TURQUIE : QUAND DES ORIGINES ARMENIENNES INTERPELLENT LA SOCIETE
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=68287
Publie le : 23-10-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Les revelations sur
les origines armeniennes de la mère de l'ancien editorialiste
ultranationaliste Ilhan Selcuk dans le livre de Hasan Cemal, 1915 :
Ermeni Soykirimi, ont fait scandale en Turquie. Ahmet Turan Alkan, le
chroniqueur du journal Zaman, proche de l'AKP au pouvoir, revient sur
cette question et - tout en condamnant la divulgation, par des tiers,
de la vie privee des personnes - denonce " les evenements de 1915
" et le mensonge d'Etat concernant le genocide armenien. Il invite
ses concitoyens a s'interroger sur leur histoire passee et toujours
presente : il souligne que les termes de " Armenien, Grec et Gitan
sont aussi des termes a connotation negative " a l'heure actuelle en
Turquie. Le Collectif VAN vous propose la lecture d'un article publie
sur la version francaise du journal turc Zaman, le 20 octobre 2012.
L'occasion pour nous de recommander a nouveau l'etude passionnante
parue sous le titre Les restes de l'epee aux Editions Thaddee : près
d'un siècle après le genocide de 1915 qui a decime la population
armenienne de l'Empire ottoman, Laurence Ritter (journaliste et
sociologue) et Max Sivaslian (photographe) ont sillonne les territoires
ancestraux des Armeniens, a l'est de la Turquie, a la recherche des
descendants des survivants. A lire et a relire. Les Petits-enfants
d'Ayse Gul Altinay et Fethiye Cetin chez Actes Sud, apporte egalement
un eclairage interessant sur cette memoire refoulee mise a jour par
Le Livre de ma grand-mère de Fethiye Cetin, publie aux editions de
l'Aube en 2006.
La femme armenienne et son fils
Zaman France
Par Ahmet Turan Alkan | sam, 20/10/2012 - 14:38
Les revelations sur les origines armeniennes de la mère de l'ancien
editorialiste ultranationaliste Ilhan Selcuk dans le livre de Hasan
Cemal, 1915 : Ermeni Soykirimi, ont fait scandale. Pour le chroniqueur
Ahmet Turan Alkan, qui estime que la Turquie doit requestionner son
histoire officielle, la divulgation de la vie privee reste inexcusable.
Le dernier roman de Hasan Cemal, intitule 1915 : Ermeni Soykirimi
(1915 : Le genocide armenien), a fait sensation et scandale en
affirmant que la mère de l'ancien redacteur en chef de Cumhuriyet et
voix des ultranationalistes en Turquie, Ilhan Selcuk, etait d'origine
armenienne. Je n'ai pas encore lu le livre mais son titre me fait
penser a une ancienne grenade de fabrication allemande "dont on a
retire la goupille et dont on se demande si elle va exploser". Cette
question merite que l'on s'y attarde. La notion de genocide n'est pas
un terme a prendre a la legère, mais precisons que les evènements qui
ont eu lieu en 1915 n'ont rien de defendables. Pas besoin de faire
un dessin : cette question, que nous essayons de jeter aux oubliettes
en nous obstinant a la deleguer aux historiens, va reapparaître dans
l'actualite dans quelques annees et voir sa dimension internationale
gagner en importance et en gravite. Nous allons probablement essayer
d'en attribuer la faute a tout le monde sauf a nous-memes, afin de
nous dedouaner de notre responsabilite dans cette grande tragedie.
D'ailleurs, nous avons beau avoir pour philosophie celle de vivre au
jour le jour, il semble que nous allons inevitablement nous retrouver
confrontes a de fortes pressions internationales a la veille du
centenaire de la tragedie.
De la verite officielle au devoir de verite
Nous avons le devoir de connaître la verite sur les evènements de
1915 et d'assumer cette verite ; a cet egard, l'approche officielle
de notre pays n'est defendable que pour une propagande adressee a des
Turcs. L'opinion publique internationale n'approuve pas notre facon
de nous justifier. Nous n'avons pas beaucoup d'amis, ca, nous l'avons
bien compris, mais le fait d'etre denonces par les parlements d'autant
de pays ne meriterait-il pas de laisser au moins une place au doute ?
