KURDISTAN DE TURQUIE : LA DéMOCRATIE LOCALE PAIE UN LOURD TRIBUT A L'ETAT
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=74760
Publié le : 02-08-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire cet article publié sur le site des Amitiés kurdes de
Bretagne le 1er aoÃ"t 2013.
Photos : F. Legeait
Au Kurdistan de Turquie, la démocratie locale est active mais paie
un lourd tribut a l'Etat
jeudi 1er aoÃ"t 2013 par Amitiés kurdes de Bretagne
La délégation des Amitiés kurdes de Bretagne (AKB) conduite par
sa Vice-présidente Marie-Brigitte Duigou, qui s'est rendue en avril
2013 au Kurdistan septentrional (Kurdistan de Turquie), a été
marquée par les différentes rencontres, certaines imprévues,
d'autres envisagées, d'autres encore soigneusement préparées. Le
secret de la réussite d'une telle mission (échanges d'informations,
témoignages de solidarité, conception et réalisation de projets
de coopération) est de pouvoir compter sur de nombreux amis (de
"l'intérieur" et de "l'extérieur") d'avoir un fil conducteur et de
saisir les opportunités qui se présentent. Les rencontres avec des
maires kurdes comptent évidemment parmi les moments les plus intenses,
car les maires, souvent élus avec plus de 80% des voix, sont les
représentants d'une démocratie locale et active qui paient un lourd
tribut a un Ã~Itat centralisateur dirigé par un premier ministre
autocrate et son parti islamo-conservateur AKP. Nombre d'entre eux
sont détenus, certains depuis de longs mois, d'autre sont la cible
de multiples procès, certains même ont été victimes de mesures
administratives et destitués.
La délégation a pu rencontrer cinq d'entre eux, assez représentatifs
de la diversité des situations mais tous en butte a des tracasseries
administratives et judiciaires visant a décrédibiliser leur action.
- Osman Baydemir, maire métropolitain de Diyarbakir - un million
d'habitants, "capitale" politique et culturelle des Kurdes de
Turquie - connu et respecté sur le plan international, en butte a de
nombreux procès, en liberté conditionnelle et assigné a résidence
(l'interdiction de quitter le territoire turc a été levé le 1
avril dernier).
- Abdullah Demirbas, maire de Sur, arrondissement-centre de
Diyarbarkir, arrêté, détenu durant 5 mois, et libéré pour
raisons médicales.
- Fadil Bedirhanoglu, docteur en théologie, maire de Hakkari,
ville préfectorale de la région éponyme, frontalière avec l'Iran
et l'Irak.
- Hidir Demiroglu, maire de Cukurca, petite ville de 6 000 habitants
de la région de Hakkari, "occupée" militairement par 15 000 soldats
(ils ont été jusqu'a 23 000 en garnison a Cukurca).
- Mehmet Kanar, maire destitué de Cukurca. La sanction injuste qui
le frappe n'a rien enlevé a l'estime que lui porte la population et
a l'influence qu'il exerce dans la région.
Hakkari (Colemêrg en kurde)
Le maire de Hakkari, Fadil Bedirhanoglu, élu en 2009 avec 80% des
voix, est fier de présenter sa ville "100% kurde", dirigée par un
conseil municipal "100% kurde", qui tire son potentiel économique
de la situation frontalière avec l'Iran et l'Irak. La situation de
guerre a laquelle elle est directement confrontée lui crée des
difficultés extrêmement préoccupantes qui s'ajoutent a celles
propres aux régions montagneuses : il faut savoir que Hakkari, qui
se trouve a 1 800 m d'altitude, est entourée de sommets culminant a
plus de 4 000 m. Les événements rendent les investisseurs frileux
et Fadil Bedirhanoglu met directement en cause l'Etat turc : c'est
lui le responsable de l'état de guerre sans pour autant accorder
aucune aide particulière, bien au contraire. Hakkari était même
classée en zone 4 sur une échelle de 5 (la zone 5 étant la
zone la plus riche) et même si un récent classement la met en
zone 2, la situation ne s'est pas améliorée car le nombre des
villes classées en zone 2 a explosé et le montant des dotations
d'Etat est resté inchangé, malgré la bonne santé économique
affichée par la Turquie. L'Etat, en refusant les autorisations
nécessaires pour développer des activités économiques, comme
l'apiculture et l'exploitation des carrières de pierre, a aggravé
la situation. Hakkari, dont l'activité principale (l'élevage) est
fortement perturbée (95% des pâturages sont en zone interdite) est
victime d'un exode dramatique lié a un taux de chômage abyssal :
de 80 000 habitants initialement, Hakkari en comptait encore 64 000
en 2009, mais n'en compte plus que 57 000 en 2013. Les jeunes de
Hakkari n'ont pas tous émigré pour des raisons économiques. Le
maire ne cache pas que nombre d'entre eux ont rejoint la guérilla
("ils sont partis a la montagne"). La municipalité, face a une telle
situation, a été contrainte de prendre des mesures drastiques pour
réduire sa dette, qui est passée de 63 millions de TL en 2009 a 38
millions de TL en 2013. Pour ce faire, la Ville n'a pu compter que sur
la solidarité de ses habitants : augmentation des impôts, ventes ou
mises en location de biens immobiliers municipaux, réduction de 50 %
du nombre d'employés communaux.
