TURQUIE : PINAR SELEK DOIT ETRE DEFINITIVEMENT ACQUITTEE
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=69053
Publié le : 20-11-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - L'historien francais
Ã~Itienne Copeaux, spécialiste de la Turquie, sera ce jeudi 22
novembre 2012 devant le Tribunal d'Istanbul (Turquie) où doit être
a nouveau jugée la sociologue turque Pınar Selek, accusée de
terrorisme comme de nombreux autres intellectuels turcs et kurdes. Le
chercheur francais y lira le texte ci-dessous devant la presse. Il
y revient sur le procès kafkaïen auquel est confrontée depuis
14 ans une universitaire de renom, née en 1971 sur les rives
du Bosphore. Ã~Itienne Copeaux note avec justesse que "tout ceci
ne concerne pas seulement la Turquie. La Turquie est candidate a
l'intégration dans l'Union européenne et tout ce qui se passe ici
nous regarde en tant que citoyens européens. La Turquie, Ã~Itat
coercitif, dispose déja par divers moyens de leviers d'intervention
dans les pays d'Europe. Mais si la Turquie devient un Ã~Itat membre,
elle disposera alors de l'arme du Â" mandat d'arrêt européen Â"
qui lui permettrait de faire arrêter une personne poursuivie dans
n'importe quel pays de l'Union, et de la faire livrer a la police
turque." Le Collectif VAN vous soumet ce texte d'Etienne Copeaux
publié sur son site susam-sokak.fr le 17 novembre 2012.
susam-sokak.fr
Samedi 17 novembre 2012
Soutien a Pınar Selek - 22 novembre
Voici le texte qui sera lu a la presse jeudi 22 novembre 2012, devant
le tribunal où doit être a nouveau jugée Pınar Selek
Je suis historien francais, spécialiste de la Turquie, et je suis
venu comme observateur de cette nouvelle audience du procès de Pınar
Selek pour témoigner de ma préoccupation et de mon soutien.
Je vivais a Istanbul a l'époque de l'explosion accidentelle du Marché
Egyptien, en juillet 1998. Chacun le sait, c'était une période très
dure dans la guerre menée au sud-est, et la chasse aux prétendus
Â" terroristes Â" était féroce. C'est une période qui ressemble
étrangement a celle que vit la Turquie aujourd'hui.
Pınar Selek s'intéressait de près a des sujets politiquement
sensibles : les différentes formes de marginalité dans la société,
et les mouvements politiques kurdes. Elle ne se contentait pas
d'observer a distance : elle a toujours été une sociologue
impliquée. Au cours de l'immense travail qu'elle a réalisé, elle
n'a accompli que des actes légaux. Pourtant, elle a été arrêtée et
torturée, puis inculpée d'avoir fomenté ce prétendu Â" attentat Â"
du marché égyptien.
Je connais donc l'affaire depuis le début, l'arrestation, puis la
libération de Pınar et son acquittement.
Mais en 2006, j'ai été sidéré d'apprendre que Pınar Selek
était toujours poursuivie, malgré son acquittement et les rapports
d'expertise qui l'innocentaient.
Aussi, en février 2011, je suis venu lui témoigner ici de mon
soutien.
J'ai partagé la joie de ses amis, lorsqu'elle a été acquittée
pour la troisième fois. Tout me semblait plus beau, plus brillant,
dans ce pays que j'aime. Cet acquittement me semblait présager la
continuation de la politique d'ouverture, un assouplissement. Puis,
j'ai partagé la déception et l'amertume lors de la remise en cause
de cet acquittement, et chaque fois que Pınar Selek a subi un déni
de justice.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : la sociologue a été acquittée
trois fois, les chefs d'inculpation n'ont pas résisté aux expertises,
il n'y a plus de charge contre elle. Pourtant le jugement est sans
cesse reporté, et lorsqu'un jugement est prononcé en sa faveur,
il est cassé.
Ce déni de justice est a l'origine d'une peine extra-légale :
l'extension indéfinie de la durée d'un procès ; il s'agit d'une
véritable torture psychologique qui empêche le ou la prévenue de
vivre une vie normale. Selon la Convention européenne des droits
de l'homme (art. 6), que la Turquie a signée, Â" Toute personne a
droit a ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable
Â". Est-ce que la justice turque estime Â" raisonnable Â" un délai
de quatorze ans pour juger un crime qui n'a pas été commis ?
Pınar Selek a déja été emprisonnée durant deux ans et demi,
pour rien.
