GENOCIDE ARMENIEN : PROJET DE FILM A DOUBLE TRANCHANT
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=70888
Publie le : 29-01-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
presente une traduction de Gilbert Beguian d'un article en anglais du
site Al-monitor mise en ligne sur le site de NAM (Nouvelles d'Armenie
Magazine) le 22 janvier 2013.
NAM
Le Tournage du Film Sur le Genocide Armenien Par le Metteur en Scène
Shekhar Kapur, Laureat d'un Oscar, commencera a la Fin de cette Annee
Al-monitor
Ezgi Basaran
19 janvier 2013
Sona Tatoyan, actrice et productrice armenienne nee aux USA, se
prepare a realiser un film sur le genocide armenien, base sur le
livre de Micheline Ahromyan Marcom, Three Apples Fell From Heaven
[Trois Pommes Sont Tombees du Paradis]. Le script a ete ecrit par son
mari, Jose Rivera, qui est l'auteur du script pour " Che Guevara et
de l'adaptation du film de Jack Kerouac " On the Road " [Sur la Route].
Le film sera mis en scène par Shekhar Kapur, dont le film " Elisabeth
" a ete nomme pour un Oscar. Le tournage commencera a la fin de
cette annee.
Le journal turc Radikal a eu une entrevue avec Sona qui y devoile son
histoire et les raisons pour lesquelles elle a voulu faire un tel film,
pour le sixième anniversaire de l'assassinat de Hrant Dink.
Votre famille est originaire d'Alep, mais vous etes nee et avez grandi
aux USA n'est-ce pas ?
Oui, c'est pour cela que ma vie s'est toujours passee entre les deux.
D'habitude, je passais mes vacances d'ete dans un village près d'Alep,
avec la famille de ma mère. La tante de ma mère etait très sensible
a l'histoire des Armeniens. Elle etait très soucieuse que la memoire
du Genocide soit gardee vivante et se montrait très attentive sur ce
point. J'ai ecoute beaucoup d'histoires qu'elle a racontees.
Etait-elle une survivante du Genocide ?
Sa mère et son père, qui sont aussi ma grand-mère et mon grand-père,
vivaient a Antep a ce moment-la. Ils ont survecu en s'enfuyant a Alep.
J'etais une enfant très curieuse, et j'ai toujours eu de ma tante les
reponses les plus directes. Ma plus grande interrogation etait en
permanence la suivante : Nous sommes des Armeniens, alors pourquoi
vivons-nous a Alep et pourquoi sommes-nous entoures d'Arabes ? Elle
s'efforcait d'y repondre. Ensuite, pour finir, les etes prenaient
fin et je devais retourner dans l'Indiana. Les jours de rentree,
j'ouvrais les livres d'histoire pour y chercher des informations sur
les histoires que ma tante m'avait racontees. Il s'est avere que je
n'ai jamais trouve un seul mot sur cette question. J'ai par consequent
commence a avoir des doutes.
Vous vous demandiez si votre tante disait la verite ?
Non, je me suis mise a avoir des doutes sur la facon dont les
Americains interprètent l'histoire. J'avais des preuves materielles
des epreuves que ma famille avait traversees. La moitie de ma famille
vivait en Syrie - ce qui etait pour moi suffisant pour attester
de l'authenticite de leurs recits. Un jour, il avait fallu que des
membres de ma famille quittent leur maison d'Antep et se refugient a
Alep. Mon grand-père et ma mère ne parlaient pas l'Armenien, ce qui
etait pour moi une autre preuve. La famille de mon père etait d'Urfa.
Ils se sont enfuis et ont survecu. Ils ont quitte la Turquie après
avoir ete informes par leurs amis Turcs que des choses horribles
etaient sur le point de se produire.
Entendant ces histoires, quelles etaient vos reactions ?
Pendant longtemps, je me posais des questions sur mon identite
d'Armenienne. J'etais de fait americaine. Je vivais la majeure partie
de l'annee aux USA, mais passais mes etes a Alep.
