Huffington Post
18 mai 2012
La fête de l'Eurovision ternie par le régime azerbaïdjanais
par Laurent Leylekian
Membre de l'Observatoire arménien
Shooté aux pétrodollars, le régime autoritaire de Bakou compte sur
l'Eurovision pour redorer son blason. La presse européenne a cependant
dépeint l'état d'oppression de la société azérie. Mais pour détourner
l'attention, l'Azerbaïdjan a un bouc-émissaire tout trouvé : les
Arméniens.
Cette année, le kitschissime mais très populaire concours de
l'Eurovision organisé par l'Union Européenne de Radiotélévision se
déroulera du 22 au 26 mai, à Bakou en Azerbaïdjan. Le choix de ce lieu
découle de la tradition de l'Eurovision qui veut que le pays-hôte soit
celui du vainqueur de l'année précédente, en l'occurrence le duo
azerbaidjanais d'Ell et Nikki, lauréat 2011.
Mais le pays fait controverse : l'Azerbaïdjan est dirigé par un régime
autoritaire qui est régulièrement épinglé pour ses violations des
droits de l'Homme. Reporters Sans Frontières a classé l'Azerbaïdjan
162ème sur 179 et range le président Ilham Aliev parmi les prédateurs
de la liberté de la presse.
Menaces, tortures et sex-tapes
La presse européenne s'est faite l'écho de l'oppression vécue par les
Azerbaïdjanais et de la gêne de pays occidentaux - tels l'Irlande, la
France ou les Pays-Bas - à participer cette édition de l'Eurovision.
Ainsi le 4 février, Der Spiegel Online a rapporté l'expérience vécue
par Khadijah Ismailova, une journaliste qui avait investigué les
origines de la fortune du clan Aliev. Menaces, sex-tapes, et
harcèlement constituent depuis lors son lot quotidien. Mais ceci n'a
pas entamé sa détermination : Mme Ismailova a récemment révélé
l'intérêt pécuniaire de la famille Aliev dans la construction du
"Crystal Hall" destiné à accueillir la cérémonie de l'Eurovision.
Son expérience n'est pas unique : Die Zeit (20 mars 2012) fait état de
l'expropriation abusive de familles ou de l'oppression de a communauté
homosexuelle de ce pays tandis que The Independent (10 mai 2012)
rapporte le cas de musiciens torturés pour avoir critiqué le
Président. Et que dire de la quarantaine d'Azéris qui avaient eu
l'idée incongrue de voter pour le duo arménien d'Inga et Anouche lors
d'une précédente édition de l'Eurovision et convoqués en raison de ce
choix "antipatriotique" par le Ministère de la sécurité nationale
(Reuters, 18 août 2009) ?
La création et l'instrumentalisation du nationalisme
Car le régime de Bakou dispose d'un bouc-émissaire parfait pour
détourner l'attention de la population de la privation de ses libertés
et de l'enrichissement de la famille Aliev : les Arméniens. Depuis la
perte en 1994 de sa colonie du Haut-Karabagh, il entretient une
véritable hystérie anti-arménienne dans le pays. Ainsi, l'Azerbaïdjan
a longtemps maintenu ses "Pieds-Noirs" - quelques 700 000 colons du
Haut-Karabagh et des régions environnantes - dans un état de précarité
et de misère quand ses considérables moyens financiers lui auraient
permis de les intégrer dans la société. Si les derniers camps de
réfugiés ont été fermés en 2008, ils existent toujours dans une
rhétorique nationaliste qui permet de prévenir toute agitation
sociale.
Parallèlement, ceux qui enquêtent sur le conflit sont inquiétés : Le
journaliste Eynulla Fatullayev a été emprisonné de 2007 à 2011 pour
avoir révélé que le massacre de Khojalou, lors de la guerre, fut mis
en `uvre par le clan de Gueïdar Aliev - le père de l'actuel président
- pour faire tomber le président Mutalibov. Sans surprise, le pouvoir
a accusé Fatullayev d'être "un agent arménien" de même qu'il impute
aux Arméniens les exactions de Khodjalou. Soutenu la communauté
internationale, Eynulla Fatullayev a été libéré le 29 mai 2011, avant
de recevoir le prix mondial de la liberté de la presse le 4 mai
dernier. Depuis, il a repris ses charges sur le rôle du régime Aliev
dans la chute de Khodjalou.
