LE STRUMA ET 1915 : LE SILENCE DE LA TURQUIE DEVANT LES VERITES DU PASSE
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=67422
Publie le : 25-09-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
livre une traduction de Gilbert Beguian d'un article en anglais du
Today's Zaman mise en ligne sur le site de NAM (Nouvelles d'Armenie
Magazine) le 19 septembre 2012.
NAM
" Faire Face au Passe de la Turquie : le Struma et 1915 " par Yavuz
Baydar
Yavuz Baydar
Journaliste a " Today's Zaman "
18 Septembre 2012
"La demande de pardon, a mon avis, est secondaire. Ce qui importe le
plus c'est tout d'abord sur quoi il faudrait insister, c'est sur le
courage necessaire a cette societe pour affronter les peches de son
passe. Je n'ai aucune honte a dire ceci : on nous a instille cette
crainte, nous avons eu peur tout au long de notre vie. Notre système
de pouvoir a ete fonde sur la crainte. Nous devons changer cela. La
seule facon est de faire face a notre passe".
Ce sont les mots d'Ishak Alaton, un homme d'affaire turc octogenaire
en vue d'origine juive. Après avoir publie ses memoires, il n'y a
pas si longtemps, Alaton est devenu de plus en plus disert, appelant
sans relâche a mettre fin au conflit sanglant kurde, comme l'un des
" sages " prets a engager le dialogue de reconciliation, appelant
au courage de faire face aux crimes qui furent commis au cours de la
chute de l'Empire ottoman et appelant les citoyens a s'exprimer.
Lorsqu'un navire nomme Struma etait remorque dans le port du vieil
Istanbul en 1941, Alaton etait un temoin âge alors de 15 ans de
l'agonie de ses passagers. Le vaisseau vieux de 60 ans etait le dernier
espoir de 769 Juifs roumains fuyant les Nazis, mais ses moteurs etaient
tombes en panne, du côte Mer Noire du Bosphore. La question a fait
l'objet de pression sur Ankara venant du regime d'Adolf Hitler, et
après 72 jours de desespoir, le Struma fut renvoye par les autorites
turques vers la Mer Noire, où il fut torpille par un navire de guerre
sovietique. Il n'y eut qu'un seul survivant.
" Ceux qui s'en sont rendus coupables a Ankara, dans mon esprit,
sont des meurtriers. L'ayant chasse hors de son passe, cette societe,
dont je suis une partie, a un problème. Nous pensons que le tenant a
distance, le problème sera efface. Mais les cadavres qui croupissent
dans cet endroit empoisonnent l'air que nous respirons. Aucune serenite
est-elle possible sans confrontation ? Faisons-le afin d'etre en paix
avec le passe. "
Le desastre du Struma, un episode cache de l'histoire de la Republique,
est le sujet d'un livre nouveau ecrit par Halit Kakinc, et sa preface,
oui, est ecrite par Alaton lui-meme.
Ce n'est pas pour rien que le sujet de " les genies hors de la lampe
magique " perdure dans l'agenda de la Turquie, ouverte dans une
sorte de " perestroïka " turque, par le pouvoir du Parti Justice et
Developpement (AKP) dans la decennie qui vient de s'ecouler.
Et quelques jours seulement après la sortie du livre sur le Struma,
un autre apparaît en librairie - une bombe intellectuelle potentielle.
" 1915 : Genocide Armenien " est son titre, et du fait non seulement de
sa couverture mais aussi par son contenu explosif, il depasse beaucoup
d'autres sur ce sujet qui ont ete publies. Ce qui fait que ce livre
est particulier et unique est qu'il a ete ecrit par Hasan Djemal,
un editeur internationalement renomme et journaliste, petit-fils de
Djemal Pacha.
Ce lien de parente est essentiel pour comprendre la dimension
historique du livre. Djemal Pacha etait l'un des membres du
triumvirat, avec Talat et Enver Pacha, responsable de la Grande
Tragedie Armenienne, qui commenca avec la deportation en masse
d'Armeniens ottomans de leurs terres ancestrales et finit avec leur
extermination entre 1915 jusqu'a 1916.
Dans sa version, Hasan Djemal conclut que c'etait un genocide. Il
n'entend pas, ou ne pretend pas debattre de cette affaire comme le
ferait un historien. Il nous decrit un douloureux voyage intellectuel,
une description plutôt impitoyable de son propre passe intellectuel,
qui valent une inestimable decouverte archeologique privee.
Il l'avait deja fait dans d'autres livres. Dans d'autres livres, il
mettait en cause son " passe militariste-revolutionnaire (des annees
60 et 70), relevant sans detour ses propres erreurs - ses profondes
mefiances envers la democratie, les coups d'etat, ses experiences
d'editeur de quotidiens, etc. Mais ceci est encore plus personnel.
" C'etait la douleur de Hrant Dink qui m'a pousse a ecrire ce livre
", a-t-il dit a la presse. Dink etait le cher collègue Armenien de
Turquie pour beaucoup d'entre nous, comme il l'etait celui de Djemal.
