DOGAN AKHANLI : "LE SILENCE D'ANNE"
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=71563
Publié le : 22-02-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
présente un article traduit le 21 décembre 2012 par Georges Festa
pour le site "Armenian Trends - Mes Arménies", d'après un article
en anglais de Muriel Mirak-Weissbach publié sur le site The Armenian
Mirror-Spectator.
Armenian Trends - Mes Arménies
vendredi 21 décembre 2012
Dogan Akhanli - Annes Schweigen / Anne's Silence / Le Silence d'Anne
Légende photo: © Theater unterm Dach Berlin Prenzlauer Berg und
Theater im Bauturm Köln, 2012
Un projet germano-turco-arménien met en scène la quête d'identité
par Muriel Mirak-Weissbach
The Armenian Mirror-Spectator, 22.12.2012
BERLIN - Elle s'appelle Sabiha, le même prénom que la fille adoptive
préférée de Mustafa Kemal (Ataturk), qui fut en tant qu'aviatrice
un symbole pour sa nation. Mais cette Sabiha est allemande et vit avec
sa mère immigrée, qu'elle appelle Anne - Â" mère Â" en turc. Cette
Sabiha, comme nous l'apprenons de sa meilleure amie (en fait, son
âme soeur), elle aussi prénommée Anne, est allemande a 150 % et
n'apprend le turc que lorsqu'elle s'inscrit a l'université. Elle
se sent bientôt attirée par les milieux nationalistes turcs et
participe même a des manifestations nationalistes, en l'honneur de
Talaat Pacha, par exemple.
Mais qui est vraiment Sabiha ? Est-elle allemande ? Est-elle turque ?
Ou est-elle, peut-être, quelque chose d'autre ? Se pourrait-il
qu'elle soit arménienne ?
Telle est la question posée par une nouvelle pièce, dont les débuts
ont eu lieu a Berlin au Theater unterm Dach [Théâtre sous le grenier]
en octobre dernier. Ecrite par Dogan Akhanli, auteur et militant
germano-turc très connu, la pièce, intitulée Annes Schweigen
[Le Silence d'Anne], est un monologue, joué brillamment par Bea
Ehlers-Kerbekian, d'origine arménienne, et mis en scène avec un
esprit créateur étonnamment moderne par Ron Rosenberg. La pièce
théâtralise une quête d'identité personnelle dans le contexte
d'une confrontation polémique avec la politique officielle turque de
négation du génocide, une politique qui est au centre de l'identité
nationaliste. Comme le précise la brochure de présentation,
cette production présente Â" l'impossibilité de parler propre aux
générations qui ont succédé aux criminels nationalistes Â" dans
cette quête, tandis que Sabiha, Â" en vivant et en exprimant son
conflit personnel, peut se trouver et surmonter le cycle de violence,
de suppression de la mémoire, de perte d'identité et d'isolement. Â"
Sabina condamne, quant a elle, l'idéologie nationaliste et accepte
de traduire un discours pour un intellectuel très connu, venu de
Turquie a Berlin prendre la parole lors d'une Â" journée d'action Â"
organisée par les nationalistes turcs le 15 mars, afin de commémorer
l'anniversaire de l'assassinat de Talaat Pacha, rue Hardenbergstrasse.
Elle ne peut se résoudre a traduire certaines phrases menacantes,
proférées par l'orateur a l'encontre de Hrant Dink, l'éditeur
d'Agos, lequel avait enquêté sur l'ascendance arménienne de la
fille adoptive d'Ataturk, Sabiha, car elle pense que ces expressions
choqueront en Allemagne. Néanmoins, dans son bref discours qui suit,
elle dénonce elle aussi le génocide comme un mensonge. Elle a
décide de commencer son discours par une blague, a savoir suggérer
qu'elle aussi est arménienne, puisqu'elle s'appelle Sabiha. A son
grand étonnement, au lieu d'éclater de rire, les gens s'écrient :
Â" Pourvu que non ! Â". La mère de Sabiha est venue aussi avec elle
au rassemblement et, lorsqu'elles retournent chez elles, elle demande
a sa mère pourquoi elle s'appelle Sabiha. C'est alors qu'elle apprend
qu'en fait, elle fut prénommée d'après la fille adoptive d'Ataturk.