Les divergences entre les verites officielles et officieuses
representent un style propre a l'ecriture de l'histoire turque,
unique en son genre ; des centaines de livres, d'articles que l'on
peut classer dans la categorie "histoire contestataire" ont ete ecrits
et ont trouve echo dans la societe. Le leitmotiv "Honte a l'histoire
mensongère" prend une place non negligeable sur les etagères des
livres ecrits par les historiens de l'epoque contemporaine et nous
tenons pour vrai la quasi-totalite de ce qui figure dans ce genre de
livres, a une exception près : les evènements de 1915. Quand il s'agit
de parler de ces evènements dramatiques, le fait de se dissimuler
derrière l'excuse du "mais eux aussi nous ont poignardes dans le
dos alors que nous etions faibles et impuissants" revèle a lui seul
un signe de faiblesse. Et si la "version officielle" que nous avons
faite ecrire a nos eminents historiens et qui est inscrite dans les
manuels, dans les programmes scolaires, n'etait pas vraie ? Et si
dans la version que nous tenons pour vraie des milliers de tragedies
continuaient a pleurer leurs souvenirs sanglants ?
Respecter la confidentialite de la vie privee
Revenons a notre sujet : Ilhan Selcuk a garde secret la veritable
identite de sa mère jusqu'a ce qu'elle meure. Que pouvait-il
faire d'autre ? Les frères Selcuk etaient des personnages aux idees
politiques connues. Le fait que leur mère soit une orpheline armenienne
pouvait affecter serieusement leur carrière, voire porter atteinte
aux idees politiques qu'ils defendaient - bien qu'il n'y ait aucun
rapport entre les deux. C'est avec peine et honte que je rappelle
qu'aujourd'hui encore Armenien, Grec et Gitan sont aussi des termes
a connotation negative. Ce qu'il faut surtout avoir a l'esprit,
c'est que ce qu'a vecu Hikmet Kasim Hanim n'etait pas a l'epoque un
evènement isole, accidentel ; bien au contraire des situations de ce
genre devaient se compter par milliers. Si seulement ces enfants, ces
personnes avaient pu choisir de leur propre gre la religion musulmane.
Nous savons tous que cela n'avait pas ete le cas et qu'ils y ont
ete contraints, qu'ils n'avaient pas le choix. Il n'y a pas de
quoi etre fier d'avoir un temps force des personnes de chez nous a
changer de religion et d'identite. A ce stade, ce qu'il faudrait a
present mettre a l'ordre du jour, c'est que le fait de reveler ou
non les identites gardees jusqu'alors secrètes, de rendre public ce
type d'information ne concerne que les interesses et leur famille,
et doit en tout etat de cause relever d'un choix personnel ; tout le
monde devrait respecter ce choix. Je tiens a preciser a cet egard
que je ne trouve pas correcte la revelation faite par Hasan Cemal
dans son roman (si telle n'etait pas la volonte d'Ilhan Selcuk).
[email protected]
Lire aussi :
Les restes de l'epee
Retour a la rubrique
Source/Lien : Zaman France
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=68287
Publie le : 23-10-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Les revelations sur
les origines armeniennes de la mère de l'ancien editorialiste
ultranationaliste Ilhan Selcuk dans le livre de Hasan Cemal, 1915 :
Ermeni Soykirimi, ont fait scandale en Turquie. Ahmet Turan Alkan, le
chroniqueur du journal Zaman, proche de l'AKP au pouvoir, revient sur
cette question et - tout en condamnant la divulgation, par des tiers,
de la vie privee des personnes - denonce " les evenements de 1915
" et le mensonge d'Etat concernant le genocide armenien. Il invite
ses concitoyens a s'interroger sur leur histoire passee et toujours
presente : il souligne que les termes de " Armenien, Grec et Gitan
sont aussi des termes a connotation negative " a l'heure actuelle en
Turquie. Le Collectif VAN vous propose la lecture d'un article publie
sur la version francaise du journal turc Zaman, le 20 octobre 2012.
L'occasion pour nous de recommander a nouveau l'etude passionnante
parue sous le titre Les restes de l'epee aux Editions Thaddee : près
d'un siècle après le genocide de 1915 qui a decime la population
armenienne de l'Empire ottoman, Laurence Ritter (journaliste et
sociologue) et Max Sivaslian (photographe) ont sillonne les territoires
ancestraux des Armeniens, a l'est de la Turquie, a la recherche des
descendants des survivants. A lire et a relire. Les Petits-enfants
d'Ayse Gul Altinay et Fethiye Cetin chez Actes Sud, apporte egalement
un eclairage interessant sur cette memoire refoulee mise a jour par
Le Livre de ma grand-mère de Fethiye Cetin, publie aux editions de
l'Aube en 2006.
La femme armenienne et son fils
Zaman France
Par Ahmet Turan Alkan | sam, 20/10/2012 - 14:38
Les revelations sur les origines armeniennes de la mère de l'ancien
editorialiste ultranationaliste Ilhan Selcuk dans le livre de Hasan
Cemal, 1915 : Ermeni Soykirimi, ont fait scandale. Pour le chroniqueur
Ahmet Turan Alkan, qui estime que la Turquie doit requestionner son
histoire officielle, la divulgation de la vie privee reste inexcusable.