Il faut dire que la préoccupation identitaire prend une dimension
pathologique pour une jeune nation qui ne peut se prévaloir de la
tradition millénaire des voisins arménien et géorgien : On ne compte
plus les initiatives du régime pour "découvrir" de douteuses origines
azéries à des vestiges albaniens, pour ne rien dire de la destruction
du joyau médiéval de Djoulfa, afin de "purifier" le territoire des
traces de son passé arménien. Une destruction sur laquelle l'Unesco a
gardé un silence pudique : il faut dire que Mme Alieva, la première
dame du pays, se montre généreuse avec l'organisation chargée -
ailleurs - de la protection du patrimoine. Devenue par la magie des
pétrodollars "ambassadrice de bonne volonté" de l'Unesco, elle
pratique une habile diplomatie culturelle qui permet à l'Azerbaïdjan
de s'acheter une respectabilité.
Les Arméniens, "ennemis de l'Azerbaïdjan", interdits d'Eurovision
Mais la culture ne saurait justifier une réconciliation avec
l'Arménie. Depuis peu, c'est même tous les Arméniens du monde qui ont
été érigés par le président lui-même en "ennemis de l'Azerbaïdjan".
Ainsi, le 22 février dernier, le président Ilham Aliev a déclaré "Nos
principaux ennemis sont tous les Arméniens du monde et les politiciens
hypocrites et corrompus en leur contrôle. Les politiciens qui ne
veulent pas voir la vérité et qui sont impliqués dans le dénigrement
de l'Azerbaïdjan en différents points du globe. Des parlementaires,
certaines personnalités politiques qui tirent leurs revenus du lobby
arménien".
Cette vision raciale qui discrimine un groupe pour en faire l'agent
d'un invraisemblable complot international rappelle les heures sombres
de notre histoire. C'est suite à cette déclaration que, le 7 mars
dernier, la Télévision Publique arménienne a annoncé son retrait de
l'édition 2012 de l'Eurovision. Si Erevan n'a pas encore publié de
communiqué justifiant sa décision, des officiels arméniens ont déclaré
sous couvert d'anonymat qu'elle est due à ce que "l'intégrité physique
des membres de la délégation arménienne n'est pas assurée en
Azerbaïdjan". Une information que l'Eurovision n'a pas dû avoir
puisqu'elle a, ce 11 mai, annoncé des sanctions envers l'Arménie pour
son refus de participation !
La déclaration du 22 février n'est pourtant pas un fait isolé. Le
président Aliev a récidivé ce 16 avril en affirmant que "ces
tentatives pour discréditer l'Azerbaïdjan, nier sa réalité, le
dépeindre à travers le monde comme un pays arriéré et non démocratique
constituent le sale boulot du lobby arménien. Sa sphère d'influence
est assez large. Ils sont représentés dans les principaux médias
imprimés de divers pays. Parfois, ils avancent sous différents noms et
cachent leur origine. [...]Je le répète, le lobby arménien est
l'ennemi numéro un. [...] Le lobby arménien opère en Europe et dans
les grands pays depuis des décennies, peut-être même des siècles."
Un tel endoctrinement à la haine raciale professé au plus niveau d'un
Etat du Conseil de l'Europe apparaît comme extrêmement préoccupant et
ne devrait pas concerner que l'Arménie. Qu'en serait-il si un
Français, un Tchèque ou un Polonais d'origine arménienne souhaitait
visiter l'Azerbaïdjan ? Pour n'évoquer que la France, la sécurité de
Charles Aznavour, d'André Manoukian ou d'Hélène Ségara serait-elle
assurée s'ils assistaient à l'Eurovision à Bakou ? Au-delà de ces
personnalités, la mansuétude de la communauté internationale semble
bien choquante face à de telles violations des principes de la Charte
des Nations Unies.
http://www.huffingtonpost.fr/laurent-leylekian/eurovision-azerbaidjan-bakou-musique_b_1521032.html?ref=international
18 mai 2012
La fête de l'Eurovision ternie par le régime azerbaïdjanais
par Laurent Leylekian
Membre de l'Observatoire arménien
Shooté aux pétrodollars, le régime autoritaire de Bakou compte sur
l'Eurovision pour redorer son blason. La presse européenne a cependant
dépeint l'état d'oppression de la société azérie. Mais pour détourner
l'attention, l'Azerbaïdjan a un bouc-émissaire tout trouvé : les
Arméniens.
