LES RACCOURCIS INFAMANTS DE FRANCE 2
GILBERT LEVON MINASSIAN
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=91960
" Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ", disait
Camus. Aussi, ne peut-on qu'etre choque par la manière dont le journal
de 20h de France 2 a presente mercredi 7 août Gilbert Levon Minassian.
Dans son reportage sur l'evenement cree par les revelations du Canard
Enchaîne sur la justice, le commentateur n'a en effet pas hesite a
qualifier cette personne de " braqueur ". Et ce, alors meme que la cour
d'Assises a declare le 26 juin que l'affaire pour laquelle il etait
poursuivi etait prescrite, mettant ainsi en lumière les abus de droit
dont il a ete victime pendant 30 ans de procedure relevant davantage
de l'acharnement repressif que d'une application normale de la loi.
Designer Levon Minassian par ce substantif aussi infamant que
mensonger, pire, ne le reduire qu'a cela, est indigne pour au moins
deux raisons. Tout d'abord, parce que s'il fallait resumer en un mot
l'itineraire de cet homme qui a devoue sa vie a la cause armenienne*,
c'est celui de militant qui bien evidemment s'imposerait. Ensuite,
parce que reprendre a son compte cette accusation, au moment meme où
les procedures entamees a ce motif viennent d'etre declarees caduques,
relève ni plus ni moins du deni de justice.
On s'etonne de cette conception sur le service public d'un journalisme
populiste qui flatte les bas instincts securitaires presumes de son
auditoire, au detriment d'un minimum de rigueur et d'egards pour les
personnes ainsi livrees a la vindicte publique.
La conclusion de cette affaire montre que le combat de Levon Minassian
pour la cause armenienne recoupe celui pour les droits l'homme. Sa
victoire est non seulement une avancee pour la cause, car ce militant
va pouvoir renouer librement avec ses engagements, mais aussi pour
la justice, dont la prescription est partie integrante.
Ara Toranian
*Qui est Gilbert Levon Minassian ?
En jugeant prescrite la peine que la cour d'assises des
Bouches-du-Rhône avait infligee, par contumace, a Gilbert Minassian
le 19 mai 1989, la Cour de cassation du tribunal de grande instance
de Paris a tourne mercredi 26 juin 2013 la page d'une des plus
longues traques jamais menees a l'encontre d'un militant de la
cause armenienne. Et elle a rendu la liberte a un homme qui se bat
depuis trente ans pour obtenir justice, sans n'avoir jamais cesse,
parallèlement, de defendre les droits de son peuple, sur tous les
fronts.
Le militantisme en faveur des plus opprimes, Gilbert l'a dans la peau
depuis son adolescence, quand il adhère dans son lycee aux jeunesses
communistes. Un combat qu'il continuera sur les bancs de la fac
d'Aix-en-Provence, où sa verve doublee d'une solide rhetorique le
placera en position de leader du mouvement etudiant, a l'echelle
locale puis nationale. C'est lorsque son engagement atteint une
forme d'apogee, faisant de lui une des figures les plus connues des
jeunesses communistes du moment, que ses origines le rattrapent et
qu'il croise la cause armenienne. Une rencontre qui changera sa vie
et marquera a jamais son destin.
Nous sommes a l'epoque montante du renouveau de la lutte armenienne,
incarnee par deux structures combattantes : les justiciers du genocide
armenien et l'ASALA (Armee Secrète Armenienne pour la Liberation de
l'Armenie). Après l'echec de decennies d'efforts diplomatiques, ces
organisations constituent les fers de lance de la " propagande armee
" qui finira par briser le mur du silence erige autour du premier
genocide du XXe siècle. Leurs actions qui arrivent a imposer la
cause armenienne sur la scène internationale suscitent un veritable
soutien parmi les fils et les filles des rescapes de l'entreprise
d'extermination. C'est a ce moment-la que Gilbert reprend son
prenom armenien, Levon, et rejoint le Mouvement national armenien
(sympathisant de l'ASALA), dont il devient le principal animateur dans
le sud de la France. Son experience politique et son charisme en font
une des figures les plus connues de la communaute armenienne. Mais ses
engagements le placent egalement en coeur de cible de la repression, en
depit du fait qu'il a ete l'un des premiers a s'inscrire en faux contre
les derives militaristes et purement terroristes du clan Hagopian
qui avait pris la direction des operations armees dans l'ASALA.
