ANNA ASTVATSATURIAN TURCOTTE: EXTRAIT DE "NULLE PART, HISTOIRE D'UN EXIL"
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=68771
Publie le : 09-11-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
presente un article en anglais paru le 28 septembre sur Armenian
Reporter et traduit le 23 octobre 2012 par Georges Festa pour le site
"Armenian Trends - Mes Armenies".
Armenian Trends - Mes Armenies
mardi 23 octobre 2012
Anna Astvatsaturian Turcotte - Nowhere : a Story of Exile / Nulle
part : histoire d'un exil
Photo: © Hybooksonline.com, 2012
Extrait de Nowhere : a Story of Exile [Nulle part : histoire d'un exil]
d'Anna Astvatsaturian Turcotte
The Armenian Reporter, 28.09.2012
[Ce qui suit est un extrait de Nowhere, a Story of Exile, reproduit
ici avec l'autorisation de l'A. - Note de la redaction de The Armenian
Reporter].
" Les manifestations qui debutèrent a la fin de l'ete ne furent pas
les dernières. Nous en vîmes plus frequemment, des milliers de gens
deferlant et hurlant. Notre rue etait la rue principale qui conduisait
a la place Lenine, où se trouvaient les bâtiments du gouvernement. Les
manifestants etaient des Azeris qui voulaient nous chasser du pays
et exigeaient que l'Armenie cessât de presenter le Nagorno-Karabagh
comme une terre historiquement armenienne.
Les manifestations empirèrent au fil du temps. Elles se firent plus
nombreuses et bruyantes. Le debut de l'annee scolaire 1988-1989 fut
chaotique pour tout le monde. J'etais alors en cours moyen 2ème annee,
mais je ne pensais pas a l'ecole, meme si je travaillais, memorisant
automatiquement des poèmes, des formules et du vocabulaire anglais.
La situation etait incertaine et imprevisible ; a l'automne, maman
ne me laissa plus sortir du patio et grimper dans les oliviers dans
notre rue. Les olives servaient pour les conserves et on les ramassait
chaque annee avec Vilya. Maman nous expliquait que cela attirerait
trop l'attention sur l'immeuble et sur moi. L'ecole n'envoyait pas
non plus les elèves ramasser les olives dans les champs. Les oliviers
dans la rue etaient emplis d'olives mûres, que nous ne pouvions que
regarder a travers notre fenetre sans pouvoir y toucher.
Grâce aux reseaux sociaux et aux contacts, l'information se propagea
parmi les familles armeniennes qu'en novembre il y eut des pogroms et
des atrocites commises contre des citoyens armeniens a Kirovabad, une
ville eloignee, la deuxième plus grande ville d'Azerbaïdjan. Personnes
âgees, hommes et femmes tues, violes, mutiles. Nous nous couvrions
la bouche, incredules. Les actualites ne faisaient etat de rien. Au
fil des jours, maman ecarta le tout comme un non evenement, quelque
chose qui n'arriverait jamais a Bakou, peuplee d'intellectuels et
d'internationalistes.
Un certain après-midi de decembre 1988, chacun etait chez soi, a mon
retour de l'ecole. Les evenements qui transpirèrent effacèrent tout
souvenir de m'etre trouvee a l'ecole ce jour-la. Les manifestations
ce jour-la furent les pires de toutes celles que nous avions vues.
Nous sommes reunis dans l'appartement de ma grand-mère, nous tous,
maman, papa, Micha, grand-mère et moi. Nous avons ferme les portes de
l'interieur, assis, en train d'attendre, toutes les fenetres closes,
les volets fermes. Nous eteignons les lumières. Papa nous dit a
Micha et moi de parler en chuchotant. Papa retire tous les couteaux
des tiroirs de la cuisine et les empile devant lui sur la table du
salon, prepare au pire. Il ne cesse de nous dire : " S'ils entrent,
j'en emmènerai quelques-uns avec moi dans l'autre monde. "
Nous avons peur de parler a voix haute. Nous chuchotons si nous
devons le faire, mais rarement. Maman tient Micha sur ses genoux sur
le canape, son visage enfoui dans ses boucles blondes, tandis que
grand-mère est assise sur la chaise, contemplant ses mains ridees
qui reposent sur sa robe de coton demodee. A travers les fentes
malencontreuses des jalousies, nous observons les gens en train de
devaler la rue avec des drapeaux verts.
