Rue 89
6 sept 2012
L'Azerbaïdjan et l'Arménie au bord de la guerre pour un meurtre à la hache
Pierre Haski | Cofondateur
En permettant la libération, contre de l'argent, d'un Azéri coupable
du meurtre d'un Arménien, la Hongrie a réveillé l'hostilité entre ces
deux pays.
C'est un vieux conflit qui se réveille et menace de tourner à la
guerre ouverte, par la faute de la diplomatie vénale d'un membre de
l'Union européenne : la Hongrie de Viktor Orban. L'Arménie et
l'Azerbaïdjan, deux voisins du Caucase, sont au bord de
l'affrontement.
L'histoire remonte à 2004, à une formation au sein de l'Otan à
Budapest, à laquelle participaient Ramil Safarov, un officier envoyé
par l'Azerbaïdjan, et Gurgen Margaryan, représentant l'Arménie, deux
républiques anciennement soviétiques, devenues partenaires de
l'Alliance atlantique.
Une nuit, Safarov l'Azéri décapite Margayan l'Arménien à coups de
hache pendant son sommeil, à l'université de la défense nationale
Zrínyi Miklós de Budapest, avant de chercher à tuer un deuxième
stagiaire arménien.
« Je voulais me venger de l'ensemble de la nation arménienne », a-t-il
déclaré à la police.
Un crime de sang froid qui choque les opinions des deux pays, ennemis
historiques. Il est arrêté, jugé et condamné à la prison à perpétuité.
Fin du premier épisode.
Au début de l'été, le premier ministre hongrois, Viktor Orban,
effectue une visite officielle en Azerbaïdjan, placée sous le signe de
l'économie, la Hongrie traversant de sérieuses difficultés. Au
passage, le gouvernement azéri réitère sa demande de voir son soldat
perdu Safarov purger sa peine d'emprisonnement dans son pays...
Pour une poignée de dollars
Fin août, la presse hongroise révèle que l'Azerbaïdjan, pays riche en
hydrocarbures, est susceptible d'acheter des obligations hongroises
d'une valeur de deux ou trois milliards d'euros. Une somme qui
couvrirait la plus grande partie de l'émission de dette en devises
prévue par la Hongrie en 2012...
Officiellement, aucun rapport entre les milliards d'euros et le sort
de Ramil Safarov. Mais en Arménie, les mises en garde et les
manifestations se multiplient pour empêcher ce qui finit par se
produire : le meurtrier est transféré en Azerbaïdjan, officiellement
pour y purger sa peine. Communiqué du gouvernement hongrois :
« Le ministère azéri a informé le [ministère de l'Administration
publique et de la Justice] qu'il ne modifierait pas la condamnation de
Safarov, et continuerait directement à appliquer la condamnation
fondée sur le verdict hongrois. »
Mais sitôt dans son pays, Ramif Safarov est libéré et, tel un héros
national, promu au grade de commandant, se voit attribuer un logement,
offrir une voiture... Le gouvernement lui paye même ses arriérés de
solde pendant ses années de prison en Hongrie !
L'Arménie est indignée, et l'heure est à la vengeance, d'abord
vis-à-vis de la Hongrie avec laquelle les relations diplomatiques sont
suspendues. L'armée est aussitôt placée en état d'alerte.
Le président arménien, Serge Sarkissian, a été clair lundi :
« Nous ne voulons pas la guerre, mais si nous y sommes contraints,
nous nous battrons et nous gagnerons. »
Global Voices rapporte qu'en Hongrie, suite au déluge de commentaires
en anglais critiquant le gouvernement hongrois, les commentaires ont
été désactivés sur la page Facebook officielle du premier ministre
Viktor Orban. Des commentaires virulents ont aussi été postés sur la
page Facebook de l'ambassade de Hongrie aux Etats-Unis.
Justice à vendre
Arsen Kharatyan, qui a manifesté devant l'ambassade de Hongrie à
Washington, a partagé une photo où il tient une affiche disant :
« Achetez la justice en Hongrie pour deux milliards de dollars. »
En Hongrie, où la politique de Viktor Orban est très contestée, le
quotidien de gauche Nepszava, cité par Eurotopics.net, déplore
l'initiative diplomatique du gouvernement :
« Le gouvernement hongrois a causé le plus grand scandale diplomatique
de ces dernières décennies en livrant Ramil Safarov à l'Azerbaïdjan.
[...] Pour lui, des milliards de dollars valent plus que l'honneur et
l'équité.
