ARCHIVES SUR LA "MEMOIRE DES ARMENIENS DE MARSEILLE"
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=68502
Publie le : 31-10-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - "Reconnu par la
loi francaise en 2001, quatorze ans après sa reconnaissance par
le Parlement europeen, le genocide armenien de 1915-1916 a eu,
entre autres consequences, la constitution a Marseille et dans
l'ensemble du departement des Bouches-du-Rhône, d'une importante
communaute armenienne. Aujourd'hui, ces immigres et leurs descendants
portent encore la memoire de ce genocide, mais surtout de l'exil,
des savoir-faire notamment culinaires, d'une certaine forme de
sociabilite qui disparaît peu a peu, d'un mode de vie aujourd'hui
profondement modifie". Melanie Castelle a publie sur le site de l'AFAS
[Association des detenteurs de documents audiovisuels et sonores] "
La collection d'archives orales "Memoire des Armeniens des quartiers
de Marseille et des Bouches-du-Rhône" : comment la valoriser, comment
la faire evoluer ? Etude d'un corpus sonore en ligne ", le 24 octobre
2012. Le Collectif VAN relaye ici son etude.
L'AFAS [Association des detenteurs de documents audiovisuels et
sonores] est une association creee en 1979 sur l'initiative de
responsables de fonds d'archives sonores ou de phonogrammes inedits ou
edites a vocation de recherche, d'etudes ou d'usage professionnel. Son
objectif est avant tout de reunir institutions et personnes qui
s'interessent a la sauvegarde, au traitement et a la communication
des documents sonores et audiovisuels inedits ou edites.
Melanie Castelle, " La collection d'archives orales "Memoire des
Armeniens des quartiers de Marseille et des Bouches-du-Rhône" :
comment la valoriser, comment la faire evoluer ? Etude d'un corpus
sonore en ligne ", Bulletin de liaison des adherents de l'AFAS [En
ligne], 37 | automne-hiver 2011, mis en ligne le 24 octobre 2012,
consulte le 28 octobre 2012.
AFAS
La collection d'archives orales "Memoire des Armeniens des quartiers
de Marseille et des Bouches-du-Rhône" : comment la valoriser, comment
la faire evoluer ? Etude d'un corpus sonore en ligne
Melanie Castelle
Reconnu par la loi francaise en 2001, quatorze ans après sa
reconnaissance par le Parlement europeen, le genocide armenien
de 1915-1916 a eu, entre autres consequences, la constitution a
Marseille et dans l'ensemble du departement des Bouches-du-Rhône,
d'une importante communaute armenienne. Aujourd'hui, ces immigres
et leurs descendants portent encore la memoire de ce genocide, mais
surtout de l'exil, des savoir-faire notamment culinaires, d'une
certaine forme desociabilite qui disparaît peu a peu, d'un mode de
vie aujourd'hui profondement modifie...
L'association Paroles Vives, en collaboration avec les Archives
departementales des Bouches-du-Rhône et avec l'appui technique et
scientifique de la phonothèque de la Maison Mediterraneenne des
Sciences de l'Homme, a ainsi souhaite, a l'occasion de l'annee de
l'Armenie ("Armenie, mon amie", 21 septembre 2006 au 14 juillet
2007), recueillir cette memoire au travers d'une serie d'entretiens
realises en 2006 et 2007, qui forment une collection aujourd'hui
deposee dans les deux institutions. Celle-ci1 a deja fait l'objet
de presentations de la part des personnes qui ont contribue a son
elaboration : une importante note methodologique a ete redigee afin
d'expliquer et d'exposer la manière de faire, un billet sur le blog de
la phonothèque en souligne la specificite2 et a ete presentee lors de
journees d'etude3. Mon point de vue dans ce texte est different en ce
qu'il provient de l'exterieur. En effet, j'ai ete amenee a m'interesser
a cette collection lors de la realisation d'un devoir, dans le cadre du
cours dispense par Florence Descamps (maître de conferences a l'EPHE,
specialiste en histoire des organisations et archives orales) au sein
du Master 2 professionnel Histoire et gestion du patrimoine culturel,
que j'ai suivi durant l'annee 2010-2011. Ce travail m'a conduite a un
certain nombre de reflexions qu'il m'a semble pertinent de partager
avec les adherents de l'AFAS.