Fadil Bedirhanoglu : Â" c'est une guerre des nerfs permanente Â"
Fadil Bedirhanoglu est confiant pour l'avenir et reste très optimiste
quand il parle de la préparation des élections locales de 2014,
malgré les pressions dont il est l'objet :
"C'est une guerre des nerfs permanente, toutes les activités
municipales sont sous la surveillance d'une administration
gouvernementale tatillonne dont l'objectif est d'entraver l'action du
maire. Je suis l'objet, depuis quatre ans, de nombreuse procédures
judiciaires et suis sans cesse appelé au palais de justice. Deux de
mes adjoints viennent d'être mis en garde a vue (le 24 avril 2011, ce
sont 35 élus de cette ville qui ont été arrêtés et il a fallu une
manifestation monstre des habitants pour qu'ils soient libérés). Les
pourparlers avec Abdullah Ocalan nous donnent de l'espoir, même si
nous savons que toutes les conditions pour une paix juste sont loin
d'être remplies : il faut, et c'est de la responsabilité de l'Etat,
convaincre les opposants a la paix et ils sont nombreux ! Il faut,
et c'est de la responsabilité de l'Etat, donner a la population
qui a été contrainte a l'exil une aide au retour qui lui permettra
de se réinstaller. Il faut que la communauté internationale fasse
pression sur la Turquie. Il faut enfin sortir le PKK de la liste des
organisations terroristes. La France ne doit pas signer les accords
sécuritaires avec la Turquie, sous peine de se trouver complice d'une
politique qui emprisonne des personnes pour des activités accomplies
en toute légalité".
Cukurca (Celê en kurde) : 6 000 habitants et une garnison de 15 000
militaires !
Cukurca est une petite localité de 6 000 habitants, frontalière
avec l'Irak. Elle est en territoire occupée depuis plus de trente
ans et aujourd'hui encore elle abrite une garnison militaire qui a
été jusqu'a quatre fois plus nombreuse que la population civile. Les
populations, civile et militaire, cohabitent tant bien que mal sans
se mélanger, mais sans incidents majeurs, hormis les faits de guerre
entre militaires turcs et combattants de la guérilla dont les plus
sanglants se sont déroulés en octobre 2011. Comme dans toute les
guerres, l'armée a pratiqué la politique de la terre brulée :
villages incendiés, pâturages minés, frontière fermée, activités
économiques en sommeil, commerces fermés, visites rares d'étrangers
ou de personnalités gouvernementales. Cukurca a grand besoin d'aide
pour relancer son économie agricole.
Demandes de jumelages
Les jumelages entre villes de différents pays furent un moyen pour
aider a la réconciliation entre citoyens de pays qui s'étaient faits
la guerre, en favorisant la connaissance de l'autre par les échanges,
linguistiques, amicaux, culturels, avant d'être complétés par des
échanges de savoir, de formation, et les coopérations en tous genres
: artistiques, sportives, économiques et sociales. On se souviendra
du rôle primordial joué par les jumelages dans la réconciliation
franco-allemande après la dernière guerre mondiale. La délégation
des Amitiés kurdes de Bretagne est porteuse de demandes en ce sens,
tant de Fadil Bedirhanoglu, maire de Hakkari, que de Hidir Demiroglu,
maire de Cukurca, qui souhaitent entrer en contact avec une ville
francaise.