Ils sont incroyablement nombreux, leurs epaules effleurant les murs
de notre immeuble. Nous decouvrons quelques drapeaux noirs, qui
signifient " Mort " et " Vengeance ", fabriques a la main en toute
hâte. Les manifestants deferlent et accourent a nouveau, devant notre
immeuble. Des gens hurlent, chantent et crient en azeri.
Je jette un coup d'~\il a travers la fente d'un volet. Je vois un homme
vetu d'un manteau noir. Il fait face a la foule, marche a reculons,
hurlant quelque chose. De l'endroit où nous nous trouvons, nous ne
pouvons comprendre ce qu'il dit, bien qu'il parle a haute voix et
qu'il s'adresse a la foule en azeri. Apparemment, il tente de les
arreter. Mais ils ne font que hurler encore plus fort et pousser,
comme pour dire a cet homme en noir qu'ils ne l'ecouteront pas. De
fait, ils l'ecartent et quelques manifestants penètrent dans le patio
de l'immeuble juste voisin du nôtre. Ils crient aux Armeniens de
sortir. Cet immeuble est connu pour loger des Armeniens qui vivent
la depuis plusieurs generations. Certaines familles sont mixtes -
azeries, russes armeniennes. Papa m'eloigne de la fenetre.
Les manifestants vocifèrent de plus belle. Comme personne ne les
laisse entrer, ils se mettent a jeter des pierres contre les fenetres.
Nous entendons des objets fracasses, un vacarme assourdi, des cris.
Soudain, ils reapparaissent dans la rue et se ruent vers la place
Lenine, en quete d'autres emotions fortes. Apparemment, ils oublient
notre immeuble. Il est trop proche du chemin de fer et hors de vue.
Les portes du patio sont protegees par des buissons et des arbres.
Plus tard, nous apprenons que les Armeniens du Nagorno-Karabagh
tentent de quitter l'Azerbaïdjan et de rejoindre l'Armenie. "
___________
Source :
http://www.reporter.am/go/article/2012-09-28-excerpt-from--nowhere-a-story-of-exile-
Traduction : © Georges Festa - 10.2012.
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Source/Lien : Armenian Trends - Mes Armenies
From: A. Papazian
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Reporter et traduit le 23 octobre 2012 par Georges Festa pour le site
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Anna Astvatsaturian Turcotte - Nowhere : a Story of Exile / Nulle
part : histoire d'un exil
Photo: © Hybooksonline.com, 2012
Extrait de Nowhere : a Story of Exile [Nulle part : histoire d'un exil]
d'Anna Astvatsaturian Turcotte
The Armenian Reporter, 28.09.2012
[Ce qui suit est un extrait de Nowhere, a Story of Exile, reproduit
ici avec l'autorisation de l'A. - Note de la redaction de The Armenian
Reporter].
" Les manifestations qui debutèrent a la fin de l'ete ne furent pas
les dernières. Nous en vîmes plus frequemment, des milliers de gens
deferlant et hurlant. Notre rue etait la rue principale qui conduisait
a la place Lenine, où se trouvaient les bâtiments du gouvernement. Les
manifestants etaient des Azeris qui voulaient nous chasser du pays
et exigeaient que l'Armenie cessât de presenter le Nagorno-Karabagh
comme une terre historiquement armenienne.
Les manifestations empirèrent au fil du temps. Elles se firent plus
nombreuses et bruyantes. Le debut de l'annee scolaire 1988-1989 fut
chaotique pour tout le monde. J'etais alors en cours moyen 2ème annee,
mais je ne pensais pas a l'ecole, meme si je travaillais, memorisant
automatiquement des poèmes, des formules et du vocabulaire anglais.
La situation etait incertaine et imprevisible ; a l'automne, maman
ne me laissa plus sortir du patio et grimper dans les oliviers dans
notre rue. Les olives servaient pour les conserves et on les ramassait
chaque annee avec Vilya. Maman nous expliquait que cela attirerait
trop l'attention sur l'immeuble et sur moi. L'ecole n'envoyait pas
non plus les elèves ramasser les olives dans les champs. Les oliviers
dans la rue etaient emplis d'olives mûres, que nous ne pouvions que
regarder a travers notre fenetre sans pouvoir y toucher.