A court terme, l'argent azerbaïdjanais peut adoucir les soucis de
l'économie hongroise, mais notre pays a perdu le peu de respect dont
il disposait en Europe et dans le monde. »
Eviter la guerre
Mais si l'attitude de la Hongrie est au c`ur du débat, ce sont
évidemment les réactions en Arménie et en Azerbaïdjan qui font
redouter le pire aujourd'hui.
Ce sont deux républiques ex-soviétiques dont l'hostilité historique a
éclaté au grand jour à la mort de l'Union soviétique en 1991, autour
de l'enclave du Haut-Karabakh. Ce petit territoire d'à peine 150 000
habitants d'origine arménienne, enclavé à l'intérieur de
l'Azerbaïdjan, a décrété son indépendance (non reconnue) en 1991, pour
ne pas se soumettre aux Azéris à défaut de pouvoir se rattacher à
l'Arménie.
Se sont ensuivis trois ans de guerre, faisant 30 000 morts et des
centaines de milliers de réfugiés et déplacés, jusqu'en 1994, suivis
de près de vingt ans de paix fragile car la question du Haut-Karabakh
n'est toujours pas réglée. La France fait d'ailleurs partie d'un
groupe de contact, avec la Russie et les Etats-Unis, qui cherche
vainement une solution depuis deux décennies...
Le tour de passe-passe autour de l'encombrant prisonnier de la Hongrie
a brutalement réveillé les passions. Tous les Arméniens, y compris
ceux de la diaspora, partagent le sentiment exprimé sur ce tweet :
« L'Azerbaidjan menace la paix régionale en glorifiant un crime raciste. »
La diplomatie s'est mise en marche, avec une visite d'Hillary Clinton,
en tournée en Asie, qui s'est rendue à Bakou et à Erevan. Moscou,
Paris et Washington se disent « préoccupés ». Ils s'efforcent tous
d'éviter que la guerre des mots et des émotions ne se transforme en
guerre ouverte.
Le réveil de cette guerre, dont les racines remontent à la nuit des
temps, serait une tragédie humaine et politique dans cette région aux
lignes de fracture multiples. La responsabilité hongroise, en cas de
guerre, serait immense.
http://www.rue89.com/2012/09/05/lazerbaidjan-et-larmenie-au-bord-de-la-guerre-pour-un-meurtrier-235105
6 sept 2012
L'Azerbaïdjan et l'Arménie au bord de la guerre pour un meurtre à la hache
Pierre Haski | Cofondateur
En permettant la libération, contre de l'argent, d'un Azéri coupable
du meurtre d'un Arménien, la Hongrie a réveillé l'hostilité entre ces
deux pays.
C'est un vieux conflit qui se réveille et menace de tourner à la
guerre ouverte, par la faute de la diplomatie vénale d'un membre de
l'Union européenne : la Hongrie de Viktor Orban. L'Arménie et
l'Azerbaïdjan, deux voisins du Caucase, sont au bord de
l'affrontement.
L'histoire remonte à 2004, à une formation au sein de l'Otan à
Budapest, à laquelle participaient Ramil Safarov, un officier envoyé
par l'Azerbaïdjan, et Gurgen Margaryan, représentant l'Arménie, deux
républiques anciennement soviétiques, devenues partenaires de
l'Alliance atlantique.
Une nuit, Safarov l'Azéri décapite Margayan l'Arménien à coups de
hache pendant son sommeil, à l'université de la défense nationale
Zrínyi Miklós de Budapest, avant de chercher à tuer un deuxième
stagiaire arménien.
« Je voulais me venger de l'ensemble de la nation arménienne », a-t-il
déclaré à la police.
Un crime de sang froid qui choque les opinions des deux pays, ennemis
historiques. Il est arrêté, jugé et condamné à la prison à perpétuité.
Fin du premier épisode.
Au début de l'été, le premier ministre hongrois, Viktor Orban,
effectue une visite officielle en Azerbaïdjan, placée sous le signe de
l'économie, la Hongrie traversant de sérieuses difficultés. Au
passage, le gouvernement azéri réitère sa demande de voir son soldat
perdu Safarov purger sa peine d'emprisonnement dans son pays...
Pour une poignée de dollars
Fin août, la presse hongroise révèle que l'Azerbaïdjan, pays riche en
hydrocarbures, est susceptible d'acheter des obligations hongroises
d'une valeur de deux ou trois milliards d'euros. Une somme qui
couvrirait la plus grande partie de l'émission de dette en devises
prévue par la Hongrie en 2012...