Pour ceux qui ne connaissent pas la collection, l'objectif qui lui
etait fixe etait de permettre de decrire l'installation de la diaspora
armenienne dans les Bouches-du-Rhône, en particulier a Marseille, et
la transmission de la culture armenienne au fil des trois generations
qui se sont succedees depuis les annees 1920. Elle se compose de
108 entretiens realises avec 126 personnes, pour un total de 162
heures d'enregistrement. La question du genocide n'est pas toujours
abordee ou en tout cas developpee dans les entretiens. Souvent
les personnes sont trop jeunes (elles n'etaient pas nees ou etaient
seulement âgees de quelques annees) pour en avoir de vrais souvenirs,
cependant plusieurs d'entre elles rapportent la manière dont elles en
ont eu connaissance dans leur famille, qui n'en parlait pas devant
les enfants par exemple : par la captation de conversations entre
adultes en particulier. Les entretiens se concentrent surtout sur
la transmission d'une culture armenienne, notamment a travers les
traditions culinaires, le maintien d'une "culture du travail" et la
fierte d'appartenir a un peuple travailleur. Si le genocide armenien
et les evenements historiques ont leur place dans la constitution de
la campagne de collecte, c'est principalement dans la reflexion des
ethnologues en amont de ce travail : d'une part sur les personnes a
interroger, d'autre part sur la familiarisation avec l'histoire de
cette communaute comme travail preparatoire a la campagne de collecte
et l'etablissement des thèmes a aborder lors des entretiens. La
grille d'enquete s'adapte ainsi au vecu de la personne interrogee et
a ce qu'elle veut bien dire. C'est pourquoi, notamment du fait de
l'anciennete du genocide ou de l'installation familiale en France,
ces sujets ne constituent souvent pas le c~\ur du propos recueilli. La
note methodologique presentee avec le corpus sur le site Internet de la
phonothèque de la MMSH, ainsi que la reflexion qu'illustre le billet
de Laëtitia Nicolas et Corinne Casse, traduisent une qualite certaine
dans la collecte et le traitement documentaire de cette collection
d'archives orales. La rigueur observee sur le plan juridique notamment,
avec la signature systematique de contrats entre les informateurs et
les enqueteurs d'abord, ensuite entre les enqueteurs et l'association
collectrice, enfin entre l'association et les institutions conservant
la collection, permet la diffusion et l'exploitation ulterieure des
temoignages recueillis. De meme, le reste de la methodologie, telle
qu'elle est exposee dans l'annexe methodologique a la collection,
a suivi des standards reconnus par la profession, malgre la nouveaute
de la demarche. En effet, celle-ci est tout-a-fait originale dans le
milieu des chercheurs en sciences sociales, principalement du fait du
but affiche dès le depart de constitution d'un corpus pour etre diffuse
au public tel quel, avec les indications methodologiques necessaires
a sa comprehension. La collecte n'a en revanche pas ete entreprise
dans l'objectif de l'analyser ulterieurement par les memes acteurs
qui l'auraient realisee, comme les ethnologues le font generalement ;
meme si l'un des objectifs, a terme, est que les chercheurs puissent
l'utiliser dans le cadre de leurs travaux. Les entretiens, s'ils ont
bien sûr ete concus a partir de questionnements, ont ainsi ete menes
dans le but de ne pas repondre a une problematique particulière. La
specificite de cette demarche a ete soulignee, et a forcement amene a
employer une technique qui s'est affinee tout au long de la campagne de
collecte, afin de remplir les objectifs nouveaux que les commanditaires
ainsi que les collecteurs ont attribues a cette collection ; d'où de
necessaires amenagements methodologiques en fonction des resultats
du terrain, au fil du temps.
Cependant, il me semble que certains points meriteraient d'etre
eclaircis. Tout d'abord, la question du public auquel est destine ce
corpus. Elle apparaît de manière très marginale dans les differentes
communications qui ont pu traiter de la collection. Qui est-il
et que veut-on lui transmettre ? Le travail effectue l'est-il a
destination des chercheurs, de la communaute armenienne concernee,
de l'ensemble de la communaute armenienne, de la population des
Bouches-du-Rhône, du grand public de manière plus generale, du monde
enseignant... ou de plusieurs de ces groupes ? De cette question du
public de destination, decoule bien evidemment celle du devenir de la
collection. Quel rôle souhaite-t-on lui voir remplir par la suite,
une fois collectee et referencee ? Actuellement, les usagers de la
collection sont majoritairement les chercheurs en sciences sociales
et elle est plutôt bien referencee sur les sites scientifiques. Elle
pourrait eventuellement etre completee par d'autres corpus, realisees
par d'autres chercheurs sur les communautes armeniennes a des fin
de comparatisme.
