REVUE DE PRESSE
La République autodéterminée du Haut-Karabagh par Mihran Amtablian
Le mois écoulé a vu, coup sur coup, les visites faites à M. Laurent
Fabius des ministres des affaires étrangères de la République
d'Arménie le 24 juillet et de la République d'Azerbaïdjan le 30
juillet. Un point commun évoqué : la question du Haut-Karabagh. La
France est engagée dans la recherche d'une solution à ce différent en
tant que co-présidente du Groupe de Minsk, aux côtés de la Russie et
des Etats-Unis, créé à cet effet dans le cadre de l'OSCE.
Rappelons ce qu'est le Haut-Karabagh. Depuis plus d'un millénaire, une
terre peuplée d'Arméniens, berceau de résistance aux conflits qui
opposèrent longtemps Empire ottoman et Perse séfévide. Lors de la
soviétisation, Moscou attribue cette région d'Arménie à la République
Fédérée turcophone d'Azerbaïdjan, selon l'adage impérial du `diviser
pour régner`. Mais le pouvoir soviétique lui reconnait sa nature
arménienne et lui confère le statut de Région Autonome. Durant toute
la domination soviétique, les Arméniens du Haut-Karabagh n'ont cessé
de revendiquer leur rattachement à la République d'Arménie. En vain. A
la fin des années 1980, croyant dans la politique de glasnost de
Gorbatchev, les Arméniens du Haut-Karabagh entament, dans le cadre des
lois soviétiques, leur premier acte d'autodétermination : le 20
février 1988, le soviet de la Région Autonome vote son rattachement à
l'Arménie. D'immenses manifestations pacifiques ont lieu dans les deux
pays. La réponse de l'Azerbaïdjan est immédiatement violente : le 27
février 1988, commencent des massacres d'Arméniens à Soumgaït,
deuxième ville du pays, et en novembre à Kirovabad. L'AFP, reprise par
Le Monde du 08 mars 1988, traduit l'état d'esprit à Bakou en
rapportant les propos d'un jeune azéri :
`Jamais ils n'oseront nous prendre Karabakh. Sinon, ce sera la guerre,
et ils le savent. Nous serons soutenus par les Turcs et nos frères
d'Iran... maintenant chez nous, c'est déjà la guerre `
Le 12 janvier 1989, Moscou soustrait le gouvernement du Haut-Karabagh
à la tutelle azérie et administre directement la Région Autonome.
Suivront en Azerbaïdjan de nouveaux pogroms anti-arméniens en janvier
1990, à Bakou la capitale et à Kirovabad, faisant des centaines de
morts. Des milliers d'Arméniens sont évacués vers la Russie et
l'Arménie. Le 30 aout 1991, l'Azerbaïdjan proclame son indépendance de
l'URSS dans le cadre de la loi soviétique du 3 avril 1990. La Région
Autonome fait de même le 2 septembre 1991. Depuis le 12 janvier 1989,
plus jamais le Haut-Karabagh ne sera dirigé par Bakou. La guerre
imposées par les dirigeants azéris finira par la défaite de Bakou et
un cessez-le feu sera signé à Bichkek le 5 mai 1994 avec le chef des
forces armées du Haut-Karabagh.
Depuis plus de 20 ans, les Arméniens du Haut-Karabagh n'ont cessé de
construire dans la paix un véritable Etat selon les normes du droit
international. Quelles ont ces normes ? D'abord, avoir un territoire
délimité. C'est le cas : la dictatoriale URSS l'avait elle-même
reconnu et délimité à sa manière. Avoir une population qui exprime sa
volonté de vivre ensemble. C'est le cas : la population très
majoritairement arménienne a servi de base à la délimitation
territoriale et a manifesté constamment son enracinement. Ainsi, une
organisation étatique a été mise en place : gouvernement, parlement,
élections libres. Libérée de la discrimination turque-azérie, la vie
politique n'a cessé depuis de se développer selon les normes
démocratiques. Depuis 1995, quatre élections législatives et trois
élections présidentielles ont eu lieu. La République détient une
constitution démocratique adoptée par référendum le 10 décembre 2006.
L'Azerbaïdjan rejette évidemment ces développements, argue de
l'atteinte à son intégrité territoriale et rejette tout droit à
l'autodétermination du peuple du Haut-Karabagh. Or, il se trouve qu'en
droit international, le droit à l'autodétermination est une règle
supérieure, erga omnès, à celle de l'intégrité territoriale des Etats
comme l'a démontré le juriste Gérard Guerguérian dans son dernier
ouvrage `Les différends arméno-turcs ou la quête de justice au regard
des principes du droit international`. On peut alors s'étonner que la
communauté internationale n'arrive pas à respecter son propre droit,
et s'ingénie à qualifier cette République `d'autoproclamée`. De façon
constante, les puissances, dont la France rappelle le respect du
principe de l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan. Le pétrole de
Bakou, le poids de la Turquie pèsent sans doute plus lourd dans la
balance des rapports de force que le respect du droit international et
la reconnaissance de la République `autodéterminée` du Haut-Karabagh.
