L'ANTITERRORISME, UNE HISTOIRE EUROPEENNE
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=71290
Publie le : 13-02-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Quinze prevenus turcs ou
d'origine turque, refugies pour la plupart, accuses d'etre lies a un
groupe politique marxiste-leniniste (le DHKP-C), classifie terroriste
par la Turquie (pays où tout opposant est systematiquement accuse de
terrorisme), ont ete juges a Paris. Le procès antiterroriste s'est
tenu a la Xe chambre correctionnelle de Paris en novembre dernier et
le moins que l'on puisse dire c'est qu'il est passe inapercu sauf pour
ceux qui ont ete juges et ont ecope de lourdes peine de prison ferme.
Le collectif Angles Morts decrypte, dans un texte très documente,
la cooperation franco-turque dans le domaine judiciaire et policier.
C'est ce que l'on pourrait intituler " Chroniques de l'antiterrorisme
ordinaire "... Le Collectif VAN vous propose de decouvrir cet article
que nous avons scinde en 5 parties, et qui a ete publie a l'origine
sur le site Article11 le 8 janvier 2013. Partie 3.
Article11
MARDI 8 JANVIER 2013
Sur le terrain
Collectif Angles morts
Partie 2.
Suite de :
" Antiterrorisme ordinaire : le procès du DHKP-C " et
" France-Turquie : cooperation et sous-traitance de la repression "
" Au lieu de nous juger, il vaut mieux que vous jugiez votre democratie
et votre droit "24
Le procès contre les militants presumes du DHKP-C qui vient de se
clore en France est, comme l'antiterrorisme, une histoire europeenne,
une histoire allemande, italienne, et plus precisement belge. Une
histoire de cooperation et d'interets entre les Etats turc et belge.
En 1999, a Knokke en Belgique, une militante du DHKP-C, Fehriye Erdal,
est arretee en possession d'armes et de faux passeports et placee
en detention. Elle etait recherchee pour triple meurtre depuis 1996
par les autorites turques25. Au terme de la duree legale maximale de
detention preventive, en 2000, le tribunal ordonne qu'elle soit liberee
dans l'attente de son procès. Le gouvernement belge passe outre et la
maintient en detention. C'est aussi le moment que choisit le ministre
de l'interieur pour annoncer son intention de l'extrader alors que
sa demande d'asile politique avait recu un premier avis favorable.
La Turquie avait deja adresse a la Belgique trois demandes
d'extradition, car Erdal aurait participe en janvier 1996 a
l'assassinat d'un des plus grands industriels du pays. Le problème,
comme le rappelle un de ses soutiens, est que " dans ses premières
mises en demeure a l'adresse des autorites belges, la Turquie n'a
jamais incrimine explicitement Erdal pour complicite de meurtre mais
pour " tentative de renverser l'ordre constitutionnel " "26. L'Etat
turc va alterner appels a la legalite et intimidations, menacant
notamment d'enlever Erdal comme ils le firent avec Abdullah Ocalan
(un dirigeant du PKK kidnappe par les services secrets turcs a
l'ambassade grecque de Nairobi), et accusent la Belgique, cette "
republique bananière " de devenir le " parapluie du terrorisme ".
Tout au long des episodes de cette affaire, on va assister a la
coexistence, parfois contradictoire, de deux logiques : " Dans un
premier temps, Bruxelles a refuse l'extradition mais, d'un autre côte,
plusieurs services d'Etat ainsi que des responsables de haut rang
appartenant aux deux pays ont continue d'alimenter leurs relations
de bonne entente et de parfaite intelligence. "27 Il est avere que
depuis les annees 1990 au moins, une cooperation existe entre les
polices belge et turque. En 1996 par exemple, les Belges decouvrirent
l'existence du programme " Rebel " de la gendarmerie belge qui avait
pour but de ficher, sans finalite administrative ou judiciaire precise,
des dizaines de milliers de Turcs et de Belges d'origine turque.