Nous n'avions pas le droit de porter des pantalons courts la-bas. Nous
ne nous sentions pas a l'aise, je me suis mise a detester mes sejours a
Alep. Mais le plus grand desir de ma maman au cours des hivers aux USA
etait d'aller a Alep l'ete suivant. Nous etions donc obliges de nous
rendre a Alep, mais j'etais la-bas une Americaine. J'etais rebelle a
Alep. De retour aux USA, a l'ecole, j'etais une Armenienne, avec mes
epais sourcils, mes bras poilus et mon nom bizarre. C'est pour cela
que je haïssais etre armenienne : tous les enfants ont besoin de se
sentir a leur place. Ma place n'etait nulle part.
Votre mère et votre père vous parlaient-ils des evenements de 1915 ?
Ce n'etait pas un sujet tabou, mais ils n'evoquaient le sujet que
si je leur demandais de le faire. À un certain moment, ce sujet est
devenu une obsession. Ils m'ont toujours dit qu'ils savaient que tout
cela etait la verite.
Ils etaient cependant en meme temps amateurs de la Turquie et de la
culture turque. Il me fallait ecouter la musique classique turque
dans la voiture tandis que ma mère me conduisait a l'ecole. J'avais
horreur de cette musique car elle me donnait des maux de tete ! Ma
mère regarde encore les emissions de TV turques. Il y a eu quelques
moments etranges dans ma vie. Tandis que j'ecoutais de la musique
turque, je lisais des livres sur le Genocide armenien.
Comment votre mère, en tant que personne aimant la Turquie, vous
parlait-elle du Genocide ?
Très ouvertement. Elle disait quelquefois " oui, ils nous ont fait
des choses horribles " et me rejoignait dans ma frustration. Elle
commencait ensuite a louer le peuple les plats et la terre d'Anatolie.
Je pense avoir appris par ma mère qu'il ne faut pas blâmer les gens
pour les crimes commis par l'etat dans lequel ils vivent.
A propos de mon sentiment de n'etre nulle part a ma place,
j'ai rencontre des sentiments similaires aux USA parmi
des Americains-Africains. Selon Maya Angelou, l'une de mes
enseignantes lorsque j'etais a la faculte, j'ai appris ce que
les Americains-Africains avaient endure aux USA. Un jour que je
m'etais rendue dans une librairie pour acheter un livre qu'elle
m'avait recommande, je suis tombee sur un livre de Peter Balakyan,
un Americain-Armenien. Ayant lu ce livre, j'ai ete outree par le
sentiment nationaliste.
Comment cela ?
J'etais obsedee par des questions comme, comment-ont-ils ete capables
de nous faire cela ? Comment peuvent-ils nier nous l'avoir fait ;
pourquoi ne s'en excusent-ils meme pas ? Je n'etais pas seulement
furieuse contre la Turquie, mais aussi contre les USA qui du fait de
beaucoup de raisons strategiques, passent sur la politique de negation
de la Turquie. Plus tard, je suis allee en Armenie pour la première
fois de ma vie pour tourner un film. Je ne peux expliquer a quel point
je me suis sentie etrangère la-bas. La musique, l'architecture, la
cuisine - tout etait different. Je n'avais rien a voir avec l'Anatolie.
Une fois encore, j'etais une etrangère. Cette fois, comme Armenienne
dans un pays ayant pour nom Armenie. Cependant, tandis que j'etais
la-bas, j'ai trouve le livre de Micheline Ahromyan Marcom, Three
Apples Fell From Heaven [ Trois Pommes Sont Tombees du Paradis]. C'est
un livre qui narre le Genocide armenien avec une intrigue emouvante
et dans un style fascinant. Le livre raconte l'histoire d'un enfant
sur le point de mourir, revant de la vie qu'il aurait pu avoir s'il
avait ete secouru par une famille turque ou kurde. J'ai immediatement
rencontree l'auteur.
Vous produisez un film base sur ce livre, n'est-ce pas ?