Le 19 juillet 2012, le Haut-Karabagh vient d'élire Bako Sahakian
Président de la République. Le Groupe de Minsk a fait le lendemain la
déclaration suivante : `Les co-présidents reconnaissent la nécessité
pour les autorités de fait du Haut-Karabagh d'essayer d'organiser la
vie publique de leur population`. Le principe d'intégrité territoriale
n'y est pas mentionné. Au fond, la vraie question est bien la
reconnaissance de l'autodétermination du Haut-Karabagh dont le
communiqué du Groupe de Minsk de l'OSCE accepte la réalité et la
légitimité à demi-mots.
Et la France, en tant que France ?
A une question écrite (QE 95350) du député socialiste Jean Paul Dupré,
Alain Juppé, ministre des Affaires Etrangères répond le 12 avril 2011
que la France entend `... faire émerger une solution politique
équilibrée et négociée à ce conflit sur la base des principes et des
normes du droit international, de la charte des Nations unies et des
principes de l'acte final d'Helsinki de non-usage de la force ou de sa
menace, d'intégrité territoriale et d'égalité des droits des peuples
et d'autodétermination`. L'ennui de cette réponse tient dans la
concurrence sans issue, des deux principes : intégrité territoriale et
autodétermination. Nous avons vu que l'autodétermination est erga
omnès, supérieure en droit au premier. Encore faut-il faire le choix
politique de l'appliquer.
Il faudrait que le Président Hollande et son ministre Laurent Fabius
se clarifient. L'arrêt de la Cour Internationale de Justice validant
l'autodétermination du Kosovo devrait les aider à sortir du flou au
profit d'un choix clair. Sauf à tacitement encourager une issue par la
guerre que le Président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliev, ne cesse de
préparer et dont il brandit la menace avec une constance inquiétante.
Sans les protestations de quiconque.
http://www.huffingtonpost.fr/mihran-amtablian/haut-karabagh-laurent-fabius_b_1870994.html
samedi 29 septembre 2012,
Stéphane ©armenews.com
La République autodéterminée du Haut-Karabagh par Mihran Amtablian
Le mois écoulé a vu, coup sur coup, les visites faites à M. Laurent
Fabius des ministres des affaires étrangères de la République
d'Arménie le 24 juillet et de la République d'Azerbaïdjan le 30
juillet. Un point commun évoqué : la question du Haut-Karabagh. La
France est engagée dans la recherche d'une solution à ce différent en
tant que co-présidente du Groupe de Minsk, aux côtés de la Russie et
des Etats-Unis, créé à cet effet dans le cadre de l'OSCE.
Rappelons ce qu'est le Haut-Karabagh. Depuis plus d'un millénaire, une
terre peuplée d'Arméniens, berceau de résistance aux conflits qui
opposèrent longtemps Empire ottoman et Perse séfévide. Lors de la
soviétisation, Moscou attribue cette région d'Arménie à la République
Fédérée turcophone d'Azerbaïdjan, selon l'adage impérial du `diviser
pour régner`. Mais le pouvoir soviétique lui reconnait sa nature
arménienne et lui confère le statut de Région Autonome. Durant toute
la domination soviétique, les Arméniens du Haut-Karabagh n'ont cessé
de revendiquer leur rattachement à la République d'Arménie. En vain. A
la fin des années 1980, croyant dans la politique de glasnost de
Gorbatchev, les Arméniens du Haut-Karabagh entament, dans le cadre des
lois soviétiques, leur premier acte d'autodétermination : le 20
février 1988, le soviet de la Région Autonome vote son rattachement à
l'Arménie. D'immenses manifestations pacifiques ont lieu dans les deux
pays. La réponse de l'Azerbaïdjan est immédiatement violente : le 27
février 1988, commencent des massacres d'Arméniens à Soumgaït,
deuxième ville du pays, et en novembre à Kirovabad. L'AFP, reprise par
Le Monde du 08 mars 1988, traduit l'état d'esprit à Bakou en
rapportant les propos d'un jeune azéri :
`Jamais ils n'oseront nous prendre Karabakh. Sinon, ce sera la guerre,
et ils le savent. Nous serons soutenus par les Turcs et nos frères
d'Iran... maintenant chez nous, c'est déjà la guerre `
Le 12 janvier 1989, Moscou soustrait le gouvernement du Haut-Karabagh
à la tutelle azérie et administre directement la Région Autonome.