Grâce aux reseaux sociaux et aux contacts, l'information se propagea
parmi les familles armeniennes qu'en novembre il y eut des pogroms et
des atrocites commises contre des citoyens armeniens a Kirovabad, une
ville eloignee, la deuxième plus grande ville d'Azerbaïdjan. Personnes
âgees, hommes et femmes tues, violes, mutiles. Nous nous couvrions
la bouche, incredules. Les actualites ne faisaient etat de rien. Au
fil des jours, maman ecarta le tout comme un non evenement, quelque
chose qui n'arriverait jamais a Bakou, peuplee d'intellectuels et
d'internationalistes.
Un certain après-midi de decembre 1988, chacun etait chez soi, a mon
retour de l'ecole. Les evenements qui transpirèrent effacèrent tout
souvenir de m'etre trouvee a l'ecole ce jour-la. Les manifestations
ce jour-la furent les pires de toutes celles que nous avions vues.
Nous sommes reunis dans l'appartement de ma grand-mère, nous tous,
maman, papa, Micha, grand-mère et moi. Nous avons ferme les portes de
l'interieur, assis, en train d'attendre, toutes les fenetres closes,
les volets fermes. Nous eteignons les lumières. Papa nous dit a
Micha et moi de parler en chuchotant. Papa retire tous les couteaux
des tiroirs de la cuisine et les empile devant lui sur la table du
salon, prepare au pire. Il ne cesse de nous dire : " S'ils entrent,
j'en emmènerai quelques-uns avec moi dans l'autre monde. "
Nous avons peur de parler a voix haute. Nous chuchotons si nous
devons le faire, mais rarement. Maman tient Micha sur ses genoux sur
le canape, son visage enfoui dans ses boucles blondes, tandis que
grand-mère est assise sur la chaise, contemplant ses mains ridees
qui reposent sur sa robe de coton demodee. A travers les fentes
malencontreuses des jalousies, nous observons les gens en train de
devaler la rue avec des drapeaux verts.
Ils sont incroyablement nombreux, leurs epaules effleurant les murs
de notre immeuble. Nous decouvrons quelques drapeaux noirs, qui
signifient " Mort " et " Vengeance ", fabriques a la main en toute
hâte. Les manifestants deferlent et accourent a nouveau, devant notre
immeuble. Des gens hurlent, chantent et crient en azeri.
Je jette un coup d'~\il a travers la fente d'un volet. Je vois un homme
vetu d'un manteau noir. Il fait face a la foule, marche a reculons,
hurlant quelque chose. De l'endroit où nous nous trouvons, nous ne
pouvons comprendre ce qu'il dit, bien qu'il parle a haute voix et
qu'il s'adresse a la foule en azeri. Apparemment, il tente de les
arreter. Mais ils ne font que hurler encore plus fort et pousser,
comme pour dire a cet homme en noir qu'ils ne l'ecouteront pas. De
fait, ils l'ecartent et quelques manifestants penètrent dans le patio
de l'immeuble juste voisin du nôtre. Ils crient aux Armeniens de
sortir. Cet immeuble est connu pour loger des Armeniens qui vivent
la depuis plusieurs generations. Certaines familles sont mixtes -
azeries, russes armeniennes. Papa m'eloigne de la fenetre.
Les manifestants vocifèrent de plus belle. Comme personne ne les
laisse entrer, ils se mettent a jeter des pierres contre les fenetres.
Nous entendons des objets fracasses, un vacarme assourdi, des cris.
Soudain, ils reapparaissent dans la rue et se ruent vers la place
Lenine, en quete d'autres emotions fortes. Apparemment, ils oublient
notre immeuble. Il est trop proche du chemin de fer et hors de vue.
Les portes du patio sont protegees par des buissons et des arbres.
Plus tard, nous apprenons que les Armeniens du Nagorno-Karabagh
tentent de quitter l'Azerbaïdjan et de rejoindre l'Armenie. "
___________
Source :
http://www.reporter.am/go/article/2012-09-28-excerpt-from--nowhere-a-story-of-exile-
Traduction : © Georges Festa - 10.2012.
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