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Talin Suciyan Et Ayda Erbal : 100 Ans D'Abandon

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    TALIN SUCIYAN ET AYDA ERBAL : 100 ANS D'ABANDON

    www.collectifvan.org
    Publié le : 11-05-2012

    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
    livre cette information traduite par Georges Festa et publiée sur
    le site Armenian Trends - Mes Arménies le 7 avril 2012.

    Légende photo: © Taderon Press (Londres), 2008

    Armenian Trends - Mes Arménies

    samedi 7 avril 2012

    One Hundred Years of Abandonment

    par Talin Suciyan et Ayda Erbal

    The Armenian Weekly, avril 2011

    L'histoire des Arméniens ottomans au 19ème siècle (1) est une
    histoire faite de grandes promesses, mais d'un abandon plus grand
    encore. Plus de 200 intellectuels arméniens ottomans, qui furent
    raflés au soir du 24 avril 1915 et durant les deux semaines qui
    suivirent, eurent sombrement conscience d'être abandonnés a leur
    sort. Les amis unionistes de Zohrab, avec qui il avait dîné et joué
    aux cartes, choisiront de ne pas mettre fin a son assassinat. Or
    l'abandon n'abandonnera pas les Arméniens. Les survivants dans
    les camps de Mésopotamie furent seuls, comme le furent ceux qui se
    cachèrent dans les montagnes ou les villages reculés d'Anatolie. Et
    ceux et celles qui survécurent au moyen de la conversion ou du
    concubinage forcé furent laissés seuls, non seulement durant l'été
    1915, mais aussi durant les cent ans qui ont suivi.

    Les Arméniens d'Istanbul survivants, qui mirent en scène un autodafé
    de livres, étaient livrés eux aussi a leur sort (2). Contraints
    d'imiter les campagnes d'autodafés de livres du parti nazi, ils se
    rassemblèrent dans la cour intérieure de l'église arménienne de
    Pangalti, édifièrent un bÃ"cher, placèrent Les Quarante jours de
    Musa Dagh de Franz Werfel, ainsi que son portrait, sur ce bÃ"cher et
    y mirent le feu. Ultime acte de perversion symbolique forcée a leur
    encontre, ils durent non seulement dénoncer l'auteur, mais aussi
    dénoncer le contenu du livre, partant se dénoncer eux-mêmes et
    nier leur propre histoire.

    Hayganus Mark, Hagop Mintzuri, Aram Pehlivanyan, Zaven Biberyan,
    Vartan et Jak Ihmalyan, et d'autres moins connus, partagèrent un même
    destin, qui se trouva être celui de Hrant Dink aussi : l'abandon.

    De même, lorsque les Arméniens a travers le monde se rassemblèrent
    pour commémorer le 50ème anniversaire du génocide, les Arméniens
    d'Istanbul se retrouvèrent quant a eux au milieu de la place Taksim,
    tressant des couronnes a la statue de la République en guise de
    protestation. Le prix continu et quasi inchangé de leur survie
    semblait être leur auto-aliénation forcée par rapport a tous les
    autres Arméniens de la diaspora (3).

    Rapidement, la mythique Anatolie, aujourd'hui vainement romancée
    et largement célébrée en Turquie (4), deviendra une prison
    a ciel ouvert pour les Arméniens restants durant la période
    républicaine. Car la poignée de communautés dispersées a travers
    le pays fut incapable de perpétuer son identité en tant qu'Arméniens
    et dut quitter a nouveau ses terres natales (5).

    Parallèlement, a Istanbul, les ultimes représentants d'une vie
    intellectuelle déclinante, journalistes et écrivains arméniens,
    ainsi que les écoles, les églises et les fondations, seront tous
    contraints de lutter seuls contre une foule d'attaques verbales,
    physiques et juridiques de la part tant du gouvernement que des
    intellectuels turcs d'alors. Le prix payé par les Arméniens fut des
    plus élevé, incluant non seulement un net désengagement en matière
    de justice pour eux-mêmes, mais aussi un net - bien que contraint -
    désengagement, s'agissant de leurs proches en diaspora. Le coÃ"t,
    jamais évoqué, payé par les Arméniens d'Istanbul fut la négation
    complète de leur identité et de leur histoire politique.