Elle sait que si elle rentre en Turquie, elle risque a nouveau
la prison. Elle est donc contrainte a l'exil, pour pouvoir vivre
normalement et continuer ses travaux de recherche, car elle est
une travailleuse infatigable. C'est donc une peine de relégation
extra-judiciaire qui a été infligée a Pınar Selek, comme a de
nombreux autres citoyens turcs. Ainsi par la simple menace, par la
pression du système juridique, la Turquie peut se débarrasser de
certains intellectuels qu'elle juge gênants.
Non seulement c'est une violence extra-légale faite aux opposants,
mais c'est une perte absurde pour le pays. Les intellectuels de la
trempe de Pınar Selek sont une richesse, ils représentent l'avenir.
Certes, cela a été un honneur pour nous, en Allemagne, puis en
France, de l'accueillir. Mais son pays est la Turquie, sa ville est
Istanbul, son terrain de recherche est ici.
Nous clamons tous que Pınar Selek n'est pas seule, et il est
réconfortant qu'elle ait de nombreux amis et soutiens dans de
nombreux pays.
Mais nous sommes informés, nous lisons la presse turque et observons
ses médias, et nous savons que malheureusement Pınar Selek n'est
pas seule dans son cas ! Il y avait déja eu des cas de répression
célèbres, comme celui d'Ismail Besikci. Mais l'affaire Selek a été
suivie de tellement d'autres, touchant des milliers d'étudiants, des
dizaines de journalistes, des intellectuels, traducteurs, professeurs,
écrivains, que nous sommes très inquiets.
Certes, la Turquie a les apparences d'un Etat de droit ; mais le droit
est construit pour exercer la contrainte, la justice est transformée
en un instrument de répression : elle atteint un degré d'état
d'exception, de régime autoritaire et coercitif, qui cherche a
intimider sa population et a imposer le silence.
J'ai déja mentionné le déni de justice, la prolongation
indéfinie de certains processus judiciaires ; je dois mentionner
aussi l'outrepassement du droit, qui fait que les juges peuvent
estimer qu'une répétition de certains actes légaux peut devenir Â"
signe d'appartenance a une organisation terroriste Â" et justifier a
leurs yeux l'incarcération et une lourde condamnation. Nous en avons
observé des exemples l'été dernier. Les Francais, en particulier,
le savent bien depuis que l'une de leurs compatriotes, Sevil Sevimli,
a été arrêtée.
Nous sommes inquiets pour la Turquie et son avenir politique, mais
nous sommes aussi inquiets pour l'Europe.
Car tout ceci ne concerne pas seulement la Turquie.
La Turquie est candidate a l'intégration dans l'Union européenne et
tout ce qui se passe ici nous regarde en tant que citoyens européens.
La Turquie, Etat coercitif, dispose déja par divers moyens de leviers
d'intervention dans les pays d'Europe.
Mais si la Turquie devient un Etat membre, elle disposera alors de
l'arme du Â" mandat d'arrêt européen Â" qui lui permettrait de faire
arrêter une personne poursuivie dans n'importe quel pays de l'Union,
et de la faire livrer a la police turque.
En outre, la Turquie représente un singulier Â" modèle Â" de pays où
l'extrême-droite et l'ultra-nationalisme sont puissants et exercent
leur influence sur l'Etat depuis des décennies. C'est un Â" modèle Â"
qui pourrait être copié. En France, lorsque la droite est au pouvoir,
nous voyons surgir dans les pratiques politiques des éléments qui
prévalent en Turquie, et cela nous fait peur.
C'est pourquoi, en tant que Francais, en tant qu'Européens, nous
avons le devoir de nous intéresser a la Turquie, a ce Â" modèle Â"
ultra libéral et répressif, et de l'analyser.
Je souhaite a mes amis turcs le bonheur de pouvoir vivre dans un pays
démocratique, libéré d'une guerre qui dure depuis bientôt trente
ans - et nous avons appris en France a quel point ce genre de conflit
peut mettre en danger la démocratie.
PINAR SELEK DOIT Ã~JTRE DÃ~IFINITIVEMENT ACQUITTÃ~IE !
Et ni Pınar Selek, ni les milliers de personnes emprisonnées ou en
attente d'un jugement ne sont seuls ! Nous nous informerons, nous
observerons, nous diffuserons les informations, jusqu'a ce que la
Turquie soit rendue a la démocratie !
