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"Les Victimes Ne Se Tairont Pas, Et Elles Ont Raison"

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    "LES VICTIMES NE SE TAIRONT PAS, ET ELLES ONT RAISON"

    swissinfo.ch
    6 nov 2012
    Suisse

    Par Patricia Islas, Berne, swissinfo.ch

    Dans un pays qui sort d'un conflit, le traitement du passe et la lutte
    contre l'impunite sont des tâches aussi utiles que difficiles. La
    Suisse offre des connaissances et des outils aux Etats qui sont prets
    a faire la lumière sur leur histoire recente et a restaurer l'Etat
    de droit.

    Depuis 2003, dans le cadre de ses efforts de promotion de la paix,
    la Suisse a ete l'un des premiers pays a promouvoir le traitement du
    passe et la lutte contre l'impunite. Mô Bleeker est responsable de la
    division speciale qui s'occupe de ces questions au sein du Departement
    federal (ministère) des Affaires etrangères.

    swissinfo.ch: La Suisse est parvenue a imposer le traitement du passe
    dans l'agenda multilateral. Sur quoi centre-t-elle son action?

    Mô Bleeker: En resume, nous repondons a une demande de soutien de
    la part des Etats qui, a la suite d'un conflit arme, d'une periode
    marquee par de graves violations des droits de l'homme ou d'un
    genocide, sont appeles a assumer leur responsabilite.

    Les pays reconnaissent generalement notre capacite a creer un
    climat de confiance qui permet de s'attaquer aux problèmes concrets,
    grâce a notre rapidite de reaction et a l'efficacite de notre reseau
    d'experts. L'experience accumulee par la Suisse contribue a son tour
    a ameliorer les efforts entrepris par ces pays.

    En confrontant les diverses experiences, il est par exemple possible
    de mettre en evidence l'importance de fournir un espace adequat aux
    victimes, sans chercher a manipuler ou a cacher la verite, a l'heure
    d'instaurer une commission pour la verite et la reconciliation.

    En realite, jeter des bases pour la construction d'un Etat de
    droit sur le long terme est une tâche qui appartient aux nouvelles
    generations. Pour ce faire, il est necessaire d'etre capable de se
    pencher sur un passe fait d'atrocites. Mon travail consiste simplement
    a convaincre les gens que cela est possible, utile et très positif.

    swissinfo.ch: Avec quelle autorite morale la Suisse aide-t-elle
    d'autres pays a revoir leur passe?

    M.B.: Pour la Suisse, il n'a pas non plus ete facile d'analyser son
    propre passe. On a pu le constater lors des travaux de la Commission
    Bergier [qui a enquete sur le rôle de la Suisse durant la Seconde
    Guerre mondiale, ndlr]. Cela nous a rendus un peu plus humbles.

    Nous sommes conscients des peurs et des tensions qui se sont
    manifestees, mais nous savons que cette analyse historique a ete
    benefique pour la Suisse. En fait, ce fut un signe de qualite de notre
    democratie. A cela s'ajoute la reputation helvetique en matière de
    defense du droit international humanitaire.

    De plus en plus de gouvernements nous demandent de l'aide ou de
    pouvoir echanger avec eux lorsqu'ils commencent a entreprendre ce
    chemin vers l'acceptation de leurs responsabilites.

    swissinfo.ch: Votre travail necessite une grande discretion.

    Pouvez-vous tout de meme nous dire quelles sont les personnes qui
    s'adressent a vous?

    M.B.: Des ministres, des conseillers de presidents, des hauts
    fonctionnaires ayant des responsabilites dans les institutions de
    securite, et qui sont prets a proceder a des reformes. Mais on trouve
    aussi des presidents de commissions de verite et reconciliation ainsi
    que des fonctionnaires onusiens.

    swissinfo.ch: Il n'est pas toujours facile pour certains d'entre eux
    de trouver le courage necessaire pour demander de l'aide...

    M.B.: Un jour, un haut fonctionnaire m'a dit, d'une voix extenuee:
    "Nous devons creer une commission de verite et un tribunal special".

    Je lui ai alors demande comment il se sentait. "Je suis mort de peur.

    Tout le monde est convaincu qu'il n'y a pas de volonte politique. La
    realite, c'est qu'il y a une volonte, mais nous ne savons pas comment
    la traduire en quelque chose de concret". Sa reponse m'a beaucoup
    frappee.

    J'ai beaucoup voyage a-travers le monde. Et je crois que dans la
    plupart des endroits, ce que nous attribuons a l'absence de volonte
    politique est en realite un manque de moyens techniques et politiques
    pour mener ces processus. Au fond, la veritable absence de volonte
    politique est plus rare que ce que l'on pourrait croire.

    Nous cherchons avant tout a calmer ces craintes, en partageant ce que
    nous avons vu dans d'autres pays. Lorsque par exemple on nous demande
    si les reformes de l'armee ont mene a la crise, si le gouvernement
    est tombe, s'il y a eu des actes de vengeance.

    swissinfo.ch: Des inquietudes très graves...

    M.B.: Certes, ce sont des craintes terribles, mais que nous avons
    aussi connu en Europe. Le plus terrible serait de mettre un couvercle
    sur le passe. Mais nous ne savons que ne se sera pas possible, parce
    que les victimes ne se tairont pas, et elles ont raison. Elles ont
    le droit de savoir. Au niveau international, il existe des règles
    claires qui definissent quels sont les crimes a juger, les droits
    des victimes, les obligations d'un Etat. Pour faire notre travail,
    nous nous basons sur ces principes.

    Nous pouvons faire en sorte que ces politiques de lutte contre
    l'impunite fassent partie d'une construction durable de la paix. Qu'il
    ne s'agisse pas uniquement d'un cessez-le-feu, mais du debut d'un
    nouveau dialogue entre l'Etat et la societe, du developpement d'une
    culture de la responsabilite, d'une nouvelle confiance civique et
    d'un contrôle democratique des institutions de l'Etat.

    Si un gouvernement mène ces actions avec determination, il en tire
    un avantage en termes de legitimite, de qualite democratique et il
    contribue ainsi de manière significative a l'etablissement d'une
    paix durable.

    swissinfo.ch: Il est cependant difficile de mesurer les
    resultats de votre travail en termes de prise de conscience et de
    responsabilisation.

    M.B.: Je comprends ceux qui s'interrogent sur l'utilite de notre
    travail. Moi, je constate la difference entre l'avant et l'après. Je
    vois comment ceux qui conduisent ces processus se sentent plus
    efficaces, comment le dialogue entre la societe et l'Etat s'est
    ameliore.

    Parfois, nous, la communaute internationale, commettons une grave
    erreur en pensant que ce processus de traitement du passe se reduit
    a une procedure judiciaire. L'impunite est un système, une culture,
    qui se transforme en cancer: la reponse doit donc etre systemique.

    Patricia Islas, Berne, swissinfo.ch (Adaptation de l'espagnol:
    Samuel Jaberg)

    http://www.swissinfo.ch/fre/politique_suisse/Les_victimes_ne_se_tairont_pas,_et_elles_ont_raiso n.html?cid=33890070

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