Vient de paraître
« Maudits soient-ils ! », de J.V Der Mardirossian
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=88913
« Ils », ce sont les Turcs musulmans ; la malédiction porte sur ce
qu'ils ont fait aux Arméniens chrétiens vivant en Turquie de 1915 à
1918 : le premier génocide en Europe, avec la complicité des Allemands
du IIe Reich, l'indifférence égoïste des Anglais et la Révolution
russe malencontreusement survenue en 1917.
L'auteur est le petit-fils de rescapés du massacre planifié, organisé
et mené jusqu'au bout sans faillir par les élites turques. Un temps
devenues laïques sous Mustapha Kémal, ces élites ont nié cette tache
sur leur réputation. Redevenues musulmanes version rigoriste, ces
mêmes élites aujourd'hui continuent de nier pour la galerie, en se
félicitant en sous-main d'avoir éliminé les mécréants dans un djihad
pour Allah. Non, décidément, la Turquie ne saurait avoir sa place en
Europe. Sa civilisation est trop loin de la nôtre.
Bien entendu, ce livre est un roman familial, pas une `uvre
d'historien. Il s'appuie sur les souvenirs d'Anna la grand-mère et de
sa fille, la mère de l'auteur, immigrées en France en 1936 après avoir
survécu aux marches de la mort dans les déserts de Mésopotamie. Mais
ce cri plein d'émotion fait revivre une part de l'histoire réelle,
largement ignorée ou passée sous silence.
Je suis allé en Arménie contemporaine, lambeau du territoire arménien
de jadis ; j'ai vu combien la mémoire pouvait rester forte sur cette
tentative d'extermination de tout un peuple. Il n'y a pas que les
Juifs à pleurer, bien qu'ils soient mieux introduits auprès des médias
et plus actifs dans la recherche universitaire. On dirait les
Chrétiens honteux de défendre les leurs, hier en Turquie arménienne
comme aujourd'hui en Égypte copte. Pourquoi ? 1915 : « Vivement
conseillé par Von Sanders, le chef d'état-major allemand établi à
Istanbul, il convient à l'allié turc de proclamer la guerre sainte. Un
fait religieux que l'on croit de grande importance, afin de semer la
discorde dans les rangs des compagnies combattantes levées dans les
colonnes nord-africaines de France, ainsi que dans les peuples
musulmans englobés dans l'empire britannique. Profitant de cette
audacieuse aubaine, les sommités turques s'empressent de les
satisfaire pour leur propre compte. Le 23 novembre, à peine plus de
deux semaines après la débcle [turque] de Sarikamich [1914], le
sultan, commandeur des croyants, détenteur de l'autorité, et le grand
mufti, tous deux en grand apparat dans la mosquée bleue de Stanboul
pleine à craquer, devant une assemblée de mollahs venus de tout
l'empire, proclament ensemble la guerre sainte » p.79.
Parmi les causes du génocide, on distingue donc la guerre de 14,
l'alliance turco-allemande, le cynisme de la guerre « sainte » pour
mobiliser une cinquième colonne contre les Alliés, la peur de la
minorité chrétienne dans l'empire, validant l'appel licite au butin et
aux viols pour cette sous-humanité dhimmi, la légitimité de Dieu,
enfin ce rêve géopolitique de continuité territoriale entre tous les
peuples pantouraniens (de langue apparentée turque). L'enclave
arménienne en plein milieu fait tache ; autant l'extirper en profitant
du désordre.
Tous les soldats chrétiens mobilisés en Turquie sont désarmés, 375 000
hommes dit l'auteur ; ils sont affectés à des tches annexes avant
d'être, à mesure que progresse la guerre, progressivement éliminés.
Intellectuels et artistes de Constantinople sont raflés, déportés en
camps, leurs biens confisqués, préfigurant le sort des Juifs une
guerre plus tard. Dans les villages agricoles à l'existence
traditionnelle règne une fatalité. Les prêtres prêchent la
résignation, sur l'exemple du Christ subissant sa Passion. Rares sont
les hommes à fuir la mobilisation pour rejoindre l'armée russe.
Femmes, vieillards et enfants sont emmenés dans des marches sans fin
pour qu'ils meurent en chemin sans que cela ait l'air d'un massacre de
masse. La guerre mondiale permet l'impunité du nettoyage ethnique.
L'après-guerre, avec le surgissement des Bolcheviks en Russie, va
laisser la Turquie entériner ses avancées territoriales : tout plutôt
que l'accès soviétique aux mers chaudes !
Le livre commence par la vie traditionnelle en Arménie heureuse,
malgré les pogroms turcs sporadiques, l'opulence du village agricole ;
il se poursuit par les interrogations sur la guerre et la haine des
Turcs ; s'achève par le récit croisé d'une mère déportée avec ses
trois enfants qui résiste à la mort (devant même vendre le garçon
comme esclave à un Turc pour qu'au moins il vive), et les combats du
père, engagé dans l'armée russe. Malgré de nombreuses fautes d'accords
et de ponctuation, il se lit bien.
Qui ne connait rien au calvaire arménien et à cette mémoire oubliée
d'une importante communauté aujourd'hui intégrée en France lira avec
profit ce livre, en complément d'un historien. J'aime bien un peu de
passion ; cela met de la chair à l'histoire.
