TURQUIE
Le Prix de la Négation des Evénements de 1915
Orhan Kemal Cengiz - ToDays Zaman
4 octobre 2012
Il y a trois ou quatre ans, assistant à une présentation à
l'Université de Toronto au Canada, j'ai ressenti quelques émotions qui
restent très difficiles à décrire. C'est un peu comme si quelqu'un
avait demandé à Salvador Dali de dessiner quelques images de la
question arménienne dans son ensemble, pour être ensuite montrées par
ce jeune homme dans sa présentation.
Cela se déroule quelque part dans le désert du Mexique. Ils marchent
devant eux, passant entre de gigantesques cactus. Chaque homme est
coiffé d'un énorme sombrero, et chacun d'entre eux est amené devant un
monument géant. Nous voyons qu'ils gardent un silence respectueux
lorsqu'ils arrivent devant le monument. S'exprimant en anglais avec un
fort accent, ce jeune Arménien mexicain fait une présentation ` des
Cérémonies du Mémorial du Génocide Arménien. ` Les photographies sont
quelque peu surréalistes ; le jeune homme montre du doigt les
personnages d'une photo coiffés de leur sombrero, et dit ` ces hommes
sont pour la plupart des Arméniens originaires de régions telles Van
et Mouch, en Turquie. ` Lorsqu'il a dit cela, je disparais
complètement.
Il y a tellement de choses dans la vie que nous ne comprenons
finalement que lorsqu'on les rencontre. ...Au moment même où vous y
attendez le moins, alors que vous ne réfléchissez à rien de
particulier, une réalité ou vérité profonde transcende vos défenses
personnelles et s'installe dans votre c`ur. Pour moi, lorsqu'il s'agit
des Arméniens, c'est cette scène de l'Arménien mexicain coiffé d'un
sombrero ou du jeune Arménien employé à la réception d'un hôtel
d'Erevan,
Un jeune qui n'est jamais allé en Turquie, mais qui se disait
originaire de Van. Ou la dame gée de 100 ans que j'ai rencontrée à
Boston et dont les yeux se sont embués de larmes lorsqu'elle parlait
de son amour pour ses voisins turcs, mais aussi des actes terribles
faits par des voyous longtemps auparavant.
L'une des choses les plus importantes que j'aie réalisée entre toutes
ces rencontres avec des Arméniens, est que nous avons coupés tous nos
liens émotionnels lorsqu'on fait face à la ' Tragédie arménienne ` .
De même, nous sommes complètement désintéressés de la vérité de 1915,
comme nous rejetons l'option de concevoir vraiment ce que nous
préférons appeler ` déplacement `. Même dans la version `
officiellement acceptée ` des événements, nous ne voulons pas accepter
ou réaliser que des gens ont été sortis de chez eux par la force,
forcés de marcher affamés dans les rues et chassés de leur pays. De la
sorte, nous ne sommes capables en quoi que ce soit d'éprouver ce que
c'est, pour une vieille dame, d'avoir été tirée par les bras hors de
la maison dans laquelle elle avait vécu, jetée dans la rue et voir
près de la moitié de sa famille mourir sur la route, tandis que
l'autre moitié a du prendre racine en des lieux où la langue et la
culture étaient complètement différentes des leurs.
Il ne fait aucun doute qu'il y a un prix à payer pour ce manque de
sentiment et cette posture négationniste. Cette négation ne fait en
réalité que retarder notre maturation. Elle crée en même temps
faussement un sentiment d'orgueil. Et dans nos tentatives de défendre
cet orgueil déplacé, nous sommes entraînés dans notre propre
rabaissement, usant continuellement de nos ` mécanismes de défense `.
Les bras fermement liés par son refus névrotique d'affronter son
passé, la Turquie est facilement la exposée à la manipulation, du fait
même de cette névrose. Quel que soit le mécanisme auquel on fait
appel, ce que fera la Turquie sur ce point est clair, et on sait en
permanence que la Turquie fera toujours la même chose. Il n'y a aucune
autre option pour agir différemment. La Turquie paie des millions de
dollars chaque année pour convaincre les parlements d'autres pays -
des pays qui sont convaincus que ce qui s'est produit est un vrai
génocide - d'interrompre le processus. Et comme notre budget n'est pas
transparent, nous sommes en réalité incapables de voir l'étendue
réelle de cette ` régime de la honte. `
Selon l'agence de presse Armenpress ; Elisabeth Chuldjyian, secrétaire
de la communication de l'Armenian Natonal Committee of America (ANCA,
Comité National Arménien d'Amérique), envoie régulièrement des lettres
aux membres du Sénat des Etats-Unis, et les rencontre fréquemment,
afin de renforcer le soutien de cette importante institution à la
cause de l'ANCA.
