Le Monde, France
4 sept 2012
La libération par Bakou d'un meurtrier azéri provoque la colère de l'Arménie
LE MONDE | 04.09.2012 à 17h14
Depuis son retour en Azerbaïdjan, le 31 août, le lieutenant Ramil
Safarov est célébré en héros national. Il a été promu major, a reçu un
appartement ainsi que huit ans de paie en guise d'arriérés. La
télévision azérie a montré le colosse de 35 ans au milieu des siens,
soulagé d'avoir bénéficié d'une grce, accordée par le président Ilham
Aliev.
Ramil Safarov a été remis aux autorités azéries par leurs homologues
hongrois dans le cadre d'une extradition. Il purgeait une peine de
prison à vie en Hongrie pour l'assassinat d'un militaire arménien, en
2004. Depuis sa condamnation en 2006, son sort a figuré au riche menu
des tensions entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, toujours pris dans un
conflit gelé autour de la République autoproclamée du Haut-Karabakh.
La dimension ethnique et la cruauté de l'assassinat expliquent le
scandale international provoqué par la libération de Ramil Safarov. En
février 2004, l'officier se trouve à Budapest pour suivre un stage
d'anglais organisé par l'OTAN. Sa victime, Gurgen Margarian, y
participe aussi.
Dans la nuit du 18 au 19 février, le militaire azéri pénètre dans sa
chambre et le frappe de seize coups de hache. Il cherche à le
décapiter. Ramil Safarov déclarera au procès que son collègue avait
uriné sur le drapeau azéri et insulté son pays.
"SEMI-GUERRE FROIDE"
Sans surprise, la remise en liberté de Ramil Safarov attise
l'antagonisme entre les deux voisins. "Nous sommes toujours dans une
semi-guerre froide, dont voilà une nouvelle manifestation, explique
Avetik Ichkhanian, du Comité Helsinski à Erevan. L'atmosphère est
extrêmement tendue."
Erevan a réagi avec fureur à la libération, s'en prenant à la Hongrie.
Le président arménien, Serge Sarkissian, a annoncé une suspension des
relations diplomatiques avec ce pays et mis en garde l'Azerbaïdjan.
"Nous ne voulons pas la guerre, mais si nous y sommes contraints, nous
nous battrons et nous gagnerons", a-t-il martelé.
Interrogé par téléphone, le vice-ministre des affaires étrangères
chargé des questions européennes, Zohrab Mnatsakanian, affirme que
Budapest avait "donné des assurances jusqu'au dernier moment" qu'il
n'y aurait ni extradition ni libération.
Le vice-ministre déplore que Ramil Safarov soit "érigé en modèle pour
la jeunesse" en Azerbaïdjan. "Cette promotion d'un assassinat sur des
bases ethniques est un défi au monde civilisé, notamment l'Europe, et
pas seulement un problème pour l'Arménie", avance-t-il.
Pourquoi la Hongrie a-t-elle accepté d'extrader Ramil Safarov ?
Budapest prétend que la mesure respecte les conventions
internationales. La libération, elle, serait "inattendue". Le
ministère de la justice azéri avait assuré que l'officier ne serait
pas remis en liberté avant d'avoir subi au moins 25 ans de détention.
L'ambassadeur azéri a été convoqué. Mais l'opposition juge peu
crédible l'idée que le gouvernement ait été abusé par Bakou.
Budapest ne pouvait ignorer que Ramil Safarov était traité en héros en
Azerbaïdjan, il en avait été averti à maintes reprises par les
Arméniens. L'ambassadeur d'Arménie en poste à Vienne se plaint
d'ailleurs de n'avoir pas réussi depuis un an à présenter ses lettres
de créances pour la Hongrie.
L'ancien premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsany, en poste au
moment de la condamnation de Ramil Safarov en 2006, a témoigné des
interventions réitérées des autorités de Bakou pour le faire
transférer. "La pression était considérable", dit-il, mais les
Hongrois étaient convaincus que s'ils cédaient, le dénouement serait
prévisible et ferait scandale.
VIVES CRITIQUES INTERNES
Bakou misait donc sur le retour au pouvoir de M. Orban, en avril 2010.
Diplomate expérimenté, le ministre hongrois des affaires étrangères,
Janos Martonyi, semble avoir été tenu à l'écart des négociations
secrètes, débutées il y a un an, selon Novrouz Mammadov, chef des
relations internationales à la présidence à Bakou.
Pour la Hongrie, le gaz azerbaïdjanais est une motivation à long
terme. C'est surtout l'allégement de la dette publique en évitant un
recours au FMI qui a compté dans la décision de Budapest : 4,7
milliards d'euros d'emprunts arrivent à échéance en 2012.
Le 23 août, le magazine financier hongrois Figyelö citait une source
proche du ministre de l'économie, György Matolcsy, sur la possibilité
d'émettre des obligations hongroises en mandats azéris. On parle de 2
à 3 milliards d'euros. Depuis, une banque turque a reconnu qu'elle
était impliquée dans le processus.