En revanche, il n'y a a ce jour eu aucune valorisation en direction
d'autres publics. Je pense notamment a des modes de restitution aux
temoins, et a une ouverture a une audience plus large. Les temoins
ont apparemment chacun recu un CD de leur temoignage, ainsi que les
references pour la consultation en ligne. Ils attendaient peut-etre
que leur parole soit plus largement connue et diffusee, et qu'elle
"serve" a quelque chose, par exemple a sensibiliser la population
des lieux où ils vivent au genocide armenien, ou a faire prendre
conscience des specificites de la communaute armenienne, afin de mieux
la faire accepter... Bref, qu'elle ne reste pas confidentielle. Il est
toujours difficile de valoriser et de faire connaître a un public non
habitue ce type de patrimoine, qui n'est pas perceptible de manière
visuelle, a la difference de monuments ou encore d'objets. Comment
faire du temoignage oral - sonore ou transcrit - le centre d'une
manifestation, d'une exposition... de manière attractive et ludique,
de manière a ce qu'il suscite un interet chez le public vise ?C'est
la principale difficulte dans cette demarche. N'etant pas visuelles,
excepte dans leurs transcriptions qui ne peuvent pas telles quelles
constituer une valorisation, les archives orales necessitent
generalement pour pouvoir attirer l'attention d'un public d'etre
accompagnees d'autres supports de mediation : image, activite...D'un
autre côte, il faut aussi souligner les avantages d'un tel patrimoine
"dematerialise". En effet, du fait qu'il soit aisement reproductible
et transportable, le temoignage oral, que ce soit sous sa forme sonore
ou ecrite (transcription) est facilement adaptable a toutes sortes
d'utilisations, et n'entraîne pas de contraintes materielles fortes.
L'archive orale peut s'adapter a toutes sortes de lieux, contrairement
a une sculpture ou encore une ancienne machine. Dans cette demarche,
plusieurs types de diffusion de l'archive orale sont imaginables. Une
exposition peut etre envisagee, a destination du grand public plutôt
local (sans cerner en priorite des personnes deja sensibilisees),
en prenant un point d'entree ludique pour traiter de la culture
armenienne comme la cuisine, les mets, les traditions culinaires,
qui semblent etre un thème qui rassemble y compris les temoins. Avec
possibilite de deguster ou d'acheter certains produits typiques a
la fin par exemple... D'autres thèmes peuvent servir de base a une
exposition : la religion, la langue, la memoire de l'enfance...
Un ouvrage, alliant retranscriptions de passages d'entretiens avec
des photographies des temoins ou bien des objets dont ils parlent
ou encore des photographies d'epoque, serait peut-etre plus facile
d'accès que les enregistrements bruts. Il permettrait aux temoins de
consulter facilement d'autres paroles que les leurs sur un sujet bien
precis. Il aurait aussi l'avantage de pouvoir etre consulte dans les
bibliothèques et acquis par des lecteurs interesses, pas forcement
issus de la communaute armenienne. Un site Internet dedie, permettant
de consulter l'ensemble des temoignages, et autorisant egalement
les internautes a faire part de leur experience, constituerait une
plate-forme d'echange entre Paroles Vives, la phonothèque de la MMSH,
les archives departementales et le public, mais surtout un lieu de
dialogue entre les consultants de la collection, interesses par
le sujet et souhaitant eventuellement enrichir la collection de
leur propre temoignage. Enfin, le projet de collecte etait parti
au depart de l'idee de constituer une mallette pedagogique qui ne
s'est finalement pas realisee. Il serait interessant que certains des
temoignages puissent neanmoins etre utilises dans le cadre scolaire.
