REVUE DE PRESSE
Pourquoi le négationnisme ?
Par Serge GÉLALIAN
Des progrès notoires ont lieu en Turquie ces derniers temps. Le
gouvernement turc négocie avec le PKK, son ennemi acharné ; il a
avalisé une loi régulant l'immigration et le droit d'asile ; le
Premier ministre souhaite établir un système politique décentralisé ;
les femmes voilées apparaissent de plus en plus au travail, à
l'université, dans les professions libérales. L'armée n'a plus voix au
chapitre. La Turquie tourne le dos à Atatürk. La Turquie veut
restituer son rôle perdu au début de la Première Guerre mondiale
(Ahmet Davutoðlu parle de néo-ottomanisme ; nous dirions plutôt
néo-ottomanie). La Turquie continue de nier le génocide arménien.
Pourquoi cela, alors que des voix turques se font entendre sur ce
sujet depuis quelques années ? Pourquoi le génocide arménien n'est-il
pas reconnu par la Turquie actuelle, du moment que cette république
est en principe fondée sur le rejet de l'Empire ottoman ? Signalons
ici que la Turquie a poursuivi le principe du génocide jusque
dernièrement dans son combat avec les Kurdes. Entre-temps et depuis
l'avènement d'Atatürk, tout ce qui n'était pas pur Turc a été éliminé
: mis à part les Arméniens, ce sont les Grecs, les Assyriens et tous
les autres chrétiens qui ont été annihilés selon le principe « La
Turquie aux seuls Turcs ». Même les Kurdes y ont eu droit alors même
que des troupes kurdes (le bataillon Hamidiyé) avaient participé aux
massacres de 1915, mais surtout deux décennies plus tôt entre 1894 et
1896 sur le plateau anatolien, du temps de Abdul Hamid II. Écartons le
fait que la Turquie ne souhaite pas du tout entendre parler de
dédommagements aux Arméniens suite aux biens considérables qu'elle
leur a confisqués durant cette période du début du XXe siècle pour sa
guerre d'indépendance. Car le gros du financement de cette guerre
d'indépendance provenait des biens et argent saisis aux Arméniens
durant le génocide. Écartons aussi le fait que le mot « excuse » ne
figure pas dans le lexique turc, ce qui est normal vu que les Turcs
actuels sont en quelque sorte les héritiers des Ottomans eux-mêmes
héritiers des Seldjoukides eux-mêmes cousins d'Attila et de
Timour-Lenk dont on connaît les hauts faits pour l'humanité. Écartons
enfin le fait qu'il y ait une continuité entre la période ottomane et
la Turquie laïque d'Atatürk car des Ottomans ayant participé au
génocide ont fait partie de l'élite politique et administrative du
nouveau régime républicain, comme par exemple Ali Cenani bey (ministre
de l'Industrie). Moustafa Kemal a fermé les yeux sur leur passé comme
il avait fermé les yeux sur le génocide alors qu'il était engagé sur
le front de Gallipoli. Cela l'arrangeait en un sens parce que ce
génocide servait son idéologie de la race turque pure. N'oublions pas
non plus qu'il avait voulu épurer la langue turque des souillures
étrangères, arabes et persanes notamment. Alors pourquoi le génocide
arménien demeure-t-il tabou en Turquie ? Pourquoi le simple fait de le
mentionner rend les Turcs furieux ? Il semble qu'il y aurait une
raison : l'ampleur des Turcs de souche arménienne, les
crypto-Arméniens. Ils seraient des millions, selon une série
d'historiens cités par le chercheur Bared Manok, mis à part les
Arméniens du Hamchen qui se réduisent de plus en plus. Déjà, dès le
règne de Abdul Hamid II, les Arméniens étaient massacrés et leurs
enfants islamisés et turquisés de force. Cette islamisation s'est
poursuivie et a connu un pic durant le génocide soit parce que des
rescapés avaient été sauvés par des Kurdes et s'étaient convertis pour
échapper aux massacres, soit parce que des femmes et des jeunes filles
avaient été enlevées, violées, violentées par les bourreaux puis
intégrées de force dans des familles turques. Leurs descendants sont
actuellement des Turcs d'origine arménienne. Certains le découvrent
maintenant et tentent de remonter leur arbre généalogique. Quand ils y
parviennent, ils se convertissent au christianisme et vivent leur
arménité. Cela ne va pas sans des tiraillements et autres grincements
de dents au sein de leurs familles. Il est donc probable que les
gouvernements turcs qui se sont succédé depuis la naissance de la
république craignent des remous considérables au sein de la société
turque du fait de l'origine arménienne d'un pan important de la
société turque. Cela porterait un coup dur à l'idéologie de la race
turque, surtout s'il faudra dévoiler les archives ottomanes. Il ne
faut pas se leurrer, les gouvernements turcs ne reconnaîtront pas le
génocide arménien de sitôt. Le gouvernement actuel a déjà entamé une
vaste campagne de dénigrement à l'approche du centenaire du génocide
(24 avril 2015). Il contacte même des écrivains arméniens « modérés »
pour écrire des articles minimisant le génocide. Grce à ses puissants
lobbies, il fait pression tous azimuts pour que le génocide ne soit
pas célébré dans certains pays allant même jusqu'à les menacer de
sanctions économiques. À l'intérieur, il n'hésite pas à abuser de
l'article 301 de son code pénal pour incriminer les briseurs du tabou.
