Le Nouvel Observateur- France
22 févr. 2013
En Azerbaïdjan, on offre 12.000 dollars à qui coupera l'oreille de cet écrivain
Akram Aylisli a publié un roman prônant le rapprochement avec
l'Arménie. Dans son pays, ça ne plaît pas du tout.
L'écrivain azerbaïdjanais Akram Aylisli est l'objet d'une vindicte
nationale depuis la publication de son roman «Das Yuxular» («Rêves de
pierre») dans un journal russophone. Son crime? Avoir encouragé la
réconciliation entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, ennemis jurés depuis
la Guerre du Haut-Karabagh (1988-1994).
Dans ce roman, cet ancien membre du parlement raconte en effet les
efforts déployés par deux Azerbaïdjanais pour protéger leurs voisins
arméniens pendant les pogroms de Sumgait et Baku. Un ouvrage écrit en
2007 que l'auteur a choisi de publier seulement aujourd'hui,
explique-t-il à l'AFP:
J'ai décidé de le publier maintenant parce que la haine contre les
Arméniens est très élevée. C'était ma réaction contre cela. [...] [J'ai
voulu] tendre une main amie vers les Arméniens [à travers ce] roman
contre la politique qui attise la haine entre les peuples».
Une initiative louable qui n'a pas plus au parti au pouvoir, ni à
l'opposition, ni semble-t-il à la population azerbaïdjanaise. Les
réactions, lapidaires, ont atteint des sommets d'agressivité. Une
escalade de la violence dirigée vers celui qui est subitement devenu
l'ennemi d'une nation.
Le pouvoir a engagé les hostilités en sommant l'écrivain de 75 ans de
renier son texte et demander pardon à la nation. Le Parlement a
condamné le roman début février, certains demandant à l'auteur de
passer un «test ADN» pour prouver son appartenance ethnique. Un membre
de l'administration présidentielle a déclaré que «le peuple
azerbaïdjanais devait exprimer sa haine». Le président a déchu
l'auteur de son titre d'«écrivain du peuple», de ses décorations et de
sa retraite. Enfin, un parti pro-gouvernemental offre une récompense
de 12.000 dollars pour quiconque ramènera l'oreille coupée du
romancier.
Même l'opposition a adressé ses critiques à l'écrivain. Elle regrette
qu'il se soit délibérément concentré sur les violences commises par
les Azerbaïdjanais, en omettant les atrocités qu'ont fait subir les
Arméniens aux Azéris. Le leader du parti d'opposition Musavat Isa
Gambar a estimé:
Le roman d'Aylisli nous éloigne de la réconciliation. Une `uvre
unilatérale comme celle-ci n'aidera pas à résoudre le conflit»
La réaction populaire a suivi. Des autodafés de ses ouvrages ont été
organisés dans plusieurs villes du pays - certains sous la direction
du parti au pouvoir Yeni Azerbaïdjan. Les habitants de la ville natale
de l'auteur, Aylis, ont manifesté au son de slogans tels que «Mort à
Akram Aylisli», «Traître» ou «Akram Aylisli est Arménien». Son fils et
sa femme, qui travaillaient respectivement dans une agence de douanes
et une bibliothèque, ont été renvoyés - pardon, forcés à signer une
lettre de démission «volontaire».
Malgré l'intervention de l'organisation Human Rights Watch, qui a
appelé le gouvernement azerbaïdjanais à assurer la sécurité de
l'auteur, le responsable de l'Europe et de l'Asie centrale Hugh
Williamson reconnaît que «le gouvernement d'Azerbaïdjan tourne en
dérision ses obligations internationales sur la liberté d'expression».
«C'est choquant», conclut-il.
En fait de soutien, il a dû se contenter de celui de Rustam Behrudi,
un poète azerbaïdjanais, pour autant qu'on puisse appeler ça un
soutien:
Je ne pense pas qu'il est légitime d'attaquer un écrivain de la sorte.
En même temps, je ne suis pas d'accord avec l'auteur sur certaines
parties du roman. Si un Arménien a été battu et tué à Baku, et si un
écrivain l'écrit dans son livre, il devrait aussi parler des
évènements à l'origine de l'attaque. [...]»
L'auteur lui a répondu: il s'est concentré sur la violence faite aux
Arméniens pour tendre la perche aux écrivains qui se trouvent de
l'autre côté de la frontière. Ecrire sur la violence faite aux
Azerbaïdjanais est le «travail des écrivains arméniens», selon lui.