A l'instar de la ville de Diyarbakir qui, depuis 1977, poursuit avec la
ville de Rennes un long compagnonnage qui se traduit aujourd'hui par
des actions de coopérations significatives qui ont été évoquées
lorsque la délégation a été recue le 26 avril dernier par Osman
Baydemir, maire de Diyarbakir.
Diyarbakir (Amed en kurde) : 8 000 ans d'histoire
Le discours devient lyrique quand Osman Baydemir parle de sa ville,
dont il est le maire métropolitain :
"Diyarbakir, 8 000 ans d'histoire, a un riche potentiel historique,
géographique et culturel, c'est une cité multi-identitaire,
multi-culturelle et multilingue, son développement économique la
classe parmi les capitales du Moyen-Orient. La politique de la Ville
est de tout mettre en Å"uvre pour conserver cet héritage commun
et, actuellement, on procède au nettoyage des abords des remparts,
on promeut la protection intra-muros. La création d'un musée est a
l'étude tandis que la Ville rachète les maisons anciennes. L'année
2013 a été baptisée "Année des remparts". Intramuros, vallée
du Tigre et jardins devrait être bientôt classé au patrimoine
culturel de l'UNESCO. Une première validation a été donnée par
une réunion de spécialistes de 15 pays. Développer l'activité
touristique, c'est aussi développer une politique sociale car elle
est un potentiel de lutte contre la pauvreté et pour la paix. Mais le
dynamisme réside dans la présence des jeunes : 49 % de la population
a en dessous de 19 ans, 65 % a moins de 25 ans. La Ville est passée en
10 ans de 225 000 habitants a 1 million du fait de l'exode rural forcé
(politique des villages brÃ"lés par les Turcs au prétexte de vaincre
la guérilla). Le développement de l'action sociale a été vital pour
s'adapter et intégrer ces migrants. Le meilleur exemple est celui de
Summer Park, 80 000 m2 qui centralisent lieux d'accueil, d'information
et de formation pour les femmes, les jeunes, les handicapés. On
y a construit aussi un théâtre, une bibliothèque, une salle de
mariage. La production d'eau potable, élément indispensable pour
le développement d'une ville, a été aussi une bataille gagnée. Je
veux prouver que la décentralisation est une clé pour la réussite".
Abdullah Demirbas, maire de Sur, arrondissement-centre de Diyarbarkir
intra muros, précise :
"la guerre a laissé des plaies profondes : aucune identité, ethnique
ou religieuse, ne doit être une barrière au service rendu, ce qui,
par exemple, se traduit concrètement, dans l'arrondissement de Sur,
a proximité d'une mosquée, par la construction d'une maison de
culte pour les Alevis et la restauration d'une église arménienne.
L'arrondissement de Sur est concerné par les rénovations intra-muros
et le maire que je suis veille a ce que cette rénovation ne se
transforme pas en une spéculation immobilière. Il faut conserver
coÃ"te que coÃ"te la dimension sociale du projet et mener une
réflexion sur les aspects humains. Nous voulons imposer une
réhabilitation des logements sur les lieux mêmes et permettre aux
habitants de se reloger sur place. L'idée est de leur proposer a
chacun d'être propriétaire de son nouvel appartement en rachetant
son ancienne demeure a sa juste valeur et en favorisant l'acquisition
de l'appartement neuf par une politique de prix abordable. Il faut
aussi penser aux infrastructures qui facilitent la vie comme les
transports et les espaces verts.
Encore faut-il convaincre TOKI ('agence nationale pour le logement
social, créé en 1984, destinée a répondre au déficit en logement),
ce qui n'est pas chose faite !"
Accueil des kurdes syriens
2 000 familles kurdes de Syrie sont accueillies par les habitants
de Diyarbakir qui les aident a se loger, a se nourrir... en toute
illégalité. L'Ã~Itat veut les obliger a intégrer les camps de
réfugiés mais ces familles s'y refusent car, mal acceptées par les
populations arabes, elles s'estiment ne pas être en sécurité. Les
villes kurdes apportent par ailleurs une aide alimentaire au camp
de Nusaybin.
"Les migrants poseront un problème social dans le temps et il y a
urgence a ouvrir un nouveau camp"
conclut Osman Baydemir.
