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Que la Turquie cesse de harceler Pinar Selek

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    TURQUIE
    Que la Turquie cesse de harceler Pinar Selek


    Comme beaucoup de sociologues à travers le monde, Pinar Selek a choisi
    de travailler sur et avec ceux que la société opprime. Spécialiste de
    l'exclusion, chercheuse engagée, militante féministe et pacifiste,
    elle s'est activement mobilisée pour la reconnaissance et les droits
    des personnes auprès desquelles elle enquête (les enfants des rues,
    les transgenres, les femmes, les Kurdes). En juillet 1998, la police
    turque l'arrête et exige d'elle les noms de la soixantaine de
    militants kurdes qu'elle a récemment interviewés dans le cadre d'un
    projet d'histoire orale de la guerre au Kurdistan. Pinar ne donnera
    pas ces noms. La raison de ce refus est simple. Elle ne veut pas
    bafouer l'une des règles fondamentales de la déontologie scientifique
    des sociologues : le respect de l'anonymat des enquêtés. Pour ne pas
    trahir la confiance de ceux qui ont accepté de répondre à ses
    questions, pour ne pas être celle qui les mettra en danger, elle va
    durant sept jours endurer la torture : coups, électrocutions, torture
    par suspension dite du `crochet palestinien`, etc.

    Le procureur de la Cour de Sûreté de l'État l'accuse alors d'être
    membre du PKK, puis - quelques semaines plus tard - d'être responsable
    d'un attentat qui n'existe pas : l'explosion du 19 juillet 1998 sur le
    Marché aux épices d'Istanbul, dont les experts ont très tôt établi
    qu'elle fut causée par une fuite de gaz. Qu'importe pour la justice
    turque, qui maintient l'accusation et s'acharnera sur Pinar Selek
    pendant quinze ans. Libérée en 2000, après deux ans et demi
    d'emprisonnement, Pinar est acquittée par le tribunal en 2006, en 2008
    et en 2011. Mais l'innocence prouvée est immédiatement contestée par
    le pouvoir turc. Le procureur - qui requiert au nom de l'État - fait
    appel de chaque acquittement.

    On aurait pu penser que l'acmé de cet acharnement politique et
    judiciaire avait été atteint le 22 novembre 2012. La 12e cour
    criminelle d'Istanbul, qui avait par trois fois acquitté Pinar, annula
    ce jour-là son propre arrêt d'acquittement du 9 février 2011 pour vice
    de forme. C'était un revirement incompréhensible (même s'il est vrai
    que le président titulaire du tribunal n'avait pas siégé, étant en
    congé maladie...). Mais surtout, c'était une décision infondée en
    droit puisque la 12e cour s'est ainsi substituée à la Cour suprême.
    Qu'importe, encore une fois, pour l'appareil judiciaire turc. Lors de
    l'audience suivante du 13 décembre les mêmes chefs d'inculpation ont
    été repris à l'encontre de Pinar Selek, et la même peine requise : la
    perpétuité ; pour un attentat qui n'a jamais existé. On attendait donc
    beaucoup de l'audience de ce jeudi 24 janvier 2013, qui aurait pu être
    le dernier chapitre d'une persécution qui dure depuis quinze ans. On
    attendait le retour au respect de la procédure pénale, le retour au
    droit à un procès juste et équitable, le retour à la vérité de
    l'innocence jusque-là scandaleusement déniée par les procureurs de
    l'État turc, le retour à une vie normale pour Pinar, auprès des siens,
    au bord du Bosphore.

    Mais la Cour en a décidé autrement : par deux voix contre une (le
    président titulaire, empêché en novembre, siégeant de nouveau), elle a
    condamné Pinar Selek à la prison à vie, dont 36 ans de période de
    sûreté, et a délivré un mandat d'arrêt à son encontre. De fait,
    puisqu'il ne fait aucun doute que la France - où Pinar vit aujourd'hui
    - protègera cette chercheuse, il s'agit d'une condamnation à l'exil,
    et au danger perpétuel d'être rattrapée par un système arbitraire et
    violent.

    Pinar Selek n'est pas la seule à avoir payé très cher sa volonté de
    comprendre les mécanismes de l'exclusion de ceux qui sont désignés
    comme des `minorités` au sein de la société turque, à avoir voulu
    faire connaître la situation de ces populations, à s'être engagée
    auprès d'elles. On ne compte plus les chercheurs, les journalistes,
    les avocats, les écrivains intimidés et poursuivis pour des faits
    semblables, et plusieurs dizaines d'entre eux croupissent aujourd'hui
    en prison. Son cas est néanmoins emblématique et on pourrait bien sûr
    en faire une analyse sociologique. Une fraction dominante au sein de
    l'Etat turc et exerçant de fortes pressions sur l'appareil judiciaire
    - conservateurs kémalistes et ultranationalistes opportunément
    réconciliés - ne peut accepter la faute originelle de Pinar : celle
    d'une jeune femme turque, qui plus est issue d'une famille aisée,
    s'intéressant scientifiquement et en toute indépendance intellectuelle
    au sort des plus déshérités, des minorités sexuelles les plus
    stigmatisées, et à la question kurde.

    Mais il est un moment où l'objectivation et la distanciation,
    continûment nécessaires, ne suffisent plus. Les collègues de Pinar à
    l'Université de Strasbourg, les sociologues en France, en Europe et au
    niveau mondial, et la communauté scientifique internationale
    n'acceptent pas que l'on condamne Pinar Selek pour crime de
    sociologie. Aussi, nous appelons à la constitution dans les
    différentes universités et centres de recherche de comités `Pinar
    Selek pour la liberté de la recherche`, afin d'obtenir de la Turquie
    qu'elle mette fin à cette mascarade judiciaire et établisse
    clairement, comme l'a déjà fait sa justice par trois fois, l'innocence
    de cette chercheuse. C'est un combat pour Pinar, c'est un combat pour
    la liberté de recherche garantie par l'article 19 de la Déclaration
    universelle des droits de l'homme.

    Michael Burawoy, président de l'Association internationale de
    sociologie (AIS/ISA) ; Pekka Sulkunen, président de l'Association
    européenne de sociologie (ESA) ; Didier Vrancken, président de
    l'Association internationale des sociologues de langue française
    (AISLF) ; Didier Demazière, président de l'Association française de
    sociologie, et l'ensemble du Comité exécutif de l'AFS ; Laurent
    Willemez, président de l'Association des sociologues enseignant-e-s du
    supérieur (ASES) ; Olivier Martin, président de la Section
    `Sociologie, démographie` du Conseil national des universités (CNU) ;
    Philippe Coulangeon, président de la Section `Sociologie et sciences
    du droit` du Comité national de la recherche scientifique (CNRS) ;
    Christophe Jaffrelot, président de la Section `Politique, pouvoir,
    organisation` du Comité national de la recherche scientifique (CNRS) ;
    Michel Wieviorka, administrateur de la Fondation Maison des sciences
    de l'homme (FMSH) et ancien président de l'Association internationale
    de sociologie (2006-2010) ; Les membres du Comité de soutien à Pinar
    Selek à l'Université de Strasbourg

    dimanche 24 février 2013,
    Stéphane ©armenews.com

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