TOUR DU MONDE DES EXAMENS DE CONSCIENCE
by Vladimir de Gmeline
Marianne
17 novembre 2012
France
Massacres de Nankin pour les Japonais, genocide armenien pour les
Turcs, crimes contre les Indiens d'Amerique... Chacun choisit de s'en
excuser. Ou pas...
Pour Takashi Kawamura, le maire de Nagoya, au Japon, les massacres
de Nankin sont tout simplement une fiction ! Il ne s'est d'ailleurs
pas prive de le dire a un membre du Parti communiste chinois, Liu
Zhiwei, en visite chez lui au mois de fevrier dernier. Les deux
villes sont jumelees depuis 1978, et le commentaire de l'edile a
ravive le sentiment antijaponais en Chine. Meme si, pour la plupart
des historiens, il est communement admis que la chute de Nankin,
en 1937, a la suite des combats entre les forces nationalistes de
Tchiang Kaï-chek et l'armee japonaise, a donne lieu a six semaines
de massacres ininterrompus, aussi bien a l'encontre de soldats en
fuite que de civils - femmes et enfants compris -, la question n'est
toujours pas reglee entre les deux pays. Les historiens chinois
estiment le nombre de morts a 300 000, alors que celles de japonais
varient de 20 000 a 200 000 ! Comme Kawamura, ils estiment qu'il n'y
eut rien d'autre qu'une bataille entre deux forces adverses. Et meme
si, en 1995, le Premier ministre japonais, Murayama, et l'empereur,
Akihito, ont reconnu la brutalite de l'agression japonaise et s'en
sont excuses, d'autres hommes politiques, ministres et deputes,
qualifient toujours ces massacres de "fabrication".
Une attitude que l'on retrouve, de manière beaucoup plus marquee,
en Turquie, où le simple emploi du mot "genocide" a propos des
deportations et des massacres d'Armeniens en 1915 est passible
d'une peine de prison. Un terme qu'ont d'ailleurs pris soin de ne
pas employer les 200 intellectuels turcs qui ont signe la petition
demandant pardon aux Armeniens pour la Grande Catastrophe qui les
a frappes. Les tenants de l'histoire officielle considèrent que les
Armeniens etaient en train de s'allier aux Russes, qu'ils etaient les
agresseurs et qu'il n'y a donc aucune raison de s'excuser. Une ligne
soutenue par le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan : "Si un tel
crime a eu lieu, celui qui l'a commis peut s'excuser. Mais ce n'est
pas mon cas, ni celui de mon pays, ni de ma nation."
Dans les pays de l'Est, il n'etait guère question d'examen de
conscience du temps de la guerre froide. C'est après la chute du Mur
que certains dirigeants ont demande pardon pour les crimes du passe,
a l'instar de Vaclav Havel, le premier president tchecoslovaque. En
1990, lors de son premier voyage officiel, a Bonn, il exprima ses
regrets pour les violences commises lors de l'expulsion de 3 millions
de personnes des Sudètes, en 1945. En 2001, l'historien americain Jan
Gross publiait un livre, les Voisins, où il racontait le massacre
de centaines de juifs du bourg de Jedwabne, en 1941, par leurs
voisins polonais. La meme annee, le president Aleksander Kwasniewski
demandait officiellement pardon pour ce crime. Quant a Boris Eltsine,
il fut le premier a revenir sur le passe sovietique, condamnant en
1991 l'invasion de la Tchecoslovaquie, en 1968, et ouvrant largement
l'accès aux archives. Une demarche inverse de celle de son successeur,
Vladimir Poutine, qui considère la fin de l'URSS comme une "tragedie".
Aux Etats-Unis, la repentance vis-a-vis des Indiens est un sujet
largement aborde, de front, aussi bien au cinema que dans la
litterature, et se traduit egalement par des mesures de discrimination
positive, qui n'empechent pas pour autant de vraies tensions
societales. Au Royaume-Uni, il ne viendrait a l'idee de personne de se
repentir pour les crimes de l'empire colonial, et lorsque Tony Blair
a exprime ses "plus profonds regrets" a propos de la guerre en Irak,
il faisait reference aux morts anglais, pas aux Irakiens. Pourtant,
signe des temps, les veterans de la lutte anticoloniale au Kenya
viennent de remporter une victoire : trois d'entre eux ont obtenu de
la Cour supreme britannique le droit de poursuivre l'Etat britannique
pour des actes de torture et des mauvais traitements. L'argument du
gouvernement, selon lequel il s'etait passe trop de temps depuis les
faits, n'a pas fait flechir la Cour.