C'est durant cette periode troublee que dans la nuit du 27 au 28
juillet 1984 se deroule près de l'aeroport de Marignane une attaque
a main armee contre un fourgon postal. Quelques-uns des participants
a ce hold-up, qui se feront interpeler quelques jours plus tard,
denoncent dans des conditions plus qu'obscures l'implication de Levon
Minassian dans ce forfait. Il n'est pas rare, a cette epoque, que
les mouvements clandestins recourent au " hold-up revolutionnaire "
pour financer leurs combats. Et l'accusation porte. Levon est arrete
et interpele. Il clame son innocence. Elle sera confirmee par Monte
Melkonian avec lequel il etait en reunion au moment des faits. Celui
qui perira en heros le 12 juin 1993 au Haut Karabagh, rejoint alors en
effet la France en 84 et apporte confidentiellement son temoignage au
juge. Un fort elan de solidarite s'organise autour de Levon Minassian
qui obtiendra un '~Rnon-lieu'~R et sera finalement remis en liberte
sous contrôle judiciaire le 12 mars 1985.
Pour autant, les services speciaux qui avaient concouru a son
arrestation ne lâchent pas prise. Il s'agit a l'epoque pour eux de
mettre a profit la phase de recul du mouvement armenien, declenche
notamment par la scission a l'interieur de l'ASALA consecutive a
l'attentat d'Orly ( 15 juillet 1983), pour neutraliser l'ensemble
de la mouvance militante, et en particulier ses elements les plus
conscients et efficaces. Il y a a ce moment environ une vingtaine de
militants plus ou moins proches de l'ASALA incarceres ou mis en examen
en France, tandis que des attentats antiarmeniens se multiplient sur
le territoire. L'etau se resserre alors sur Levon Minassian, cible par
les services turcs comme par la fraction fanatique du clan Hagopian qui
ne lui pardonne pas d'avoir denonce sa derive jusqu'au-boutiste, son
terrorisme aveugle et d'avoir soutenu le MR (Mouvement revolutionnaire)
cristallise autour de Monte Melkonian. Encercle de tous côtes, traque
par certaines branches des services francais dont l'histoire montrera
par la suite qu'elles n'ont pas agi sans connivence avec Ankara,
place dans la ligne de mire des Services turcs, menace par la frange
la plus extremiste de la nebuleuse armenienne, il prend la decision
d'entrer dans la clandestinite.
Il ne refera surface qu'au debut des annees 90, durant la guerre du
Karabagh. Il sera le premier feday issu des rangs de la diaspora a y
participer et deviendra commandant du bataillon suicide ARDZIV 1. Il
signera ensuite sous le nom de Hovsep Hovsepian un des hauts faits
de la resistance en organisant et en participant ( entre autres) a
la liberation de Kelbadjar (son bataillon penetrera en premier dans
la ville liberee). Puis Levon sera a nouveau contraint de se cacher.
Robert Guediguian, lui-meme venu de cette meme trajectoire communiste
ayant marque les premiers pas de l'engagement de Levon, s'inspirera
de son personnage qui sera incarne par Gerard Meylan, dans son film
"Voyage en Armenie".
La decision prise hier par la Cour de Cassation met un terme definitif
a cette traque et a cette cavale qui dure depuis presque trente ans.
L'histoire individuelle de Levon Minassian peut ainsi rejoindre en
toute transparence la grande histoire collective du peuple armenien.
Pour sa famille, ses amis, cette nouvelle constitue un immense
soulagement. La fin d'annees de souffrances et d'angoisse. Elle
intervient malheureusement quelques mois après le decès du père de
Levon, Garabed Minassian, qui gravement malade n'aura pas pu voir de
son vivant son fils libre. Pour ce militant brillant et courageux,
c'est une page qui se tourne et une nouvelle vie qui commence. Et
sans doute aussi un nouveau chapitre qui s'ouvre pour la cause qu'il
a faite sienne.