Officiellement, aucun rapport entre les milliards d'euros et le sort
de Ramil Safarov. Mais en Arménie, les mises en garde et les
manifestations se multiplient pour empêcher ce qui finit par se
produire : le meurtrier est transféré en Azerbaïdjan, officiellement
pour y purger sa peine. Communiqué du gouvernement hongrois :
« Le ministère azéri a informé le [ministère de l'Administration
publique et de la Justice] qu'il ne modifierait pas la condamnation de
Safarov, et continuerait directement à appliquer la condamnation
fondée sur le verdict hongrois. »
Mais sitôt dans son pays, Ramif Safarov est libéré et, tel un héros
national, promu au grade de commandant, se voit attribuer un logement,
offrir une voiture... Le gouvernement lui paye même ses arriérés de
solde pendant ses années de prison en Hongrie !
L'Arménie est indignée, et l'heure est à la vengeance, d'abord
vis-à-vis de la Hongrie avec laquelle les relations diplomatiques sont
suspendues. L'armée est aussitôt placée en état d'alerte.
Le président arménien, Serge Sarkissian, a été clair lundi :
« Nous ne voulons pas la guerre, mais si nous y sommes contraints,
nous nous battrons et nous gagnerons. »
Global Voices rapporte qu'en Hongrie, suite au déluge de commentaires
en anglais critiquant le gouvernement hongrois, les commentaires ont
été désactivés sur la page Facebook officielle du premier ministre
Viktor Orban. Des commentaires virulents ont aussi été postés sur la
page Facebook de l'ambassade de Hongrie aux Etats-Unis.
Justice à vendre
Arsen Kharatyan, qui a manifesté devant l'ambassade de Hongrie à
Washington, a partagé une photo où il tient une affiche disant :
« Achetez la justice en Hongrie pour deux milliards de dollars. »
En Hongrie, où la politique de Viktor Orban est très contestée, le
quotidien de gauche Nepszava, cité par Eurotopics.net, déplore
l'initiative diplomatique du gouvernement :
« Le gouvernement hongrois a causé le plus grand scandale diplomatique
de ces dernières décennies en livrant Ramil Safarov à l'Azerbaïdjan.
[...] Pour lui, des milliards de dollars valent plus que l'honneur et
l'équité.
A court terme, l'argent azerbaïdjanais peut adoucir les soucis de
l'économie hongroise, mais notre pays a perdu le peu de respect dont
il disposait en Europe et dans le monde. »
Eviter la guerre
Mais si l'attitude de la Hongrie est au c`ur du débat, ce sont
évidemment les réactions en Arménie et en Azerbaïdjan qui font
redouter le pire aujourd'hui.
Ce sont deux républiques ex-soviétiques dont l'hostilité historique a
éclaté au grand jour à la mort de l'Union soviétique en 1991, autour
de l'enclave du Haut-Karabakh. Ce petit territoire d'à peine 150 000
habitants d'origine arménienne, enclavé à l'intérieur de
l'Azerbaïdjan, a décrété son indépendance (non reconnue) en 1991, pour
ne pas se soumettre aux Azéris à défaut de pouvoir se rattacher à
l'Arménie.
Se sont ensuivis trois ans de guerre, faisant 30 000 morts et des
centaines de milliers de réfugiés et déplacés, jusqu'en 1994, suivis
de près de vingt ans de paix fragile car la question du Haut-Karabakh
n'est toujours pas réglée. La France fait d'ailleurs partie d'un
groupe de contact, avec la Russie et les Etats-Unis, qui cherche
vainement une solution depuis deux décennies...
Le tour de passe-passe autour de l'encombrant prisonnier de la Hongrie
a brutalement réveillé les passions. Tous les Arméniens, y compris
ceux de la diaspora, partagent le sentiment exprimé sur ce tweet :
« L'Azerbaidjan menace la paix régionale en glorifiant un crime raciste. »
La diplomatie s'est mise en marche, avec une visite d'Hillary Clinton,
en tournée en Asie, qui s'est rendue à Bakou et à Erevan. Moscou,
Paris et Washington se disent « préoccupés ». Ils s'efforcent tous
d'éviter que la guerre des mots et des émotions ne se transforme en
guerre ouverte.
Le réveil de cette guerre, dont les racines remontent à la nuit des
temps, serait une tragédie humaine et politique dans cette région aux
lignes de fracture multiples. La responsabilité hongroise, en cas de
guerre, serait immense.
http://www.rue89.com/2012/09/05/lazerbaidjan-et-larmenie-au-bord-de-la-guerre-pour-un-meurtrier-235105