Der Mardirossian, Maudits soient-ils ! 2013, éditions Baudelaire, 182
pages, 16.15
dimanche 21 avril 2013,
Jean Eckian ©armenews.com
From: A. Papazian
« Maudits soient-ils ! », de J.V Der Mardirossian
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=88913
« Ils », ce sont les Turcs musulmans ; la malédiction porte sur ce
qu'ils ont fait aux Arméniens chrétiens vivant en Turquie de 1915 à
1918 : le premier génocide en Europe, avec la complicité des Allemands
du IIe Reich, l'indifférence égoïste des Anglais et la Révolution
russe malencontreusement survenue en 1917.
L'auteur est le petit-fils de rescapés du massacre planifié, organisé
et mené jusqu'au bout sans faillir par les élites turques. Un temps
devenues laïques sous Mustapha Kémal, ces élites ont nié cette tache
sur leur réputation. Redevenues musulmanes version rigoriste, ces
mêmes élites aujourd'hui continuent de nier pour la galerie, en se
félicitant en sous-main d'avoir éliminé les mécréants dans un djihad
pour Allah. Non, décidément, la Turquie ne saurait avoir sa place en
Europe. Sa civilisation est trop loin de la nôtre.
Bien entendu, ce livre est un roman familial, pas une `uvre
d'historien. Il s'appuie sur les souvenirs d'Anna la grand-mère et de
sa fille, la mère de l'auteur, immigrées en France en 1936 après avoir
survécu aux marches de la mort dans les déserts de Mésopotamie. Mais
ce cri plein d'émotion fait revivre une part de l'histoire réelle,
largement ignorée ou passée sous silence.
Je suis allé en Arménie contemporaine, lambeau du territoire arménien
de jadis ; j'ai vu combien la mémoire pouvait rester forte sur cette
tentative d'extermination de tout un peuple. Il n'y a pas que les
Juifs à pleurer, bien qu'ils soient mieux introduits auprès des médias
et plus actifs dans la recherche universitaire. On dirait les
Chrétiens honteux de défendre les leurs, hier en Turquie arménienne
comme aujourd'hui en Égypte copte. Pourquoi ? 1915 : « Vivement
conseillé par Von Sanders, le chef d'état-major allemand établi à
Istanbul, il convient à l'allié turc de proclamer la guerre sainte. Un
fait religieux que l'on croit de grande importance, afin de semer la
discorde dans les rangs des compagnies combattantes levées dans les
colonnes nord-africaines de France, ainsi que dans les peuples
musulmans englobés dans l'empire britannique. Profitant de cette
audacieuse aubaine, les sommités turques s'empressent de les
satisfaire pour leur propre compte. Le 23 novembre, à peine plus de
deux semaines après la débcle [turque] de Sarikamich [1914], le
sultan, commandeur des croyants, détenteur de l'autorité, et le grand
mufti, tous deux en grand apparat dans la mosquée bleue de Stanboul
pleine à craquer, devant une assemblée de mollahs venus de tout
l'empire, proclament ensemble la guerre sainte » p.79.
Parmi les causes du génocide, on distingue donc la guerre de 14,
l'alliance turco-allemande, le cynisme de la guerre « sainte » pour
mobiliser une cinquième colonne contre les Alliés, la peur de la
minorité chrétienne dans l'empire, validant l'appel licite au butin et
aux viols pour cette sous-humanité dhimmi, la légitimité de Dieu,
enfin ce rêve géopolitique de continuité territoriale entre tous les
peuples pantouraniens (de langue apparentée turque). L'enclave
arménienne en plein milieu fait tache ; autant l'extirper en profitant
du désordre.
Tous les soldats chrétiens mobilisés en Turquie sont désarmés, 375 000
hommes dit l'auteur ; ils sont affectés à des tches annexes avant
d'être, à mesure que progresse la guerre, progressivement éliminés.
Intellectuels et artistes de Constantinople sont raflés, déportés en
camps, leurs biens confisqués, préfigurant le sort des Juifs une
guerre plus tard. Dans les villages agricoles à l'existence
traditionnelle règne une fatalité. Les prêtres prêchent la
résignation, sur l'exemple du Christ subissant sa Passion. Rares sont
les hommes à fuir la mobilisation pour rejoindre l'armée russe.
Femmes, vieillards et enfants sont emmenés dans des marches sans fin
pour qu'ils meurent en chemin sans que cela ait l'air d'un massacre de
masse. La guerre mondiale permet l'impunité du nettoyage ethnique.
L'après-guerre, avec le surgissement des Bolcheviks en Russie, va
laisser la Turquie entériner ses avancées territoriales : tout plutôt
que l'accès soviétique aux mers chaudes !
Le livre commence par la vie traditionnelle en Arménie heureuse,
malgré les pogroms turcs sporadiques, l'opulence du village agricole ;
il se poursuit par les interrogations sur la guerre et la haine des
Turcs ; s'achève par le récit croisé d'une mère déportée avec ses
trois enfants qui résiste à la mort (devant même vendre le garçon
comme esclave à un Turc pour qu'au moins il vive), et les combats du
père, engagé dans l'armée russe. Malgré de nombreuses fautes d'accords
et de ponctuation, il se lit bien.
Qui ne connait rien au calvaire arménien et à cette mémoire oubliée
d'une importante communauté aujourd'hui intégrée en France lira avec
profit ce livre, en complément d'un historien. J'aime bien un peu de
passion ; cela met de la chair à l'histoire.
Der Mardirossian, Maudits soient-ils ! 2013, éditions Baudelaire, 182
pages, 16.15
dimanche 21 avril 2013,
Jean Eckian ©armenews.com
From: A. Papazian