Tresors preserves : la vie des Armeniens dans l'empire ottoman
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=67423
Publie le : 25-09-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
propose un article paru en anglais le 30 août sur Armenian Weekly et
traduit le 12 septembre 2012 par Georges Festa pour le site "Armenian
Trends - Mes Armenies".
Legende photo: (c) Vasken Khatchig Davidian, Susan Paul Pattie,
Gagik Stepan-Sarkissian ed., 2012
Armenian Trends - Mes Armenies
mercredi 12 septembre 2012
Treasured Objects : Armenian Life in the Ottoman Empire 100 Years
Ago [Tresors preserves : la vie des Armeniens dans l'empire ottoman,
il y a 100 ans]
Treasured Objects : des murmures venus de lointains foyers
par Nanore Barsoumian
The Armenian Weekly, 30.08.2012
En gravissant l'escalier en bois - pieds nus, comme il se doit - menant
au second etage du Sefik Gul Kultur Evi, la Maison de la Culture de
Kharpert (Harpout), je me tiens plus que jamais sur mes gardes :
un des objets historiques disposes sur les etagères et les tables
est destine a trahir ses actuels proprietaires. Je n'ai rien trouve
au premier etage. Un berceau de nourrisson, suspendu a hauteur du
menton au plafond en bois, m'invite dans une salle ensoleillee. Des
tapis au tissage recherche ornent les sols et les murs. Des canapes
a hauteur du genou affichent leur place contre le mur face a la porte.
Un plateau rond en argent trône au milieu de la pièce ; au-dessus,
des assiettes en argent, espacees de facon egale. Je soulève avec soin
chaque assiette, les tournant et les retournant dans mes mains pour
un examen plus precis, comme je l'ai fait dans la pièce voisine. Je la
decouvre finalement : l'inscription en armenien. 'Kurdlu Stepan 1287',
lit-on. Les caractères sont armeniens, les chiffres arabes. L'assiette
fut gravee en 1870, 140 ans avant que je ne pose mon regard sur elle.
Mes compagnons de voyage se rassemblent, contemplant cette assiette.
Les obturateurs des appareils photo font entendre leurs clics. Il
pleut lorsque nous regagnons notre van. Realisant que j'ai oublie mon
pull, je rentre a nouveau dans la demeure. Je me debarrasse de mes
chaussures et regagne la pièce. Je reprends mon pull et je me fige
devant l'assiette. > me dis-je.
L'assiette reste une assiette, silencieuse, mais rebelle... > murmure-je, puis je fais demi-tour et je me depeche de regagner
le van.
Une assiette ici, une inscription sur une maison, une eglise a demi
en ruines et une forteresse près de s'ecrouler parlent de ces temps
anciens , où les Armeniens prosperaient dans la region de Kharpert.
D'après les statistiques recueillies par Talaat Pacha, ministre
ottoman de l'Interieur et l'un des cerveaux du genocide armenien, 70
060 Armeniens vivaient en 1914 dans la province de Mamouret-ul-Aziz
(l'actuelle Elazig), où se trouve Kharpert ; en 1917, il ne restait
plus aucun Armenien dans ce vilayet (1). Ils avaient ete soit
massacres, soit deportes. Très peu, parmi les survivants, parvinrent
a rester en possession de leurs biens.
> ecrit Susan Pattie, la
directrice de l'Institut Armenien de Londres, qui a coedite Treasured
Objects : Armenian Life in the Ottoman Empire 100 Years Ago [Tresors
preserves : la vie des Armeniens dans l'empire ottoman, il y a 100 ans]
(Armenian Institute, 2012) avec Vasken Khatchig Davidian et Gaguik
Stepan-Sarkissian.
Cet ouvrage de 72 pages raconte les histoires de divers biens
armeniens, qui ont ete exposes a la Brunei Gallery de la School of
Oriental and African Studies, a Londres. Les productions presentees
comprennent des objets et des outils (moulins a cafe, passoire,
recipient alimentaire, narguile, machine a coudre, plateau de
backgammon), des photographies, des vetements et des tissus, des
trousseaux et des habits de mariage, des bijoux et de l'argenterie, des
objets personnels utilises dans les hammams ou aux bains (aspersoir,
socques de bains), objets religieux, documents (diplôme, titre de
propriete foncière, certificat de naissance, lettre de Victor Hugo
a son traducteur armenien), livres et ceramiques. Les photographies
des objets sont accompagnees de descriptions sur leur utilisation a
cette epoque, parfois avec les temoignages de leurs proprietaires.
precise le commentaire accompagnant la photographie
d'un magnifique tapis, avec un portrait, celui d'Omnig, rive sur lui.
