PROJET DE LOI ELECTORALE LIBANAISE : CHRETIENS ET MUSULMANS SEPARES DANS LES URNES
À l'approche des elections legislatives prevues en juin, la classe
politique libanaise se dechire autour d'un projet de loi electorale
qui communautarise encore plus le pays du Cèdre, deja regi par un
système confessionnel. Par Marc DAOU (texte)
La Republique libanaise se dirige-t-elle vers un système federal
confessionnel ? À l'approche des elections legislatives prevues en
juin, la classe politique libanaise se dechire sur un projet de loi
electorale cense regir le scrutin. Ce projet, très controverse, a ete
adopte mardi par des commissions parlementaires mixtes, après plusieurs
mois de tractations infructueuses entre les differents partis.
Selon ce projet dit "du rassemblement orthodoxe", les electeurs
de chaque communaute religieuse (maronites, sunnites, chiites,
armeniens orthodoxes, grecs catholiques, druzes, etc.) sont appeles
a voter exclusivement pour des listes de candidats issus de leurs
communautes respectives. Et ce, dans le cadre d'une circonscription
unique et selon un mode de scrutin a la proportionnelle. Faute d'avoir
un representant au Parlement prevu par la loi, la petite communaute
juive du Liban pourra, quant a elle, voter pour un candidat de
n'importe quelle confession.
Le confessionnalisme politique
Le Liban, qui compte 18 communautes religieuses, applique un
système politique base sur la democratie consensuelle ainsi que
sur une repartition confessionnelle des fonctions officielles et
administratives. Le president de la Republique et le chef de l'armee
sont toujours chretiens - precisement maronites - tandis que le
Premier ministre est sunnite et que le president du Parlement est
chiite. Enfin, les portefeuilles ministeriels et les 128 sièges de
deputes sont repartis paritairement entre musulmans et chretiens. Ceux
qui seront elus en juin 2013 pour un mandat de quatre ans devront elire
le prochain president de la Republique au cours du printemps 2014.
Cette proposition, qui sera soumise au vote du Parlement dans les
prochains jours, est soutenue par les principaux partis chretiens. Une
première pour des forces rivales dirigees par des figures maronites
divisees sur l'echiquier politique entre allies du Hezbollah (le
Courant patriotique libre du general Michel Aoun) et les partis
antisyriens (les Forces libanaises de Samir Geagea et les Kataeb de
la famille Gemayel). Et ce, avec l'assentiment du Patriarche Bechara
Raï, l'influent chef de l'Eglise maronite.
Un projet adoube par les partis chretiens et le Hezbollah
Selon eux, en permettant a chaque confession de voter pour ses
propres deputes, le "projet du rassemblement orthodoxe" a le merite
de corriger "l'injustice" de la representation politique de leur
communaute en garantissant une parite absolue entre les deux corps
electoraux chretien et musulman. Ils reprochaient aux differentes
lois electorales en vigueur ces dernières decennies de faire elire une
majorite des 64 deputes chretiens par des voix musulmanes, denoncant
particulièrement celles concoctees par l'occupant syrien (1976-2005)
qui, afin de museler les partis antisyriens, detournait a son avantage
le système confessionnel libanais deja bien complexe.
Ainsi, a l'issue de l'adoption du nouveau projet par la commission
du Parlement mardi, le general Michel Aoun s'est montre euphorique.
"Aujourd'hui, ceux qui avaient vu leurs droits amputes les ont
recuperes, et ce sans qu'il soit porte atteinte aux autres, a declare
le general Aoun. Aujourd'hui, la voix des marginalises a retrouve son
poids, et nous sommes très contents de cet exploit", a-t-il declare.
Toutefois, le "projet du rassemblement orthodoxe" aurait pu etre jete
aux oubliettes sans le soutien inattendu des deux forces politiques
chiites que sont le Hezbollah et Amal. "Les chretiens affirment que le
projet orthodoxe leur donnera l'occasion d'etre representes pleinement
: offrons-leur, comme musulmans, cette occasion et elisons un Parlement
où personne ne pourra affirmer qu'il n'est pas equitablement represente
en fonction de son veritable poids electoral", a recemment declare
Hassan Nasrallah, le secretaire general du parti de Dieu.