Ara Toranian
Photo : Max Sivaslian
Voir le lien en bas
jeudi 8 août 2013, Ara ©armenews.com
GILBERT LEVON MINASSIAN
http://www.armenews.com/article.php3?id_article=91960
" Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ", disait
Camus. Aussi, ne peut-on qu'etre choque par la manière dont le journal
de 20h de France 2 a presente mercredi 7 août Gilbert Levon Minassian.
Dans son reportage sur l'evenement cree par les revelations du Canard
Enchaîne sur la justice, le commentateur n'a en effet pas hesite a
qualifier cette personne de " braqueur ". Et ce, alors meme que la cour
d'Assises a declare le 26 juin que l'affaire pour laquelle il etait
poursuivi etait prescrite, mettant ainsi en lumière les abus de droit
dont il a ete victime pendant 30 ans de procedure relevant davantage
de l'acharnement repressif que d'une application normale de la loi.
Designer Levon Minassian par ce substantif aussi infamant que
mensonger, pire, ne le reduire qu'a cela, est indigne pour au moins
deux raisons. Tout d'abord, parce que s'il fallait resumer en un mot
l'itineraire de cet homme qui a devoue sa vie a la cause armenienne*,
c'est celui de militant qui bien evidemment s'imposerait. Ensuite,
parce que reprendre a son compte cette accusation, au moment meme où
les procedures entamees a ce motif viennent d'etre declarees caduques,
relève ni plus ni moins du deni de justice.
On s'etonne de cette conception sur le service public d'un journalisme
populiste qui flatte les bas instincts securitaires presumes de son
auditoire, au detriment d'un minimum de rigueur et d'egards pour les
personnes ainsi livrees a la vindicte publique.
La conclusion de cette affaire montre que le combat de Levon Minassian
pour la cause armenienne recoupe celui pour les droits l'homme. Sa
victoire est non seulement une avancee pour la cause, car ce militant
va pouvoir renouer librement avec ses engagements, mais aussi pour
la justice, dont la prescription est partie integrante.
Ara Toranian
*Qui est Gilbert Levon Minassian ?
En jugeant prescrite la peine que la cour d'assises des
Bouches-du-Rhône avait infligee, par contumace, a Gilbert Minassian
le 19 mai 1989, la Cour de cassation du tribunal de grande instance
de Paris a tourne mercredi 26 juin 2013 la page d'une des plus
longues traques jamais menees a l'encontre d'un militant de la
cause armenienne. Et elle a rendu la liberte a un homme qui se bat
depuis trente ans pour obtenir justice, sans n'avoir jamais cesse,
parallèlement, de defendre les droits de son peuple, sur tous les
fronts.
Le militantisme en faveur des plus opprimes, Gilbert l'a dans la peau
depuis son adolescence, quand il adhère dans son lycee aux jeunesses
communistes. Un combat qu'il continuera sur les bancs de la fac
d'Aix-en-Provence, où sa verve doublee d'une solide rhetorique le
placera en position de leader du mouvement etudiant, a l'echelle
locale puis nationale. C'est lorsque son engagement atteint une
forme d'apogee, faisant de lui une des figures les plus connues des
jeunesses communistes du moment, que ses origines le rattrapent et
qu'il croise la cause armenienne. Une rencontre qui changera sa vie
et marquera a jamais son destin.
Nous sommes a l'epoque montante du renouveau de la lutte armenienne,
incarnee par deux structures combattantes : les justiciers du genocide
armenien et l'ASALA (Armee Secrète Armenienne pour la Liberation de
l'Armenie). Après l'echec de decennies d'efforts diplomatiques, ces
organisations constituent les fers de lance de la " propagande armee
" qui finira par briser le mur du silence erige autour du premier
genocide du XXe siècle. Leurs actions qui arrivent a imposer la
cause armenienne sur la scène internationale suscitent un veritable
soutien parmi les fils et les filles des rescapes de l'entreprise
d'extermination. C'est a ce moment-la que Gilbert reprend son
prenom armenien, Levon, et rejoint le Mouvement national armenien
(sympathisant de l'ASALA), dont il devient le principal animateur dans
le sud de la France. Son experience politique et son charisme en font
une des figures les plus connues de la communaute armenienne. Mais ses
engagements le placent egalement en coeur de cible de la repression, en
depit du fait qu'il a ete l'un des premiers a s'inscrire en faux contre
les derives militaristes et purement terroristes du clan Hagopian
qui avait pris la direction des operations armees dans l'ASALA.