Une assiette en cuivre, revetue d'etain, remontant a 1761-62,
servait dans l'eglise du village de Kamarek. Elle est actuellement
accrochee dans le bureau de Stepan Sarkissian. Un ami acheta cette
assiette, avec un aspersoir de bain (une cuvette, presentee elle
aussi dans l'ouvrage), dans un > en Turquie. > ecrit-il. >
> ajoute-t-il.
Une paire de ciseaux fait partie de mes biens les plus precieux. Ma
mère les acheta - ainsi qu'un recipient a eau, deux aspersoirs de
hammam (tous deux avec des noms et des dates graves : 1896, 1910),
ainsi que deux pièces de monnaie - provenant d'Asbed Donabedian,
antiquaire, ecrivain et enseignant a Beyrouth, aujourd'hui decede. Ces
ciseaux en argent, longs de quelque 28 centimètres, proviennent
de quelque part, en Cilicie. Mis a part leur conception simple,
ils ne comptent aucune marque. Maintes fois, je les ai examines
attentivement. On peut voir les marques que le forgeron a laisse
derrière, tandis qu'il les martelait pour les faconner. Tout ce que
je sais, c'est que ces ciseaux ont transite de la Cilicie a Beyrouth,
puis a Montreal et, finalement, au Massachusetts.
Poteries anciennes, photographies, documents, vetements, bijoux
et outils - lesquels evoluent autour de nous, parfois avec les
descendants des proprietaires originels, mais plus souvent avec de
nouveaux proprietaires, ou meme seuls. Ils changent de mains, et les
recits qui les entourent comptent de nouveaux chapitres. Ils nous
tiennent a coeur, car ils nous relient a des lieux et a une vie bien
differente de maintenant. Ils constituent les vestiges de ce qui fut
jadis un foyer, en un lieu et a une epoque eloignee.
Note
1. Sarafian, Ara. Talaat Pasha's Report on the Armenian Genocide.
London : Gomidas Institute, 2011.
[Titulaire d'un mastère en sciences politiques et en anglais de
l'Universite du Massachusetts (Boston), Nanore Barsoumian est
redactrice associee de The Armenian Weekly. Ses recherches portent
sur les droits de l'homme, la politique, les questions relatives a
la pauvrete, l'environnement et le genre. Elle parle armenien, arabe
et francais. Courriel : [email protected]. Twitter : @NanoreB.]
___________
Source : http://www.armenianweekly.com/2012/08/30/treasured-objects/
Traduction : (c) Georges Festa - 09.2012.
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Source/Lien : Armenian Trends - Mes Armenies
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=67423
Publie le : 25-09-2012
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
propose un article paru en anglais le 30 août sur Armenian Weekly et
traduit le 12 septembre 2012 par Georges Festa pour le site "Armenian
Trends - Mes Armenies".
Legende photo: (c) Vasken Khatchig Davidian, Susan Paul Pattie,
Gagik Stepan-Sarkissian ed., 2012
Armenian Trends - Mes Armenies
mercredi 12 septembre 2012
Treasured Objects : Armenian Life in the Ottoman Empire 100 Years
Ago [Tresors preserves : la vie des Armeniens dans l'empire ottoman,
il y a 100 ans]
Treasured Objects : des murmures venus de lointains foyers
par Nanore Barsoumian
The Armenian Weekly, 30.08.2012
En gravissant l'escalier en bois - pieds nus, comme il se doit - menant
au second etage du Sefik Gul Kultur Evi, la Maison de la Culture de
Kharpert (Harpout), je me tiens plus que jamais sur mes gardes :
un des objets historiques disposes sur les etagères et les tables
est destine a trahir ses actuels proprietaires. Je n'ai rien trouve
au premier etage. Un berceau de nourrisson, suspendu a hauteur du
menton au plafond en bois, m'invite dans une salle ensoleillee. Des
tapis au tissage recherche ornent les sols et les murs. Des canapes
a hauteur du genou affichent leur place contre le mur face a la porte.
Un plateau rond en argent trône au milieu de la pièce ; au-dessus,
des assiettes en argent, espacees de facon egale. Je soulève avec soin
chaque assiette, les tournant et les retournant dans mes mains pour
un examen plus precis, comme je l'ai fait dans la pièce voisine. Je la
decouvre finalement : l'inscription en armenien. 'Kurdlu Stepan 1287',
lit-on. Les caractères sont armeniens, les chiffres arabes. L'assiette
fut gravee en 1870, 140 ans avant que je ne pose mon regard sur elle.
Mes compagnons de voyage se rassemblent, contemplant cette assiette.
Les obturateurs des appareils photo font entendre leurs clics. Il
pleut lorsque nous regagnons notre van. Realisant que j'ai oublie mon
pull, je rentre a nouveau dans la demeure. Je me debarrasse de mes
chaussures et regagne la pièce. Je reprends mon pull et je me fige
devant l'assiette. > me dis-je.
