TURQUIE : LETTRE D'UN JOURNALISTE EN PRISON
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=68674
Publie le : 14-11-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire la lettre de Soner Yalcin, journaliste turc en prison,
traduite par Sebastien de Courtois.
Le Figaro
2 nov. 2012
Soner Yalcin
Lettre d'un journaliste turc en prison
L'auteur*, emprisonne - comme 75 autres journalistes turcs - depuis
deux ans, nous ecrit depuis sa cellule d'Istanbul cette lettre,
transmise par sa femme, alors qu'il doit etre juge le 16 novembre pour
"complicite de complot".
Voici mon crime, ma faute : poser des questions, chercher la verite
et ecrire
J'ecris de ma cellule où la lumière reste allumee 24 heures sur 24,
où les coupures d'eau durent 17 heures, et où je suis surveille
constamment par deux cameras. Pour tenir, je me repète a voix haute
ces mots : " Y a-t-il quelqu'un dehors ? " Je suis detenu depuis deux
ans dans l'attente d'un procès dans la prison de Silivri a Istanbul.
Je ne sais pas combien de temps la procedure va encore durer, mais
je sens deja que je suis condamne a etre oublie. Tout cela parce que
j'ai commis une faute majeure, celle de penser et d'etre journaliste.
Je m'appelle Soner Yalcin. J'ai 47 ans et je suis journaliste depuis
vingt-cinq ans. Je collabore ou dirige des supports mediatiques en
Turquie depuis toutes ces annees, dans la presse ou a la television.
J'etais entre autres l'un des chroniqueurs du grand quotidien Hurriyet,
" Liberte ". J'ai ecrit douze livres, dont beaucoup se sont vendus a
plus de cent mille exemplaires. Je suis le proprietaire et fondateur
d'un site Internet qui s'appelle OdaTV.com. Pendant toute ma vie
professionnelle, j'ai enquete sur l'histoire recente de mon pays,
ecrit sans repit sur les meurtres irresolus de personnalites
politiques ou journalistiques, sur les mafias, les gangs, les
organisations illegales agissant a l'interieur de l'Etat, et les
factions religieuses extremistes.
J'ai recu des menaces de mort a cause de mes textes et articles. J'ai
dû me cacher pendant des mois tout en continuant a dire la verite.
J'ai temoigne devant la Cour europeenne des droits de l'homme et
des commissions de l'Assemblee nationale turque qui enquetaient sur
les liens entre la mafia et le gouvernement. À part des associations
professionnelles de journalistes, je n'ai jamais ete membre d'un parti
politique ou d'une quelconque organisation. Je suis reconnu comme
journaliste independant et non comme militant. Malgre tout cela,
je croupis en prison parce que je suis accuse d'etre membre d'une
organisation " terroriste " appelee Ergenekon, avec laquelle je n'ai
rien a voir. Les procedures ne sont toujours pas achevees après cinq
ans d'instruction.
Qu'ont-ils comme preuve contre moi ? Des documents classes " secret
defense " soi-disant decouverts sur les ordinateurs d'OdaTV en
format Word. Ces documents ne nous appartiennent pas. Ils ont ete
sciemment places la par un virus exterieur. Nous l'avons prouve avec
mes avocats par une serie d'expertises : celles de trois universites
turques differentes et d'une societe americaine specialisee dans le
cybercrime. Nous pensons qu'une organisation religieuse associee aux
services de police se trouve derrière cette machination.
En fait, les 134 pages de mes interrogatoires revèlent bien ce qui est
le sujet de cette procedure a mon encontre : le mot " information " est
repete 361 fois dans l'acte d'accusation, " livre-ecriture " 280 fois,
" chronique " 53 fois, " interview " 26 fois et le mot " article "
5 fois ! Il n'y a aucune mention d'arme, de bombe ou de meurtre dans
cet acte. Durant mes interrogatoires, les seules questions que le
juge m'a posees etaient : " Pourquoi avez-vous ecrit sur ce sujet ? "
" Pourquoi avez-vous publie cet entretien ? " Rien d'autre. Voici mon
crime, ma faute : poser des questions, chercher la verite et ecrire.
En d'autres termes, mon erreur fut de faire mon travail. Mes
confrères et consoeurs de Turquie savent très bien que l'on m'a mis
en prison pour me faire taire. Malgre cela, la plupart d'entre eux
savent que s'ils ecrivent a ce propos, ils risquent d'etre renvoyes
ou meme arretes a leur tour. C'est pourquoi je vous ecris cette
lettre. Dans mon pays, les opinions sont toujours percues comme un
acte de malveillance. Je vous ecris cette lettre car vous etes mon
" partenaire en crime ".
Nous avons appris de vous les Lumières, la liberte d'expression et
le rationalisme. N'etes-vous pas Erasme, Descartes, Montesquieu,
Voltaire, Rousseau, David Hume, Kant, Marx, Weber, Sartre et Camus ?
N'etes-vous pas Zola qui est reste au côte de Dreyfus ?
Chers amis, oui, vous etes bien mes partenaires en crime. Je vous
invite a agir. Montrez s'il vous plaît que je ne suis pas seul et que
je ne vais pas etre oublie. Soyez ma voix, soyez ma plume ! Abattez
ces murs construits sur le mensonge. Autrement, dans ma prison,
cette cellule etroite où j'ai ete place en isolement pour me faire
perdre ma dignite humaine, je cherche la terre, le ciel, les fleurs,
les arbres, et mon fils qui a maintenant douze ans. Je vais continuer
a dire a voix haute : " Y a-t-il quelqu'un dehors ? "
(Traduit du turc par Sebastien de Courtois)
* Fondateur du site Internet OdaTV
Retour a la rubrique
Source/Lien : Pressdisplay.com
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Publie le : 14-11-2012
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invite a lire la lettre de Soner Yalcin, journaliste turc en prison,
traduite par Sebastien de Courtois.
