LE TURC FACE AU GENOCIDE
Le Monde
18 oct 2012
France
LE MONDE CULTURE ET IDEES | 18.10.2012 a 15h38~U Mis a jour le 18.10.2012 a 16h46
Par Guillaume Perrier (Istanbul, correspondance)
La sortie du dernier ouvrage du journaliste Hasan Cemal - prononcez
Hassan Djemal - est un pave dans la mare du negationnisme en
Turquie : 1915, le genocide armenien (Everest Yayinlari, en turc, 230
p.) ecorne le tabou des tabous d'un pays qui refuse toujours d'admettre
l'extermination planifiee de plus de un million d'Armeniens ottomans
par le gouvernement nationaliste jeune-turc, a partir de 1915. Il y
a quelques annees, le titre de ce livre aurait suffi a envoyer son
auteur en prison. Aujourd'hui, publie par un editeur a large audience,
il occupe les vitrines et les presentoirs de la plupart des librairies
du pays, ce qui constitue une veritable avancee.
Sur la couverture, une photo d'Hasan Cemal le montre agenouille devant
le memorial du genocide a Erevan, en Armenie, deposant un bouquet
de roses blanches au pied de la flamme du souvenir. "Je ne peux
pas oublier ce matin a Erevan, en septembre 2008, raconte-t-il. Aux
premières lueurs du jour, le mont Ararat emergeait et s'evanouissait
dans la brume. La main de l'Histoire, ai-je ecrit ce matin-la,
montrera la voie a ceux qui veulent voir."
Ce recueil intimiste d'articles et de notes retrace le cheminement
personnel d'un personnage de cette histoire malgre lui. Hasan Cemal
est l'un des journalistes les plus reputes de Turquie. A 68 ans,
il est editorialiste au quotidien Milliyet, après avoir dirige, dans
les annees 1980, le quotidien de gauche Cumhuriyet. Il a les portes
ouvertes dans les cercles du pouvoir a Ankara. Hasan Cemal est surtout
le petit-fils de Djemal Pacha, haut responsable du Comite union et
progrès (CUP), l'un des trois generaux qui dirigeaient l'Empire ottoman
durant la première guerre mondiale. A ce titre, il est considere
comme l'un des responsables du genocide de 1915. Condamne a mort par
contumace par la cour martiale d'Istanbul, refugie en Allemagne puis
en Suisse, Djemal Pacha fut assassine en 1922, a Tbilissi, par un
commando de justiciers armeniens.
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"Enfermes dans la penombre"
Le recit du petit-fils du genocidaire debute en 2006. Un froid
matin d'hiver, il se rend au tribunal d'Istanbul dans un 4 × 4
blinde. Avec quatre autres chroniqueurs en vue, il est juge pour
"insulte a l'identite nationale turque" et accueilli au cri de
"traître a la patrie" par une foule enragee. Leur delit : avoir soutenu
l'organisation, dans une universite d'Istanbul, d'une conference sur
"Les Armeniens a la fin de l'Empire ottoman". Ce colloque, annule puis
deplace, qui rassemble des intellectuels de haut vol, a finalement
lieu, mais dans une ambiance deletère, sous la pression de militants
nationalistes, et après que le ministre de la justice l'eut qualifie de
"coup de poignard dans le dos".
Hasan Cemal a ensuite ete traumatise par l'assassinat, en 2007, de son
ami Hrant Dink, journaliste et porte-parole des Armeniens de Turquie.
Et puis il a fait ce voyage a Erevan. Jeune, il ne connaissait pas
vraiment l'histoire de ce grand-père ottoman dont il conserve quelques
photos dans son bureau. "On n'apprend que l'histoire officielle, nous
avons ete enfermes dans la penombre." Lentement, il a fait son chemin.
"Hrant Dink m'a aide a comprendre le sens des souffrances du passe. Il
est important de les affronter sans detour." Comme il le fera en
allant a la rencontre du petit-fils du meurtrier de son grand-père
qui vit en Armenie.