Oui, ayant lu le livre, j'ai demande a mon mari Jose Rivera de le
lire. Jose a ete lui aussi très emu. Il a ecrit le script que nous
avons envoye en Inde a notre ami metteur en scène Shekar Kapur. Entre
temps, nous avons entrepris un voyage spirituel et physique avec
Michelin, l'auteur du livre.
Quel est le programme de ce voyage ?
Nous sommes alles ensemble a Deir-Zor et a Ras el-Ain. J'ai vu la-bas
les ossements de mes ancetres. Litteralement. Nous ecrasions des
crânes et retournions des os. Les traces du Genocide sont encore
la attendant d'etre recuperes. C'est la que j'ai decide d'aller en
Turquie et visiter Harput, où commence le livre.
Et la colère vous a envahie la-bas aussi ?
Oui. J'etais très furieuse. Urfa, Antep, et Elazig m'ont rappele des
scènes de films d'horreur. Malgre tout, avec Michelin et mon epoux
nous avons loue une voiture et sommes alles a Van, Dogubeyazit et
Elazig. Au cours du voyage, ma fureur s'est transformee en une autre
chose, en un sentiment mitige.
Quel genre de sentiment ?
Un soir, nous prenions le the avec les amis kurdes que nous avions
rencontres a Dogubeyazit. L'un d'entre eux me posa la question "
Pourquoi etes-vous partis ? J'aurais aime que vous ne soyez pas partis
". Je n'ai pas su quoi repondre. A cet instant ;, j'ai compris que
j'appartenais a cette terre, et a quel point la langue turque et la
cuisine m'etaient familières.
Tandis que nous trouvions a Harput, j'ai eu une autre experience
qu'il me sera impossible d'oublier. Nous etions dans un magasin
d'antiquites et le commercant me designa en demandant a notre ami
traducteur si j'etais d'Anatolie. Quand je demandai pour quelle
raison il disait cela, il m'a dit " parce que vous avez l'Anatolie
dans vos yeux ". Je lui dis que j'etais armenienne. Il repondit,
" Anatolie est le nom d'une famille. Ce que nous avons traverse,
c'est la separation d'une famille, ce qui ne change rien au fait que
nous sommes encore une famille". Ma fureur contre la Turquie commenca
a se dissiper. En meme temps, j'ai commence a eprouver de la colère
contre ma propre communaute.
Pourquoi ?
Parce que la Diaspora armenienne s'interdit de faire ce voyage
spirituel. Ils s'obstinent a ne pas ouvrir leur c~\ur. Ils ont
choisi la voie de la facilite et trouvent leur consolation dans une
victimisation permanente. Pour etre honnete, je ne les blâme pas
d'avoir cette attitude, parce que c'est un voyage très brutal.
La chose la plus importante pour la Diaspora armenienne est de
faire la paix avec l'Anatolie et les Turcs. Ils devraient oublier le
genocide. Cela ne veut pas dire qu'ils doivent accepter la politique
negationniste de la Turquie. Cependant, c'est ce que les Armeniens
devraient faire en premier par respect pour leur propre culture et
leur histoire. Cependant, pour la Diaspora, cette question revient a
un echange de concessions. Cette attitude provoque en moi de la colère.
Qu'eprouveriez-vous si la Turquie devait reconnaître le Genocide et
demander pardon ?
Du soulagement - mais si la Turquie continuait a refuser, je ne sais
pas. Comme Armenienne, je n'ai pas besoin que la Turquie reconnaisse
le Genocide. C'est cela que j'essaie d'expliquer a la Diaspora
armenienne. Ils insistent pour pousser l'etat turc a prononcer ces
mots. Avec ce comportement, ils renforcent en fait l'etat turc. Parce
que ce qu'ils veulent dire c'est " A moins que vous ne reconnaissiez
que ce qui s'est passe est un genocide, nous, les Armeniens, ne pouvons
nous retrouver ". La psychologie des nationalistes armeniens est
basee sur la victimisation et la douleur, c'est vrai. Mais cependant,
l'etat d'esprit des nationalistes turcs est tout aussi affligeant.