Il a ete assassine en plein jour dans une rue d'Istanbul par un
tireur solitaire en janvier 2007, provoquent des vagues autour du
monde entier.
" A mon âge, il s'est ecoule des annees et des annees sans que
j'aie defendu le droit d'expression. Mais devrais-je garder secrètes
certaines de mes opinions, pour moi tout seul ? Devrais-je m'infliger
des tabous a moi-meme ? Devrais-je me maintenir non-libere ? N'est-ce
pas une honte pour moi, Hasan Djemal ? "
Dans sa preface, il ecrit : " Nous ne pouvons rester silencieux
devant les verites amères du passe. Nous ne pouvons laisser le passe
maintenir captif le present. La douleur de 1915 n'appartient pas au
passe, c'est un sujet d'aujourd'hui. Nous ne pouvons faire la paix
avec l'histoire, pas avec l'histoire ' inventee ' ou ' deformee '
comme la nôtre, et gagner la liberte. "
La douleur de la memoire de Dink - qui a effraye beaucoup d'entre
nous et pour toujours - peut avoir ete cruciale a cette fin, mais
en transformant une " rupture personnelle de tabou " en une rupture
publique, Djemal a ouvert un trou dans le mur du negationnisme de
l'etat. Il a rompu l'un des barrages mentaux.
Cet exercice tout simple de la liberte d'expression, au bout d'un
certain temps, ouvrira la voie a la demarche qui convient. Il revient
aux individus de Turquie de faire de meme, et s'incliner devant leur
conscience. C'est peut-etre ce qui explique le silence qui a entoure
ce livre dans les quelques jours qui ont suivi sa publication. Il est
egalement très difficile a trouver dans les librairies. Il y a des
rumeurs selon lesquelles quelques reseaux se refusent a le vendre. C'
est possible, mais il ne peut plus a present ne pas etre publie.
Le genie est sorti de la lampe mais les fantômes du passe sont
aussi très vivants. Le " traitement par le silence " en est la
demonstration. S'il ne signifie pas autre chose, il traduit a quel
point la peur habite les gens. Non seulement l'etat doit demander
pardon pour le passe, mais un pardon peut-etre encore plus grand
est necessaire pour avoir instaure, decennies après decennies, une
interiorisation de masse du negationnisme dans ce pays.
Traduction Gilbert Beguian jeudi 20 septembre 2012,
Titre original:
Struma and 1915
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Source/Lien : NAM
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=67422
Publie le : 25-09-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
livre une traduction de Gilbert Beguian d'un article en anglais du
Today's Zaman mise en ligne sur le site de NAM (Nouvelles d'Armenie
Magazine) le 19 septembre 2012.
NAM
" Faire Face au Passe de la Turquie : le Struma et 1915 " par Yavuz
Baydar
Yavuz Baydar
Journaliste a " Today's Zaman "
18 Septembre 2012
"La demande de pardon, a mon avis, est secondaire. Ce qui importe le
plus c'est tout d'abord sur quoi il faudrait insister, c'est sur le
courage necessaire a cette societe pour affronter les peches de son
passe. Je n'ai aucune honte a dire ceci : on nous a instille cette
crainte, nous avons eu peur tout au long de notre vie. Notre système
de pouvoir a ete fonde sur la crainte. Nous devons changer cela. La
seule facon est de faire face a notre passe".
Ce sont les mots d'Ishak Alaton, un homme d'affaire turc octogenaire
en vue d'origine juive. Après avoir publie ses memoires, il n'y a
pas si longtemps, Alaton est devenu de plus en plus disert, appelant
sans relâche a mettre fin au conflit sanglant kurde, comme l'un des
" sages " prets a engager le dialogue de reconciliation, appelant
au courage de faire face aux crimes qui furent commis au cours de la
chute de l'Empire ottoman et appelant les citoyens a s'exprimer.
Lorsqu'un navire nomme Struma etait remorque dans le port du vieil
Istanbul en 1941, Alaton etait un temoin âge alors de 15 ans de
l'agonie de ses passagers. Le vaisseau vieux de 60 ans etait le dernier
espoir de 769 Juifs roumains fuyant les Nazis, mais ses moteurs etaient
tombes en panne, du côte Mer Noire du Bosphore. La question a fait
l'objet de pression sur Ankara venant du regime d'Adolf Hitler, et
après 72 jours de desespoir, le Struma fut renvoye par les autorites
turques vers la Mer Noire, où il fut torpille par un navire de guerre
sovietique. Il n'y eut qu'un seul survivant.