Etienne Copeaux
17 novembre 2012
Lire aussi:
Sevil Sevimli, Pinar Selek, deux femmes face a la justice turque
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Source/Lien : susam-sokak.fr
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=69053
Publié le : 20-11-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - L'historien francais
Ã~Itienne Copeaux, spécialiste de la Turquie, sera ce jeudi 22
novembre 2012 devant le Tribunal d'Istanbul (Turquie) où doit être
a nouveau jugée la sociologue turque Pınar Selek, accusée de
terrorisme comme de nombreux autres intellectuels turcs et kurdes. Le
chercheur francais y lira le texte ci-dessous devant la presse. Il
y revient sur le procès kafkaïen auquel est confrontée depuis
14 ans une universitaire de renom, née en 1971 sur les rives
du Bosphore. Ã~Itienne Copeaux note avec justesse que "tout ceci
ne concerne pas seulement la Turquie. La Turquie est candidate a
l'intégration dans l'Union européenne et tout ce qui se passe ici
nous regarde en tant que citoyens européens. La Turquie, Ã~Itat
coercitif, dispose déja par divers moyens de leviers d'intervention
dans les pays d'Europe. Mais si la Turquie devient un Ã~Itat membre,
elle disposera alors de l'arme du Â" mandat d'arrêt européen Â"
qui lui permettrait de faire arrêter une personne poursuivie dans
n'importe quel pays de l'Union, et de la faire livrer a la police
turque." Le Collectif VAN vous soumet ce texte d'Etienne Copeaux
publié sur son site susam-sokak.fr le 17 novembre 2012.
susam-sokak.fr
Samedi 17 novembre 2012
Soutien a Pınar Selek - 22 novembre
Voici le texte qui sera lu a la presse jeudi 22 novembre 2012, devant
le tribunal où doit être a nouveau jugée Pınar Selek
Je suis historien francais, spécialiste de la Turquie, et je suis
venu comme observateur de cette nouvelle audience du procès de Pınar
Selek pour témoigner de ma préoccupation et de mon soutien.
Je vivais a Istanbul a l'époque de l'explosion accidentelle du Marché
Egyptien, en juillet 1998. Chacun le sait, c'était une période très
dure dans la guerre menée au sud-est, et la chasse aux prétendus
Â" terroristes Â" était féroce. C'est une période qui ressemble
étrangement a celle que vit la Turquie aujourd'hui.
Pınar Selek s'intéressait de près a des sujets politiquement
sensibles : les différentes formes de marginalité dans la société,
et les mouvements politiques kurdes. Elle ne se contentait pas
d'observer a distance : elle a toujours été une sociologue
impliquée. Au cours de l'immense travail qu'elle a réalisé, elle
n'a accompli que des actes légaux. Pourtant, elle a été arrêtée et
torturée, puis inculpée d'avoir fomenté ce prétendu Â" attentat Â"
du marché égyptien.
Je connais donc l'affaire depuis le début, l'arrestation, puis la
libération de Pınar et son acquittement.
Mais en 2006, j'ai été sidéré d'apprendre que Pınar Selek
était toujours poursuivie, malgré son acquittement et les rapports
d'expertise qui l'innocentaient.
Aussi, en février 2011, je suis venu lui témoigner ici de mon
soutien.
J'ai partagé la joie de ses amis, lorsqu'elle a été acquittée
pour la troisième fois. Tout me semblait plus beau, plus brillant,
dans ce pays que j'aime. Cet acquittement me semblait présager la
continuation de la politique d'ouverture, un assouplissement. Puis,
j'ai partagé la déception et l'amertume lors de la remise en cause
de cet acquittement, et chaque fois que Pınar Selek a subi un déni
de justice.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : la sociologue a été acquittée
trois fois, les chefs d'inculpation n'ont pas résisté aux expertises,
il n'y a plus de charge contre elle. Pourtant le jugement est sans
cesse reporté, et lorsqu'un jugement est prononcé en sa faveur,
il est cassé.
Ce déni de justice est a l'origine d'une peine extra-légale :
l'extension indéfinie de la durée d'un procès ; il s'agit d'une
véritable torture psychologique qui empêche le ou la prévenue de
vivre une vie normale. Selon la Convention européenne des droits
de l'homme (art. 6), que la Turquie a signée, Â" Toute personne a
droit a ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable
Â". Est-ce que la justice turque estime Â" raisonnable Â" un délai
de quatorze ans pour juger un crime qui n'a pas été commis ?
Pınar Selek a déja été emprisonnée durant deux ans et demi,
pour rien.