Ainsi, en juillet 2012, il instruit un procès contre l'éditeur Rajip
Zarakolu, premier Turc à avoir osé défier le tabou arménien dans son
pays en publiant des livres sur le génocide arménien. Taner Akçam,
sociologue et historien turc, professeur au Centre d'études de
l'Holocauste et des génocides à l'Université Clarke (Minnesota) aux
États-Unis, a écrit un livre sur le génocide qui lui a valu de
nombreuses menaces en Turquie. Selon lui, la négation du génocide est
une industrie en Turquie. Les actes négationnistes des Turcs ne
s'arrêteront donc pas de sitôt. Que peut-on donc attendre d'un pays
qui fait des mains et des pieds pour étouffer une tranche de son passé
?
http://www.lorientlejour.com/article/811523/pourquoi-le-negationnisme-.html
samedi 27 avril 2013,
Stéphane ©armenews.com
Pourquoi le négationnisme ?
Par Serge GÉLALIAN
Des progrès notoires ont lieu en Turquie ces derniers temps. Le
gouvernement turc négocie avec le PKK, son ennemi acharné ; il a
avalisé une loi régulant l'immigration et le droit d'asile ; le
Premier ministre souhaite établir un système politique décentralisé ;
les femmes voilées apparaissent de plus en plus au travail, à
l'université, dans les professions libérales. L'armée n'a plus voix au
chapitre. La Turquie tourne le dos à Atatürk. La Turquie veut
restituer son rôle perdu au début de la Première Guerre mondiale
(Ahmet Davutoðlu parle de néo-ottomanisme ; nous dirions plutôt
néo-ottomanie). La Turquie continue de nier le génocide arménien.
Pourquoi cela, alors que des voix turques se font entendre sur ce
sujet depuis quelques années ? Pourquoi le génocide arménien n'est-il
pas reconnu par la Turquie actuelle, du moment que cette république
est en principe fondée sur le rejet de l'Empire ottoman ? Signalons
ici que la Turquie a poursuivi le principe du génocide jusque
dernièrement dans son combat avec les Kurdes. Entre-temps et depuis
l'avènement d'Atatürk, tout ce qui n'était pas pur Turc a été éliminé
: mis à part les Arméniens, ce sont les Grecs, les Assyriens et tous
les autres chrétiens qui ont été annihilés selon le principe « La
Turquie aux seuls Turcs ». Même les Kurdes y ont eu droit alors même
que des troupes kurdes (le bataillon Hamidiyé) avaient participé aux
massacres de 1915, mais surtout deux décennies plus tôt entre 1894 et
1896 sur le plateau anatolien, du temps de Abdul Hamid II. Écartons le
fait que la Turquie ne souhaite pas du tout entendre parler de
dédommagements aux Arméniens suite aux biens considérables qu'elle
leur a confisqués durant cette période du début du XXe siècle pour sa
guerre d'indépendance. Car le gros du financement de cette guerre
d'indépendance provenait des biens et argent saisis aux Arméniens
durant le génocide. Écartons aussi le fait que le mot « excuse » ne
figure pas dans le lexique turc, ce qui est normal vu que les Turcs
actuels sont en quelque sorte les héritiers des Ottomans eux-mêmes
héritiers des Seldjoukides eux-mêmes cousins d'Attila et de
Timour-Lenk dont on connaît les hauts faits pour l'humanité. Écartons
enfin le fait qu'il y ait une continuité entre la période ottomane et
la Turquie laïque d'Atatürk car des Ottomans ayant participé au
génocide ont fait partie de l'élite politique et administrative du
nouveau régime républicain, comme par exemple Ali Cenani bey (ministre