"Le Hezbollah n'a rien a craindre de ce mode de scrutin. Il est
certain de ne perdre aucun siège de depute, car il n'y a pas de place
pour une opposition chiite dans ses bastions", confie a FRANCE 24
une source qui a participe a la redaction de plusieurs propositions
de loi electorale. Et d'ajouter : "Par consequent, il ne lui coûte
rien de soutenir les demandes de son allie Michel Aoun en lui offrant
l'opportunite, a quelques mois des elections, de se presenter comme
l'un de ceux qui ont rendu leurs droits aux chretiens".
Farouche opposition de Hariri et Joumblatt
Reste que ce projet est loin de faire l'unanimite. Car outre quelques
dizaines d'hommes politiques chretiens affilies a aucun parti, le
depute sunnite et ancien Premier ministre Saad Hariri et le leader
druze Walid Joumblatt, deux acteurs majeurs de l'arène politique
libanaise, s'y opposent farouchement. Le premier a qualifie, mardi,
sur Twitter, l'approbation du projet de loi electorale de "jour noir
dans l'histoire de l'action legislative libanaise". Selon son parti,
le Courant du Futur, la proposition du rassemblement orthodoxe "menace
les valeurs nationales, la moderation et la coexistence religieuse".
Quant a Walid Joumblatt, il a estime que "ce projet nous ramène a
l'isolationnisme et divise l'entite libanaise", dans un entretien
accorde au quotidien an-Nahar. Leurs deputes respectifs ont claque
la porte des commissions mixtes qui ont approuve le projet controverse.
Or, selon le responsable qui a participe aux tractations sur la
nouvelle loi electorale, toutes les autres propositions qui ont ete
soumises en meme temps que le projet orthodoxe etaient egalement
basees sur des principes communautaires, "et aucun d'eux ne remettait
en cause la distribution confessionnelle des sièges au Parlement".
Selon lui, Hariri et Joumblatt sont les grands perdants de ce projet
"car tous les deux sont representes au Parlement au-dela de leur poids
politique en faisant elire par leur electorat des deputes d'autres
confessions, ce qu'ils ne peuvent admettre publiquement". Et de
poursuivre : "Contrairement a ce qu'ils semblent craindre, le projet
n'engendrera pas de conflits interconfessionnels, car la competition
aura lieu au sein de chaque communaute et non pas entre l'une et
l'autre", ajoute-t-elle.
Vers un report des legislatives ?
Ce n'est pas l'avis du chef de l'Etat, Michel Sleimane, lui aussi
fermement oppose au projet, qu'il juge contraire a l'esprit de la
Constitution et a celui de la coexistence entre les communautes. Dans
la Constitution libanaise, qui stipule que chaque depute est "le
representant de la nation" et non pas de sa communaute, il est en
effet precise que "la suppression du confessionnalisme politique
constitue un but national essentiel". Un argument egalement invoque
par les hommes politiques independants et a notoriete locale, qui
risquent d'etre broyes par les grands partis structures dans le
système proportionel a circonscription unique.
Des manifestants contre le projet "du Rassemblement orthodoxe"
Mardi soir, des centaines de manifestants ont temporairement coupe
la route menant au Parlement libanais, dans la capitale libanaise,
pour protester contre l'adoption du projet de loi du "rassemblement
orthodoxe".