    L'on peut affirmer que cette stratégie de survie fut la conséquence
    directe de la politique nationaliste républicaine a l'égard des
    minorités de la Turquie. La pratique turque contemporaine consistant
    a diaboliser les représentants péremptoires et exigeants au plan
    politique de la diaspora arménienne relève ainsi tout bonnement du
    même moule nationaliste républicain que les Arméniens d'Istanbul
    ont adopté comme stratégie de survie. Il est assez étrange
    de voir pourquoi des citoyens turcs non-arméniens, par ailleurs
    totalement égaux, s'approprieront cette stratégie essentiellement
    turco-arménienne sans la mettre en question. En outre, le récent
    statut privilégié, réservé a certains Arméniens de la diaspora
    en tant qu'interlocuteurs légitimes dans la ligne de partage
    turco-arménienne, est une continuité de cette même mentalité
    nationaliste républicaine, car, plus souvent qu'on ne le croit, ces
    Arméniens privilégiés de diaspora se trouvent être ceux qui ont
    choisi de ne pas formuler la moindre revendication politique (6). Une
    réduction au silence subtile, préméditée, des revendications
    juridiques et politiques des Arméniens, imprègne donc rapports et
    discours, conduisant a un nouvel évitement d'un problème qui est,
    par essence, politique (7). Aujourd'hui, 103 ans après 1908, la Â"
    Question Â" arménienne tourne autour du même problème de l'égalité
    juridique, politique et sociale devant la loi, et l'égalité
    signifie aussi que ceux qui s'impliquent dans cette recherche ne
    sauraient être ostracisés ou diabolisés en tant que cinquième
    colonne. Malheureusement, même les segments progressistes de la
    société turque se sentent plus a l'aise lorsqu'ils parviennent a
    nouer des contacts avec des Arméniens en position de force, a savoir,
    lorsque l'interlocuteur arménien s'exprime en position de faiblesse
    structurelle (8). Même si, nulle part, les Arméniens de diaspora
    ne peuvent se mesurer a la force internationale que des intellectuels
    issus de Turquie ou que l'Etat turc peuvent mobiliser, les Arméniens
    actifs au plan politique sont percus et représentés comme influents.

    En outre, ils sont diabolisés en tant que radicaux et nationalistes,
    et non décrits comme des gens bénéficiant de droits politiques
    égaux dans le pays où ils vivent. Dans une grande mesure,
    l'isolement, bien que vécu différemment, demeure le trait le plus
    dominant de la communauté arménienne tant en Turquie qu'en diaspora.

    A la lumière de ces éléments, le discours contemporain au sein
    des intellectuels turcs est loin de pouvoir se confronter pleinement
    a l'histoire institutionnelle et sociétale d'hostilité et de
    discrimination visant Arméniens nationaux et de diaspora (9). Même
    si la recherche universitaire, ces quinze dernières années, née
    d'un besoin vital de se colleter a l'histoire récente, représente
    un développement salutaire, elle se concentre principalement sur les
    instances cristallisées de discrimination institutionnelle, tel que
    l'impôt sur la richesse de 1942, le service militaire obligatoire
    pour les minorités (20 kura askerlik) (10), les événements des 6
    et 7 septembre 1955 ou les massacres du Dersim (11). Ces débats ne
    parviennent pas, le plus souvent, a traiter la question des discours
    normalisés d'un patriotisme et d'un racisme essentialiste via leurs
    représentations quotidiennes (12). Dans une certaine mesure, aborder
    ces problèmes comme des cas isolés, par opposition a un problème
    systémique et idéologique profondément enraciné, contribue aux
    pratiques d'une normalisation discursive (13). De fait, jusqu'a
    l'assassinat de Hrant Dink, le racisme était un mot tabou en Turquie.

    En tout cas, le racisme était un problème américain ou européen,
    sÃ"rement pas un problème que des intellectuels de Turquie pussent
    aborder sérieusement. Les efforts visant a écarter le racisme
    d'une prise de conscience dans l'opinion aboutissent ainsi a une
    domestication et a un triage des problèmes, et a la création de
    discours soi-disant antagonistes - leurs nationalistes contre nos
    nationalistes (une parité mensongère) - s'agissant de la sombre
    histoire du racisme en Turquie.

    Dans une veine similaire, l'évitement complet de la Shoah dans
    le débat public, par exemple, ou dans de rares occasions son
    utilisation pour réfuter le problème arménien dans les milieux de
    gauche, constitue un indicateur d'une culture politique de nature
    obscurantiste ou bassement pragmatique. Par exemple, l'année 2011
    marqua la première commémoration de la Shoah en Turquie, durant
    laquelle le message de l'Etat oscilla entre souligner la singularité
    du cas juif et mettre en lumière la tolérance et l'acceptation
    des Juifs d'Espagne, donc d'Europe, dans l'empire ottoman, puis
    dans la république de Turquie, au lieu d'aborder sérieusement la
    signification de la Shoah ou les ténébreux chapitres de l'histoire
    des minorités en Turquie, y compris plusieurs vagues d'hostilité
    contre les Juifs de Turquie.

    Droits, ethnicisme, racisme

    Le débat sur le terme racisme a parcouru un long chemin depuis la
    Shoah et le mouvement des droits civiques en Amérique. Théoriquement,
    les approches américaine, continentale et australienne du racisme
    s'intéressent moins au racisme dominateur (d'autrefois) qu'aux formes
    modernes, normalisées, ambivalentes, dissuasives, laissez-faire,
    différentielles et institutionnelles de racisme opérant via des
    outils discursifs linguistiques de différenciation ou de subordination
    dans le cadre d'une relation asymétrique de pouvoir (14). Certes,
    il est difficile de soutenir que ces débats universitaires et/ou
    populaires, avec toutes leurs subtilités théoriques contextuelles
    et non-contextuelles aient eu quelque impact profond sur la vie
    intellectuelle en Turquie.