Un jour, la mère de Sabiha meurt subitement, s'effondrant sur le
sol de la cuisine. Lorsque sa fille, en proie a la panique, défait
le chemisier de sa mère pour tenter de l'aider a respirer, Sabiha
découvre une croix arménienne tatouée entre ses seins et est
profondément choquée. Plus tard, elle retrouve une croix d'argent
et une Bible dans l'armoire a trousseau de sa mère décédée, ainsi
qu'un exemplaire d'Agos, que sa mère avait obtenu de l'orateur turc
lors de la manifestation, lequel l'avait brandi tout en dénoncant
Dink. Après avoir lu le journal, Sabiha appelle la rédaction d'Agos
et confie a l'éditeur qu'elle pense, elle aussi, être arménienne. Sa
réponse, nous précise-t-elle, fut : Â" Dans ce pays, nul ne peut
être sÃ"r de son identité. Â"
Lorsque que la balle d'un assassin tue Hrant Dink, Sabiha suit
les événements a la télévision turque, participant de loin
aux funérailles, tandis que des milliers de Turcs brandissent des
pancartes déclarant Â" Nous sommes tous Hrant ! Nous sommes tous
arméniens ! Â" et qu'elle est témoin de l'appel déchirant de
sa veuve.
La vision finale de Sabiha est celle de sa mère en compagnie de
milliers de femmes attristées comme elle, s'élevant et transformées
en grues prenant leur envol. Â" Il est temps maintenant, dit-elle,
de briser le silence d'Anne. Â"
Dans ce monologue solidement composé, la comédienne Bea
Ehlers-Kerbekian joue tous les rôles, donnant ainsi une expression
artistique a des identités différentes, mais liées entre elles. Elle
apparaît tout d'abord sur scène comme l'amie de Sabiha, Anne, qui
déclare qu'elles sont toutes deux nées le même jour et sont donc
comme Â" jumelles Â", l'une des deux, Anne, incarnant apparemment
l'identité allemande. Puis la comédienne joue Sabiha s'apprêtant a
se rendre a la manifestation avec sa mère. La même femme apparaît
sous les traits de l'irascible orateur lors du rassemblement, puis
saute dans le rôle de Sabiha racontant le reste de l'histoire. Dans
les échanges entre mère et fille, la comédienne joue a nouveau les
deux parties, passant habilement de la dame âgée et réservée a la
personnalité vive, complexe, de Sabiha. En présentant tout d'abord
son amie, puis Sabiha, puis sa mère, puis les autres personnages, et
en en faisant le portrait par une seule et même actrice, le dramaturge
réussit a nous montrer les aspects multiples de l'identité de son
héroïne et le conflit qui les oppose. Composer une telle pièce est
un pari littéraire, que le dramaturge a emporté en sélectionnant
des épisodes isolés et en les juxtaposant par thème ; par exemple,
il opère aussi dans son récit des références aux traumatismes
identitaires dans l'expérience historique allemande. Jouer ce genre
de monologue, en conservant l'individualité de chaque personnage,
tout en respectant la continuité thématique et artistique, exige
ainsi une concentration hors pair et de véritables dons d'acteur. Le
public n'est pas étonné d'apprendre que Bea Ehlers-Kerbekian a
remporté de nombreux prix pour son jeu du monologue.
Dogan Akhanli a exploré le thème du génocide arménien dans un
premier roman et joue un rôle actif en Allemagne dans des projets
visant a aider Allemands, Turcs et Arméniens a travailler leur
histoire commune, dans un effort pour reconnaître la réalité et
parvenir a une réconciliation. Sa présente entreprise, dont la
concision et la structure poétique rehaussent l'impact, constitue
une nouvelle contribution a ce processus social consistant a aborder
un passé tourmenté ; car, après chaque représentation de cette
courte pièce (d'une durée d'une heure a peine), les spectateurs ont
l'occasion d'entendre des exposés par des historiens, des sociologues
et autres intervenants impliqués dans la résolution de conflits
et ainsi de suite, de débattre de questions plus larges avec eux,
ainsi qu'avec l'A., le metteur en scène et la comédienne. Ce genre
d'événements culturels joue un rôle essentiel dans le processus
de débat en cours, non seulement en Allemagne, autour du génocide
arménien, mais aussi en Turquie même, où la quête d'identité
véritable des citoyens a donné naissance a un grand nombre d'Å"uvres
littéraires, suscitant un large débat social autour des événements
de 1915.
Cette nouvelle Å"uvre dramatique sera présentée en janvier lors
d'événements en Allemagne honorant la mémoire de Hrant Dink,
tandis que des représentations sont programmées a Istanbul et Erevan.
Espérons qu'une version anglaise soit bientôt accessible a un
public américain.
___________
Source : http://www.mirrorspectator.com/pdf/122212.pdf Traduction :
© Georges Festa - 12.2012.