Le president Michel Sleimane pourrait s'opposer a l'adoption du
projet en cas de vote positif au Parlement en le soumettant au
Conseil constitutionnel. Si le texte est rejete par le Parlement et
qu'aucune nouvelle loi n'est adoptee avant le 11 mars (date limite
pour convoquer le corps electoral), les elections seront reportees. De
quoi, peut-etre, laisser le temps a la classe politique libanaise de
se mettre d'accord autour d'un projet plus consensuel et moins clivant.
vendredi 22 fevrier 2013, Stephane ©armenews.com
À l'approche des elections legislatives prevues en juin, la classe
politique libanaise se dechire autour d'un projet de loi electorale
qui communautarise encore plus le pays du Cèdre, deja regi par un
système confessionnel. Par Marc DAOU (texte)
La Republique libanaise se dirige-t-elle vers un système federal
confessionnel ? À l'approche des elections legislatives prevues en
juin, la classe politique libanaise se dechire sur un projet de loi
electorale cense regir le scrutin. Ce projet, très controverse, a ete
adopte mardi par des commissions parlementaires mixtes, après plusieurs
mois de tractations infructueuses entre les differents partis.
Selon ce projet dit "du rassemblement orthodoxe", les electeurs
de chaque communaute religieuse (maronites, sunnites, chiites,
armeniens orthodoxes, grecs catholiques, druzes, etc.) sont appeles
a voter exclusivement pour des listes de candidats issus de leurs
communautes respectives. Et ce, dans le cadre d'une circonscription
unique et selon un mode de scrutin a la proportionnelle. Faute d'avoir
un representant au Parlement prevu par la loi, la petite communaute
juive du Liban pourra, quant a elle, voter pour un candidat de
n'importe quelle confession.
Le confessionnalisme politique
Le Liban, qui compte 18 communautes religieuses, applique un
système politique base sur la democratie consensuelle ainsi que
sur une repartition confessionnelle des fonctions officielles et
administratives. Le president de la Republique et le chef de l'armee
sont toujours chretiens - precisement maronites - tandis que le
Premier ministre est sunnite et que le president du Parlement est
chiite. Enfin, les portefeuilles ministeriels et les 128 sièges de
deputes sont repartis paritairement entre musulmans et chretiens. Ceux
qui seront elus en juin 2013 pour un mandat de quatre ans devront elire
le prochain president de la Republique au cours du printemps 2014.
Cette proposition, qui sera soumise au vote du Parlement dans les
prochains jours, est soutenue par les principaux partis chretiens. Une
première pour des forces rivales dirigees par des figures maronites
divisees sur l'echiquier politique entre allies du Hezbollah (le
Courant patriotique libre du general Michel Aoun) et les partis
antisyriens (les Forces libanaises de Samir Geagea et les Kataeb de
la famille Gemayel). Et ce, avec l'assentiment du Patriarche Bechara
Raï, l'influent chef de l'Eglise maronite.
Un projet adoube par les partis chretiens et le Hezbollah
Selon eux, en permettant a chaque confession de voter pour ses
propres deputes, le "projet du rassemblement orthodoxe" a le merite
de corriger "l'injustice" de la representation politique de leur
communaute en garantissant une parite absolue entre les deux corps
electoraux chretien et musulman. Ils reprochaient aux differentes
lois electorales en vigueur ces dernières decennies de faire elire une
majorite des 64 deputes chretiens par des voix musulmanes, denoncant
particulièrement celles concoctees par l'occupant syrien (1976-2005)
qui, afin de museler les partis antisyriens, detournait a son avantage
le système confessionnel libanais deja bien complexe.
Ainsi, a l'issue de l'adoption du nouveau projet par la commission
du Parlement mardi, le general Michel Aoun s'est montre euphorique.
"Aujourd'hui, ceux qui avaient vu leurs droits amputes les ont
recuperes, et ce sans qu'il soit porte atteinte aux autres, a declare
le general Aoun. Aujourd'hui, la voix des marginalises a retrouve son
poids, et nous sommes très contents de cet exploit", a-t-il declare.
Toutefois, le "projet du rassemblement orthodoxe" aurait pu etre jete
aux oubliettes sans le soutien inattendu des deux forces politiques
chiites que sont le Hezbollah et Amal. "Les chretiens affirment que le
projet orthodoxe leur donnera l'occasion d'etre representes pleinement
: offrons-leur, comme musulmans, cette occasion et elisons un Parlement
où personne ne pourra affirmer qu'il n'est pas equitablement represente
en fonction de son veritable poids electoral", a recemment declare
Hassan Nasrallah, le secretaire general du parti de Dieu.