André Métayer, Marie-Brigitte Duigou
Retour a la rubrique
Source/Lien : Amitiés kurdes de Bretagne
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=74760
Publié le : 02-08-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire cet article publié sur le site des Amitiés kurdes de
Bretagne le 1er aoÃ"t 2013.
Photos : F. Legeait
Au Kurdistan de Turquie, la démocratie locale est active mais paie
un lourd tribut a l'Etat
jeudi 1er aoÃ"t 2013 par Amitiés kurdes de Bretagne
La délégation des Amitiés kurdes de Bretagne (AKB) conduite par
sa Vice-présidente Marie-Brigitte Duigou, qui s'est rendue en avril
2013 au Kurdistan septentrional (Kurdistan de Turquie), a été
marquée par les différentes rencontres, certaines imprévues,
d'autres envisagées, d'autres encore soigneusement préparées. Le
secret de la réussite d'une telle mission (échanges d'informations,
témoignages de solidarité, conception et réalisation de projets
de coopération) est de pouvoir compter sur de nombreux amis (de
"l'intérieur" et de "l'extérieur") d'avoir un fil conducteur et de
saisir les opportunités qui se présentent. Les rencontres avec des
maires kurdes comptent évidemment parmi les moments les plus intenses,
car les maires, souvent élus avec plus de 80% des voix, sont les
représentants d'une démocratie locale et active qui paient un lourd
tribut a un Ã~Itat centralisateur dirigé par un premier ministre
autocrate et son parti islamo-conservateur AKP. Nombre d'entre eux
sont détenus, certains depuis de longs mois, d'autre sont la cible
de multiples procès, certains même ont été victimes de mesures
administratives et destitués.
La délégation a pu rencontrer cinq d'entre eux, assez représentatifs
de la diversité des situations mais tous en butte a des tracasseries
administratives et judiciaires visant a décrédibiliser leur action.
- Osman Baydemir, maire métropolitain de Diyarbakir - un million
d'habitants, "capitale" politique et culturelle des Kurdes de
Turquie - connu et respecté sur le plan international, en butte a de
nombreux procès, en liberté conditionnelle et assigné a résidence
(l'interdiction de quitter le territoire turc a été levé le 1
avril dernier).
- Abdullah Demirbas, maire de Sur, arrondissement-centre de
Diyarbarkir, arrêté, détenu durant 5 mois, et libéré pour
raisons médicales.
- Fadil Bedirhanoglu, docteur en théologie, maire de Hakkari,
ville préfectorale de la région éponyme, frontalière avec l'Iran
et l'Irak.
- Hidir Demiroglu, maire de Cukurca, petite ville de 6 000 habitants
de la région de Hakkari, "occupée" militairement par 15 000 soldats
(ils ont été jusqu'a 23 000 en garnison a Cukurca).
- Mehmet Kanar, maire destitué de Cukurca. La sanction injuste qui
le frappe n'a rien enlevé a l'estime que lui porte la population et
a l'influence qu'il exerce dans la région.
Hakkari (Colemêrg en kurde)
Le maire de Hakkari, Fadil Bedirhanoglu, élu en 2009 avec 80% des
voix, est fier de présenter sa ville "100% kurde", dirigée par un
conseil municipal "100% kurde", qui tire son potentiel économique
de la situation frontalière avec l'Iran et l'Irak. La situation de
guerre a laquelle elle est directement confrontée lui crée des
difficultés extrêmement préoccupantes qui s'ajoutent a celles
propres aux régions montagneuses : il faut savoir que Hakkari, qui
se trouve a 1 800 m d'altitude, est entourée de sommets culminant a
plus de 4 000 m. Les événements rendent les investisseurs frileux
et Fadil Bedirhanoglu met directement en cause l'Etat turc : c'est
lui le responsable de l'état de guerre sans pour autant accorder
aucune aide particulière, bien au contraire. Hakkari était même
classée en zone 4 sur une échelle de 5 (la zone 5 étant la
zone la plus riche) et même si un récent classement la met en
zone 2, la situation ne s'est pas améliorée car le nombre des
villes classées en zone 2 a explosé et le montant des dotations
d'Etat est resté inchangé, malgré la bonne santé économique
affichée par la Turquie. L'Etat, en refusant les autorisations
nécessaires pour développer des activités économiques, comme
l'apiculture et l'exploitation des carrières de pierre, a aggravé
la situation. Hakkari, dont l'activité principale (l'élevage) est
fortement perturbée (95% des pâturages sont en zone interdite) est
victime d'un exode dramatique lié a un taux de chômage abyssal :
de 80 000 habitants initialement, Hakkari en comptait encore 64 000
en 2009, mais n'en compte plus que 57 000 en 2013. Les jeunes de
Hakkari n'ont pas tous émigré pour des raisons économiques. Le
maire ne cache pas que nombre d'entre eux ont rejoint la guérilla
("ils sont partis a la montagne"). La municipalité, face a une telle
situation, a été contrainte de prendre des mesures drastiques pour
réduire sa dette, qui est passée de 63 millions de TL en 2009 a 38
millions de TL en 2013. Pour ce faire, la Ville n'a pu compter que sur
la solidarité de ses habitants : augmentation des impôts, ventes ou
mises en location de biens immobiliers municipaux, réduction de 50 %
du nombre d'employés communaux.