Suivront en Azerbaïdjan de nouveaux pogroms anti-arméniens en janvier
1990, à Bakou la capitale et à Kirovabad, faisant des centaines de
morts. Des milliers d'Arméniens sont évacués vers la Russie et
l'Arménie. Le 30 aout 1991, l'Azerbaïdjan proclame son indépendance de
l'URSS dans le cadre de la loi soviétique du 3 avril 1990. La Région
Autonome fait de même le 2 septembre 1991. Depuis le 12 janvier 1989,
plus jamais le Haut-Karabagh ne sera dirigé par Bakou. La guerre
imposées par les dirigeants azéris finira par la défaite de Bakou et
un cessez-le feu sera signé à Bichkek le 5 mai 1994 avec le chef des
forces armées du Haut-Karabagh.
Depuis plus de 20 ans, les Arméniens du Haut-Karabagh n'ont cessé de
construire dans la paix un véritable Etat selon les normes du droit
international. Quelles ont ces normes ? D'abord, avoir un territoire
délimité. C'est le cas : la dictatoriale URSS l'avait elle-même
reconnu et délimité à sa manière. Avoir une population qui exprime sa
volonté de vivre ensemble. C'est le cas : la population très
majoritairement arménienne a servi de base à la délimitation
territoriale et a manifesté constamment son enracinement. Ainsi, une
organisation étatique a été mise en place : gouvernement, parlement,
élections libres. Libérée de la discrimination turque-azérie, la vie
politique n'a cessé depuis de se développer selon les normes
démocratiques. Depuis 1995, quatre élections législatives et trois
élections présidentielles ont eu lieu. La République détient une
constitution démocratique adoptée par référendum le 10 décembre 2006.
L'Azerbaïdjan rejette évidemment ces développements, argue de
l'atteinte à son intégrité territoriale et rejette tout droit à
l'autodétermination du peuple du Haut-Karabagh. Or, il se trouve qu'en
droit international, le droit à l'autodétermination est une règle
supérieure, erga omnès, à celle de l'intégrité territoriale des Etats
comme l'a démontré le juriste Gérard Guerguérian dans son dernier
ouvrage `Les différends arméno-turcs ou la quête de justice au regard
des principes du droit international`. On peut alors s'étonner que la
communauté internationale n'arrive pas à respecter son propre droit,
et s'ingénie à qualifier cette République `d'autoproclamée`. De façon
constante, les puissances, dont la France rappelle le respect du
principe de l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan. Le pétrole de
Bakou, le poids de la Turquie pèsent sans doute plus lourd dans la
balance des rapports de force que le respect du droit international et
la reconnaissance de la République `autodéterminée` du Haut-Karabagh.
Le 19 juillet 2012, le Haut-Karabagh vient d'élire Bako Sahakian
Président de la République. Le Groupe de Minsk a fait le lendemain la
déclaration suivante : `Les co-présidents reconnaissent la nécessité
pour les autorités de fait du Haut-Karabagh d'essayer d'organiser la
vie publique de leur population`. Le principe d'intégrité territoriale
n'y est pas mentionné. Au fond, la vraie question est bien la
reconnaissance de l'autodétermination du Haut-Karabagh dont le
communiqué du Groupe de Minsk de l'OSCE accepte la réalité et la
légitimité à demi-mots.
Et la France, en tant que France ?
A une question écrite (QE 95350) du député socialiste Jean Paul Dupré,
Alain Juppé, ministre des Affaires Etrangères répond le 12 avril 2011
que la France entend `... faire émerger une solution politique
équilibrée et négociée à ce conflit sur la base des principes et des
normes du droit international, de la charte des Nations unies et des
principes de l'acte final d'Helsinki de non-usage de la force ou de sa
menace, d'intégrité territoriale et d'égalité des droits des peuples
et d'autodétermination`. L'ennui de cette réponse tient dans la
concurrence sans issue, des deux principes : intégrité territoriale et
autodétermination. Nous avons vu que l'autodétermination est erga
omnès, supérieure en droit au premier. Encore faut-il faire le choix
politique de l'appliquer.
Il faudrait que le Président Hollande et son ministre Laurent Fabius
se clarifient. L'arrêt de la Cour Internationale de Justice validant
l'autodétermination du Kosovo devrait les aider à sortir du flou au
profit d'un choix clair. Sauf à tacitement encourager une issue par la
guerre que le Président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliev, ne cesse de
préparer et dont il brandit la menace avec une constance inquiétante.
Sans les protestations de quiconque.
http://www.huffingtonpost.fr/mihran-amtablian/haut-karabagh-laurent-fabius_b_1870994.html
samedi 29 septembre 2012,
Stéphane ©armenews.com