    Liée a ce débat en Turquie, l'absence de réelle problématisation
    et de prise de conscience concernant le racisme normalisé quotidien
    (15) en tant que cause première des comportements s'agissant des
    Arméniens en général, ainsi que de l'histoire et des personnalités
    des minorités en particulier. Ce problème général est exacerbé
    par l'ignorance largement répandue des conditions d'existence de la
    majorité des Arméniens ottomans tout au long du 19ème siècle et en
    1915, ainsi que des conditions d'existence et des stratégies de survie
    des Arméniens de Turquie durant l'histoire républicaine. Aucune
    reconnaissance tant institutionnelle que sociétale du racisme
    (16) enraciné dans la mentalité dominante, aucune mesure
    institutionnelle a grande échelle visant a combattre le racisme
    quotidien se manifestant dans toutes ses déclinaisons. Néanmoins,
    tant bien que mal, les intellectuels estiment en majorité être,
    par définition, exempts de ce genre de préjugés (17). Même s'ils
    admettent l'existence du racisme en Turquie, ils y voient un problème
    propre aux idéologies de droite et du centre et non a la leur (18).

    Parmi ces comportements quotidiens, certains se manifestent a travers
    quatre grandes formes identifiables de droit majoritaire. La première
    concerne le fait de cibler, choisir et séparer les Â" bons Arméniens
    Â" (les Arméniens de Turquie, plus un petit nombre d'Arméniens
    de diaspora, pour qui la reconnaissance du génocide n'est pas
    une priorité) des Â" mauvais Arméniens Â" (ceux qui soulèvent la
    question de la reconnaissance dans l'agenda international). Autrement
    dit, des interlocuteurs venant de Turquie pensent encore que le
    dialogue en tel que tel consiste a repérer soit des Arméniens
    apolitiques ou non-organisés, soit ces Arméniens qui n'opèrent qu'en
    position de faiblesse - elle-même née du fait d'être une minorité
    en Turquie ou d'une position de dépendance géographique, comme les
    Arméniens originaires d'Arménie. Outre le fait de constituer une
    pratique impériale analogue a celle de choisir d'avoir affaire aux Â"
    nègres maison Â", pour ainsi dire - un millet loyal post-moderne,
    un millet-i sadika [millet fidèle] réincarné - son caractère
    régressif ne se limite pas a cela. Implicite dans cette approche,
    la perception selon laquelle les Arméniens politiquement engagés
    sont le problème.

    Impliquant aussi le souhait que si l'on se débarrassait de tous
    les Arméniens politiquement engagés, alors le problème politique
    de la discrimination et de l'inégalité institutionnelle, qui
    hante toujours la Turquie, s'évanouirait de lui-même. Néanmoins,
    même s'il n'existait aucune activité politique des Arméniens en
    vue de la reconnaissance, le problème de l'implication globale des
    institutions dans la Turquie de l'après-1915 demeurerait identique
    (19). Il est hautement improbable qu'un tel semblant de débat
    visant a éluder la nature juridique et politique du problème puisse
    aboutir aux résultats institutionnels des plus nécessaires dans un
    cadre politique en transition. De fait, outre leurs particularités
    religieuses non-identiques, les Â" Questions Â" kurde et arménienne
    de la Turquie ont connu des trajectoires similaires, du fait de la
    Â" Question Â" turque de cette même Turquie, laquelle ne comprend
    pas ou ne se soucie pas de régler le problème institutionnel de
    l'égalité, en suspens depuis plus de 200 ans. Ce que des Arméniens
    pensent a propos d'autres Arméniens est sans aucun rapport avec
    le problème des engagements institutionnels des plus nécessaires
    de l'Etat turc. En outre, cette pratique ressort d'une mentalité
    coloniale/impériale du diviser pour régner, contraire aux droits
    de l'homme et a l'égalité. Tenter de bâtir une politique fondée
    sur l'instrumentalisation des différences entre Arméniens afin
    de différer la justice ne peut résoudre le problème de 1915
    en Turquie. Avec ou sans la présence de ces différences entre
    Arméniens, la nécessité de mettre en Å"uvre des changements
    institutionnels et de se conformer aux normes en matière de droits de
    l'homme demeurera la même. Qui plus est, la trajectoire politique des
    Kurdes adresserait un sombre rappel a ceux qui éludent les problèmes
    centraux a venir.