Au total, onze personnes seront inculpees dans l'affaire Erdal. Des
divergences apparurent dès le debut entre le juge d'instruction,
qui entendait se limiter aux faits sur le territoire belge, et le
magistrat national du parquet federal qui tenait a collaborer avec la
police et l'antiterrorisme turcs et communiquait des pièces issues du
dossier aux Turcs malgre l'interdiction du juge d'instruction. Lors
du verdict, le 28 fevrier 2006, le president du tribunal justifiera
la condamnation de sept des onze prevenus (a des peines de quatre a
six ans de prison) d'une facon surprenante qui montre bien la logique
globale et les interets etatiques qui sous-tendent l'antiterrorisme :
" Ils voulaient nuire aux responsables et aux biens de l'Etat turc. "
Ce periple judiciaire se conclura en 2009 avec le verdict de la Cour
d'appel de Bruxelles qui acquittera les prevenus de l'inculpation de
terrorisme. La reaction de la Turquie a cet acquittement fut claire :
" Cette decision est loin d'etre satisfaisante en ce qui concerne
le respect de la cooperation internationale contre le terrorisme et
les efforts pour se premunir contre les organisations terroristes et
les châtier. " En octobre 2006, la Sous-direction anti-terroriste
(SDAT) et la PJ de Lyon recoivent un ordre de recherche concernant
Fehriye Erdal, en cavale depuis sa condamnation en fevrier 2006 ;
Erdal se serait refugiee sur le territoire francais. Au cours de leurs
recherches, ils croient decouvrir " une structure affiliee au DHKP-C
sur le territoire francais ". Le rapport de la SDAT ajoute ensuite :
" Depuis les annees 2000, l'organisation a cherche a faire de l'Europe
occidentale une base arrière destinee a collecter des fonds, et d'autre
part, s'est lancee parallèlement dans un intense activisme distille par
des " institutions paravents. " " Ce rapport rassemble pele-mele une
presentation du DHKP-C, qu'on croirait tout droit sortie des rapports
de la police turque, un historique de ses activites " terroristes ",
de sa " violence aveugle " contre les civils, des notes tirees de la
surveillance en France des " appartements conspiratifs du DHKP-C ", ou
encore l'etablissement d'un " organigramme occulte " de l'Association
culturelle de solidarite Anatolie Paris, une association soupconnee
d'etre la " vitrine legale " du DHKP-C en France, et frequentee
par nombre de ceux qui vont se retrouver sur les bancs de la Xe
chambre après avoir passe trois jours en garde a vue dans les locaux
de la police antiterroriste. À la fin de ce rapport preliminaire,
la SDAT recommande la tenue d'un procès pour contrer le " risque de
sanctuarisation du territoire francais comme base arrière du DHKP-C
". Comme le declarait O. Gregrulka, un depute socialiste, en 2001 :
" Nous sommes l'un des foyers de preparation du terrorisme. Ce n'est
pas une politique securitaire mais preventive. "
Ce rapport atterrira ensuite entre les mains de l'artisan du procès,
le juge d'instruction antiterroriste Thierry Fragnoli, un juge "
specialise ", entre autres, dans la traque des Turcs et Kurdes de
France. Les avocats de quinze Turcs d'origine kurde, mis en examen
en fevrier 2007 pour " financement du terrorisme ", en l'espèce du
PKK, pouvaient bien denoncer a l'occasion du procès " un dossier
extraordinairement vide, fabrique de toutes pièces ". C'est ce
meme juge d'instruction, pourtant cense " instruire a charge et a
decharge ", qui va reprendre presque mot pour mot le rapport de la
SDAT, en ajoutant des remarques personnelles et des appreciations
" ideologiques ", et ainsi livrer une ordonnance de renvoi28 qui
pourrait faire sourire si ce document n'etait pas destine a pousser
quinze personnes dans la broyeuse judiciaire. Un des prevenus dira
a propos des questions de Fragnoli durant les interrogatoires : "
Je n'ai rien repondu car ses questions n'appelaient pas de reponse. "
Fragnoli evoque les " actions violentes extremes de ces militants ", et
met sur le meme plan les " bombes dans des lieux publics " et ceux qui
mènent " la grève de la faim jusqu'a la mort ". C'est en se montrant
aveugle a son propre fanatisme, celui-la approuve par l'institution,
encourage et dote de moyens puissants, que Fragnoli peut s'alarmer
du caractère " mystique et sectaire " du DHKP-C. Ainsi, a propos de
Tayad, un comite de soutien aux prisonniers politiques et a leurs
