CourrierInternational.com
Mardi 4 Septembre 2012
HONGRIE: "Etre hongrois est aujourd'hui un sentiment pénible et désagréable"
Árpád Tóta W, Heti Világgazdaság (Budapest)
ENCART: L'extradition, par Budapest, d'un soldat azerbaïdjanais
condamné pour meurtre - et immédiatement libéré à peine revenu chez
lui - révolte cet éditorialiste hongrois. Il ne mche pas ses mots
pour dénoncer l'attitude putassière de son gouvernement, et appelle
ses compatriotes à montrer au reste du monde qu'ils n'approuvent pas.
En janvier dernier, une foule assez nombreuse a défilé à Budapest pour
annoncer au monde : "Nous ne serons pas des colonisés [de l'Union
européenne (UE)]". Au côté des activistes et des fans [d'Orbán], il y
avait beaucoup de Hongrois débonnaires et naïfs. Aujourd'hui, ils
doivent constater où mène cette souveraineté et comment on peut se
procurer de l'argent quand celui du FMI nous répugne : en se
prostituant, si Dieu le veut.
A l'Est, l'argent coule à flots, comme le gaz et le pétrole. Mais,
pour monter dans la limousine du cheik, il faut satisfaire ses désirs.
Or c'est un individu pervers. Il pense par exemple qu'assassiner un
Arménien à coups de hache n'est pas un crime mais un acte héroïque.
Le copinage avec l'Azerbaïdjan nous a conduits à relcher un criminel
de guerre. L'UE demande aux pays candidats l'extradition de ce genre
d'hommes, mais pas pour qu'ils soient relaxés - au contraire, pour
assurer leur punition. L'Azerbaïdjan a voulu sauver son héros, et nous
avons marché dans la combine.
Libérer un terroriste est un geste répugnant
Nous avons conclu un accord infme avec un Etat de bandits. Pire, un
accord stupide ! Car rendre la liberté à un terroriste, c'est un geste
répugnant, et ce le serait même si l'Azerbaïdjan s'apprêtait à
construire en grande pompe un gazoduc qui aurait permis à la Hongrie
de n'avoir aucun souci d'alimentation en gaz pendant cent ans. Cela
relèverait seulement du cynisme ; on dirait alors que les Hongrois
sont sans vergogne, que voulez-vous, c'est la logique d'une moyenne
puissance, ils défendent prement leurs intérêts. Il arrive aussi à la
CIA et au FBI de sortir des cadres de l'éthique humaniste pour, par
exemple, taire la vérité sur les ovnis, mais ils ont au moins un but
en le faisant.
Nous, en revanche, nous nous sommes prostitués gratuitement. Nous ne
sommes pas des commerçants cyniques, mais des idiots pervers.
Que faire pour y remédier ? La diplomatie hongroise cherche sans doute
fébrilement la réponse à cette question, mais elle aura du mal à en
sortir vainqueur. La Hongrie peut jouer le rôle de celui qui a été
roulé par l'infme dictature azérie, laquelle a profité du fait que
les diplomates magyars s'orientaient dans le monde tels des sourds et
des aveugles. Mais cela révélerait la torpeur de ces derniers, ce qui
serait tout aussi gênant que de reconnaître la traite humaine.
Il est cependant possible de montrer que le gouvernement immoral et/ou
stupide ne représente pas tous les Magyars. Qu'il subisse les
conséquences de ses actes ! Il n'est pas avec nous. Il est grand temps
de prendre nos distances.
Un pays qui approuve un assassinat à la hache
Etre hongrois, par les temps qui courent, est un sentiment pénible et
désagréable : nous représentons un pays qui approuve contre caution un
assassinat à la hache à motivation nationaliste, mais qui, en guise de
caution, accepte des fausses perles. C'est un pays immoral et stupide.
La vallée des couillons. Des putains.