Le genocide armenien peut aujourd'hui etre aborde a differents niveaux
: ecole primaire, classe de 3ème, classes de 1ère. A partir de la
manière dont peut etre traite le sujet du genocide armenien dans
chaque classe, et selon les thematiques fixees par les programmes
scolaires, on peut se servir des entretiens realises dans le cadre de
la collecte "Memoire orale des Armeniens des quartiers de Marseille
et des Bouches-du-Rhône". En effet, meme si, on l'a deja evoque, cet
evenement n'est pas central dans les temoignages, et parfois n'apparaît
qu'en filigrane, ils peuvent permettre de sensibiliser davantage
les elèves. Utiliser la voix des temoins comme media pour leur faire
comprendre de quelle manière a pu etre vecu et percu ce genocide et
quelles consequences il a pu avoir (exclusion, emigration...) dans
une mallette pedagogique me paraît ainsi tout a fait pertinent.
Ces propositions ne sont que des exemples de valorisation possible
d'une telle collection. Par sa richesse, la rigueur avec laquelle
elle a ete collectee et le passionnant sujet qu'elle vise a couvrir,
elle merite en tout cas qu'on l'utilise et qu'elle constitue un
materiau d'etude pour les chercheurs, et soit mieux connue du grand
public. La reflexion sur le travail de restitution est apparemment
en cours ; elle aurait peut-etre merite d'etre abordee plus en
amont. Cela a neanmoins permis d'eviter l'ecueil du biais constitue
par la preoccupation du devenir de la collection, ce qui lui permet
aujourd'hui de s'adapter a un grand nombre d'usages (exploitation par
les chercheurs, valorisation auprès du grand public, enrichissement
posterieur a la première campagne...).
Notes
1
http://phonotheque.mmsh.univ-aix.fr/Record.htm?idlist=6&record=19109831124919270139
2 Quand l'ethnologue cree une source pour la mettre a disposition
du public dans une phonothèque de recherche, V. Ginouvès,
http://phonotheque.hypotheses.org/18
3 C. Casse et L. Nicolas, "Interroger l'histoire et l'actualite des
descendants d'Armeniens : la creation d'une collection sonore aux
archives departementales des Bouches-du-Rhône et a la phonothèque de
la maison mediterraneenne des sciences de l'homme", Imageson.org,
9 oct. 2008. http://www.imageson.org/document1033.html, consulte
le 29/08/11.
Retour a la rubrique
Source/Lien : AFAS
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=68502
Publie le : 31-10-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - "Reconnu par la
loi francaise en 2001, quatorze ans après sa reconnaissance par
le Parlement europeen, le genocide armenien de 1915-1916 a eu,
entre autres consequences, la constitution a Marseille et dans
l'ensemble du departement des Bouches-du-Rhône, d'une importante
communaute armenienne. Aujourd'hui, ces immigres et leurs descendants
portent encore la memoire de ce genocide, mais surtout de l'exil,
des savoir-faire notamment culinaires, d'une certaine forme de
sociabilite qui disparaît peu a peu, d'un mode de vie aujourd'hui
profondement modifie". Melanie Castelle a publie sur le site de l'AFAS
[Association des detenteurs de documents audiovisuels et sonores] "
La collection d'archives orales "Memoire des Armeniens des quartiers
de Marseille et des Bouches-du-Rhône" : comment la valoriser, comment
la faire evoluer ? Etude d'un corpus sonore en ligne ", le 24 octobre
2012. Le Collectif VAN relaye ici son etude.
L'AFAS [Association des detenteurs de documents audiovisuels et
sonores] est une association creee en 1979 sur l'initiative de
responsables de fonds d'archives sonores ou de phonogrammes inedits ou
edites a vocation de recherche, d'etudes ou d'usage professionnel. Son
objectif est avant tout de reunir institutions et personnes qui
s'interessent a la sauvegarde, au traitement et a la communication
des documents sonores et audiovisuels inedits ou edites.
Melanie Castelle, " La collection d'archives orales "Memoire des
Armeniens des quartiers de Marseille et des Bouches-du-Rhône" :
comment la valoriser, comment la faire evoluer ? Etude d'un corpus
sonore en ligne ", Bulletin de liaison des adherents de l'AFAS [En
ligne], 37 | automne-hiver 2011, mis en ligne le 24 octobre 2012,
consulte le 28 octobre 2012.