Comment ?
Pendant des decennies ils ont maintenu l'illusion pour ne pas avoir a
affronter la realite. Ne pensez-vous pas que cela tient a la pathologie
et est fatigant ? Combien de temps allez-vous garder ce comportement
? Je me sens comme coincee entre l'arbre et l'ecorce. Je suis montree
du doigt par la diaspora armenienne parce que je fais ce film. Ils
disent que mes tentatives pour se reconcilier avec les Turcs sont
embarrassantes. Je suis sure que je serai denoncee aussi par les Turcs,
parce que je fais un film montrant la realite du Genocide. Mais je
pense que c'est en cela exactement que mon film est important. Ce sera
" La Liste de Schindler " du Genocide armenien. Cela montrera qui
est bon et qui est le mechant. Il y aura des personnages monstrueux,
mais aussi des personnes de c~\ur qui ont risque leur vie pour sauver
leurs voisins. C'est l'histoire des Turcs, des Armeniens et des Kurdes
pendant la Première Guerre Mondiale. C'est l'histoire de l'Anatolie.
Quel est le genre du film ?
Micheline Ahromyan Marcom, l'auteur de Trois Pommes Sont Tombees du
Paradis, a ecrit sa nouvelle après avoir ete inspiree par l'histoire
vraie de sa grand-mère. Sa grand-mère a ete sauvee par un ami turc
de son père. Pendant ces evenements, il y a eu aussi des Armeniens
qui ont poignarde dans le dos d'autres Armeniens. En fait, ce film
est plus que simplement ce qui est arrive aux Armeniens ; il est a
propos des limites de la nature humaine.
J'espère que tout cela vous aura donne une idee du film.
mardi 22 janvier 2013, Jean Eckian ©armenews.com
Traduction Gilbert Beguian pour Armenews
Article en anglais :
Film Explores Armenian Genocide, Peace With Turkey
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Source/Lien : NAM
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=70888
Publie le : 29-01-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
presente une traduction de Gilbert Beguian d'un article en anglais du
site Al-monitor mise en ligne sur le site de NAM (Nouvelles d'Armenie
Magazine) le 22 janvier 2013.
NAM
Le Tournage du Film Sur le Genocide Armenien Par le Metteur en Scène
Shekhar Kapur, Laureat d'un Oscar, commencera a la Fin de cette Annee
Al-monitor
Ezgi Basaran
19 janvier 2013
Sona Tatoyan, actrice et productrice armenienne nee aux USA, se
prepare a realiser un film sur le genocide armenien, base sur le
livre de Micheline Ahromyan Marcom, Three Apples Fell From Heaven
[Trois Pommes Sont Tombees du Paradis]. Le script a ete ecrit par son
mari, Jose Rivera, qui est l'auteur du script pour " Che Guevara et
de l'adaptation du film de Jack Kerouac " On the Road " [Sur la Route].
Le film sera mis en scène par Shekhar Kapur, dont le film " Elisabeth
" a ete nomme pour un Oscar. Le tournage commencera a la fin de
cette annee.
Le journal turc Radikal a eu une entrevue avec Sona qui y devoile son
histoire et les raisons pour lesquelles elle a voulu faire un tel film,
pour le sixième anniversaire de l'assassinat de Hrant Dink.
Votre famille est originaire d'Alep, mais vous etes nee et avez grandi
aux USA n'est-ce pas ?
Oui, c'est pour cela que ma vie s'est toujours passee entre les deux.
D'habitude, je passais mes vacances d'ete dans un village près d'Alep,
avec la famille de ma mère. La tante de ma mère etait très sensible
a l'histoire des Armeniens. Elle etait très soucieuse que la memoire
du Genocide soit gardee vivante et se montrait très attentive sur ce
point. J'ai ecoute beaucoup d'histoires qu'elle a racontees.