de l'Industrie). Moustafa Kemal a fermé les yeux sur leur passé comme
il avait fermé les yeux sur le génocide alors qu'il était engagé sur
le front de Gallipoli. Cela l'arrangeait en un sens parce que ce
génocide servait son idéologie de la race turque pure. N'oublions pas
non plus qu'il avait voulu épurer la langue turque des souillures
étrangères, arabes et persanes notamment. Alors pourquoi le génocide
arménien demeure-t-il tabou en Turquie ? Pourquoi le simple fait de le
mentionner rend les Turcs furieux ? Il semble qu'il y aurait une
raison : l'ampleur des Turcs de souche arménienne, les
crypto-Arméniens. Ils seraient des millions, selon une série
d'historiens cités par le chercheur Bared Manok, mis à part les
Arméniens du Hamchen qui se réduisent de plus en plus. Déjà, dès le
règne de Abdul Hamid II, les Arméniens étaient massacrés et leurs
enfants islamisés et turquisés de force. Cette islamisation s'est
poursuivie et a connu un pic durant le génocide soit parce que des
rescapés avaient été sauvés par des Kurdes et s'étaient convertis pour
échapper aux massacres, soit parce que des femmes et des jeunes filles
avaient été enlevées, violées, violentées par les bourreaux puis
intégrées de force dans des familles turques. Leurs descendants sont
actuellement des Turcs d'origine arménienne. Certains le découvrent
maintenant et tentent de remonter leur arbre généalogique. Quand ils y
parviennent, ils se convertissent au christianisme et vivent leur
arménité. Cela ne va pas sans des tiraillements et autres grincements
de dents au sein de leurs familles. Il est donc probable que les
gouvernements turcs qui se sont succédé depuis la naissance de la
république craignent des remous considérables au sein de la société
turque du fait de l'origine arménienne d'un pan important de la
société turque. Cela porterait un coup dur à l'idéologie de la race
turque, surtout s'il faudra dévoiler les archives ottomanes. Il ne
faut pas se leurrer, les gouvernements turcs ne reconnaîtront pas le
génocide arménien de sitôt. Le gouvernement actuel a déjà entamé une
vaste campagne de dénigrement à l'approche du centenaire du génocide
(24 avril 2015). Il contacte même des écrivains arméniens « modérés »
pour écrire des articles minimisant le génocide. Grce à ses puissants
lobbies, il fait pression tous azimuts pour que le génocide ne soit
pas célébré dans certains pays allant même jusqu'à les menacer de
sanctions économiques. À l'intérieur, il n'hésite pas à abuser de
l'article 301 de son code pénal pour incriminer les briseurs du tabou.
Ainsi, en juillet 2012, il instruit un procès contre l'éditeur Rajip
Zarakolu, premier Turc à avoir osé défier le tabou arménien dans son
pays en publiant des livres sur le génocide arménien. Taner Akçam,
sociologue et historien turc, professeur au Centre d'études de
l'Holocauste et des génocides à l'Université Clarke (Minnesota) aux
États-Unis, a écrit un livre sur le génocide qui lui a valu de
nombreuses menaces en Turquie. Selon lui, la négation du génocide est
une industrie en Turquie. Les actes négationnistes des Turcs ne
s'arrêteront donc pas de sitôt. Que peut-on donc attendre d'un pays
qui fait des mains et des pieds pour étouffer une tranche de son passé
?
http://www.lorientlejour.com/article/811523/pourquoi-le-negationnisme-.html
samedi 27 avril 2013,
Stéphane ©armenews.com