AFAS
La collection d'archives orales "Memoire des Armeniens des quartiers
de Marseille et des Bouches-du-Rhône" : comment la valoriser, comment
la faire evoluer ? Etude d'un corpus sonore en ligne
Melanie Castelle
Reconnu par la loi francaise en 2001, quatorze ans après sa
reconnaissance par le Parlement europeen, le genocide armenien
de 1915-1916 a eu, entre autres consequences, la constitution a
Marseille et dans l'ensemble du departement des Bouches-du-Rhône,
d'une importante communaute armenienne. Aujourd'hui, ces immigres
et leurs descendants portent encore la memoire de ce genocide, mais
surtout de l'exil, des savoir-faire notamment culinaires, d'une
certaine forme desociabilite qui disparaît peu a peu, d'un mode de
vie aujourd'hui profondement modifie...
L'association Paroles Vives, en collaboration avec les Archives
departementales des Bouches-du-Rhône et avec l'appui technique et
scientifique de la phonothèque de la Maison Mediterraneenne des
Sciences de l'Homme, a ainsi souhaite, a l'occasion de l'annee de
l'Armenie ("Armenie, mon amie", 21 septembre 2006 au 14 juillet
2007), recueillir cette memoire au travers d'une serie d'entretiens
realises en 2006 et 2007, qui forment une collection aujourd'hui
deposee dans les deux institutions. Celle-ci1 a deja fait l'objet
de presentations de la part des personnes qui ont contribue a son
elaboration : une importante note methodologique a ete redigee afin
d'expliquer et d'exposer la manière de faire, un billet sur le blog de
la phonothèque en souligne la specificite2 et a ete presentee lors de
journees d'etude3. Mon point de vue dans ce texte est different en ce
qu'il provient de l'exterieur. En effet, j'ai ete amenee a m'interesser
a cette collection lors de la realisation d'un devoir, dans le cadre du
cours dispense par Florence Descamps (maître de conferences a l'EPHE,
specialiste en histoire des organisations et archives orales) au sein
du Master 2 professionnel Histoire et gestion du patrimoine culturel,
que j'ai suivi durant l'annee 2010-2011. Ce travail m'a conduite a un
certain nombre de reflexions qu'il m'a semble pertinent de partager
avec les adherents de l'AFAS.
Pour ceux qui ne connaissent pas la collection, l'objectif qui lui
etait fixe etait de permettre de decrire l'installation de la diaspora
armenienne dans les Bouches-du-Rhône, en particulier a Marseille, et
la transmission de la culture armenienne au fil des trois generations
qui se sont succedees depuis les annees 1920. Elle se compose de
108 entretiens realises avec 126 personnes, pour un total de 162
heures d'enregistrement. La question du genocide n'est pas toujours
abordee ou en tout cas developpee dans les entretiens. Souvent
les personnes sont trop jeunes (elles n'etaient pas nees ou etaient
seulement âgees de quelques annees) pour en avoir de vrais souvenirs,
cependant plusieurs d'entre elles rapportent la manière dont elles en
ont eu connaissance dans leur famille, qui n'en parlait pas devant
les enfants par exemple : par la captation de conversations entre
adultes en particulier. Les entretiens se concentrent surtout sur
la transmission d'une culture armenienne, notamment a travers les
traditions culinaires, le maintien d'une "culture du travail" et la
fierte d'appartenir a un peuple travailleur. Si le genocide armenien
et les evenements historiques ont leur place dans la constitution de
la campagne de collecte, c'est principalement dans la reflexion des
ethnologues en amont de ce travail : d'une part sur les personnes a
interroger, d'autre part sur la familiarisation avec l'histoire de
cette communaute comme travail preparatoire a la campagne de collecte
et l'etablissement des thèmes a aborder lors des entretiens. La
grille d'enquete s'adapte ainsi au vecu de la personne interrogee et
a ce qu'elle veut bien dire. C'est pourquoi, notamment du fait de
l'anciennete du genocide ou de l'installation familiale en France,
ces sujets ne constituent souvent pas le c~\ur du propos recueilli. La
note methodologique presentee avec le corpus sur le site Internet de la
phonothèque de la MMSH, ainsi que la reflexion qu'illustre le billet
de Laëtitia Nicolas et Corinne Casse, traduisent une qualite certaine
dans la collecte et le traitement documentaire de cette collection
d'archives orales. La rigueur observee sur le plan juridique notamment,
avec la signature systematique de contrats entre les informateurs et