Etait-elle une survivante du Genocide ?
Sa mère et son père, qui sont aussi ma grand-mère et mon grand-père,
vivaient a Antep a ce moment-la. Ils ont survecu en s'enfuyant a Alep.
J'etais une enfant très curieuse, et j'ai toujours eu de ma tante les
reponses les plus directes. Ma plus grande interrogation etait en
permanence la suivante : Nous sommes des Armeniens, alors pourquoi
vivons-nous a Alep et pourquoi sommes-nous entoures d'Arabes ? Elle
s'efforcait d'y repondre. Ensuite, pour finir, les etes prenaient
fin et je devais retourner dans l'Indiana. Les jours de rentree,
j'ouvrais les livres d'histoire pour y chercher des informations sur
les histoires que ma tante m'avait racontees. Il s'est avere que je
n'ai jamais trouve un seul mot sur cette question. J'ai par consequent
commence a avoir des doutes.
Vous vous demandiez si votre tante disait la verite ?
Non, je me suis mise a avoir des doutes sur la facon dont les
Americains interprètent l'histoire. J'avais des preuves materielles
des epreuves que ma famille avait traversees. La moitie de ma famille
vivait en Syrie - ce qui etait pour moi suffisant pour attester
de l'authenticite de leurs recits. Un jour, il avait fallu que des
membres de ma famille quittent leur maison d'Antep et se refugient a
Alep. Mon grand-père et ma mère ne parlaient pas l'Armenien, ce qui
etait pour moi une autre preuve. La famille de mon père etait d'Urfa.
Ils se sont enfuis et ont survecu. Ils ont quitte la Turquie après
avoir ete informes par leurs amis Turcs que des choses horribles
etaient sur le point de se produire.
Entendant ces histoires, quelles etaient vos reactions ?
Pendant longtemps, je me posais des questions sur mon identite
d'Armenienne. J'etais de fait americaine. Je vivais la majeure partie
de l'annee aux USA, mais passais mes etes a Alep.
Nous n'avions pas le droit de porter des pantalons courts la-bas. Nous
ne nous sentions pas a l'aise, je me suis mise a detester mes sejours a
Alep. Mais le plus grand desir de ma maman au cours des hivers aux USA
etait d'aller a Alep l'ete suivant. Nous etions donc obliges de nous
rendre a Alep, mais j'etais la-bas une Americaine. J'etais rebelle a
Alep. De retour aux USA, a l'ecole, j'etais une Armenienne, avec mes
epais sourcils, mes bras poilus et mon nom bizarre. C'est pour cela
que je haïssais etre armenienne : tous les enfants ont besoin de se
sentir a leur place. Ma place n'etait nulle part.
Votre mère et votre père vous parlaient-ils des evenements de 1915 ?
Ce n'etait pas un sujet tabou, mais ils n'evoquaient le sujet que
si je leur demandais de le faire. À un certain moment, ce sujet est
devenu une obsession. Ils m'ont toujours dit qu'ils savaient que tout
cela etait la verite.
Ils etaient cependant en meme temps amateurs de la Turquie et de la
culture turque. Il me fallait ecouter la musique classique turque
dans la voiture tandis que ma mère me conduisait a l'ecole. J'avais
horreur de cette musique car elle me donnait des maux de tete ! Ma
mère regarde encore les emissions de TV turques. Il y a eu quelques
moments etranges dans ma vie. Tandis que j'ecoutais de la musique
turque, je lisais des livres sur le Genocide armenien.
Comment votre mère, en tant que personne aimant la Turquie, vous
parlait-elle du Genocide ?
Très ouvertement. Elle disait quelquefois " oui, ils nous ont fait
des choses horribles " et me rejoignait dans ma frustration. Elle
commencait ensuite a louer le peuple les plats et la terre d'Anatolie.
Je pense avoir appris par ma mère qu'il ne faut pas blâmer les gens
pour les crimes commis par l'etat dans lequel ils vivent.