From: A. Papazian
by Vladimir de Gmeline
Marianne
17 novembre 2012
France
Massacres de Nankin pour les Japonais, genocide armenien pour les
Turcs, crimes contre les Indiens d'Amerique... Chacun choisit de s'en
excuser. Ou pas...
Pour Takashi Kawamura, le maire de Nagoya, au Japon, les massacres
de Nankin sont tout simplement une fiction ! Il ne s'est d'ailleurs
pas prive de le dire a un membre du Parti communiste chinois, Liu
Zhiwei, en visite chez lui au mois de fevrier dernier. Les deux
villes sont jumelees depuis 1978, et le commentaire de l'edile a
ravive le sentiment antijaponais en Chine. Meme si, pour la plupart
des historiens, il est communement admis que la chute de Nankin,
en 1937, a la suite des combats entre les forces nationalistes de
Tchiang Kaï-chek et l'armee japonaise, a donne lieu a six semaines
de massacres ininterrompus, aussi bien a l'encontre de soldats en
fuite que de civils - femmes et enfants compris -, la question n'est
toujours pas reglee entre les deux pays. Les historiens chinois
estiment le nombre de morts a 300 000, alors que celles de japonais
varient de 20 000 a 200 000 ! Comme Kawamura, ils estiment qu'il n'y
eut rien d'autre qu'une bataille entre deux forces adverses. Et meme
si, en 1995, le Premier ministre japonais, Murayama, et l'empereur,
Akihito, ont reconnu la brutalite de l'agression japonaise et s'en
sont excuses, d'autres hommes politiques, ministres et deputes,
qualifient toujours ces massacres de "fabrication".
Une attitude que l'on retrouve, de manière beaucoup plus marquee,
en Turquie, où le simple emploi du mot "genocide" a propos des
deportations et des massacres d'Armeniens en 1915 est passible
d'une peine de prison. Un terme qu'ont d'ailleurs pris soin de ne
pas employer les 200 intellectuels turcs qui ont signe la petition
demandant pardon aux Armeniens pour la Grande Catastrophe qui les
a frappes. Les tenants de l'histoire officielle considèrent que les
Armeniens etaient en train de s'allier aux Russes, qu'ils etaient les
agresseurs et qu'il n'y a donc aucune raison de s'excuser. Une ligne
soutenue par le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan : "Si un tel
crime a eu lieu, celui qui l'a commis peut s'excuser. Mais ce n'est
pas mon cas, ni celui de mon pays, ni de ma nation."
Dans les pays de l'Est, il n'etait guère question d'examen de
conscience du temps de la guerre froide. C'est après la chute du Mur
que certains dirigeants ont demande pardon pour les crimes du passe,
a l'instar de Vaclav Havel, le premier president tchecoslovaque. En
1990, lors de son premier voyage officiel, a Bonn, il exprima ses
regrets pour les violences commises lors de l'expulsion de 3 millions
de personnes des Sudètes, en 1945. En 2001, l'historien americain Jan
Gross publiait un livre, les Voisins, où il racontait le massacre
de centaines de juifs du bourg de Jedwabne, en 1941, par leurs
voisins polonais. La meme annee, le president Aleksander Kwasniewski
demandait officiellement pardon pour ce crime. Quant a Boris Eltsine,
il fut le premier a revenir sur le passe sovietique, condamnant en
1991 l'invasion de la Tchecoslovaquie, en 1968, et ouvrant largement
l'accès aux archives. Une demarche inverse de celle de son successeur,
Vladimir Poutine, qui considère la fin de l'URSS comme une "tragedie".
Aux Etats-Unis, la repentance vis-a-vis des Indiens est un sujet
largement aborde, de front, aussi bien au cinema que dans la
litterature, et se traduit egalement par des mesures de discrimination
positive, qui n'empechent pas pour autant de vraies tensions
societales. Au Royaume-Uni, il ne viendrait a l'idee de personne de se
repentir pour les crimes de l'empire colonial, et lorsque Tony Blair
a exprime ses "plus profonds regrets" a propos de la guerre en Irak,
il faisait reference aux morts anglais, pas aux Irakiens. Pourtant,
signe des temps, les veterans de la lutte anticoloniale au Kenya
viennent de remporter une victoire : trois d'entre eux ont obtenu de
la Cour supreme britannique le droit de poursuivre l'Etat britannique
pour des actes de torture et des mauvais traitements. L'argument du
gouvernement, selon lequel il s'etait passe trop de temps depuis les
faits, n'a pas fait flechir la Cour.
From: A. Papazian