les enqueteurs d'abord, ensuite entre les enqueteurs et l'association
collectrice, enfin entre l'association et les institutions conservant
la collection, permet la diffusion et l'exploitation ulterieure des
temoignages recueillis. De meme, le reste de la methodologie, telle
qu'elle est exposee dans l'annexe methodologique a la collection,
a suivi des standards reconnus par la profession, malgre la nouveaute
de la demarche. En effet, celle-ci est tout-a-fait originale dans le
milieu des chercheurs en sciences sociales, principalement du fait du
but affiche dès le depart de constitution d'un corpus pour etre diffuse
au public tel quel, avec les indications methodologiques necessaires
a sa comprehension. La collecte n'a en revanche pas ete entreprise
dans l'objectif de l'analyser ulterieurement par les memes acteurs
qui l'auraient realisee, comme les ethnologues le font generalement ;
meme si l'un des objectifs, a terme, est que les chercheurs puissent
l'utiliser dans le cadre de leurs travaux. Les entretiens, s'ils ont
bien sûr ete concus a partir de questionnements, ont ainsi ete menes
dans le but de ne pas repondre a une problematique particulière. La
specificite de cette demarche a ete soulignee, et a forcement amene a
employer une technique qui s'est affinee tout au long de la campagne de
collecte, afin de remplir les objectifs nouveaux que les commanditaires
ainsi que les collecteurs ont attribues a cette collection ; d'où de
necessaires amenagements methodologiques en fonction des resultats
du terrain, au fil du temps.
Cependant, il me semble que certains points meriteraient d'etre
eclaircis. Tout d'abord, la question du public auquel est destine ce
corpus. Elle apparaît de manière très marginale dans les differentes
communications qui ont pu traiter de la collection. Qui est-il
et que veut-on lui transmettre ? Le travail effectue l'est-il a
destination des chercheurs, de la communaute armenienne concernee,
de l'ensemble de la communaute armenienne, de la population des
Bouches-du-Rhône, du grand public de manière plus generale, du monde
enseignant... ou de plusieurs de ces groupes ? De cette question du
public de destination, decoule bien evidemment celle du devenir de la
collection. Quel rôle souhaite-t-on lui voir remplir par la suite,
une fois collectee et referencee ? Actuellement, les usagers de la
collection sont majoritairement les chercheurs en sciences sociales
et elle est plutôt bien referencee sur les sites scientifiques. Elle
pourrait eventuellement etre completee par d'autres corpus, realisees
par d'autres chercheurs sur les communautes armeniennes a des fin
de comparatisme.
En revanche, il n'y a a ce jour eu aucune valorisation en direction
d'autres publics. Je pense notamment a des modes de restitution aux
temoins, et a une ouverture a une audience plus large. Les temoins
ont apparemment chacun recu un CD de leur temoignage, ainsi que les
references pour la consultation en ligne. Ils attendaient peut-etre
que leur parole soit plus largement connue et diffusee, et qu'elle
"serve" a quelque chose, par exemple a sensibiliser la population
des lieux où ils vivent au genocide armenien, ou a faire prendre
conscience des specificites de la communaute armenienne, afin de mieux
la faire accepter... Bref, qu'elle ne reste pas confidentielle. Il est
toujours difficile de valoriser et de faire connaître a un public non
habitue ce type de patrimoine, qui n'est pas perceptible de manière
visuelle, a la difference de monuments ou encore d'objets. Comment
faire du temoignage oral - sonore ou transcrit - le centre d'une
manifestation, d'une exposition... de manière attractive et ludique,
de manière a ce qu'il suscite un interet chez le public vise ?C'est
la principale difficulte dans cette demarche. N'etant pas visuelles,
excepte dans leurs transcriptions qui ne peuvent pas telles quelles
constituer une valorisation, les archives orales necessitent
generalement pour pouvoir attirer l'attention d'un public d'etre
accompagnees d'autres supports de mediation : image, activite...D'un
autre côte, il faut aussi souligner les avantages d'un tel patrimoine
"dematerialise". En effet, du fait qu'il soit aisement reproductible
et transportable, le temoignage oral, que ce soit sous sa forme sonore
ou ecrite (transcription) est facilement adaptable a toutes sortes
d'utilisations, et n'entraîne pas de contraintes materielles fortes.