familles, organisation que meme l'Etat turc n'a pas encore interdite
mais que Fragnoli presente pourtant comme une " succursale du DHKP-C
", le juge y va de son appreciation : " Tayad faisait finalement peu
de cas de la vie humaine, y compris de celle de ses propres militants
du DHKP-C, puisqu'il les encourageait a aller au bout de leur "
jeûne de la mort " [...]. On pourrait presque penser qu'une partie
des activites de Tayad consisterait finalement en une entreprise
morbide destinee a " fabriquer du martyr. " " Ce qui frappe dans
ce document, c'est la tension constante entre d'une part le fait de
declarer ne vouloir juger que ce qui se passe sur le sol francais,
et d'autre part celui que tout montre que la justice a choisi son
camp dans un affrontement dont elle ne sait rien, hormis la prise
de partie, la prise de parti " fanatique ", pour un Etat. Fragnoli
declare ainsi que le DHKP-C " attise une haine - aussi irrationnelle
qu'inextinguible - des institutions turques ". Ou encore, evoquant
les grèves de la faim dans les prisons turques contre les nouveaux
penitenciers de type F, Fragnoli s'etonne : il s'agissait pourtant d'
" une reforme des prisons, soutenue par l'UE [...] ce qui ne pouvait
qu'etre favorable aux conditions de vie des detenus ". Du reste, il
le formule on ne peut plus clairement dans ses conclusions : c'est
de Turquie, " pays en paix reconnu par la communaute internationale,
participant au concert des nations et où se deroulent des elections
libres ", que viennent les informations les plus fiables, donc " c'est
necessairement auprès de ce pays, touche par les actions meurtrières
du DHKP-C, que l'on peut obtenir les informations precises sur ces
actes et les membres de cette organisation ". Fragnoli ne cessant de
questionner les prevenus sur leur " rapport a la violence ", a la "
lutte armee ", pour etablir une predisposition a la violence ou un
soutien ideologique a la " violence terroriste ", il se verra repondre
par un des inculpes, a propos des actions du DHKP-C : " Elles ne sont
pas aussi violentes que les bombes jetees par les militaires francais
pendant la colonisation de l'Algerie. " À l'aide de documents transmis
par l'Etat turc, dans un esprit d' " entraide penale internationale
", de propos accablants de temoins anonymes turcs - sans une ligne
pour expliquer par qui, comment, et quand ils ont ete recueillis -,
de declarations des prevenus en garde a vue, sur lesquelles tous se
sont retractes, et d'elements a charge tels que le port de t-shirts29
sigles DHKP-C, la participation au defile du 1er mai, l'absence de
logement fixe, de compte en banque (" l'invisibilite bancaire ")
ou de telephone portable, ou encore la tenue d'un stand a la Fete
de l'humanite, le juge a tente de construire un edifice, de faire
apparaître le spectre d'une menace. Une bonne illustration en est le
fait que l'on trouve dans le dossier des procès verbaux rassembles
sous le titre delirant de " coloration terroriste ". En somme, il
etait plus facile de depeindre, a partir des " informations " de ceux
qui les repriment, les actions " sanglantes " du DHKP-C en Turquie,
car de leur vie en France, la surveillance policière et les filatures
ne sont rien parvenues a tirer.
________________________________________
24. C'est ce que repondra au juge d'instruction Fragnoli l'un des
prevenus du procès contre les militants presumes du DHKP-C.
25. Le site du Comite pour la liberte d'expression et d'association,
un comite de soutien belge aux militants emprisonnees, contient de
nombreuses informations sur les differentes affaires evoquees.
26. Jean Finkler, " L'autre affaire Erdal ", art. cite.
27. Idem.
28. Le juge d'instruction, au terme de son enquete, delivre une
ordonnance de non lieu s'il estime que les charges sont insuffisantes
pour donner lieu a une mise en examen, ou une ordonnance de renvoi
devant le tribunal correctionnel (ou de mise en accusation pour saisir
la cour d'assises) s'il estime que les faits rassembles constituent
un delit et doivent donc faire l'objet de poursuites. L'ordonnance
resume les elements qui motivent la mise en examen.
29. Ce n'est pas si etonnant, quand on sait qu'au moment où se tenait
ce procès, un homme etait juge pour " apologie du terrorisme " après
avoir ete vu porter un maillot du PSG floque " Ben Laden ".