    Le second droit problématique a trait a l'effacement des
    différences entre le perpétrateur et la victime, afin d'édulcorer
    la responsabilité majoritaire de l'Etat et de la société. Ce
    qui est réalisé a l'aide de deux controverses distinctes, mais
    interconnectées, l'une concernant le passé, l'autre concernant
    le présent. La première rappelle l'Historikerstreit [querelle des
    historiens] en Allemagne a la fin des années 1980 (20), bien que la
    profondeur du débat et de ses contradicteurs ne saurait lui être
    comparée. Plusieurs intellectuels, y compris le ministre des Affaires
    Etrangères Ahmet Davutoglu, soulignent le fait que les Turcs eux
    aussi souffrirent grandement durant la Première Guerre mondiale, en
    général, et en 1915, en particulier, notamment lors de la campagne
    de Gallipoli. Aucun chercheur en histoire comparée ne nie le fait
    que l'armée ottomane ait subi des pertes considérables durant
    la Première Guerre mondiale ; néanmoins, cette posture établit
    une fausse parité, mettant sur un même plan guerre et campagne,
    soutenue par l'Etat, visant a massacrer ses propres citoyens, ainsi
    qu'une fausse causalité, comme si les Arméniens ottomans furent
    responsables de la guerre ou d'une campagne épisodique majeure. La
    seconde controverse, la aussi émanant principalement des milieux
    conservateurs en Turquie, sans s'y limiter, estompe la distinction
    entre la victime et le perpétrateur, partant les responsabilités
    des générations suivantes, en recourant a la thèse de Â" notre
    souffrance commune Â" - du genre : Â" Tu as souffert, mais nous
    aussi nous avons souffert, a cause de tes souffrances. Â" Mis a
    part son invention récente, ce discours de la souffrance commune
    réduit la responsabilité des perpétrateurs, des témoins, des
    négationnistes et de leurs institutions au fait de Â" ressentir la
    souffrance Â". Appropriation symboliquement violente de la souffrance,
    d'une ampleur inimaginable, que même les générations survivantes
    hésitent a faire leur, ce discours sur Â" la souffrance ressentie Â"
    (21) se mue, le plus souvent, en un instrument visant a absoudre les
    héritiers institutionnels et sociétaux de toute conséquence éthique
    et politique. Il convient ici de rappeler la Â" Lettre de la geôle
    de Birmingham Â" [16 avril 1963], de Martin Luther King Junior, où
    il écrit : Â" Toute injustice menace partout la justice. Nous sommes
    véritablement pris dans un réseau inévitable de rapports mutuels,
    liés par une même destinée. Tout ce qui touche un seul d'entre nous
    nous touche tous indirectement. Â" Nulle part King ne soutient que
    l'on puisse être habilité a s'approprier la souffrance d'autrui comme
    substitut ou moyen de diluer une quelconque responsabilité politique.

    Troisièmement, dans les rares cas où la souffrance historique
    des victimes est admise, une conception assez monstrueuse du droit
    se fait jour. L'interlocuteur des victimes, lui-même héritier
    institutionnel et social d'une génération de perpétrateurs,
    témoins ou négationnistes, exige des descendants des victimes
    qu'ils s'expriment de manière a ne pas les mettre mal a l'aise. En
    dépit du fait de mettre l'accent sur l'empathie (lui-même un
    terme problématique) et l'ouverture, l'empressement a écouter les
    Arméniens est surtout conditionnel et véhicule la menace implicite
    suivante : Â" Si vous ne parler pas comme il convient, nous ne vous
    écouterons pas. Â" Le poids de la responsabilité retombe ainsi,
    de manière assez perverse, sur les épaules de ceux qui furent
    victimes au plan historique et sans défense au plan structurel ;
    et l'interlocuteur, dont le pouvoir et la posture est le résultat
    contraire d'une même histoire faite de graves violations des droits
    de l'homme, en vient a débattre non en tant que partie véritablement
    intéressée, mais comme s'il accordait une faveur aux Arméniens.

    Se manifeste en outre un effet corollaire de réduction au silence,
    en ce sens que la victime doit tempérer son mode discursif pour
    s'adapter et donner la priorité aux besoins émotionnels de son
    interlocuteur au sens large - dans ce cas, les besoins émotionnels
    de la majorité des citoyens turcs, comme l'ont décidé ces mêmes
    intellectuels. Tout le débat entourant l'usage du terme génocide,
    ou son évitement, en livre un exemple frappant. La mentalité
    présidant a ce Â" dialogue Â" réside la où l'assimilation devient
    la plus visible dans le caractère conditionnel de l'écoute et le
    pouvoir absolu de mettre fin au dialogue, au cas où les Arméniens
    ne parviennent pas a trouver les mots (et le ton) qui conviennent
    pour expliquer leur souffrance (22).

    En fin de compte, nouvel avatar de doléance, un discours d'uniformité
    est imposé aux minorités de Turquie (23). Par discours d'uniformité,
    nous entendons une tendance réductionniste au moyen de laquelle
    une prétendue similarité culturelle entre Turcs et Arméniens, via
    l'alimentation et la musique, est soutenue et présentée comme une
    alternative a la justice et a l'égalité devant la loi. Ce discours
    particulier, qui peut revêtir la forme d'un argument de similarité
    phénotypique (nous nous ressemblons), culturelle (notre alimentation
    et notre musique sont semblables) et géographique (l'Anatolie),
    n'est pas sans nuances dangereuses. Il implique une soi-disant
    inclusion des Arméniens au sein d'une communauté imaginaire en
    Anatolie, où le trait dominant est un narcissisme potentiellement
    sectaire, capable d'aimer et de respecter uniquement ce qui lui
    est semblable et glorifiant la similarité culturelle en tant que
    solution politique. L'aspect régressif de cette argumentation est plus
    évident lorsqu'on l'inverse, car l'on ne sait comme elle traiterait
    la différence ou ce qu'elle ferait, si la partie minoritaire ne
    saisissait pas cette proposition de similarité, ou si elle voulait
    simplement mettre l'accent sur sa différence. Après tout, durant
    des périodes limitées où la conversion fut une option entre 1895 et
    1915, la majorité des Arméniens ne voulut pas se convertir, et 1915,
    ainsi que l'histoire menant a 1915, peuvent aussi être lus comme
    une période où les autorités ottomanes ne voulurent pas traiter
    sérieusement la question de la différence et de l'infériorité
    nées du double contexte juridique de la charia et du statut de
    dhimmi [protégé]. Par ailleurs, la thèse de la similitude renvoie
    indirectement a la suppression des différences au nom de l'harmonie
    sociale (24).