" Ceux qui s'en sont rendus coupables a Ankara, dans mon esprit,
sont des meurtriers. L'ayant chasse hors de son passe, cette societe,
dont je suis une partie, a un problème. Nous pensons que le tenant a
distance, le problème sera efface. Mais les cadavres qui croupissent
dans cet endroit empoisonnent l'air que nous respirons. Aucune serenite
est-elle possible sans confrontation ? Faisons-le afin d'etre en paix
avec le passe. "
Le desastre du Struma, un episode cache de l'histoire de la Republique,
est le sujet d'un livre nouveau ecrit par Halit Kakinc, et sa preface,
oui, est ecrite par Alaton lui-meme.
Ce n'est pas pour rien que le sujet de " les genies hors de la lampe
magique " perdure dans l'agenda de la Turquie, ouverte dans une
sorte de " perestroïka " turque, par le pouvoir du Parti Justice et
Developpement (AKP) dans la decennie qui vient de s'ecouler.
Et quelques jours seulement après la sortie du livre sur le Struma,
un autre apparaît en librairie - une bombe intellectuelle potentielle.
" 1915 : Genocide Armenien " est son titre, et du fait non seulement de
sa couverture mais aussi par son contenu explosif, il depasse beaucoup
d'autres sur ce sujet qui ont ete publies. Ce qui fait que ce livre
est particulier et unique est qu'il a ete ecrit par Hasan Djemal,
un editeur internationalement renomme et journaliste, petit-fils de
Djemal Pacha.
Ce lien de parente est essentiel pour comprendre la dimension
historique du livre. Djemal Pacha etait l'un des membres du
triumvirat, avec Talat et Enver Pacha, responsable de la Grande
Tragedie Armenienne, qui commenca avec la deportation en masse
d'Armeniens ottomans de leurs terres ancestrales et finit avec leur
extermination entre 1915 jusqu'a 1916.
Dans sa version, Hasan Djemal conclut que c'etait un genocide. Il
n'entend pas, ou ne pretend pas debattre de cette affaire comme le
ferait un historien. Il nous decrit un douloureux voyage intellectuel,
une description plutôt impitoyable de son propre passe intellectuel,
qui valent une inestimable decouverte archeologique privee.
Il l'avait deja fait dans d'autres livres. Dans d'autres livres, il
mettait en cause son " passe militariste-revolutionnaire (des annees
60 et 70), relevant sans detour ses propres erreurs - ses profondes
mefiances envers la democratie, les coups d'etat, ses experiences
d'editeur de quotidiens, etc. Mais ceci est encore plus personnel.
" C'etait la douleur de Hrant Dink qui m'a pousse a ecrire ce livre
", a-t-il dit a la presse. Dink etait le cher collègue Armenien de
Turquie pour beaucoup d'entre nous, comme il l'etait celui de Djemal.
Il a ete assassine en plein jour dans une rue d'Istanbul par un
tireur solitaire en janvier 2007, provoquent des vagues autour du
monde entier.
" A mon âge, il s'est ecoule des annees et des annees sans que
j'aie defendu le droit d'expression. Mais devrais-je garder secrètes
certaines de mes opinions, pour moi tout seul ? Devrais-je m'infliger
des tabous a moi-meme ? Devrais-je me maintenir non-libere ? N'est-ce
pas une honte pour moi, Hasan Djemal ? "
Dans sa preface, il ecrit : " Nous ne pouvons rester silencieux
devant les verites amères du passe. Nous ne pouvons laisser le passe
maintenir captif le present. La douleur de 1915 n'appartient pas au
passe, c'est un sujet d'aujourd'hui. Nous ne pouvons faire la paix
avec l'histoire, pas avec l'histoire ' inventee ' ou ' deformee '
comme la nôtre, et gagner la liberte. "
La douleur de la memoire de Dink - qui a effraye beaucoup d'entre
nous et pour toujours - peut avoir ete cruciale a cette fin, mais
en transformant une " rupture personnelle de tabou " en une rupture
publique, Djemal a ouvert un trou dans le mur du negationnisme de
l'etat. Il a rompu l'un des barrages mentaux.
Cet exercice tout simple de la liberte d'expression, au bout d'un
certain temps, ouvrira la voie a la demarche qui convient. Il revient
aux individus de Turquie de faire de meme, et s'incliner devant leur
conscience. C'est peut-etre ce qui explique le silence qui a entoure
ce livre dans les quelques jours qui ont suivi sa publication. Il est
egalement très difficile a trouver dans les librairies. Il y a des
rumeurs selon lesquelles quelques reseaux se refusent a le vendre. C'
est possible, mais il ne peut plus a present ne pas etre publie.
Le genie est sorti de la lampe mais les fantômes du passe sont
aussi très vivants. Le " traitement par le silence " en est la
demonstration. S'il ne signifie pas autre chose, il traduit a quel
point la peur habite les gens. Non seulement l'etat doit demander
pardon pour le passe, mais un pardon peut-etre encore plus grand
est necessaire pour avoir instaure, decennies après decennies, une
interiorisation de masse du negationnisme dans ce pays.
Traduction Gilbert Beguian jeudi 20 septembre 2012,
Titre original:
Struma and 1915
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