"Le Hezbollah n'a rien a craindre de ce mode de scrutin. Il est
certain de ne perdre aucun siège de depute, car il n'y a pas de place
pour une opposition chiite dans ses bastions", confie a FRANCE 24
une source qui a participe a la redaction de plusieurs propositions
de loi electorale. Et d'ajouter : "Par consequent, il ne lui coûte
rien de soutenir les demandes de son allie Michel Aoun en lui offrant
l'opportunite, a quelques mois des elections, de se presenter comme
l'un de ceux qui ont rendu leurs droits aux chretiens".
Farouche opposition de Hariri et Joumblatt
Reste que ce projet est loin de faire l'unanimite. Car outre quelques
dizaines d'hommes politiques chretiens affilies a aucun parti, le
depute sunnite et ancien Premier ministre Saad Hariri et le leader
druze Walid Joumblatt, deux acteurs majeurs de l'arène politique
libanaise, s'y opposent farouchement. Le premier a qualifie, mardi,
sur Twitter, l'approbation du projet de loi electorale de "jour noir
dans l'histoire de l'action legislative libanaise". Selon son parti,
le Courant du Futur, la proposition du rassemblement orthodoxe "menace
les valeurs nationales, la moderation et la coexistence religieuse".
Quant a Walid Joumblatt, il a estime que "ce projet nous ramène a
l'isolationnisme et divise l'entite libanaise", dans un entretien
accorde au quotidien an-Nahar. Leurs deputes respectifs ont claque
la porte des commissions mixtes qui ont approuve le projet controverse.
Or, selon le responsable qui a participe aux tractations sur la
nouvelle loi electorale, toutes les autres propositions qui ont ete
soumises en meme temps que le projet orthodoxe etaient egalement
basees sur des principes communautaires, "et aucun d'eux ne remettait
en cause la distribution confessionnelle des sièges au Parlement".
Selon lui, Hariri et Joumblatt sont les grands perdants de ce projet
"car tous les deux sont representes au Parlement au-dela de leur poids
politique en faisant elire par leur electorat des deputes d'autres
confessions, ce qu'ils ne peuvent admettre publiquement". Et de
poursuivre : "Contrairement a ce qu'ils semblent craindre, le projet
n'engendrera pas de conflits interconfessionnels, car la competition
aura lieu au sein de chaque communaute et non pas entre l'une et
l'autre", ajoute-t-elle.
Vers un report des legislatives ?
Ce n'est pas l'avis du chef de l'Etat, Michel Sleimane, lui aussi
fermement oppose au projet, qu'il juge contraire a l'esprit de la
Constitution et a celui de la coexistence entre les communautes. Dans
la Constitution libanaise, qui stipule que chaque depute est "le
representant de la nation" et non pas de sa communaute, il est en
effet precise que "la suppression du confessionnalisme politique
constitue un but national essentiel". Un argument egalement invoque
par les hommes politiques independants et a notoriete locale, qui
risquent d'etre broyes par les grands partis structures dans le
système proportionel a circonscription unique.
Des manifestants contre le projet "du Rassemblement orthodoxe"
Mardi soir, des centaines de manifestants ont temporairement coupe
la route menant au Parlement libanais, dans la capitale libanaise,
pour protester contre l'adoption du projet de loi du "rassemblement
orthodoxe".
Le president Michel Sleimane pourrait s'opposer a l'adoption du
projet en cas de vote positif au Parlement en le soumettant au
Conseil constitutionnel. Si le texte est rejete par le Parlement et
qu'aucune nouvelle loi n'est adoptee avant le 11 mars (date limite
pour convoquer le corps electoral), les elections seront reportees. De
quoi, peut-etre, laisser le temps a la classe politique libanaise de
se mettre d'accord autour d'un projet plus consensuel et moins clivant.
vendredi 22 fevrier 2013, Stephane ©armenews.com