A suivre
Lire aussi :
France-Turquie : cooperation et sous-traitance de la repression
Antiterrorisme ordinaire : le procès du DHKP-C
Retour a la rubrique
Source/Lien : Article11
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=71290
Publie le : 13-02-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Quinze prevenus turcs ou
d'origine turque, refugies pour la plupart, accuses d'etre lies a un
groupe politique marxiste-leniniste (le DHKP-C), classifie terroriste
par la Turquie (pays où tout opposant est systematiquement accuse de
terrorisme), ont ete juges a Paris. Le procès antiterroriste s'est
tenu a la Xe chambre correctionnelle de Paris en novembre dernier et
le moins que l'on puisse dire c'est qu'il est passe inapercu sauf pour
ceux qui ont ete juges et ont ecope de lourdes peine de prison ferme.
Le collectif Angles Morts decrypte, dans un texte très documente,
la cooperation franco-turque dans le domaine judiciaire et policier.
C'est ce que l'on pourrait intituler " Chroniques de l'antiterrorisme
ordinaire "... Le Collectif VAN vous propose de decouvrir cet article
que nous avons scinde en 5 parties, et qui a ete publie a l'origine
sur le site Article11 le 8 janvier 2013. Partie 3.
Article11
MARDI 8 JANVIER 2013
Sur le terrain
Collectif Angles morts
Partie 2.
Suite de :
" Antiterrorisme ordinaire : le procès du DHKP-C " et
" France-Turquie : cooperation et sous-traitance de la repression "
" Au lieu de nous juger, il vaut mieux que vous jugiez votre democratie
et votre droit "24
Le procès contre les militants presumes du DHKP-C qui vient de se
clore en France est, comme l'antiterrorisme, une histoire europeenne,
une histoire allemande, italienne, et plus precisement belge. Une
histoire de cooperation et d'interets entre les Etats turc et belge.
En 1999, a Knokke en Belgique, une militante du DHKP-C, Fehriye Erdal,
est arretee en possession d'armes et de faux passeports et placee
en detention. Elle etait recherchee pour triple meurtre depuis 1996
par les autorites turques25. Au terme de la duree legale maximale de
detention preventive, en 2000, le tribunal ordonne qu'elle soit liberee
dans l'attente de son procès. Le gouvernement belge passe outre et la
maintient en detention. C'est aussi le moment que choisit le ministre
de l'interieur pour annoncer son intention de l'extrader alors que
sa demande d'asile politique avait recu un premier avis favorable.
La Turquie avait deja adresse a la Belgique trois demandes
d'extradition, car Erdal aurait participe en janvier 1996 a
l'assassinat d'un des plus grands industriels du pays. Le problème,
comme le rappelle un de ses soutiens, est que " dans ses premières
mises en demeure a l'adresse des autorites belges, la Turquie n'a
jamais incrimine explicitement Erdal pour complicite de meurtre mais
pour " tentative de renverser l'ordre constitutionnel " "26. L'Etat
turc va alterner appels a la legalite et intimidations, menacant
notamment d'enlever Erdal comme ils le firent avec Abdullah Ocalan
(un dirigeant du PKK kidnappe par les services secrets turcs a
l'ambassade grecque de Nairobi), et accusent la Belgique, cette "
republique bananière " de devenir le " parapluie du terrorisme ".
Tout au long des episodes de cette affaire, on va assister a la
coexistence, parfois contradictoire, de deux logiques : " Dans un
premier temps, Bruxelles a refuse l'extradition mais, d'un autre côte,
plusieurs services d'Etat ainsi que des responsables de haut rang
appartenant aux deux pays ont continue d'alimenter leurs relations
de bonne entente et de parfaite intelligence. "27 Il est avere que
depuis les annees 1990 au moins, une cooperation existe entre les
polices belge et turque. En 1996 par exemple, les Belges decouvrirent
l'existence du programme " Rebel " de la gendarmerie belge qui avait
pour but de ficher, sans finalite administrative ou judiciaire precise,
des dizaines de milliers de Turcs et de Belges d'origine turque.