Viktor Orban est confronté à de vives critiques internes. L'opposition
de gauche appelait à une manifestation, mardi 4 septembre. Le primat
de l'Eglise catholique hongroise, le cardinal Peter Erdö, a présenté
des excuses aux Arméniens. Les chefs des Eglises calviniste et
luthérienne ont, eux, publié une déclaration pour condamner les
"conséquences" de l'extradition.
http://www.lemonde.fr/international/article/2012/09/04/colere-de-l-armenie-apres-la-liberation-d-un-meurtrier-azeri_1755388_3210.html
4 sept 2012
La libération par Bakou d'un meurtrier azéri provoque la colère de l'Arménie
LE MONDE | 04.09.2012 à 17h14
Depuis son retour en Azerbaïdjan, le 31 août, le lieutenant Ramil
Safarov est célébré en héros national. Il a été promu major, a reçu un
appartement ainsi que huit ans de paie en guise d'arriérés. La
télévision azérie a montré le colosse de 35 ans au milieu des siens,
soulagé d'avoir bénéficié d'une grce, accordée par le président Ilham
Aliev.
Ramil Safarov a été remis aux autorités azéries par leurs homologues
hongrois dans le cadre d'une extradition. Il purgeait une peine de
prison à vie en Hongrie pour l'assassinat d'un militaire arménien, en
2004. Depuis sa condamnation en 2006, son sort a figuré au riche menu
des tensions entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, toujours pris dans un
conflit gelé autour de la République autoproclamée du Haut-Karabakh.
La dimension ethnique et la cruauté de l'assassinat expliquent le
scandale international provoqué par la libération de Ramil Safarov. En
février 2004, l'officier se trouve à Budapest pour suivre un stage
d'anglais organisé par l'OTAN. Sa victime, Gurgen Margarian, y
participe aussi.
Dans la nuit du 18 au 19 février, le militaire azéri pénètre dans sa
chambre et le frappe de seize coups de hache. Il cherche à le
décapiter. Ramil Safarov déclarera au procès que son collègue avait
uriné sur le drapeau azéri et insulté son pays.
"SEMI-GUERRE FROIDE"
Sans surprise, la remise en liberté de Ramil Safarov attise
l'antagonisme entre les deux voisins. "Nous sommes toujours dans une
semi-guerre froide, dont voilà une nouvelle manifestation, explique
Avetik Ichkhanian, du Comité Helsinski à Erevan. L'atmosphère est
extrêmement tendue."
Erevan a réagi avec fureur à la libération, s'en prenant à la Hongrie.
Le président arménien, Serge Sarkissian, a annoncé une suspension des
relations diplomatiques avec ce pays et mis en garde l'Azerbaïdjan.
"Nous ne voulons pas la guerre, mais si nous y sommes contraints, nous
nous battrons et nous gagnerons", a-t-il martelé.
Interrogé par téléphone, le vice-ministre des affaires étrangères
chargé des questions européennes, Zohrab Mnatsakanian, affirme que
Budapest avait "donné des assurances jusqu'au dernier moment" qu'il
n'y aurait ni extradition ni libération.
Le vice-ministre déplore que Ramil Safarov soit "érigé en modèle pour
la jeunesse" en Azerbaïdjan. "Cette promotion d'un assassinat sur des
bases ethniques est un défi au monde civilisé, notamment l'Europe, et
pas seulement un problème pour l'Arménie", avance-t-il.
Pourquoi la Hongrie a-t-elle accepté d'extrader Ramil Safarov ?
Budapest prétend que la mesure respecte les conventions
internationales. La libération, elle, serait "inattendue". Le
ministère de la justice azéri avait assuré que l'officier ne serait
pas remis en liberté avant d'avoir subi au moins 25 ans de détention.
L'ambassadeur azéri a été convoqué. Mais l'opposition juge peu
crédible l'idée que le gouvernement ait été abusé par Bakou.
Budapest ne pouvait ignorer que Ramil Safarov était traité en héros en
Azerbaïdjan, il en avait été averti à maintes reprises par les
Arméniens. L'ambassadeur d'Arménie en poste à Vienne se plaint
d'ailleurs de n'avoir pas réussi depuis un an à présenter ses lettres
de créances pour la Hongrie.
L'ancien premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsany, en poste au
moment de la condamnation de Ramil Safarov en 2006, a témoigné des
interventions réitérées des autorités de Bakou pour le faire
transférer. "La pression était considérable", dit-il, mais les
Hongrois étaient convaincus que s'ils cédaient, le dénouement serait
prévisible et ferait scandale.
VIVES CRITIQUES INTERNES
Bakou misait donc sur le retour au pouvoir de M. Orban, en avril 2010.
Diplomate expérimenté, le ministre hongrois des affaires étrangères,
Janos Martonyi, semble avoir été tenu à l'écart des négociations
secrètes, débutées il y a un an, selon Novrouz Mammadov, chef des
relations internationales à la présidence à Bakou.
Pour la Hongrie, le gaz azerbaïdjanais est une motivation à long
terme. C'est surtout l'allégement de la dette publique en évitant un
recours au FMI qui a compté dans la décision de Budapest : 4,7
milliards d'euros d'emprunts arrivent à échéance en 2012.
Le 23 août, le magazine financier hongrois Figyelö citait une source
proche du ministre de l'économie, György Matolcsy, sur la possibilité
d'émettre des obligations hongroises en mandats azéris. On parle de 2
à 3 milliards d'euros. Depuis, une banque turque a reconnu qu'elle
était impliquée dans le processus.
Viktor Orban est confronté à de vives critiques internes. L'opposition
de gauche appelait à une manifestation, mardi 4 septembre. Le primat
de l'Eglise catholique hongroise, le cardinal Peter Erdö, a présenté
des excuses aux Arméniens. Les chefs des Eglises calviniste et
luthérienne ont, eux, publié une déclaration pour condamner les
"conséquences" de l'extradition.
http://www.lemonde.fr/international/article/2012/09/04/colere-de-l-armenie-apres-la-liberation-d-un-meurtrier-azeri_1755388_3210.html