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Source/Lien : Armenian Trends - Mes Arménies
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=71563
Publié le : 22-02-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
présente un article traduit le 21 décembre 2012 par Georges Festa
pour le site "Armenian Trends - Mes Arménies", d'après un article
en anglais de Muriel Mirak-Weissbach publié sur le site The Armenian
Mirror-Spectator.
Armenian Trends - Mes Arménies
vendredi 21 décembre 2012
Dogan Akhanli - Annes Schweigen / Anne's Silence / Le Silence d'Anne
Légende photo: © Theater unterm Dach Berlin Prenzlauer Berg und
Theater im Bauturm Köln, 2012
Un projet germano-turco-arménien met en scène la quête d'identité
par Muriel Mirak-Weissbach
The Armenian Mirror-Spectator, 22.12.2012
BERLIN - Elle s'appelle Sabiha, le même prénom que la fille adoptive
préférée de Mustafa Kemal (Ataturk), qui fut en tant qu'aviatrice
un symbole pour sa nation. Mais cette Sabiha est allemande et vit avec
sa mère immigrée, qu'elle appelle Anne - Â" mère Â" en turc. Cette
Sabiha, comme nous l'apprenons de sa meilleure amie (en fait, son
âme soeur), elle aussi prénommée Anne, est allemande a 150 % et
n'apprend le turc que lorsqu'elle s'inscrit a l'université. Elle
se sent bientôt attirée par les milieux nationalistes turcs et
participe même a des manifestations nationalistes, en l'honneur de
Talaat Pacha, par exemple.
Mais qui est vraiment Sabiha ? Est-elle allemande ? Est-elle turque ?
Ou est-elle, peut-être, quelque chose d'autre ? Se pourrait-il
qu'elle soit arménienne ?
Telle est la question posée par une nouvelle pièce, dont les débuts
ont eu lieu a Berlin au Theater unterm Dach [Théâtre sous le grenier]
en octobre dernier. Ecrite par Dogan Akhanli, auteur et militant
germano-turc très connu, la pièce, intitulée Annes Schweigen
[Le Silence d'Anne], est un monologue, joué brillamment par Bea
Ehlers-Kerbekian, d'origine arménienne, et mis en scène avec un
esprit créateur étonnamment moderne par Ron Rosenberg. La pièce
théâtralise une quête d'identité personnelle dans le contexte
d'une confrontation polémique avec la politique officielle turque de
négation du génocide, une politique qui est au centre de l'identité
nationaliste. Comme le précise la brochure de présentation,
cette production présente Â" l'impossibilité de parler propre aux
générations qui ont succédé aux criminels nationalistes Â" dans
cette quête, tandis que Sabiha, Â" en vivant et en exprimant son
conflit personnel, peut se trouver et surmonter le cycle de violence,
de suppression de la mémoire, de perte d'identité et d'isolement. Â"
Sabina condamne, quant a elle, l'idéologie nationaliste et accepte
de traduire un discours pour un intellectuel très connu, venu de
Turquie a Berlin prendre la parole lors d'une Â" journée d'action Â"
organisée par les nationalistes turcs le 15 mars, afin de commémorer
l'anniversaire de l'assassinat de Talaat Pacha, rue Hardenbergstrasse.
Elle ne peut se résoudre a traduire certaines phrases menacantes,
proférées par l'orateur a l'encontre de Hrant Dink, l'éditeur
d'Agos, lequel avait enquêté sur l'ascendance arménienne de la
fille adoptive d'Ataturk, Sabiha, car elle pense que ces expressions
choqueront en Allemagne. Néanmoins, dans son bref discours qui suit,
elle dénonce elle aussi le génocide comme un mensonge. Elle a
décide de commencer son discours par une blague, a savoir suggérer
qu'elle aussi est arménienne, puisqu'elle s'appelle Sabiha. A son
grand étonnement, au lieu d'éclater de rire, les gens s'écrient :
Â" Pourvu que non ! Â". La mère de Sabiha est venue aussi avec elle
au rassemblement et, lorsqu'elles retournent chez elles, elle demande
a sa mère pourquoi elle s'appelle Sabiha. C'est alors qu'elle apprend
qu'en fait, elle fut prénommée d'après la fille adoptive d'Ataturk.