Au total, onze personnes seront inculpees dans l'affaire Erdal. Des
divergences apparurent dès le debut entre le juge d'instruction,
qui entendait se limiter aux faits sur le territoire belge, et le
magistrat national du parquet federal qui tenait a collaborer avec la
police et l'antiterrorisme turcs et communiquait des pièces issues du
dossier aux Turcs malgre l'interdiction du juge d'instruction. Lors
du verdict, le 28 fevrier 2006, le president du tribunal justifiera
la condamnation de sept des onze prevenus (a des peines de quatre a
six ans de prison) d'une facon surprenante qui montre bien la logique
globale et les interets etatiques qui sous-tendent l'antiterrorisme :
" Ils voulaient nuire aux responsables et aux biens de l'Etat turc. "
Ce periple judiciaire se conclura en 2009 avec le verdict de la Cour
d'appel de Bruxelles qui acquittera les prevenus de l'inculpation de
terrorisme. La reaction de la Turquie a cet acquittement fut claire :
" Cette decision est loin d'etre satisfaisante en ce qui concerne
le respect de la cooperation internationale contre le terrorisme et
les efforts pour se premunir contre les organisations terroristes et
les châtier. " En octobre 2006, la Sous-direction anti-terroriste
(SDAT) et la PJ de Lyon recoivent un ordre de recherche concernant
Fehriye Erdal, en cavale depuis sa condamnation en fevrier 2006 ;
Erdal se serait refugiee sur le territoire francais. Au cours de leurs
recherches, ils croient decouvrir " une structure affiliee au DHKP-C
sur le territoire francais ". Le rapport de la SDAT ajoute ensuite :
" Depuis les annees 2000, l'organisation a cherche a faire de l'Europe
occidentale une base arrière destinee a collecter des fonds, et d'autre
part, s'est lancee parallèlement dans un intense activisme distille par
des " institutions paravents. " " Ce rapport rassemble pele-mele une
presentation du DHKP-C, qu'on croirait tout droit sortie des rapports
de la police turque, un historique de ses activites " terroristes ",
de sa " violence aveugle " contre les civils, des notes tirees de la
surveillance en France des " appartements conspiratifs du DHKP-C ", ou
encore l'etablissement d'un " organigramme occulte " de l'Association
culturelle de solidarite Anatolie Paris, une association soupconnee
d'etre la " vitrine legale " du DHKP-C en France, et frequentee
par nombre de ceux qui vont se retrouver sur les bancs de la Xe
chambre après avoir passe trois jours en garde a vue dans les locaux
de la police antiterroriste. À la fin de ce rapport preliminaire,
la SDAT recommande la tenue d'un procès pour contrer le " risque de
sanctuarisation du territoire francais comme base arrière du DHKP-C
". Comme le declarait O. Gregrulka, un depute socialiste, en 2001 :
" Nous sommes l'un des foyers de preparation du terrorisme. Ce n'est
pas une politique securitaire mais preventive. "
Ce rapport atterrira ensuite entre les mains de l'artisan du procès,
le juge d'instruction antiterroriste Thierry Fragnoli, un juge "
specialise ", entre autres, dans la traque des Turcs et Kurdes de
France. Les avocats de quinze Turcs d'origine kurde, mis en examen
en fevrier 2007 pour " financement du terrorisme ", en l'espèce du
PKK, pouvaient bien denoncer a l'occasion du procès " un dossier
extraordinairement vide, fabrique de toutes pièces ". C'est ce
meme juge d'instruction, pourtant cense " instruire a charge et a
decharge ", qui va reprendre presque mot pour mot le rapport de la
SDAT, en ajoutant des remarques personnelles et des appreciations
" ideologiques ", et ainsi livrer une ordonnance de renvoi28 qui
pourrait faire sourire si ce document n'etait pas destine a pousser
quinze personnes dans la broyeuse judiciaire. Un des prevenus dira
a propos des questions de Fragnoli durant les interrogatoires : "
Je n'ai rien repondu car ses questions n'appelaient pas de reponse. "
Fragnoli evoque les " actions violentes extremes de ces militants ", et
met sur le meme plan les " bombes dans des lieux publics " et ceux qui
mènent " la grève de la faim jusqu'a la mort ". C'est en se montrant
aveugle a son propre fanatisme, celui-la approuve par l'institution,
encourage et dote de moyens puissants, que Fragnoli peut s'alarmer
du caractère " mystique et sectaire " du DHKP-C. Ainsi, a propos de
Tayad, un comite de soutien aux prisonniers politiques et a leurs
familles, organisation que meme l'Etat turc n'a pas encore interdite