Le Figaro
2 nov. 2012
Soner Yalcin
Lettre d'un journaliste turc en prison
L'auteur*, emprisonne - comme 75 autres journalistes turcs - depuis
deux ans, nous ecrit depuis sa cellule d'Istanbul cette lettre,
transmise par sa femme, alors qu'il doit etre juge le 16 novembre pour
"complicite de complot".
Voici mon crime, ma faute : poser des questions, chercher la verite
et ecrire
J'ecris de ma cellule où la lumière reste allumee 24 heures sur 24,
où les coupures d'eau durent 17 heures, et où je suis surveille
constamment par deux cameras. Pour tenir, je me repète a voix haute
ces mots : " Y a-t-il quelqu'un dehors ? " Je suis detenu depuis deux
ans dans l'attente d'un procès dans la prison de Silivri a Istanbul.
Je ne sais pas combien de temps la procedure va encore durer, mais
je sens deja que je suis condamne a etre oublie. Tout cela parce que
j'ai commis une faute majeure, celle de penser et d'etre journaliste.
Je m'appelle Soner Yalcin. J'ai 47 ans et je suis journaliste depuis
vingt-cinq ans. Je collabore ou dirige des supports mediatiques en
Turquie depuis toutes ces annees, dans la presse ou a la television.
J'etais entre autres l'un des chroniqueurs du grand quotidien Hurriyet,
" Liberte ". J'ai ecrit douze livres, dont beaucoup se sont vendus a
plus de cent mille exemplaires. Je suis le proprietaire et fondateur
d'un site Internet qui s'appelle OdaTV.com. Pendant toute ma vie
professionnelle, j'ai enquete sur l'histoire recente de mon pays,
ecrit sans repit sur les meurtres irresolus de personnalites
politiques ou journalistiques, sur les mafias, les gangs, les
organisations illegales agissant a l'interieur de l'Etat, et les
factions religieuses extremistes.
J'ai recu des menaces de mort a cause de mes textes et articles. J'ai
dû me cacher pendant des mois tout en continuant a dire la verite.
J'ai temoigne devant la Cour europeenne des droits de l'homme et
des commissions de l'Assemblee nationale turque qui enquetaient sur
les liens entre la mafia et le gouvernement. À part des associations
professionnelles de journalistes, je n'ai jamais ete membre d'un parti
politique ou d'une quelconque organisation. Je suis reconnu comme
journaliste independant et non comme militant. Malgre tout cela,
je croupis en prison parce que je suis accuse d'etre membre d'une
organisation " terroriste " appelee Ergenekon, avec laquelle je n'ai
rien a voir. Les procedures ne sont toujours pas achevees après cinq
ans d'instruction.
Qu'ont-ils comme preuve contre moi ? Des documents classes " secret
defense " soi-disant decouverts sur les ordinateurs d'OdaTV en
format Word. Ces documents ne nous appartiennent pas. Ils ont ete
sciemment places la par un virus exterieur. Nous l'avons prouve avec
mes avocats par une serie d'expertises : celles de trois universites
turques differentes et d'une societe americaine specialisee dans le
cybercrime. Nous pensons qu'une organisation religieuse associee aux
services de police se trouve derrière cette machination.
En fait, les 134 pages de mes interrogatoires revèlent bien ce qui est
le sujet de cette procedure a mon encontre : le mot " information " est
repete 361 fois dans l'acte d'accusation, " livre-ecriture " 280 fois,
" chronique " 53 fois, " interview " 26 fois et le mot " article "
5 fois ! Il n'y a aucune mention d'arme, de bombe ou de meurtre dans
cet acte. Durant mes interrogatoires, les seules questions que le
juge m'a posees etaient : " Pourquoi avez-vous ecrit sur ce sujet ? "
" Pourquoi avez-vous publie cet entretien ? " Rien d'autre. Voici mon
crime, ma faute : poser des questions, chercher la verite et ecrire.
En d'autres termes, mon erreur fut de faire mon travail. Mes
confrères et consoeurs de Turquie savent très bien que l'on m'a mis
en prison pour me faire taire. Malgre cela, la plupart d'entre eux
savent que s'ils ecrivent a ce propos, ils risquent d'etre renvoyes
ou meme arretes a leur tour. C'est pourquoi je vous ecris cette
lettre. Dans mon pays, les opinions sont toujours percues comme un
acte de malveillance. Je vous ecris cette lettre car vous etes mon
" partenaire en crime ".
Nous avons appris de vous les Lumières, la liberte d'expression et
le rationalisme. N'etes-vous pas Erasme, Descartes, Montesquieu,
Voltaire, Rousseau, David Hume, Kant, Marx, Weber, Sartre et Camus ?
N'etes-vous pas Zola qui est reste au côte de Dreyfus ?
Chers amis, oui, vous etes bien mes partenaires en crime. Je vous
invite a agir. Montrez s'il vous plaît que je ne suis pas seul et que
je ne vais pas etre oublie. Soyez ma voix, soyez ma plume ! Abattez
ces murs construits sur le mensonge. Autrement, dans ma prison,
cette cellule etroite où j'ai ete place en isolement pour me faire
perdre ma dignite humaine, je cherche la terre, le ciel, les fleurs,
les arbres, et mon fils qui a maintenant douze ans. Je vais continuer
a dire a voix haute : " Y a-t-il quelqu'un dehors ? "
(Traduit du turc par Sebastien de Courtois)
* Fondateur du site Internet OdaTV
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