La raison en est que, dans cette affaire de hache, on ne voit - de
Washington, de Berlin et d'Erevan - que les actes et les avis du
gouvernement. Nous n'avons pas encore fait la démonstration qu'il y a
des Hongrois d'une autre trempe dans ce pays, des Hongrois qui ne
seraient jamais prêts à traiter avec des assassins à la hache, et, si
oui, sûrement pas contre des promesses.
Quand le monde extérieur se fait une idée monolithique d'une nation,
cela a des conséquences tragiques. On croit, par exemple, que tous les
Arméniens sont des salauds, et que les assassiner à la hache n'est
donc pas un crime. Ou bien on croit que tous les Hongrois sont comme
leur gouvernement : il est donc juste et bon de cracher sur eux et se
moquer d'eux. Il y a un seul antidote à cela : une manifestation de
masse. Une marche de la paix avec le slogan : "Nous ne sommes pas des
prostitués".
Nous n'avons pas donné mandat pour cela
Aujourd'hui, le monde nous observe. L'Europe s'inquiète - à juste
titre : est-il possible d'acheter un de ses pays membres avec la seule
promesse de quelques milliards d'euros ? Dans cette situation, il faut
descendre dans la rue ou aller jouer de la guitare à la basilique
Saint-Etienne [la grande église de Budapest], nous montrer, et hurler
que nous n'avons pas donné mandat pour cela. Que l'individu à la hache
n'est pas un héros pour nous. Ni celui qui l'a relché.
Mais nous avons également une tche de plus longue haleine. Réaliser
que l'alternative au courant occidental est la suivante : la honte.
[Ostracisé en Europe pour ses dérives autoritaires, le Premier
ministre hongrois s'est engagé depuis quelques mois dans une politique
d'ouverture à l'Est, en particulier vers l'Asie.] A l'avenir, s'il
venait à l'esprit à un gouvernement aux moeurs dépravées de tailler
une pipe à un criminel, que le monde sache que les braves Hongrois ne
le regardent pas d'un bon oeil.
Mardi 4 Septembre 2012
HONGRIE: "Etre hongrois est aujourd'hui un sentiment pénible et désagréable"
Árpád Tóta W, Heti Világgazdaság (Budapest)
ENCART: L'extradition, par Budapest, d'un soldat azerbaïdjanais
condamné pour meurtre - et immédiatement libéré à peine revenu chez
lui - révolte cet éditorialiste hongrois. Il ne mche pas ses mots
pour dénoncer l'attitude putassière de son gouvernement, et appelle
ses compatriotes à montrer au reste du monde qu'ils n'approuvent pas.
En janvier dernier, une foule assez nombreuse a défilé à Budapest pour
annoncer au monde : "Nous ne serons pas des colonisés [de l'Union
européenne (UE)]". Au côté des activistes et des fans [d'Orbán], il y
avait beaucoup de Hongrois débonnaires et naïfs. Aujourd'hui, ils
doivent constater où mène cette souveraineté et comment on peut se
procurer de l'argent quand celui du FMI nous répugne : en se
prostituant, si Dieu le veut.
A l'Est, l'argent coule à flots, comme le gaz et le pétrole. Mais,
pour monter dans la limousine du cheik, il faut satisfaire ses désirs.
Or c'est un individu pervers. Il pense par exemple qu'assassiner un
Arménien à coups de hache n'est pas un crime mais un acte héroïque.
Le copinage avec l'Azerbaïdjan nous a conduits à relcher un criminel
de guerre. L'UE demande aux pays candidats l'extradition de ce genre
d'hommes, mais pas pour qu'ils soient relaxés - au contraire, pour
assurer leur punition. L'Azerbaïdjan a voulu sauver son héros, et nous
avons marché dans la combine.