Fadil Bedirhanoglu : Â" c'est une guerre des nerfs permanente Â"
Fadil Bedirhanoglu est confiant pour l'avenir et reste très optimiste
quand il parle de la préparation des élections locales de 2014,
malgré les pressions dont il est l'objet :
"C'est une guerre des nerfs permanente, toutes les activités
municipales sont sous la surveillance d'une administration
gouvernementale tatillonne dont l'objectif est d'entraver l'action du
maire. Je suis l'objet, depuis quatre ans, de nombreuse procédures
judiciaires et suis sans cesse appelé au palais de justice. Deux de
mes adjoints viennent d'être mis en garde a vue (le 24 avril 2011, ce
sont 35 élus de cette ville qui ont été arrêtés et il a fallu une
manifestation monstre des habitants pour qu'ils soient libérés). Les
pourparlers avec Abdullah Ocalan nous donnent de l'espoir, même si
nous savons que toutes les conditions pour une paix juste sont loin
d'être remplies : il faut, et c'est de la responsabilité de l'Etat,
convaincre les opposants a la paix et ils sont nombreux ! Il faut,
et c'est de la responsabilité de l'Etat, donner a la population
qui a été contrainte a l'exil une aide au retour qui lui permettra
de se réinstaller. Il faut que la communauté internationale fasse
pression sur la Turquie. Il faut enfin sortir le PKK de la liste des
organisations terroristes. La France ne doit pas signer les accords
sécuritaires avec la Turquie, sous peine de se trouver complice d'une
politique qui emprisonne des personnes pour des activités accomplies
en toute légalité".
Cukurca (Celê en kurde) : 6 000 habitants et une garnison de 15 000
militaires !
Cukurca est une petite localité de 6 000 habitants, frontalière
avec l'Irak. Elle est en territoire occupée depuis plus de trente
ans et aujourd'hui encore elle abrite une garnison militaire qui a
été jusqu'a quatre fois plus nombreuse que la population civile. Les
populations, civile et militaire, cohabitent tant bien que mal sans
se mélanger, mais sans incidents majeurs, hormis les faits de guerre
entre militaires turcs et combattants de la guérilla dont les plus
sanglants se sont déroulés en octobre 2011. Comme dans toute les
guerres, l'armée a pratiqué la politique de la terre brulée :
villages incendiés, pâturages minés, frontière fermée, activités
économiques en sommeil, commerces fermés, visites rares d'étrangers
ou de personnalités gouvernementales. Cukurca a grand besoin d'aide
pour relancer son économie agricole.
Demandes de jumelages
Les jumelages entre villes de différents pays furent un moyen pour
aider a la réconciliation entre citoyens de pays qui s'étaient faits
la guerre, en favorisant la connaissance de l'autre par les échanges,
linguistiques, amicaux, culturels, avant d'être complétés par des
échanges de savoir, de formation, et les coopérations en tous genres
: artistiques, sportives, économiques et sociales. On se souviendra
du rôle primordial joué par les jumelages dans la réconciliation
franco-allemande après la dernière guerre mondiale. La délégation
des Amitiés kurdes de Bretagne est porteuse de demandes en ce sens,
tant de Fadil Bedirhanoglu, maire de Hakkari, que de Hidir Demiroglu,
maire de Cukurca, qui souhaitent entrer en contact avec une ville
francaise.