Le dernier roman de Hasan Cemal, intitule 1915 : Ermeni Soykirimi
(1915 : Le genocide armenien), a fait sensation et scandale en
affirmant que la mère de l'ancien redacteur en chef de Cumhuriyet et
voix des ultranationalistes en Turquie, Ilhan Selcuk, etait d'origine
armenienne. Je n'ai pas encore lu le livre mais son titre me fait
penser a une ancienne grenade de fabrication allemande "dont on a
retire la goupille et dont on se demande si elle va exploser". Cette
question merite que l'on s'y attarde. La notion de genocide n'est pas
un terme a prendre a la legère, mais precisons que les evènements qui
ont eu lieu en 1915 n'ont rien de defendables. Pas besoin de faire
un dessin : cette question, que nous essayons de jeter aux oubliettes
en nous obstinant a la deleguer aux historiens, va reapparaître dans
l'actualite dans quelques annees et voir sa dimension internationale
gagner en importance et en gravite. Nous allons probablement essayer
d'en attribuer la faute a tout le monde sauf a nous-memes, afin de
nous dedouaner de notre responsabilite dans cette grande tragedie.
D'ailleurs, nous avons beau avoir pour philosophie celle de vivre au
jour le jour, il semble que nous allons inevitablement nous retrouver
confrontes a de fortes pressions internationales a la veille du
centenaire de la tragedie.
De la verite officielle au devoir de verite
Nous avons le devoir de connaître la verite sur les evènements de
1915 et d'assumer cette verite ; a cet egard, l'approche officielle
de notre pays n'est defendable que pour une propagande adressee a des
Turcs. L'opinion publique internationale n'approuve pas notre facon
de nous justifier. Nous n'avons pas beaucoup d'amis, ca, nous l'avons
bien compris, mais le fait d'etre denonces par les parlements d'autant
de pays ne meriterait-il pas de laisser au moins une place au doute ?
Les divergences entre les verites officielles et officieuses
representent un style propre a l'ecriture de l'histoire turque,
unique en son genre ; des centaines de livres, d'articles que l'on
peut classer dans la categorie "histoire contestataire" ont ete ecrits
et ont trouve echo dans la societe. Le leitmotiv "Honte a l'histoire
mensongère" prend une place non negligeable sur les etagères des
livres ecrits par les historiens de l'epoque contemporaine et nous
tenons pour vrai la quasi-totalite de ce qui figure dans ce genre de
livres, a une exception près : les evènements de 1915. Quand il s'agit
de parler de ces evènements dramatiques, le fait de se dissimuler
derrière l'excuse du "mais eux aussi nous ont poignardes dans le
dos alors que nous etions faibles et impuissants" revèle a lui seul
un signe de faiblesse. Et si la "version officielle" que nous avons
faite ecrire a nos eminents historiens et qui est inscrite dans les
manuels, dans les programmes scolaires, n'etait pas vraie ? Et si
dans la version que nous tenons pour vraie des milliers de tragedies
continuaient a pleurer leurs souvenirs sanglants ?
Respecter la confidentialite de la vie privee
Revenons a notre sujet : Ilhan Selcuk a garde secret la veritable
identite de sa mère jusqu'a ce qu'elle meure. Que pouvait-il
faire d'autre ? Les frères Selcuk etaient des personnages aux idees
politiques connues. Le fait que leur mère soit une orpheline armenienne
pouvait affecter serieusement leur carrière, voire porter atteinte
aux idees politiques qu'ils defendaient - bien qu'il n'y ait aucun
rapport entre les deux. C'est avec peine et honte que je rappelle
qu'aujourd'hui encore Armenien, Grec et Gitan sont aussi des termes
a connotation negative. Ce qu'il faut surtout avoir a l'esprit,
c'est que ce qu'a vecu Hikmet Kasim Hanim n'etait pas a l'epoque un
evènement isole, accidentel ; bien au contraire des situations de ce
genre devaient se compter par milliers. Si seulement ces enfants, ces
personnes avaient pu choisir de leur propre gre la religion musulmane.
Nous savons tous que cela n'avait pas ete le cas et qu'ils y ont
ete contraints, qu'ils n'avaient pas le choix. Il n'y a pas de
quoi etre fier d'avoir un temps force des personnes de chez nous a
changer de religion et d'identite. A ce stade, ce qu'il faudrait a
present mettre a l'ordre du jour, c'est que le fait de reveler ou
non les identites gardees jusqu'alors secrètes, de rendre public ce
type d'information ne concerne que les interesses et leur famille,
et doit en tout etat de cause relever d'un choix personnel ; tout le
monde devrait respecter ce choix. Je tiens a preciser a cet egard
que je ne trouve pas correcte la revelation faite par Hasan Cemal
dans son roman (si telle n'etait pas la volonte d'Ilhan Selcuk).
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