revetir une grande valeur d'apaisement (Staub, 1990). A l'oppose, le
deni perpetue le traumatisme et permet aux perpetrateurs d'esquiver
les consequences de leurs actes (Hovannisian, 1987). Dans le cas des
Turcs et des Armeniens, il n'y a jamais eu reconnaissance officielle
du genocide perpetre par le gouvernement turc. Des Pres voit a juste
titre dans la souffrance des Armeniens une souffrance empreinte d'
" une perte permanente et de la souffrance d'une memoire tournee en
derision par le deni " (Des Pres, 1987, p. 17). Outre les dommages
qu'un tel deni cause aux victimes concernees et a leurs familles, il
peut clairement instituer un precedent dangereux pour des massacres
genocidaires ulterieurs (Smith, Markusen et Lifton, 1995). La preuve
la plus recente en est toute cette serie de genocides qui continuent a
se produire dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne. La violence
au Darfour s'est deployee moins de dix ans après le genocide survenu
chez son voisin, le Rwanda. Apparemment, le genocide peut engendrer un
genocide. " Une fois l'extermination des Armeniens rendue negligeable,
les exterminations de la Shoah furent rendue possibles. " (Kupelian
et al., 1998, p. 206).
Stanton (1996) enumère les huit etapes du genocide : classification,
symbolisation, deshumanisation, organisation, polarisation,
preparation, extermination et negation. Chacune de ces etapes decline
l'extermination d'une population humaine.
Le premier auteur de cette etude a propose huit phases de guerison,
suite a un genocide, a savoir : la reconnaissance, la validation,
la reparation, affronter des sentiments negatifs (tels que la
colère, la peur, la honte et l'humiliation), affronter le deni et le
revisionnisme, parvenir a l'acceptation, au pardon, a la decouverte
d'un sens nouveau, des enseignements appris et la clôture (Kalayjian,
2005).
Methode
Participants
Les participants a cette recherche etaient des Americains armeniens
âges, nes avant 1917, qui avaient ete temoins du genocide armenien et
qui etaient volontaires pour participer a cette etude. Les participants
etaient au nombre de 16 (9 femmes et 7 hommes). L'âge des participants
allait de 79 a 93 ans, pour une moyenne de 85,3 ans. Dans ce groupe,
50 % avaient fait des etudes superieures ; 43 % avaient immigre aux
Etats-Unis entre 1912 et 1952 ; 56 % etaient arrives après 1966. Tous
les participants etaient maries, 56 % etaient devenus ensuite veufs
et 87 % avaient eu des enfants. Au plan professionnel, le groupe le
plus nombreux (31 %) avait travaille dans l'industrie du vetement
(retouchage, sur mesure et confection). Le second groupe le plus
nombreux (25 %) comprenait soit des proprietaires, soit des gerants
d'un magasin. Le troisième groupe en importance se composait de femmes
au foyer (12 %) et de dentistes (12 %). Une personne avait travaille
dans l'enseignement, une autre dans la pharmacie et une troisième
standardiste. Concernant la religion, 87 % etaient de confession
apostolique et 12 % de confession catholique.
Durant la periode 1995-2005, tous les participants furent interviewes
chez eux dans la region metropolitaine de New York. La langue première
de certains participants etant l'armenien, les questions qui leur
furent posees et les formulaires remis le furent en armenien.
Formulaires qui furent traduits, puis traduits a nouveau.
Procedure
Le formulaire de l'entretien consistait en 23 questions visant
a rassembler des donnees demographiques factuelles. La duree de
l'entretien s'etalait de 30 minutes a quatre heures. Un formulaire de
mini-examen de l'etat mental (MMSE - Examen de Folstein sur l'etat
mental) fut remis afin d'evaluer l'etat cognitif et son eventuelle
deterioration. Ce formulaire evalue l'orientation, la memoire
immediate et a court terme, le langage et la capacite a suivre des
commandes verbales simples. Le MMSE a demontre sa validite et sa
fiabilite en psychiatrie, en neurologie, en geriatrie et dans d'autres
populations medicales (Folstein, Folstein et McHugh, 1975). Bien que
ce formulaire n'exige qu'une trentaine de minutes pour etre renseigne,
de nombreux survivants voulurent parler longuement, faisant durer
l'interview jusqu'a quatre heures. L'Inventaire Bref des Symptômes
(Brief Symptom Inventory - BSI) est un inventaire de symptômes
signales par le patient, constitue de 53 questions, dans le but de
refleter les modalites de symptômes psychologique des patients en
psychiatrie et en medecine, ainsi que des personnes interrogees, non
patients, appartenant a une communaute (Derogatis, 1993). Le BSI est
une echelle de Likert qui comprend des resultats bruts allant de 0 a
212. Ces resultats bruts sont ensuite convertis en scores-T [resultats
standardises] pour chaque niveau. Cet inventaire enregistre le profil
de neuf dimensions symptomatiques primaires et trois indices globaux
de detresse (Derogatis). Les dimensions symptomatiques primaires
sont : 1) la somatisation, 2) l'etat obsessif-compulsif (O-C), 3)
la sensibilite interpersonnelle (I-S), 4) la depression (DEP), 5)
l'anxiete (ANX), 6) l'hostilite (HOS), 7) l'anxiete phobique (PHOB),
8) l'ideation paranoïaque (PAR), 9) l'etat psychotique (PSY). Les
participants donnèrent des scores-T en SOM de 41 a 80, O-C de 38 a
72, I-S de 38 a 74, DEP de 41 a 61, ANX de 38 a 72, HOS de 39 a 70,
PHOB de 44 a 72, PAR de 43 a 80, et PSY de 46 a 67.
Les indices globaux sont : Index General de Severite (IGS), Total
des symptômes positifs (TSP) et Index de detresse des symptômes
positifs (IDSP). Les participants donnèrent des scores-T en IGS
allant de 33 a 73, en TSP de 30 a 70, et en IDSP de 30 a 65. Cet
outil fut choisi, du fait de la fiabilite elevee de sa coherence
interne. Les coefficients alpha pour les 9 dimensions du BSI vont
d'une valeur basse .71 pour l'etat psychotique a celle haute .85 pour
la depression (Derogatis, 1993). Le questionnaire sur l'objet de la
vie [Life Purpose Questionnaire - LPQ] fut utilise afin d'evaluer
l'appreciation personnelle du sens de l'existence. Il s'agit d'un
questionnaire qui produit des resultats allant de 0 a 20. Ces resultats
vont de ne voir aucun sens a la vie a une signification precise donnee
a la vie. Les participants donnèrent des resultats allant de 13 a
19. Ce questionnaire fut choisi du fait de sa fiabilite test-retest,
laquelle se traduit par une correlation .90. En outre, les questions
du LPQ sont concues pour etre aisement comprises et renseignees par
certaines personnes (Hutzell, 1987, cite in Derogatis).
Lire la suite ainsi que les commentaires sur Armenian Trends -
Mes Armenies
Source : http://www.keghart.com/Kalayjian-et-al-PTSD Article publie
en mars 2012.
Traduction : © Georges Festa - 04.2012.
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