Avant d'expliquer:
Il est impossible pour qui que ce soit de commettre de telles cruautés
et de ne pas écrire dessus».
http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20130221.OBS9700/en-azerbaidjan-on-offre-12-000-dollars-pour-couper-l-oreille-de-cet-ecrivain.html
22 févr. 2013
En Azerbaïdjan, on offre 12.000 dollars à qui coupera l'oreille de cet écrivain
Akram Aylisli a publié un roman prônant le rapprochement avec
l'Arménie. Dans son pays, ça ne plaît pas du tout.
L'écrivain azerbaïdjanais Akram Aylisli est l'objet d'une vindicte
nationale depuis la publication de son roman «Das Yuxular» («Rêves de
pierre») dans un journal russophone. Son crime? Avoir encouragé la
réconciliation entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, ennemis jurés depuis
la Guerre du Haut-Karabagh (1988-1994).
Dans ce roman, cet ancien membre du parlement raconte en effet les
efforts déployés par deux Azerbaïdjanais pour protéger leurs voisins
arméniens pendant les pogroms de Sumgait et Baku. Un ouvrage écrit en
2007 que l'auteur a choisi de publier seulement aujourd'hui,
explique-t-il à l'AFP:
J'ai décidé de le publier maintenant parce que la haine contre les
Arméniens est très élevée. C'était ma réaction contre cela. [...] [J'ai
voulu] tendre une main amie vers les Arméniens [à travers ce] roman
contre la politique qui attise la haine entre les peuples».
Une initiative louable qui n'a pas plus au parti au pouvoir, ni à
l'opposition, ni semble-t-il à la population azerbaïdjanaise. Les
réactions, lapidaires, ont atteint des sommets d'agressivité. Une
escalade de la violence dirigée vers celui qui est subitement devenu
l'ennemi d'une nation.
Le pouvoir a engagé les hostilités en sommant l'écrivain de 75 ans de
renier son texte et demander pardon à la nation. Le Parlement a
condamné le roman début février, certains demandant à l'auteur de
passer un «test ADN» pour prouver son appartenance ethnique. Un membre
de l'administration présidentielle a déclaré que «le peuple
azerbaïdjanais devait exprimer sa haine». Le président a déchu
l'auteur de son titre d'«écrivain du peuple», de ses décorations et de
sa retraite. Enfin, un parti pro-gouvernemental offre une récompense
de 12.000 dollars pour quiconque ramènera l'oreille coupée du
romancier.
Même l'opposition a adressé ses critiques à l'écrivain. Elle regrette
qu'il se soit délibérément concentré sur les violences commises par
les Azerbaïdjanais, en omettant les atrocités qu'ont fait subir les
Arméniens aux Azéris. Le leader du parti d'opposition Musavat Isa
Gambar a estimé:
Le roman d'Aylisli nous éloigne de la réconciliation. Une `uvre
unilatérale comme celle-ci n'aidera pas à résoudre le conflit»
La réaction populaire a suivi. Des autodafés de ses ouvrages ont été
organisés dans plusieurs villes du pays - certains sous la direction
du parti au pouvoir Yeni Azerbaïdjan. Les habitants de la ville natale
de l'auteur, Aylis, ont manifesté au son de slogans tels que «Mort à
Akram Aylisli», «Traître» ou «Akram Aylisli est Arménien». Son fils et
sa femme, qui travaillaient respectivement dans une agence de douanes
et une bibliothèque, ont été renvoyés - pardon, forcés à signer une
lettre de démission «volontaire».
Malgré l'intervention de l'organisation Human Rights Watch, qui a
appelé le gouvernement azerbaïdjanais à assurer la sécurité de
l'auteur, le responsable de l'Europe et de l'Asie centrale Hugh
Williamson reconnaît que «le gouvernement d'Azerbaïdjan tourne en
dérision ses obligations internationales sur la liberté d'expression».
«C'est choquant», conclut-il.
En fait de soutien, il a dû se contenter de celui de Rustam Behrudi,
un poète azerbaïdjanais, pour autant qu'on puisse appeler ça un
soutien:
Je ne pense pas qu'il est légitime d'attaquer un écrivain de la sorte.
En même temps, je ne suis pas d'accord avec l'auteur sur certaines
parties du roman. Si un Arménien a été battu et tué à Baku, et si un
écrivain l'écrit dans son livre, il devrait aussi parler des
évènements à l'origine de l'attaque. [...]»
L'auteur lui a répondu: il s'est concentré sur la violence faite aux
Arméniens pour tendre la perche aux écrivains qui se trouvent de
l'autre côté de la frontière. Ecrire sur la violence faite aux
Azerbaïdjanais est le «travail des écrivains arméniens», selon lui.
Avant d'expliquer:
Il est impossible pour qui que ce soit de commettre de telles cruautés
et de ne pas écrire dessus».
http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20130221.OBS9700/en-azerbaidjan-on-offre-12-000-dollars-pour-couper-l-oreille-de-cet-ecrivain.html