A propos de mon sentiment de n'etre nulle part a ma place,
j'ai rencontre des sentiments similaires aux USA parmi
des Americains-Africains. Selon Maya Angelou, l'une de mes
enseignantes lorsque j'etais a la faculte, j'ai appris ce que
les Americains-Africains avaient endure aux USA. Un jour que je
m'etais rendue dans une librairie pour acheter un livre qu'elle
m'avait recommande, je suis tombee sur un livre de Peter Balakyan,
un Americain-Armenien. Ayant lu ce livre, j'ai ete outree par le
sentiment nationaliste.
Comment cela ?
J'etais obsedee par des questions comme, comment-ont-ils ete capables
de nous faire cela ? Comment peuvent-ils nier nous l'avoir fait ;
pourquoi ne s'en excusent-ils meme pas ? Je n'etais pas seulement
furieuse contre la Turquie, mais aussi contre les USA qui du fait de
beaucoup de raisons strategiques, passent sur la politique de negation
de la Turquie. Plus tard, je suis allee en Armenie pour la première
fois de ma vie pour tourner un film. Je ne peux expliquer a quel point
je me suis sentie etrangère la-bas. La musique, l'architecture, la
cuisine - tout etait different. Je n'avais rien a voir avec l'Anatolie.
Une fois encore, j'etais une etrangère. Cette fois, comme Armenienne
dans un pays ayant pour nom Armenie. Cependant, tandis que j'etais
la-bas, j'ai trouve le livre de Micheline Ahromyan Marcom, Three
Apples Fell From Heaven [ Trois Pommes Sont Tombees du Paradis]. C'est
un livre qui narre le Genocide armenien avec une intrigue emouvante
et dans un style fascinant. Le livre raconte l'histoire d'un enfant
sur le point de mourir, revant de la vie qu'il aurait pu avoir s'il
avait ete secouru par une famille turque ou kurde. J'ai immediatement
rencontree l'auteur.
Vous produisez un film base sur ce livre, n'est-ce pas ?
Oui, ayant lu le livre, j'ai demande a mon mari Jose Rivera de le
lire. Jose a ete lui aussi très emu. Il a ecrit le script que nous
avons envoye en Inde a notre ami metteur en scène Shekar Kapur. Entre
temps, nous avons entrepris un voyage spirituel et physique avec
Michelin, l'auteur du livre.
Quel est le programme de ce voyage ?
Nous sommes alles ensemble a Deir-Zor et a Ras el-Ain. J'ai vu la-bas
les ossements de mes ancetres. Litteralement. Nous ecrasions des
crânes et retournions des os. Les traces du Genocide sont encore
la attendant d'etre recuperes. C'est la que j'ai decide d'aller en
Turquie et visiter Harput, où commence le livre.
Et la colère vous a envahie la-bas aussi ?
Oui. J'etais très furieuse. Urfa, Antep, et Elazig m'ont rappele des
scènes de films d'horreur. Malgre tout, avec Michelin et mon epoux
nous avons loue une voiture et sommes alles a Van, Dogubeyazit et
Elazig. Au cours du voyage, ma fureur s'est transformee en une autre
chose, en un sentiment mitige.
Quel genre de sentiment ?
Un soir, nous prenions le the avec les amis kurdes que nous avions
rencontres a Dogubeyazit. L'un d'entre eux me posa la question "
Pourquoi etes-vous partis ? J'aurais aime que vous ne soyez pas partis
". Je n'ai pas su quoi repondre. A cet instant ;, j'ai compris que
j'appartenais a cette terre, et a quel point la langue turque et la
cuisine m'etaient familières.
Tandis que nous trouvions a Harput, j'ai eu une autre experience
qu'il me sera impossible d'oublier. Nous etions dans un magasin
d'antiquites et le commercant me designa en demandant a notre ami
traducteur si j'etais d'Anatolie. Quand je demandai pour quelle
raison il disait cela, il m'a dit " parce que vous avez l'Anatolie
dans vos yeux ". Je lui dis que j'etais armenienne. Il repondit,
" Anatolie est le nom d'une famille. Ce que nous avons traverse,
c'est la separation d'une famille, ce qui ne change rien au fait que
nous sommes encore une famille". Ma fureur contre la Turquie commenca
a se dissiper. En meme temps, j'ai commence a eprouver de la colère
contre ma propre communaute.