    A tout prendre, en particulier le romantisme de la terre au 19ème
    siècle, épris de l'argument de la similitude, lequel conduit
    l'Anatolie (25) comme un lieu mythique commun avec des références
    anhistoriques vers une coexistence pacifique, égale, est totalement
    suranné et ne saurait apporter une solution a des problèmes
    politiques aussi graves. Il ne peut qu'amorcer une conversation
    la où il convient - a une table proposant raki/arak/dolmas. Il
    est rare de rencontrer une auto-orientalisation (26) aussi
    problématique ailleurs. Le hoummous, autant que l'on sache, n'a ni
    le pouvoir de résoudre des problèmes, ni place dans des débats
    universitaires ou journalistiques d'importance concernant la division
    arabo-israélo-palestinienne. Si une même cuisine et musique n'ont pas
    été capables d'apporter quelque solution concrète a la division
    kurdo-turque, bien plus légère, on se demande bien comment ce
    discours intenable sur la similitude pourra résoudre quoi que ce
    soit entre Arméniens et Turcs (27).

    L'histoire comme cauchemar en boucle

    Dans une certaine mesure, l'histoire des Ottomans et des Arméniens
    ottomans, ainsi que celle turco-arménienne et celle entre Turcs et
    Turco-arméniens, est prise au piège dans la même impasse pré-1908
    d'égalité devant la loi et la manière de gérer la différence. D'un
    côté de l'équation figurent ceux qui sont, encore de nos jours,
    soit totalement hostiles ou réticents a accepter le fait que les
    Arméniens aient droit a l'action politique et a l'égalité devant
    la loi (jadis, une politique ottomane intérieure, de nos jours,
    une politique internationale mouvante) (28). De l'autre côté
    de l'équation se trouvent ceux qui comprennent ce que l'action
    politique signifie si l'on veut assurer justice et égalité. Aucune
    des deux parties ne se compose uniquement de Turcs ou uniquement
    d'Arméniens. Bien que la seconde compte surtout des Arméniens,
    figurent aussi quelques chercheurs et militants des droits de l'homme
    issus de Turquie, tant aux Etats-Unis qu'en Europe et en Turquie,
    que n'effraie pas une politique de reconnaissance. Ils savent que
    la reconnaissance n'est pas seulement une affaire ancienne, quelque
    billet pour l'oubli, mais simplement une première étape dans un
    long combat d'engagements institutionnels concernant les droits de
    l'homme et les programmes d'histoire dans tous les pays où existe
    un débat politique d'importance sur les reconnaissances et les dénis.

    L'incapacité a sortir de la circularité d'une mentalité d'avant 1908
    fixe aussi, malheureusement, les limites des citoyens turco-arméniens.

    Comme le passé n'est en rien accepté, les citoyens turco-arméniens
    sont encore percus en général comme une cinquième colonne et
    doivent encore garder leurs distances vis-a-vis de la diaspora pour
    se faire entendre. Au lieu de traiter les obstacles institutionnels,
    se manifeste une tendance nouvelle, mais archaïque, où l'Etat
    semble surtout préoccupé par des solutions cosmétiques. Des
    efforts sont faits pour nommer des citoyens turco-arméniens a des
    postes officiels afin de parer en partie aux reproches d'inégalité
    structurelle. A ce propos, il convient de se souvenir que plus d'une
    vingtaine d'Arméniens exercaient en tant qu'officiels ottomans de
    haut rang avant 1915 ; ce seul fait ne témoigne pas d'un engagement
    vers l'égalité et les droits de l'homme. Quoi qu'il en soit,
    cette même mentalité d'avant 1908 a conditionné, et continue de
    conditionner dans une certaine mesure, l'ensemble des choix politiques
    qui s'offrent aux Turco-arméniens, brièvement abordé au début
    de cet article. Accepter l'histoire est donc la seule facon pour
    les Turco-arméniens de cesser d'être percus comme une cinquième
    colonne et de devenir des citoyens pleinement égaux.

    A la lumière du débat qui précède, le fait que Hrant Dink ait
    été assassiné pour avoir, entre autres, appelé un chat un chat et
    qu'il continue d'être jugé in absentia, même après son assassinat,
    pour avoir osé raconter son vécu, démontre qu'il est impossible
    d'être un(e) Turco-arménien(ne) libre de raconter publiquement son
    vécu. La victime est encore plus victimisée, lorsqu'elle tente de
    décrire l'ampleur juridique et politique de son statut de victime. Les
    intellectuels issus de Turquie ne sauraient soutenir que le 19 janvier
    2007 ne signifie pas une rupture majeure. Cette rupture exige un
    réexamen et une compréhension beaucoup plus profonde de l'histoire
    républicaine des stratégies de survie des Turco-arméniens.

    Si la Turquie aborde un jour la question de 1915 du point de vue de la
    justice, un cadre juridique qui comprenne aussi le fait d'appeler un
    chat un chat, comme le fit Hrant, ce jour-la la justice prévaudra
    aussi dans l'affaire de l'assassinat de Hrant Dink. En outre,
    ce faisant, la Turquie parviendrait a traiter et peut-être même
    éclairer le lourd fardeau de l'isolement des Arméniens dans leur
    propre pays et dans la diaspora.