Elle sait que si elle rentre en Turquie, elle risque a nouveau
la prison. Elle est donc contrainte a l'exil, pour pouvoir vivre
normalement et continuer ses travaux de recherche, car elle est
une travailleuse infatigable. C'est donc une peine de relégation
extra-judiciaire qui a été infligée a Pınar Selek, comme a de
nombreux autres citoyens turcs. Ainsi par la simple menace, par la
pression du système juridique, la Turquie peut se débarrasser de
certains intellectuels qu'elle juge gênants.
Non seulement c'est une violence extra-légale faite aux opposants,
mais c'est une perte absurde pour le pays. Les intellectuels de la
trempe de Pınar Selek sont une richesse, ils représentent l'avenir.
Certes, cela a été un honneur pour nous, en Allemagne, puis en
France, de l'accueillir. Mais son pays est la Turquie, sa ville est
Istanbul, son terrain de recherche est ici.
Nous clamons tous que Pınar Selek n'est pas seule, et il est
réconfortant qu'elle ait de nombreux amis et soutiens dans de
nombreux pays.
Mais nous sommes informés, nous lisons la presse turque et observons
ses médias, et nous savons que malheureusement Pınar Selek n'est
pas seule dans son cas ! Il y avait déja eu des cas de répression
célèbres, comme celui d'Ismail Besikci. Mais l'affaire Selek a été
suivie de tellement d'autres, touchant des milliers d'étudiants, des
dizaines de journalistes, des intellectuels, traducteurs, professeurs,
écrivains, que nous sommes très inquiets.
Certes, la Turquie a les apparences d'un Etat de droit ; mais le droit
est construit pour exercer la contrainte, la justice est transformée
en un instrument de répression : elle atteint un degré d'état
d'exception, de régime autoritaire et coercitif, qui cherche a
intimider sa population et a imposer le silence.
J'ai déja mentionné le déni de justice, la prolongation
indéfinie de certains processus judiciaires ; je dois mentionner
aussi l'outrepassement du droit, qui fait que les juges peuvent
estimer qu'une répétition de certains actes légaux peut devenir Â"
signe d'appartenance a une organisation terroriste Â" et justifier a
leurs yeux l'incarcération et une lourde condamnation. Nous en avons
observé des exemples l'été dernier. Les Francais, en particulier,
le savent bien depuis que l'une de leurs compatriotes, Sevil Sevimli,
a été arrêtée.
Nous sommes inquiets pour la Turquie et son avenir politique, mais
nous sommes aussi inquiets pour l'Europe.
Car tout ceci ne concerne pas seulement la Turquie.
La Turquie est candidate a l'intégration dans l'Union européenne et
tout ce qui se passe ici nous regarde en tant que citoyens européens.
La Turquie, Etat coercitif, dispose déja par divers moyens de leviers
d'intervention dans les pays d'Europe.
Mais si la Turquie devient un Etat membre, elle disposera alors de
l'arme du Â" mandat d'arrêt européen Â" qui lui permettrait de faire
arrêter une personne poursuivie dans n'importe quel pays de l'Union,
et de la faire livrer a la police turque.
En outre, la Turquie représente un singulier Â" modèle Â" de pays où
l'extrême-droite et l'ultra-nationalisme sont puissants et exercent
leur influence sur l'Etat depuis des décennies. C'est un Â" modèle Â"
qui pourrait être copié. En France, lorsque la droite est au pouvoir,
nous voyons surgir dans les pratiques politiques des éléments qui
prévalent en Turquie, et cela nous fait peur.
C'est pourquoi, en tant que Francais, en tant qu'Européens, nous
avons le devoir de nous intéresser a la Turquie, a ce Â" modèle Â"
ultra libéral et répressif, et de l'analyser.
Je souhaite a mes amis turcs le bonheur de pouvoir vivre dans un pays
démocratique, libéré d'une guerre qui dure depuis bientôt trente
ans - et nous avons appris en France a quel point ce genre de conflit
peut mettre en danger la démocratie.
PINAR SELEK DOIT Ã~JTRE DÃ~IFINITIVEMENT ACQUITTÃ~IE !
Et ni Pınar Selek, ni les milliers de personnes emprisonnées ou en
attente d'un jugement ne sont seuls ! Nous nous informerons, nous
observerons, nous diffuserons les informations, jusqu'a ce que la
Turquie soit rendue a la démocratie !
Etienne Copeaux
17 novembre 2012
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