L'assiette reste une assiette, silencieuse, mais rebelle... > murmure-je, puis je fais demi-tour et je me depeche de regagner
le van.
Une assiette ici, une inscription sur une maison, une eglise a demi
en ruines et une forteresse près de s'ecrouler parlent de ces temps
anciens , où les Armeniens prosperaient dans la region de Kharpert.
D'après les statistiques recueillies par Talaat Pacha, ministre
ottoman de l'Interieur et l'un des cerveaux du genocide armenien, 70
060 Armeniens vivaient en 1914 dans la province de Mamouret-ul-Aziz
(l'actuelle Elazig), où se trouve Kharpert ; en 1917, il ne restait
plus aucun Armenien dans ce vilayet (1). Ils avaient ete soit
massacres, soit deportes. Très peu, parmi les survivants, parvinrent
a rester en possession de leurs biens.
> ecrit Susan Pattie, la
directrice de l'Institut Armenien de Londres, qui a coedite Treasured
Objects : Armenian Life in the Ottoman Empire 100 Years Ago [Tresors
preserves : la vie des Armeniens dans l'empire ottoman, il y a 100 ans]
(Armenian Institute, 2012) avec Vasken Khatchig Davidian et Gaguik
Stepan-Sarkissian.
Cet ouvrage de 72 pages raconte les histoires de divers biens
armeniens, qui ont ete exposes a la Brunei Gallery de la School of
Oriental and African Studies, a Londres. Les productions presentees
comprennent des objets et des outils (moulins a cafe, passoire,
recipient alimentaire, narguile, machine a coudre, plateau de
backgammon), des photographies, des vetements et des tissus, des
trousseaux et des habits de mariage, des bijoux et de l'argenterie, des
objets personnels utilises dans les hammams ou aux bains (aspersoir,
socques de bains), objets religieux, documents (diplôme, titre de
propriete foncière, certificat de naissance, lettre de Victor Hugo
a son traducteur armenien), livres et ceramiques. Les photographies
des objets sont accompagnees de descriptions sur leur utilisation a
cette epoque, parfois avec les temoignages de leurs proprietaires.
precise le commentaire accompagnant la photographie
d'un magnifique tapis, avec un portrait, celui d'Omnig, rive sur lui.
Une assiette en cuivre, revetue d'etain, remontant a 1761-62,
servait dans l'eglise du village de Kamarek. Elle est actuellement
accrochee dans le bureau de Stepan Sarkissian. Un ami acheta cette
assiette, avec un aspersoir de bain (une cuvette, presentee elle
aussi dans l'ouvrage), dans un > en Turquie. > ecrit-il. >
> ajoute-t-il.
Une paire de ciseaux fait partie de mes biens les plus precieux. Ma
mère les acheta - ainsi qu'un recipient a eau, deux aspersoirs de
hammam (tous deux avec des noms et des dates graves : 1896, 1910),
ainsi que deux pièces de monnaie - provenant d'Asbed Donabedian,
antiquaire, ecrivain et enseignant a Beyrouth, aujourd'hui decede. Ces
ciseaux en argent, longs de quelque 28 centimètres, proviennent
de quelque part, en Cilicie. Mis a part leur conception simple,
ils ne comptent aucune marque. Maintes fois, je les ai examines
attentivement. On peut voir les marques que le forgeron a laisse
derrière, tandis qu'il les martelait pour les faconner. Tout ce que
je sais, c'est que ces ciseaux ont transite de la Cilicie a Beyrouth,
puis a Montreal et, finalement, au Massachusetts.
Poteries anciennes, photographies, documents, vetements, bijoux
et outils - lesquels evoluent autour de nous, parfois avec les
descendants des proprietaires originels, mais plus souvent avec de
nouveaux proprietaires, ou meme seuls. Ils changent de mains, et les
recits qui les entourent comptent de nouveaux chapitres. Ils nous
tiennent a coeur, car ils nous relient a des lieux et a une vie bien
differente de maintenant. Ils constituent les vestiges de ce qui fut
jadis un foyer, en un lieu et a une epoque eloignee.
Note
1. Sarafian, Ara. Talaat Pasha's Report on the Armenian Genocide.
London : Gomidas Institute, 2011.
[Titulaire d'un mastère en sciences politiques et en anglais de
l'Universite du Massachusetts (Boston), Nanore Barsoumian est
redactrice associee de The Armenian Weekly. Ses recherches portent
sur les droits de l'homme, la politique, les questions relatives a
la pauvrete, l'environnement et le genre. Elle parle armenien, arabe
et francais. Courriel : [email protected]. Twitter : @NanoreB.]
___________
Source : http://www.armenianweekly.com/2012/08/30/treasured-objects/
Traduction : (c) Georges Festa - 09.2012.
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