    Notes

    1. Pour une analyse socio-politique élaborée et lucide, écrite au
    19ème siècle et récemment traduite en anglais, voir Tajkahayk :
    The Armenian Question de Raffi (Hagop Melik Hagopian) (Taderon Press,
    2007).

    2. Voir Bali, Rifat (2001), Musa's Children, The Republic's Citizens,
    p. 133, sur l'autodafé des Quarante Jours de Musa Dagh. Sans surprise,
    l'écrivain Franz Werfel figurait lui aussi sur la liste nazie des
    livres a brÃ"ler.

    3. Aharonyan, Kersam (1966), Khoher Hisnamyagi [Réflexions sur la
    50ème commémoration], p. 149.

    4. La plupart des écrivains et des journalistes originaires de
    Turquie se réfèrent a une Anatolie idyllique imaginaire, lorsqu'ils
    s'adressent aux Arméniens de la diaspora, afin de souligner leur
    contexte Â" commun Â". Cette Anatolie imaginaire est principalement une
    construction idéologique républicaine de gauche, qui ne ressemble en
    rien a l'Anatolie contemporaine, laquelle vote surtout a droite et a
    l'extrême-droite de l'échiquier politique. Quoi qu'il en soit, dans
    le discours intérieur n'impliquant pas les Arméniens, cette même
    Anatolie est abhorrée par certains tenants de la construction d'une
    Anatolie paradisiaque. Ils romancent une Anatolie peuplée d'artistes,
    de musiciens et d'architectes arméniens, qu'ils déclarent préférer
    a ses habitants actuels, percus comme primitifs. Or, historiquement
    parlant, ni l'existence des Arméniens ne fut en rien artiste et
    moderne (voir Armenian Village Life before 1914 de Mary Kilbourne
    Matossian et Susie Hoogasian Villa) (Wayne State University Press,
    1982), ni l'Anatolie n'a jamais été le lieu idyllique d'une
    Â" coexistence Â" pacifique durant les cent cinquante ans qui
    précédèrent 1915.

    5. Leurs descendants deviendront les Arméniens d'Istanbul, ce qui
    mit fin littéralement a l'existence des Arméniens en Anatolie.

    6. Avant 2006, les seuls bons Arméniens étaient
    turco-arméniens. Puis, un certain nombre d'Arméniens, issus
    principalement de la diaspora européenne, furent retenus en qualité
    d'interlocuteurs légitimes.

    Cette tentative de diversion instrumentalisant l'identité ethnique
    constitue un exemple, caractéristique des manuels scolaires, de
    politique régressive coloniale/impériale.

    7. Nous ne nions et ne négligeons pas le fait que cette équation
    revêt aussi d'autres dimensions ; néanmoins, ces dimensions sont
    déterminées par une politique et, même dans le cas d'argumentations
    censées être non-politiques, une politique de déni, de négation
    ou d'évitement complet continue d'imprégner le discours.

    8. Ou lorsque l'interlocuteur arménien est prêt a critiquer
    également les Arméniens demandant la reconnaissance du génocide
    ou, dans certains cas, va jusqu'a les qualifier de malades et
    d'obsédés. Même s'il est politiquement incorrect, et de fait
    raciste, de juger des gens en quête de justice psychologiquement
    perturbés, la chose reste a ce jour acceptable pour certains
    intellectuels turcs, en particulier si le requérant est arménien. Il
    convient de se demander sérieusement ce que tout cela signifie
    d'un point de vue politico-philosophique et socio-psychologique. Que
    signifie le fait de valider une argumentation par ailleurs des plus
    problématique, du seul fait qu'un Arménien la soulève ? En quoi
    cette facon de Â" considérer l'origine ethnique avant l'argumentation
    Â" diffère-t-elle du regard d'un Etat perpétrateur, lequel réduit
    les humains a leur seule identité ethnique ?

    9. Bien que l'on puisse être enclin a le penser, les attentats de
    l'ASALA ne constituent pas le point de départ d'une hostilité
    ouverte a l'encontre des Arméniens de la diaspora. De même,
    l'indifférence antérieure a l'égard de 1915 est plutôt étrange,
    compte tenu du fait que Kemal Tahir était un romancier très lu au
    début des années 1970 ; Tahir ne publia pas un, mais deux romans
    ayant trait a 1915, dont aucun n'a été traduit en arménien ou en
    anglais. Si bien que l'argument habituel Â" Nous ne savions pas Â"
    ne tient pas, du moins pour ceux qui avaient plus de 18 ans et qui
    lisaient des romans au début des années 1970.

    10. 20 Kura Askerlik : service militaire obligatoire, a périodicité
    variable, des citoyens non-musulmans de Turquie, durant la Seconde
    Guerre mondiale. Les citoyens non-musulmans, âgés de 15 a 45 ans,
    furent écartés de la main-d'Å"uvre durant 14 mois et l'impôt suivant
    sur la richesse prélevé sur les minorités a des taux exorbitants
    (232 % pour les Arméniens, 179 % pour les Juifs, 156 % pour les
    Grecs et 10 % pour les Donme (convertis) les appauvrit encore plus.

    11. En février 2011, le parti Paix et Démocratie (BDP) soumit
    une pétition au Parlement de Turquie visant a reconnaître les
    massacres et les déportations qui eurent lieu entre 1937 et 1938
    comme un génocide.