Un jour, la mère de Sabiha meurt subitement, s'effondrant sur le
sol de la cuisine. Lorsque sa fille, en proie a la panique, défait
le chemisier de sa mère pour tenter de l'aider a respirer, Sabiha
découvre une croix arménienne tatouée entre ses seins et est
profondément choquée. Plus tard, elle retrouve une croix d'argent
et une Bible dans l'armoire a trousseau de sa mère décédée, ainsi
qu'un exemplaire d'Agos, que sa mère avait obtenu de l'orateur turc
lors de la manifestation, lequel l'avait brandi tout en dénoncant
Dink. Après avoir lu le journal, Sabiha appelle la rédaction d'Agos
et confie a l'éditeur qu'elle pense, elle aussi, être arménienne. Sa
réponse, nous précise-t-elle, fut : Â" Dans ce pays, nul ne peut
être sÃ"r de son identité. Â"
Lorsque que la balle d'un assassin tue Hrant Dink, Sabiha suit
les événements a la télévision turque, participant de loin
aux funérailles, tandis que des milliers de Turcs brandissent des
pancartes déclarant Â" Nous sommes tous Hrant ! Nous sommes tous
arméniens ! Â" et qu'elle est témoin de l'appel déchirant de
sa veuve.
La vision finale de Sabiha est celle de sa mère en compagnie de
milliers de femmes attristées comme elle, s'élevant et transformées
en grues prenant leur envol. Â" Il est temps maintenant, dit-elle,
de briser le silence d'Anne. Â"
Dans ce monologue solidement composé, la comédienne Bea
Ehlers-Kerbekian joue tous les rôles, donnant ainsi une expression
artistique a des identités différentes, mais liées entre elles. Elle
apparaît tout d'abord sur scène comme l'amie de Sabiha, Anne, qui
déclare qu'elles sont toutes deux nées le même jour et sont donc
comme Â" jumelles Â", l'une des deux, Anne, incarnant apparemment
l'identité allemande. Puis la comédienne joue Sabiha s'apprêtant a
se rendre a la manifestation avec sa mère. La même femme apparaît
sous les traits de l'irascible orateur lors du rassemblement, puis
saute dans le rôle de Sabiha racontant le reste de l'histoire. Dans
les échanges entre mère et fille, la comédienne joue a nouveau les
deux parties, passant habilement de la dame âgée et réservée a la
personnalité vive, complexe, de Sabiha. En présentant tout d'abord
son amie, puis Sabiha, puis sa mère, puis les autres personnages, et
en en faisant le portrait par une seule et même actrice, le dramaturge
réussit a nous montrer les aspects multiples de l'identité de son
héroïne et le conflit qui les oppose. Composer une telle pièce est
un pari littéraire, que le dramaturge a emporté en sélectionnant
des épisodes isolés et en les juxtaposant par thème ; par exemple,
il opère aussi dans son récit des références aux traumatismes
identitaires dans l'expérience historique allemande. Jouer ce genre
de monologue, en conservant l'individualité de chaque personnage,
tout en respectant la continuité thématique et artistique, exige
ainsi une concentration hors pair et de véritables dons d'acteur. Le
public n'est pas étonné d'apprendre que Bea Ehlers-Kerbekian a
remporté de nombreux prix pour son jeu du monologue.
Dogan Akhanli a exploré le thème du génocide arménien dans un
premier roman et joue un rôle actif en Allemagne dans des projets
visant a aider Allemands, Turcs et Arméniens a travailler leur
histoire commune, dans un effort pour reconnaître la réalité et
parvenir a une réconciliation. Sa présente entreprise, dont la
concision et la structure poétique rehaussent l'impact, constitue
une nouvelle contribution a ce processus social consistant a aborder
un passé tourmenté ; car, après chaque représentation de cette
courte pièce (d'une durée d'une heure a peine), les spectateurs ont
l'occasion d'entendre des exposés par des historiens, des sociologues
et autres intervenants impliqués dans la résolution de conflits
et ainsi de suite, de débattre de questions plus larges avec eux,
ainsi qu'avec l'A., le metteur en scène et la comédienne. Ce genre
d'événements culturels joue un rôle essentiel dans le processus
de débat en cours, non seulement en Allemagne, autour du génocide
arménien, mais aussi en Turquie même, où la quête d'identité
véritable des citoyens a donné naissance a un grand nombre d'Å"uvres
littéraires, suscitant un large débat social autour des événements
de 1915.
Cette nouvelle Å"uvre dramatique sera présentée en janvier lors
d'événements en Allemagne honorant la mémoire de Hrant Dink,
tandis que des représentations sont programmées a Istanbul et Erevan.
Espérons qu'une version anglaise soit bientôt accessible a un
public américain.
___________
Source : http://www.mirrorspectator.com/pdf/122212.pdf Traduction :
© Georges Festa - 12.2012.
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