A l'instar de la ville de Diyarbakir qui, depuis 1977, poursuit avec la
ville de Rennes un long compagnonnage qui se traduit aujourd'hui par
des actions de coopérations significatives qui ont été évoquées
lorsque la délégation a été recue le 26 avril dernier par Osman
Baydemir, maire de Diyarbakir.
Diyarbakir (Amed en kurde) : 8 000 ans d'histoire
Le discours devient lyrique quand Osman Baydemir parle de sa ville,
dont il est le maire métropolitain :
"Diyarbakir, 8 000 ans d'histoire, a un riche potentiel historique,
géographique et culturel, c'est une cité multi-identitaire,
multi-culturelle et multilingue, son développement économique la
classe parmi les capitales du Moyen-Orient. La politique de la Ville
est de tout mettre en Å"uvre pour conserver cet héritage commun
et, actuellement, on procède au nettoyage des abords des remparts,
on promeut la protection intra-muros. La création d'un musée est a
l'étude tandis que la Ville rachète les maisons anciennes. L'année
2013 a été baptisée "Année des remparts". Intramuros, vallée
du Tigre et jardins devrait être bientôt classé au patrimoine
culturel de l'UNESCO. Une première validation a été donnée par
une réunion de spécialistes de 15 pays. Développer l'activité
touristique, c'est aussi développer une politique sociale car elle
est un potentiel de lutte contre la pauvreté et pour la paix. Mais le
dynamisme réside dans la présence des jeunes : 49 % de la population
a en dessous de 19 ans, 65 % a moins de 25 ans. La Ville est passée en
10 ans de 225 000 habitants a 1 million du fait de l'exode rural forcé
(politique des villages brÃ"lés par les Turcs au prétexte de vaincre
la guérilla). Le développement de l'action sociale a été vital pour
s'adapter et intégrer ces migrants. Le meilleur exemple est celui de
Summer Park, 80 000 m2 qui centralisent lieux d'accueil, d'information
et de formation pour les femmes, les jeunes, les handicapés. On
y a construit aussi un théâtre, une bibliothèque, une salle de
mariage. La production d'eau potable, élément indispensable pour
le développement d'une ville, a été aussi une bataille gagnée. Je
veux prouver que la décentralisation est une clé pour la réussite".
Abdullah Demirbas, maire de Sur, arrondissement-centre de Diyarbarkir
intra muros, précise :
"la guerre a laissé des plaies profondes : aucune identité, ethnique
ou religieuse, ne doit être une barrière au service rendu, ce qui,
par exemple, se traduit concrètement, dans l'arrondissement de Sur,
a proximité d'une mosquée, par la construction d'une maison de
culte pour les Alevis et la restauration d'une église arménienne.
L'arrondissement de Sur est concerné par les rénovations intra-muros
et le maire que je suis veille a ce que cette rénovation ne se
transforme pas en une spéculation immobilière. Il faut conserver
coÃ"te que coÃ"te la dimension sociale du projet et mener une
réflexion sur les aspects humains. Nous voulons imposer une
réhabilitation des logements sur les lieux mêmes et permettre aux
habitants de se reloger sur place. L'idée est de leur proposer a
chacun d'être propriétaire de son nouvel appartement en rachetant
son ancienne demeure a sa juste valeur et en favorisant l'acquisition
de l'appartement neuf par une politique de prix abordable. Il faut
aussi penser aux infrastructures qui facilitent la vie comme les
transports et les espaces verts.
Encore faut-il convaincre TOKI ('agence nationale pour le logement
social, créé en 1984, destinée a répondre au déficit en logement),
ce qui n'est pas chose faite !"
Accueil des kurdes syriens
2 000 familles kurdes de Syrie sont accueillies par les habitants
de Diyarbakir qui les aident a se loger, a se nourrir... en toute
illégalité. L'Ã~Itat veut les obliger a intégrer les camps de
réfugiés mais ces familles s'y refusent car, mal acceptées par les
populations arabes, elles s'estiment ne pas être en sécurité. Les
villes kurdes apportent par ailleurs une aide alimentaire au camp
de Nusaybin.
"Les migrants poseront un problème social dans le temps et il y a
urgence a ouvrir un nouveau camp"
conclut Osman Baydemir.
André Métayer, Marie-Brigitte Duigou
Retour a la rubrique
Source/Lien : Amitiés kurdes de Bretagne