L'archive orale peut s'adapter a toutes sortes de lieux, contrairement
a une sculpture ou encore une ancienne machine. Dans cette demarche,
plusieurs types de diffusion de l'archive orale sont imaginables. Une
exposition peut etre envisagee, a destination du grand public plutôt
local (sans cerner en priorite des personnes deja sensibilisees),
en prenant un point d'entree ludique pour traiter de la culture
armenienne comme la cuisine, les mets, les traditions culinaires,
qui semblent etre un thème qui rassemble y compris les temoins. Avec
possibilite de deguster ou d'acheter certains produits typiques a
la fin par exemple... D'autres thèmes peuvent servir de base a une
exposition : la religion, la langue, la memoire de l'enfance...
Un ouvrage, alliant retranscriptions de passages d'entretiens avec
des photographies des temoins ou bien des objets dont ils parlent
ou encore des photographies d'epoque, serait peut-etre plus facile
d'accès que les enregistrements bruts. Il permettrait aux temoins de
consulter facilement d'autres paroles que les leurs sur un sujet bien
precis. Il aurait aussi l'avantage de pouvoir etre consulte dans les
bibliothèques et acquis par des lecteurs interesses, pas forcement
issus de la communaute armenienne. Un site Internet dedie, permettant
de consulter l'ensemble des temoignages, et autorisant egalement
les internautes a faire part de leur experience, constituerait une
plate-forme d'echange entre Paroles Vives, la phonothèque de la MMSH,
les archives departementales et le public, mais surtout un lieu de
dialogue entre les consultants de la collection, interesses par
le sujet et souhaitant eventuellement enrichir la collection de
leur propre temoignage. Enfin, le projet de collecte etait parti
au depart de l'idee de constituer une mallette pedagogique qui ne
s'est finalement pas realisee. Il serait interessant que certains des
temoignages puissent neanmoins etre utilises dans le cadre scolaire.
Le genocide armenien peut aujourd'hui etre aborde a differents niveaux
: ecole primaire, classe de 3ème, classes de 1ère. A partir de la
manière dont peut etre traite le sujet du genocide armenien dans
chaque classe, et selon les thematiques fixees par les programmes
scolaires, on peut se servir des entretiens realises dans le cadre de
la collecte "Memoire orale des Armeniens des quartiers de Marseille
et des Bouches-du-Rhône". En effet, meme si, on l'a deja evoque, cet
evenement n'est pas central dans les temoignages, et parfois n'apparaît
qu'en filigrane, ils peuvent permettre de sensibiliser davantage
les elèves. Utiliser la voix des temoins comme media pour leur faire
comprendre de quelle manière a pu etre vecu et percu ce genocide et
quelles consequences il a pu avoir (exclusion, emigration...) dans
une mallette pedagogique me paraît ainsi tout a fait pertinent.
Ces propositions ne sont que des exemples de valorisation possible
d'une telle collection. Par sa richesse, la rigueur avec laquelle
elle a ete collectee et le passionnant sujet qu'elle vise a couvrir,
elle merite en tout cas qu'on l'utilise et qu'elle constitue un
materiau d'etude pour les chercheurs, et soit mieux connue du grand
public. La reflexion sur le travail de restitution est apparemment
en cours ; elle aurait peut-etre merite d'etre abordee plus en
amont. Cela a neanmoins permis d'eviter l'ecueil du biais constitue
par la preoccupation du devenir de la collection, ce qui lui permet
aujourd'hui de s'adapter a un grand nombre d'usages (exploitation par
les chercheurs, valorisation auprès du grand public, enrichissement
posterieur a la première campagne...).
Notes
1
http://phonotheque.mmsh.univ-aix.fr/Record.htm?idlist=6&record=19109831124919270139
2 Quand l'ethnologue cree une source pour la mettre a disposition
du public dans une phonothèque de recherche, V. Ginouvès,
http://phonotheque.hypotheses.org/18
3 C. Casse et L. Nicolas, "Interroger l'histoire et l'actualite des
descendants d'Armeniens : la creation d'une collection sonore aux
archives departementales des Bouches-du-Rhône et a la phonothèque de
la maison mediterraneenne des sciences de l'homme", Imageson.org,
9 oct. 2008. http://www.imageson.org/document1033.html, consulte
le 29/08/11.
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