Cette année, le kitschissime mais très populaire concours de
l'Eurovision organisé par l'Union Européenne de Radiotélévision se
déroulera du 22 au 26 mai, à Bakou en Azerbaïdjan. Le choix de ce lieu
découle de la tradition de l'Eurovision qui veut que le pays-hôte soit
celui du vainqueur de l'année précédente, en l'occurrence le duo
azerbaidjanais d'Ell et Nikki, lauréat 2011.
Mais le pays fait controverse : l'Azerbaïdjan est dirigé par un régime
autoritaire qui est régulièrement épinglé pour ses violations des
droits de l'Homme. Reporters Sans Frontières a classé l'Azerbaïdjan
162ème sur 179 et range le président Ilham Aliev parmi les prédateurs
de la liberté de la presse.
Menaces, tortures et sex-tapes
La presse européenne s'est faite l'écho de l'oppression vécue par les
Azerbaïdjanais et de la gêne de pays occidentaux - tels l'Irlande, la
France ou les Pays-Bas - à participer cette édition de l'Eurovision.
Ainsi le 4 février, Der Spiegel Online a rapporté l'expérience vécue
par Khadijah Ismailova, une journaliste qui avait investigué les
origines de la fortune du clan Aliev. Menaces, sex-tapes, et
harcèlement constituent depuis lors son lot quotidien. Mais ceci n'a
pas entamé sa détermination : Mme Ismailova a récemment révélé
l'intérêt pécuniaire de la famille Aliev dans la construction du
"Crystal Hall" destiné à accueillir la cérémonie de l'Eurovision.
Son expérience n'est pas unique : Die Zeit (20 mars 2012) fait état de
l'expropriation abusive de familles ou de l'oppression de a communauté
homosexuelle de ce pays tandis que The Independent (10 mai 2012)
rapporte le cas de musiciens torturés pour avoir critiqué le
Président. Et que dire de la quarantaine d'Azéris qui avaient eu
l'idée incongrue de voter pour le duo arménien d'Inga et Anouche lors
d'une précédente édition de l'Eurovision et convoqués en raison de ce
choix "antipatriotique" par le Ministère de la sécurité nationale
(Reuters, 18 août 2009) ?
La création et l'instrumentalisation du nationalisme
Car le régime de Bakou dispose d'un bouc-émissaire parfait pour
détourner l'attention de la population de la privation de ses libertés
et de l'enrichissement de la famille Aliev : les Arméniens. Depuis la
perte en 1994 de sa colonie du Haut-Karabagh, il entretient une
véritable hystérie anti-arménienne dans le pays. Ainsi, l'Azerbaïdjan
a longtemps maintenu ses "Pieds-Noirs" - quelques 700 000 colons du
Haut-Karabagh et des régions environnantes - dans un état de précarité
et de misère quand ses considérables moyens financiers lui auraient
permis de les intégrer dans la société. Si les derniers camps de
réfugiés ont été fermés en 2008, ils existent toujours dans une
rhétorique nationaliste qui permet de prévenir toute agitation
sociale.
Parallèlement, ceux qui enquêtent sur le conflit sont inquiétés : Le
journaliste Eynulla Fatullayev a été emprisonné de 2007 à 2011 pour
avoir révélé que le massacre de Khojalou, lors de la guerre, fut mis
en `uvre par le clan de Gueïdar Aliev - le père de l'actuel président
- pour faire tomber le président Mutalibov. Sans surprise, le pouvoir
a accusé Fatullayev d'être "un agent arménien" de même qu'il impute
aux Arméniens les exactions de Khodjalou. Soutenu la communauté
internationale, Eynulla Fatullayev a été libéré le 29 mai 2011, avant
de recevoir le prix mondial de la liberté de la presse le 4 mai
dernier. Depuis, il a repris ses charges sur le rôle du régime Aliev
dans la chute de Khodjalou.