Avec les perspectives d'une place plus grande de la Syrie et l'Iran
dans l'agenda cette année, il est très probable qu'une fois encore, le
Sénat américain ne prendra pas de décision sur la question arménienne.
Mais plus tard, dans quelques années ? Je suis sûr que sur la durée -
spécialement du fait du déplacement de l'équilibre international - la
politique de négation de la Turquie sera forcément changée. Si
seulement nous pouvions supporter l'idée et la réalité d'une sincère
rencontre, ne serait-ce peut-être qu'écouter l'histoire d'un Arménien
mexicain dont les origines sont à Van. Si cela pouvait arriver,
tellement de choses pourraient changer. Non seulement la société
atteindrait sa maturité, mais la Turquie dans son ensemble pourrait
être sauvée du danger très réel d'être mise à l'écart par les
inévitables changements internationaux.
Dans cette arène particulière, la Turquie est à ce point conditionnée
par ses craintes qu'elle n'ose même plus penser aux vrais problèmes et
à quelques unes des solutions à sa portée. Cela étant, mon espoir
personnel est que la confiance de plus en plus assurée en elle-même
poussera la Turquie à trouver des solutions effectives et durables à
ce problème.
Commentaire de Gilbert Béguian
Au jeune employé arménien de l'hôtel d'Erevan et à la vieille
Arménienne de Boston, deux choses sont impossibles : oublier d'où ils
viennent et oublier les souffrances terribles de 1915. Orhan Cengiz
dit à ses concitoyens quel est leur vrai problème : la Turquie ne sera
un vrai pays, un pays mature, qu'après avoir reconnu le Génocide de
1915. Il suffit, selon lui, de s'ouvrir aux émotions.
Pour l'instant, combien sont-ils à vouloir que leur pays soit reconnu
? Une douzaine, deux cents mille, un million, plus ?... GB
samedi 6 octobre 2012,
Jean Eckian ©armenews.com
From: A. Papazian
Le Prix de la Négation des Evénements de 1915
Orhan Kemal Cengiz - ToDays Zaman
4 octobre 2012
Il y a trois ou quatre ans, assistant à une présentation à
l'Université de Toronto au Canada, j'ai ressenti quelques émotions qui
restent très difficiles à décrire. C'est un peu comme si quelqu'un
avait demandé à Salvador Dali de dessiner quelques images de la
question arménienne dans son ensemble, pour être ensuite montrées par
ce jeune homme dans sa présentation.
Cela se déroule quelque part dans le désert du Mexique. Ils marchent
devant eux, passant entre de gigantesques cactus. Chaque homme est
coiffé d'un énorme sombrero, et chacun d'entre eux est amené devant un
monument géant. Nous voyons qu'ils gardent un silence respectueux
lorsqu'ils arrivent devant le monument. S'exprimant en anglais avec un
fort accent, ce jeune Arménien mexicain fait une présentation ` des
Cérémonies du Mémorial du Génocide Arménien. ` Les photographies sont
quelque peu surréalistes ; le jeune homme montre du doigt les
personnages d'une photo coiffés de leur sombrero, et dit ` ces hommes
sont pour la plupart des Arméniens originaires de régions telles Van
et Mouch, en Turquie. ` Lorsqu'il a dit cela, je disparais
complètement.
Il y a tellement de choses dans la vie que nous ne comprenons
finalement que lorsqu'on les rencontre. ...Au moment même où vous y
attendez le moins, alors que vous ne réfléchissez à rien de
particulier, une réalité ou vérité profonde transcende vos défenses
personnelles et s'installe dans votre c`ur. Pour moi, lorsqu'il s'agit
des Arméniens, c'est cette scène de l'Arménien mexicain coiffé d'un
sombrero ou du jeune Arménien employé à la réception d'un hôtel
d'Erevan,
Un jeune qui n'est jamais allé en Turquie, mais qui se disait
originaire de Van. Ou la dame gée de 100 ans que j'ai rencontrée à
Boston et dont les yeux se sont embués de larmes lorsqu'elle parlait
de son amour pour ses voisins turcs, mais aussi des actes terribles
faits par des voyous longtemps auparavant.