    12. L'ouvrage de Seyhan Bayraktar, Politik und Erinnerung : Der
    Diskurs uber den Armeniermord in der Turkei zwischen Nationalismus
    und Europäisierung, publié en 2010, est la seule exception. Elle
    étudie minutieusement comment les modèles discursifs de l'Etat et
    des intellectuels peuvent parfois en partie chevaucher ou servir a
    reproduire les modèles discursifs nationalistes.

    13. Par normalisation discursive nous entendons l'ensemble de ces
    pratiques discursives qui reproduisent sans problématiser les
    préjugés visant les Arméniens de la diaspora actifs au plan
    politique. Le discours de gauche / libéral se situe la où la
    diabolisation de l'activité politique est ouvertement normalisée.

    14. Pour un débat élargi sur l'évolution du terme
    racisme/ethnicisme, voir Martha Augoustinos et Katherine J. Reynolds
    (2001), Understanding Prejudice, Racism, and Social Conflict ;
    Jennifer Lynn Eberhardt et Susan T. Fiske (1998), Confronting Racism :
    the Problem and the Response ; Arthur P. Brief (2008), Diversity at
    Work ; John Nagle (2009), Multiculturalism's Double Bind : Creating
    Inclusivity, Cosmopolitanism and Difference ; Robert Miles et Malcolm
    Brown (2003), Racism (2de édition) ; Martin Bulmer et John Solomos
    (2004), Researching Race and Racism ; Pierre-André Taguieff et
    Hassan Melehy (2001), Force of Prejudice : On Racism and its Doubles ;
    Ruth Wodak et Martin Reisigl (2000), Discourse and Discrimination :
    Rhetorics of Racism and Antisemitism.

    15. D'après Wodak et Reisigl, la discrimination raciste, antisémite
    et ethniciste en tant que pratique sociale, et en tant qu'idéologie,
    se manifeste sur un mode discursif et est orientée vers cinq
    questions simples tournant autour de stratégies référentielles
    (comment les personnes sont-elles nommées et désignées au plan
    linguistique ?), de stratégies prédicationnelles (quels traits,
    particularités, qualités et caractéristiques leur sont assignés
    ?), de stratégies d'argumentation (au moyen de quels arguments
    et schémas argumentaires des personnes ou des groupes sociaux
    particuliers tentent-ils de justifier et de légitimer l'exclusion,
    la discrimination, la suppression et l'exploitation d'autrui ?), des
    stratégies de mise en perspective et de cadrage (a partir de quelle
    perspective ou point de vue ces désignations et ces arguments sont-ils
    exprimés ?), des stratégies d'atténuation et d'intensification (ces
    énoncés discriminants respectifs sont-ils articulés ouvertement,
    sont-ils même intensifiés ou sont-ils atténués ?), Discourse and
    Discrimination : Rhetorics of Racism and Antisemitism, p. xiii.

    16. Â" 'Le concept de 'racisme quotidien' vise a intégrer,
    par définition, les dimensions macro- et microsociologiques du
    racisme. Â" (Philomena Essed, Understanding Everyday Racism: An
    Interdisciplinary Theory, 1991, p. 16). Après avoir critiqué la
    distinction dichotomique entre Â" racisme institutionnel Â" et Â"
    individuel Â" en ce qu'elle situe faussement l'individuel en dehors
    de l'institutionnel (même si Â" les structures du racisme n'existent
    pas extérieurement aux agents - elles sont le fait de ces agents
    - des pratiques spécifiques ne sont par définition racistes
    que lorsqu'elles activent une inégalité raciale structurelle
    existante au sein du système' [36]), Essed explique sa conception
    du terme 'quotidien' : Â" [...] le 'quotidien' peut être défini
    provisoirement comme des significations socialisées rendant les
    pratiques immédiatement définissables et incontestées si bien qu'en
    principe, ces pratiques peuvent être mises en Å"uvre au regard de
    normes et d'attentes (sous-) culturelles. (48-49). Â" Essed, in Wodak
    et Reisigl, p. 7.

    17. Les minorités ne sont pas exemptes de tels préjugés a l'encontre
    de la majorité ; néanmoins, ces préjugés ne sont pas identiques
    au plan structurel et causal et nécessitent un examen séparé.

    18. De nombreux sites internet et rapports sur le discours
    discriminatoire n'abordent que la grande presse de droite /
    conservatrice, tout en négligeant totalement la nature intrinsèque
    de ces éditorialistes libéraux ou de gauche.

    19. Les institutions ne deviennent pas post-génocidaires
    d'elles-mêmes, en particulier lorsque le déni perdure. Les questions
    arménienne et kurde sont profondément liées, du fait de l'absence
    d'engagement institutionnel de la part de l'Etat et de la société
    turque vers un ordre normatif post-génocidaire. Comme le montrent
    le sentiment anti-musulman et l'antisémitisme persistant en Europe,
    ces engagements institutionnels ne constituent pas une fin en soi. Le
    combat contre toutes les formes de racisme ouvert et subtil est une
    affaire de vigilance au quotidien.

    20. Ce débat fut central en Allemagne a la fin des années 1980,
    s'agissant des interprétations de gauche et de droite de la Shoah,
    en particulier de son caractère central dans l'histoire moderne
    de l'Allemagne. Les tenants de la droite minimisaient la longue
    trajectoire de l'antisémitisme enraciné dans la société et les
    institutions allemandes.