"Utiliser le mot "genocide" ou pas" est le dilemme de nombreux
intellectuels turcs. Le mot reste inaudible pour beaucoup, et les
euphemismes - "tragedie", "catastrophe" - portent des revendications
plus douces, estiment certains. Mais a Los Angeles, où il est invite
a debattre avec la petite-fille de l'ambassadeur americain Henry
Morgenthau, qui fut l'un des premiers a denoncer les massacres, Hasan
Cemal emploie naturellement le mot devant une assemblee d'Armeniens
mefiants. Il figure desormais sans guillemets en couverture de
son livre.
http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/10/18/le-turc-face-au-genocide_1777659_3246.html
Le Monde
18 oct 2012
France
LE MONDE CULTURE ET IDEES | 18.10.2012 a 15h38~U Mis a jour le 18.10.2012 a 16h46
Par Guillaume Perrier (Istanbul, correspondance)
La sortie du dernier ouvrage du journaliste Hasan Cemal - prononcez
Hassan Djemal - est un pave dans la mare du negationnisme en
Turquie : 1915, le genocide armenien (Everest Yayinlari, en turc, 230
p.) ecorne le tabou des tabous d'un pays qui refuse toujours d'admettre
l'extermination planifiee de plus de un million d'Armeniens ottomans
par le gouvernement nationaliste jeune-turc, a partir de 1915. Il y
a quelques annees, le titre de ce livre aurait suffi a envoyer son
auteur en prison. Aujourd'hui, publie par un editeur a large audience,
il occupe les vitrines et les presentoirs de la plupart des librairies
du pays, ce qui constitue une veritable avancee.
Sur la couverture, une photo d'Hasan Cemal le montre agenouille devant
le memorial du genocide a Erevan, en Armenie, deposant un bouquet
de roses blanches au pied de la flamme du souvenir. "Je ne peux
pas oublier ce matin a Erevan, en septembre 2008, raconte-t-il. Aux
premières lueurs du jour, le mont Ararat emergeait et s'evanouissait
dans la brume. La main de l'Histoire, ai-je ecrit ce matin-la,
montrera la voie a ceux qui veulent voir."
Ce recueil intimiste d'articles et de notes retrace le cheminement
personnel d'un personnage de cette histoire malgre lui. Hasan Cemal
est l'un des journalistes les plus reputes de Turquie. A 68 ans,
il est editorialiste au quotidien Milliyet, après avoir dirige, dans
les annees 1980, le quotidien de gauche Cumhuriyet. Il a les portes
ouvertes dans les cercles du pouvoir a Ankara. Hasan Cemal est surtout
le petit-fils de Djemal Pacha, haut responsable du Comite union et
progrès (CUP), l'un des trois generaux qui dirigeaient l'Empire ottoman
durant la première guerre mondiale. A ce titre, il est considere
comme l'un des responsables du genocide de 1915. Condamne a mort par
contumace par la cour martiale d'Istanbul, refugie en Allemagne puis
en Suisse, Djemal Pacha fut assassine en 1922, a Tbilissi, par un
commando de justiciers armeniens.
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"Enfermes dans la penombre"
Le recit du petit-fils du genocidaire debute en 2006. Un froid
matin d'hiver, il se rend au tribunal d'Istanbul dans un 4 × 4
blinde. Avec quatre autres chroniqueurs en vue, il est juge pour
"insulte a l'identite nationale turque" et accueilli au cri de
"traître a la patrie" par une foule enragee. Leur delit : avoir soutenu
l'organisation, dans une universite d'Istanbul, d'une conference sur
"Les Armeniens a la fin de l'Empire ottoman". Ce colloque, annule puis
deplace, qui rassemble des intellectuels de haut vol, a finalement
lieu, mais dans une ambiance deletère, sous la pression de militants
nationalistes, et après que le ministre de la justice l'eut qualifie de
"coup de poignard dans le dos".
Hasan Cemal a ensuite ete traumatise par l'assassinat, en 2007, de son
ami Hrant Dink, journaliste et porte-parole des Armeniens de Turquie.
Et puis il a fait ce voyage a Erevan. Jeune, il ne connaissait pas
vraiment l'histoire de ce grand-père ottoman dont il conserve quelques
photos dans son bureau. "On n'apprend que l'histoire officielle, nous
avons ete enfermes dans la penombre." Lentement, il a fait son chemin.
"Hrant Dink m'a aide a comprendre le sens des souffrances du passe. Il
est important de les affronter sans detour." Comme il le fera en
allant a la rencontre du petit-fils du meurtrier de son grand-père
qui vit en Armenie.
"Utiliser le mot "genocide" ou pas" est le dilemme de nombreux
intellectuels turcs. Le mot reste inaudible pour beaucoup, et les
euphemismes - "tragedie", "catastrophe" - portent des revendications
plus douces, estiment certains. Mais a Los Angeles, où il est invite
a debattre avec la petite-fille de l'ambassadeur americain Henry
Morgenthau, qui fut l'un des premiers a denoncer les massacres, Hasan
Cemal emploie naturellement le mot devant une assemblee d'Armeniens
mefiants. Il figure desormais sans guillemets en couverture de
son livre.
http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/10/18/le-turc-face-au-genocide_1777659_3246.html