C'est durant cette periode troublee que dans la nuit du 27 au 28
juillet 1984 se deroule près de l'aeroport de Marignane une attaque
a main armee contre un fourgon postal. Quelques-uns des participants
a ce hold-up, qui se feront interpeler quelques jours plus tard,
denoncent dans des conditions plus qu'obscures l'implication de Levon
Minassian dans ce forfait. Il n'est pas rare, a cette epoque, que
les mouvements clandestins recourent au " hold-up revolutionnaire "
pour financer leurs combats. Et l'accusation porte. Levon est arrete
et interpele. Il clame son innocence. Elle sera confirmee par Monte
Melkonian avec lequel il etait en reunion au moment des faits. Celui
qui perira en heros le 12 juin 1993 au Haut Karabagh, rejoint alors en
effet la France en 84 et apporte confidentiellement son temoignage au
juge. Un fort elan de solidarite s'organise autour de Levon Minassian
qui obtiendra un '~Rnon-lieu'~R et sera finalement remis en liberte
sous contrôle judiciaire le 12 mars 1985.
Pour autant, les services speciaux qui avaient concouru a son
arrestation ne lâchent pas prise. Il s'agit a l'epoque pour eux de
mettre a profit la phase de recul du mouvement armenien, declenche
notamment par la scission a l'interieur de l'ASALA consecutive a
l'attentat d'Orly ( 15 juillet 1983), pour neutraliser l'ensemble
de la mouvance militante, et en particulier ses elements les plus
conscients et efficaces. Il y a a ce moment environ une vingtaine de
militants plus ou moins proches de l'ASALA incarceres ou mis en examen
en France, tandis que des attentats antiarmeniens se multiplient sur
le territoire. L'etau se resserre alors sur Levon Minassian, cible par
les services turcs comme par la fraction fanatique du clan Hagopian qui
ne lui pardonne pas d'avoir denonce sa derive jusqu'au-boutiste, son
terrorisme aveugle et d'avoir soutenu le MR (Mouvement revolutionnaire)
cristallise autour de Monte Melkonian. Encercle de tous côtes, traque
par certaines branches des services francais dont l'histoire montrera
par la suite qu'elles n'ont pas agi sans connivence avec Ankara,
place dans la ligne de mire des Services turcs, menace par la frange
la plus extremiste de la nebuleuse armenienne, il prend la decision
d'entrer dans la clandestinite.
Il ne refera surface qu'au debut des annees 90, durant la guerre du
Karabagh. Il sera le premier feday issu des rangs de la diaspora a y
participer et deviendra commandant du bataillon suicide ARDZIV 1. Il
signera ensuite sous le nom de Hovsep Hovsepian un des hauts faits
de la resistance en organisant et en participant ( entre autres) a
la liberation de Kelbadjar (son bataillon penetrera en premier dans
la ville liberee). Puis Levon sera a nouveau contraint de se cacher.
Robert Guediguian, lui-meme venu de cette meme trajectoire communiste
ayant marque les premiers pas de l'engagement de Levon, s'inspirera
de son personnage qui sera incarne par Gerard Meylan, dans son film
"Voyage en Armenie".
La decision prise hier par la Cour de Cassation met un terme definitif
a cette traque et a cette cavale qui dure depuis presque trente ans.
L'histoire individuelle de Levon Minassian peut ainsi rejoindre en
toute transparence la grande histoire collective du peuple armenien.
Pour sa famille, ses amis, cette nouvelle constitue un immense
soulagement. La fin d'annees de souffrances et d'angoisse. Elle
intervient malheureusement quelques mois après le decès du père de
Levon, Garabed Minassian, qui gravement malade n'aura pas pu voir de
son vivant son fils libre. Pour ce militant brillant et courageux,
c'est une page qui se tourne et une nouvelle vie qui commence. Et
sans doute aussi un nouveau chapitre qui s'ouvre pour la cause qu'il
a faite sienne.
Ara Toranian
Photo : Max Sivaslian
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jeudi 8 août 2013, Ara ©armenews.com