Pourquoi ?
Parce que la Diaspora armenienne s'interdit de faire ce voyage
spirituel. Ils s'obstinent a ne pas ouvrir leur c~\ur. Ils ont
choisi la voie de la facilite et trouvent leur consolation dans une
victimisation permanente. Pour etre honnete, je ne les blâme pas
d'avoir cette attitude, parce que c'est un voyage très brutal.
La chose la plus importante pour la Diaspora armenienne est de
faire la paix avec l'Anatolie et les Turcs. Ils devraient oublier le
genocide. Cela ne veut pas dire qu'ils doivent accepter la politique
negationniste de la Turquie. Cependant, c'est ce que les Armeniens
devraient faire en premier par respect pour leur propre culture et
leur histoire. Cependant, pour la Diaspora, cette question revient a
un echange de concessions. Cette attitude provoque en moi de la colère.
Qu'eprouveriez-vous si la Turquie devait reconnaître le Genocide et
demander pardon ?
Du soulagement - mais si la Turquie continuait a refuser, je ne sais
pas. Comme Armenienne, je n'ai pas besoin que la Turquie reconnaisse
le Genocide. C'est cela que j'essaie d'expliquer a la Diaspora
armenienne. Ils insistent pour pousser l'etat turc a prononcer ces
mots. Avec ce comportement, ils renforcent en fait l'etat turc. Parce
que ce qu'ils veulent dire c'est " A moins que vous ne reconnaissiez
que ce qui s'est passe est un genocide, nous, les Armeniens, ne pouvons
nous retrouver ". La psychologie des nationalistes armeniens est
basee sur la victimisation et la douleur, c'est vrai. Mais cependant,
l'etat d'esprit des nationalistes turcs est tout aussi affligeant.
Comment ?
Pendant des decennies ils ont maintenu l'illusion pour ne pas avoir a
affronter la realite. Ne pensez-vous pas que cela tient a la pathologie
et est fatigant ? Combien de temps allez-vous garder ce comportement
? Je me sens comme coincee entre l'arbre et l'ecorce. Je suis montree
du doigt par la diaspora armenienne parce que je fais ce film. Ils
disent que mes tentatives pour se reconcilier avec les Turcs sont
embarrassantes. Je suis sure que je serai denoncee aussi par les Turcs,
parce que je fais un film montrant la realite du Genocide. Mais je
pense que c'est en cela exactement que mon film est important. Ce sera
" La Liste de Schindler " du Genocide armenien. Cela montrera qui
est bon et qui est le mechant. Il y aura des personnages monstrueux,
mais aussi des personnes de c~\ur qui ont risque leur vie pour sauver
leurs voisins. C'est l'histoire des Turcs, des Armeniens et des Kurdes
pendant la Première Guerre Mondiale. C'est l'histoire de l'Anatolie.
Quel est le genre du film ?
Micheline Ahromyan Marcom, l'auteur de Trois Pommes Sont Tombees du
Paradis, a ecrit sa nouvelle après avoir ete inspiree par l'histoire
vraie de sa grand-mère. Sa grand-mère a ete sauvee par un ami turc
de son père. Pendant ces evenements, il y a eu aussi des Armeniens
qui ont poignarde dans le dos d'autres Armeniens. En fait, ce film
est plus que simplement ce qui est arrive aux Armeniens ; il est a
propos des limites de la nature humaine.
J'espère que tout cela vous aura donne une idee du film.
mardi 22 janvier 2013, Jean Eckian ©armenews.com
Traduction Gilbert Beguian pour Armenews
Article en anglais :
Film Explores Armenian Genocide, Peace With Turkey
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