Libérer un terroriste est un geste répugnant
Nous avons conclu un accord infme avec un Etat de bandits. Pire, un
accord stupide ! Car rendre la liberté à un terroriste, c'est un geste
répugnant, et ce le serait même si l'Azerbaïdjan s'apprêtait à
construire en grande pompe un gazoduc qui aurait permis à la Hongrie
de n'avoir aucun souci d'alimentation en gaz pendant cent ans. Cela
relèverait seulement du cynisme ; on dirait alors que les Hongrois
sont sans vergogne, que voulez-vous, c'est la logique d'une moyenne
puissance, ils défendent prement leurs intérêts. Il arrive aussi à la
CIA et au FBI de sortir des cadres de l'éthique humaniste pour, par
exemple, taire la vérité sur les ovnis, mais ils ont au moins un but
en le faisant.
Nous, en revanche, nous nous sommes prostitués gratuitement. Nous ne
sommes pas des commerçants cyniques, mais des idiots pervers.
Que faire pour y remédier ? La diplomatie hongroise cherche sans doute
fébrilement la réponse à cette question, mais elle aura du mal à en
sortir vainqueur. La Hongrie peut jouer le rôle de celui qui a été
roulé par l'infme dictature azérie, laquelle a profité du fait que
les diplomates magyars s'orientaient dans le monde tels des sourds et
des aveugles. Mais cela révélerait la torpeur de ces derniers, ce qui
serait tout aussi gênant que de reconnaître la traite humaine.
Il est cependant possible de montrer que le gouvernement immoral et/ou
stupide ne représente pas tous les Magyars. Qu'il subisse les
conséquences de ses actes ! Il n'est pas avec nous. Il est grand temps
de prendre nos distances.
Un pays qui approuve un assassinat à la hache
Etre hongrois, par les temps qui courent, est un sentiment pénible et
désagréable : nous représentons un pays qui approuve contre caution un
assassinat à la hache à motivation nationaliste, mais qui, en guise de
caution, accepte des fausses perles. C'est un pays immoral et stupide.
La vallée des couillons. Des putains.
La raison en est que, dans cette affaire de hache, on ne voit - de
Washington, de Berlin et d'Erevan - que les actes et les avis du
gouvernement. Nous n'avons pas encore fait la démonstration qu'il y a
des Hongrois d'une autre trempe dans ce pays, des Hongrois qui ne
seraient jamais prêts à traiter avec des assassins à la hache, et, si
oui, sûrement pas contre des promesses.
Quand le monde extérieur se fait une idée monolithique d'une nation,
cela a des conséquences tragiques. On croit, par exemple, que tous les
Arméniens sont des salauds, et que les assassiner à la hache n'est
donc pas un crime. Ou bien on croit que tous les Hongrois sont comme
leur gouvernement : il est donc juste et bon de cracher sur eux et se
moquer d'eux. Il y a un seul antidote à cela : une manifestation de
masse. Une marche de la paix avec le slogan : "Nous ne sommes pas des
prostitués".
Nous n'avons pas donné mandat pour cela
Aujourd'hui, le monde nous observe. L'Europe s'inquiète - à juste
titre : est-il possible d'acheter un de ses pays membres avec la seule
promesse de quelques milliards d'euros ? Dans cette situation, il faut
descendre dans la rue ou aller jouer de la guitare à la basilique
Saint-Etienne [la grande église de Budapest], nous montrer, et hurler
que nous n'avons pas donné mandat pour cela. Que l'individu à la hache
n'est pas un héros pour nous. Ni celui qui l'a relché.
Mais nous avons également une tche de plus longue haleine. Réaliser
que l'alternative au courant occidental est la suivante : la honte.
[Ostracisé en Europe pour ses dérives autoritaires, le Premier
ministre hongrois s'est engagé depuis quelques mois dans une politique
d'ouverture à l'Est, en particulier vers l'Asie.] A l'avenir, s'il
venait à l'esprit à un gouvernement aux moeurs dépravées de tailler
une pipe à un criminel, que le monde sache que les braves Hongrois ne
le regardent pas d'un bon oeil.