Il faut dire que la préoccupation identitaire prend une dimension
pathologique pour une jeune nation qui ne peut se prévaloir de la
tradition millénaire des voisins arménien et géorgien : On ne compte
plus les initiatives du régime pour "découvrir" de douteuses origines
azéries à des vestiges albaniens, pour ne rien dire de la destruction
du joyau médiéval de Djoulfa, afin de "purifier" le territoire des
traces de son passé arménien. Une destruction sur laquelle l'Unesco a
gardé un silence pudique : il faut dire que Mme Alieva, la première
dame du pays, se montre généreuse avec l'organisation chargée -
ailleurs - de la protection du patrimoine. Devenue par la magie des
pétrodollars "ambassadrice de bonne volonté" de l'Unesco, elle
pratique une habile diplomatie culturelle qui permet à l'Azerbaïdjan
de s'acheter une respectabilité.
Les Arméniens, "ennemis de l'Azerbaïdjan", interdits d'Eurovision
Mais la culture ne saurait justifier une réconciliation avec
l'Arménie. Depuis peu, c'est même tous les Arméniens du monde qui ont
été érigés par le président lui-même en "ennemis de l'Azerbaïdjan".
Ainsi, le 22 février dernier, le président Ilham Aliev a déclaré "Nos
principaux ennemis sont tous les Arméniens du monde et les politiciens
hypocrites et corrompus en leur contrôle. Les politiciens qui ne
veulent pas voir la vérité et qui sont impliqués dans le dénigrement
de l'Azerbaïdjan en différents points du globe. Des parlementaires,
certaines personnalités politiques qui tirent leurs revenus du lobby
arménien".
Cette vision raciale qui discrimine un groupe pour en faire l'agent
d'un invraisemblable complot international rappelle les heures sombres
de notre histoire. C'est suite à cette déclaration que, le 7 mars
dernier, la Télévision Publique arménienne a annoncé son retrait de
l'édition 2012 de l'Eurovision. Si Erevan n'a pas encore publié de
communiqué justifiant sa décision, des officiels arméniens ont déclaré
sous couvert d'anonymat qu'elle est due à ce que "l'intégrité physique
des membres de la délégation arménienne n'est pas assurée en
Azerbaïdjan". Une information que l'Eurovision n'a pas dû avoir
puisqu'elle a, ce 11 mai, annoncé des sanctions envers l'Arménie pour
son refus de participation !
La déclaration du 22 février n'est pourtant pas un fait isolé. Le
président Aliev a récidivé ce 16 avril en affirmant que "ces
tentatives pour discréditer l'Azerbaïdjan, nier sa réalité, le
dépeindre à travers le monde comme un pays arriéré et non démocratique
constituent le sale boulot du lobby arménien. Sa sphère d'influence
est assez large. Ils sont représentés dans les principaux médias
imprimés de divers pays. Parfois, ils avancent sous différents noms et
cachent leur origine. [...]Je le répète, le lobby arménien est
l'ennemi numéro un. [...] Le lobby arménien opère en Europe et dans
les grands pays depuis des décennies, peut-être même des siècles."
Un tel endoctrinement à la haine raciale professé au plus niveau d'un
Etat du Conseil de l'Europe apparaît comme extrêmement préoccupant et
ne devrait pas concerner que l'Arménie. Qu'en serait-il si un
Français, un Tchèque ou un Polonais d'origine arménienne souhaitait
visiter l'Azerbaïdjan ? Pour n'évoquer que la France, la sécurité de
Charles Aznavour, d'André Manoukian ou d'Hélène Ségara serait-elle
assurée s'ils assistaient à l'Eurovision à Bakou ? Au-delà de ces
personnalités, la mansuétude de la communauté internationale semble
bien choquante face à de telles violations des principes de la Charte
des Nations Unies.
http://www.huffingtonpost.fr/laurent-leylekian/eurovision-azerbaidjan-bakou-musique_b_1521032.html?ref=international