mais que Fragnoli presente pourtant comme une " succursale du DHKP-C
", le juge y va de son appreciation : " Tayad faisait finalement peu
de cas de la vie humaine, y compris de celle de ses propres militants
du DHKP-C, puisqu'il les encourageait a aller au bout de leur "
jeûne de la mort " [...]. On pourrait presque penser qu'une partie
des activites de Tayad consisterait finalement en une entreprise
morbide destinee a " fabriquer du martyr. " " Ce qui frappe dans
ce document, c'est la tension constante entre d'une part le fait de
declarer ne vouloir juger que ce qui se passe sur le sol francais,
et d'autre part celui que tout montre que la justice a choisi son
camp dans un affrontement dont elle ne sait rien, hormis la prise
de partie, la prise de parti " fanatique ", pour un Etat. Fragnoli
declare ainsi que le DHKP-C " attise une haine - aussi irrationnelle
qu'inextinguible - des institutions turques ". Ou encore, evoquant
les grèves de la faim dans les prisons turques contre les nouveaux
penitenciers de type F, Fragnoli s'etonne : il s'agissait pourtant d'
" une reforme des prisons, soutenue par l'UE [...] ce qui ne pouvait
qu'etre favorable aux conditions de vie des detenus ". Du reste, il
le formule on ne peut plus clairement dans ses conclusions : c'est
de Turquie, " pays en paix reconnu par la communaute internationale,
participant au concert des nations et où se deroulent des elections
libres ", que viennent les informations les plus fiables, donc " c'est
necessairement auprès de ce pays, touche par les actions meurtrières
du DHKP-C, que l'on peut obtenir les informations precises sur ces
actes et les membres de cette organisation ". Fragnoli ne cessant de
questionner les prevenus sur leur " rapport a la violence ", a la "
lutte armee ", pour etablir une predisposition a la violence ou un
soutien ideologique a la " violence terroriste ", il se verra repondre
par un des inculpes, a propos des actions du DHKP-C : " Elles ne sont
pas aussi violentes que les bombes jetees par les militaires francais
pendant la colonisation de l'Algerie. " À l'aide de documents transmis
par l'Etat turc, dans un esprit d' " entraide penale internationale
", de propos accablants de temoins anonymes turcs - sans une ligne
pour expliquer par qui, comment, et quand ils ont ete recueillis -,
de declarations des prevenus en garde a vue, sur lesquelles tous se
sont retractes, et d'elements a charge tels que le port de t-shirts29
sigles DHKP-C, la participation au defile du 1er mai, l'absence de
logement fixe, de compte en banque (" l'invisibilite bancaire ")
ou de telephone portable, ou encore la tenue d'un stand a la Fete
de l'humanite, le juge a tente de construire un edifice, de faire
apparaître le spectre d'une menace. Une bonne illustration en est le
fait que l'on trouve dans le dossier des procès verbaux rassembles
sous le titre delirant de " coloration terroriste ". En somme, il
etait plus facile de depeindre, a partir des " informations " de ceux
qui les repriment, les actions " sanglantes " du DHKP-C en Turquie,
car de leur vie en France, la surveillance policière et les filatures
ne sont rien parvenues a tirer.
________________________________________
24. C'est ce que repondra au juge d'instruction Fragnoli l'un des
prevenus du procès contre les militants presumes du DHKP-C.
25. Le site du Comite pour la liberte d'expression et d'association,
un comite de soutien belge aux militants emprisonnees, contient de
nombreuses informations sur les differentes affaires evoquees.
26. Jean Finkler, " L'autre affaire Erdal ", art. cite.
27. Idem.
28. Le juge d'instruction, au terme de son enquete, delivre une
ordonnance de non lieu s'il estime que les charges sont insuffisantes
pour donner lieu a une mise en examen, ou une ordonnance de renvoi
devant le tribunal correctionnel (ou de mise en accusation pour saisir
la cour d'assises) s'il estime que les faits rassembles constituent
un delit et doivent donc faire l'objet de poursuites. L'ordonnance
resume les elements qui motivent la mise en examen.
29. Ce n'est pas si etonnant, quand on sait qu'au moment où se tenait
ce procès, un homme etait juge pour " apologie du terrorisme " après
avoir ete vu porter un maillot du PSG floque " Ben Laden ".
A suivre
Lire aussi :
France-Turquie : cooperation et sous-traitance de la repression
Antiterrorisme ordinaire : le procès du DHKP-C
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