    21. Sans surprise, le discours du type Â" ressentir la souffrance Â"
    comme une fin en soi est réservé aux Arméniens et n'est aucunement
    central pour le conflit turco-kurde, car les Kurdes posent a la
    Turquie un réel défi politique que la plupart des intellectuels
    turcs ne peuvent plus éluder.

    22. Cette dynamique de pouvoir n'est pas particulière au rapport des
    intellectuels avec les Arméniens, car elle s'applique aussi a leur
    rapport avec d'autres groupes, y compris leur rapport historiquement
    ambivalent avec les citoyens kurdes de Turquie. Durant des années,
    les intellectuels turcs ont exigé le renoncement complet a la lutte
    armée avant tout contact avec des intellectuels kurdes. Cela n'a
    changé que très récemment.

    23. Ce qui est aussi dénoncé de la part des Turco-arméniens et de
    certains groupes arméniens en diaspora.

    24. En matière de politique intérieure, les tenants de l'AKP [Parti
    pour la Justice et le Développement] et les laïcs ne sont pas Â"
    tous pareils Â", mais, a l'occasion, s'agissant des catégories
    essentialistes des Turcs et des Arméniens, ils Â" deviennent
    pareils Â".

    25. Le romantisme de la terre, propre au 19ème siècle, est ce qui
    lie certains courants dominants de la gauche turque aux conceptions
    dominantes de la terre chez les Arméniens. Néanmoins, ce qui est
    percu comme mauvais pour les Arméniens (en tant que nostalgie Â"
    nationaliste Â") est bon et souhaitable pour les Â" patriotes Â"
    turcs. Plus fondamentalement, l'Anatolie/Arménie Occidentale Â"
    patriotique Â" turque et Â" nationaliste Â" arménienne constituent
    des constructions mythiques non-identiques, mais également
    nationalistico-romantiques.

    Aucun Turc de gauche anatolianiste ne vit en Anatolie ou n'a jamais
    passé un temps appréciable a vivre de fait dans cette Anatolie
    mythique. Quant aux Kurdes, ils vivent concrètement la situation
    atroce d'un conflit armé et de déplacements forcés au sein de
    cette Anatolie des plus romancée.

    26. L'orientalisme ne concerne pas seulement ce que l'Occident pense de
    l'Orient et sa manière d'élaborer des représentations de ce même
    Orient. Il revêt aussi plusieurs dimensions auto-orientalisantes
    dans lesquelles l'Orient tend a refléter idéalement le stéréotype
    Â" oriental Â" - partant, inférieur. Si bien que les Occidentaux
    possèdent institutions et droit, tandis que raki et dolmas sont
    réservés aux Turcs et aux Arméniens.

    27. S'il fallait prendre au sérieux cet argument de la similitude,
    il conviendrait d'expliquer alors comment ce qui était semblable
    fut capable de tuer ce qui était semblable.

    28. Un des accents majeurs concernant l'évocation de 1915 roule
    autour de l'argument : Â" Mais les Arméniens se révoltèrent. Â"
    Historiquement parlant, c'est vrai, bien que son ampleur et sa
    fréquence soient grossièrement exagérées. Néanmoins, situer
    l'histoire de la violence a partir des révoltes des Arméniens omet
    plusieurs points importants : les terribles conditions d'existence
    des Arméniens au 19ème siècle, la violence épisodique que les
    Arméniens subirent, le fait qu'ils tentèrent aussi parallèlement la
    voie des pétitions, mais que leurs appels restèrent sans réponse,
    et finalement le fait que les Ittihadistes eux-mêmes essayèrent de se
    défaire de ce même régime absolutiste. En un sens, ces intellectuels
    turcs qui sont eux-mêmes actifs en politique intérieure, mais que
    dérange l'action politique des Arméniens, laquelle met en question
    le statu quo, recourent toujours au style des plus discriminant : Â"
    Nous, on peut le faire, mais vous, vous ne devriez pas. Â"

    [Journaliste arménienne originaire d'Istanbul, Talin Suciyan vit en
    Arménie depuis 2007-2008. Elle se trouve actuellement (avril 2011)
    a Munich, où elle poursuit ses études, tout en enseignant a la
    Ludwig-Maximilians-Universität. Elle a collaboré au journal Agos
    (de 2007 a 2010) et a d'autres journaux turcs.

    Ayda Erbal est doctorante en sciences politiques a l'université
    de New York. Son travail est centré sur la politique du changement
    historiographique en Turquie et en IsraÃ"l. Elle s'intéresse a la
    théorie de la démocratie, au débat démocratique, a la politique des
    historiographies Â" post-nationalistes Â" et a celle des excuses. Elle
    a publié des nouvelles et travaillé comme journaliste au journal
    turco-arménien Agos de 2000 a 2003.]

    ____________

    Source : http://www.armenianweekly.com/wp-content/u
    ploads/2009/02/AWeekly_April_2011_web.pdf Traduction : © Georges
    Festa - 04.2012.

    Avec l'aimable autorisation de Khatchig Mouradian, rédacteur en chef
    de The Armenian Weekly.

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    Source/Lien : Armenian Trends - Mes Arménies

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