L'une des choses les plus importantes que j'aie réalisée entre toutes
ces rencontres avec des Arméniens, est que nous avons coupés tous nos
liens émotionnels lorsqu'on fait face à la ' Tragédie arménienne ` .
De même, nous sommes complètement désintéressés de la vérité de 1915,
comme nous rejetons l'option de concevoir vraiment ce que nous
préférons appeler ` déplacement `. Même dans la version `
officiellement acceptée ` des événements, nous ne voulons pas accepter
ou réaliser que des gens ont été sortis de chez eux par la force,
forcés de marcher affamés dans les rues et chassés de leur pays. De la
sorte, nous ne sommes capables en quoi que ce soit d'éprouver ce que
c'est, pour une vieille dame, d'avoir été tirée par les bras hors de
la maison dans laquelle elle avait vécu, jetée dans la rue et voir
près de la moitié de sa famille mourir sur la route, tandis que
l'autre moitié a du prendre racine en des lieux où la langue et la
culture étaient complètement différentes des leurs.
Il ne fait aucun doute qu'il y a un prix à payer pour ce manque de
sentiment et cette posture négationniste. Cette négation ne fait en
réalité que retarder notre maturation. Elle crée en même temps
faussement un sentiment d'orgueil. Et dans nos tentatives de défendre
cet orgueil déplacé, nous sommes entraînés dans notre propre
rabaissement, usant continuellement de nos ` mécanismes de défense `.
Les bras fermement liés par son refus névrotique d'affronter son
passé, la Turquie est facilement la exposée à la manipulation, du fait
même de cette névrose. Quel que soit le mécanisme auquel on fait
appel, ce que fera la Turquie sur ce point est clair, et on sait en
permanence que la Turquie fera toujours la même chose. Il n'y a aucune
autre option pour agir différemment. La Turquie paie des millions de
dollars chaque année pour convaincre les parlements d'autres pays -
des pays qui sont convaincus que ce qui s'est produit est un vrai
génocide - d'interrompre le processus. Et comme notre budget n'est pas
transparent, nous sommes en réalité incapables de voir l'étendue
réelle de cette ` régime de la honte. `
Selon l'agence de presse Armenpress ; Elisabeth Chuldjyian, secrétaire
de la communication de l'Armenian Natonal Committee of America (ANCA,
Comité National Arménien d'Amérique), envoie régulièrement des lettres
aux membres du Sénat des Etats-Unis, et les rencontre fréquemment,
afin de renforcer le soutien de cette importante institution à la
cause de l'ANCA.
Avec les perspectives d'une place plus grande de la Syrie et l'Iran
dans l'agenda cette année, il est très probable qu'une fois encore, le
Sénat américain ne prendra pas de décision sur la question arménienne.
Mais plus tard, dans quelques années ? Je suis sûr que sur la durée -
spécialement du fait du déplacement de l'équilibre international - la
politique de négation de la Turquie sera forcément changée. Si
seulement nous pouvions supporter l'idée et la réalité d'une sincère
rencontre, ne serait-ce peut-être qu'écouter l'histoire d'un Arménien
mexicain dont les origines sont à Van. Si cela pouvait arriver,
tellement de choses pourraient changer. Non seulement la société
atteindrait sa maturité, mais la Turquie dans son ensemble pourrait
être sauvée du danger très réel d'être mise à l'écart par les
inévitables changements internationaux.
Dans cette arène particulière, la Turquie est à ce point conditionnée
par ses craintes qu'elle n'ose même plus penser aux vrais problèmes et
à quelques unes des solutions à sa portée. Cela étant, mon espoir
personnel est que la confiance de plus en plus assurée en elle-même
poussera la Turquie à trouver des solutions effectives et durables à
ce problème.
Commentaire de Gilbert Béguian
Au jeune employé arménien de l'hôtel d'Erevan et à la vieille
Arménienne de Boston, deux choses sont impossibles : oublier d'où ils
viennent et oublier les souffrances terribles de 1915. Orhan Cengiz
dit à ses concitoyens quel est leur vrai problème : la Turquie ne sera
un vrai pays, un pays mature, qu'après avoir reconnu le Génocide de
1915. Il suffit, selon lui, de s'ouvrir aux émotions.
Pour l'instant, combien sont-ils à vouloir que leur pays soit reconnu
? Une douzaine, deux cents mille, un million, plus ?... GB
samedi 6 octobre 2012,
Jean Eckian ©armenews.com
From: A. Papazian