TURQUIE : LA PLACE TAKSIM ET SON PASSE ARMENIEN
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=74124
Publie le : 04-07-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire la traduction de Gilbert Beguian d'un article en anglais
d'Emily Greenhouse publie sur le site The New Yorker, mise en ligne
sur le site de NAM (Nouvelles d'Armenie Magazine) le 2 juillet 2013.
The New Yorker
28 juin 2013
Le passe armenien de la Place Taksim
par Emily Greenhouse
La Place Taksim, comme la place Tahrir et le Parc Zuccotti avant
elle, est un endroit d'une ville qui aurait pu n'etre qu'un point de
rendez-vous pour des amis, ou pour lire un livre sous un arbre. Mais
le Premier Ministre, Recep Tayyip Erdogan, a decide qu'il aimerait
rendre a ce lieu l'architecture des casernements qui s'y trouvaient
a l'epoque ottomane, pour y installer un centre commercial et une
mosquee. À la fin du mois de mai, plusieurs douzaines d'ecologistes
avaient commence a manifester contre les projets d'Erdogan a Gezi Park,
l'îlot de verdure qui s'y trouve ; ils ont ete attaques par la police
turque avec des gaz lacrymogènes et des canons a eau. Bientôt, comme
l'a ecrit Selif Batuman, " quinze pour cent seulement d'entre eux
protestaient contre la destruction des arbres, tandis que quarante
neuf pour cent protestaient contre la violence de la police envers
ces individus qui osaient protester contre la destruction des arbres ".
Depuis lors, environ huit mille manifestants ont ete blesses. A
present, la manifestation a evolue en une mise en cause du programme
religieux d'Erdogan et a son comportement autoritaire. Aujourd'hui,
" Place Taksim " n'est plus synonyme d'agitation ou de lieu mais une
expression qui signifie debat d'idees, mouvement, champ de bataille.
Considerant le symbolisme associe a present a ce site, empreint
de sideration et desagreable, c'est pour un peuple entier un fait
historique, la Place Tassim est desormais une representation de la
demolition du passe. Dans l'une des allees du Parc Gezi, les militants
ont place une tombe improvisee portant l'inscription " Cimetière
Armenien Saint Jacques, 1551-1939 : vous nous avez depossedes de
notre cimetière, vous ne nous prendrez pas notre parc ! "
C'est un fait ignore de la plupart des courageux manifestants
d'Istanbul : il y a des siècles, des membres de la communaute
armenienne d'Istanbul etaient enterres a l'endroit où ils se trouvent.
Au cours du seizième siècle, sous le règne de Soliman le Magnifique,
sultan de l'Empire ottoman, un groupe de conspirateurs aurait approche
Manuk Karaseferyan, un cuisinier de la cour imperiale, afin qu'il mette
du poison dans la nourriture du sultan. Mais Karaseferyan ayant mis
Soliman au courant du complot, ce dernier lui offrit une faveur pour le
remercier. Karaseferyan aurait alors demande d'affecter un emplacement
pour y enterrer ses compatriotes Armeniens. Le Cimetière Armenien de
Pangali serait alors devenu le plus grand cimetière non-musulman de
toute l'histoire d'Istanbul, bien que dans les annees mil huit cent
soixante, après une epidemie de cholera, les enterrements d'Armeniens
furent deplaces vers le quartier Sisli.
Au debut de la Première Guerre Mondiale, il y avait dans l'Empire
ottoman deux millions d'Armeniens ; en 1922, il n'en restait plus que
cent mille - un massacre d'un million et demi de personnes que les
historiens appellent genocide ( le mot " genocide " avait ete cree
par Raphaël Lemkin, un juriste polonais, au cours de ses travaux
sur les massacres d'Armeniens). L'un des volets de la campagne
contre les Armeniens consistait en la confiscation de leurs terres ;
le cimetière qui en faisait partie a ete rase au cours des annees
1930. À sa place se trouvent aujourd'hui, dans le Gezi Park, des
hôtels, des immeubles d'habitation et un centre de la Radiotelevision
turque. On peut cependant encore y voir des pierres tombales : elles
ont ete recyclees comme marches d'escalier (ce qui n'est pas le seul
reemploi de pierres tombales : Tablet a publie cet ete une serie de
photos de pierres tombales juives integrees a des ateliers d'artistes,
a des terrains de basket-ball, a des bacs a sable du jardin d'enfants
du quartier Pologne).
Après presque cent ans, le gouvernement turc n'a toujours pas reconnu
le Genocide armenien. Il ne reste que peu d'Armeniens en Turquie. Le
Washington Post a recemment publie un article sur une femme âgee nomme
Asiya - la dernière Armenienne de Chunkush, qui en a compte dix mille.
En 1919, un monument au Genocide armenien avait ete erige au cimetière
Pangalti, mais il a ete detruit en 1922, des annees avant que Gezi Park
ne soit amenage. Chaque annee, un groupe turc des droits de l'homme
appele DurDe organise une commemoration silencieuse le 24 avril, le
jour de 1915 où plusieurs centaines d'intellectuels armeniens furent
regroupes pour etre executes. Il projette la reinstallation du monument
a Gezi Park, mais la pression des nationalistes l'en a empeche jusqu'a
present. Cengiz Algan, un membre de DurDe, a declare au journal Le
Monde " tous les partis politiques s'entre-tuent, mais lorsqu'il est
question des Armeniens, ils trouvent toujours un consensus ".
Ceux qui protestent contre Erdogan en Turquie, dans une demarche
compliquee, souhaitent faire usage de leur liberte et se souvenir de
leur passe, sans gaz lacrymogènes, sans effusion de sang, negationnisme
ou souffrance. Ils ne sont pas seuls.
Traduction Gilbert Beguian
Titre original :
The Armenian Past of Taksim Square
Retour a la rubrique
Source/Lien : NAM
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=74124
Publie le : 04-07-2013
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire la traduction de Gilbert Beguian d'un article en anglais
d'Emily Greenhouse publie sur le site The New Yorker, mise en ligne
sur le site de NAM (Nouvelles d'Armenie Magazine) le 2 juillet 2013.
The New Yorker
28 juin 2013
Le passe armenien de la Place Taksim
par Emily Greenhouse
La Place Taksim, comme la place Tahrir et le Parc Zuccotti avant
elle, est un endroit d'une ville qui aurait pu n'etre qu'un point de
rendez-vous pour des amis, ou pour lire un livre sous un arbre. Mais
le Premier Ministre, Recep Tayyip Erdogan, a decide qu'il aimerait
rendre a ce lieu l'architecture des casernements qui s'y trouvaient
a l'epoque ottomane, pour y installer un centre commercial et une
mosquee. À la fin du mois de mai, plusieurs douzaines d'ecologistes
avaient commence a manifester contre les projets d'Erdogan a Gezi Park,
l'îlot de verdure qui s'y trouve ; ils ont ete attaques par la police
turque avec des gaz lacrymogènes et des canons a eau. Bientôt, comme
l'a ecrit Selif Batuman, " quinze pour cent seulement d'entre eux
protestaient contre la destruction des arbres, tandis que quarante
neuf pour cent protestaient contre la violence de la police envers
ces individus qui osaient protester contre la destruction des arbres ".
Depuis lors, environ huit mille manifestants ont ete blesses. A
present, la manifestation a evolue en une mise en cause du programme
religieux d'Erdogan et a son comportement autoritaire. Aujourd'hui,
" Place Taksim " n'est plus synonyme d'agitation ou de lieu mais une
expression qui signifie debat d'idees, mouvement, champ de bataille.
Considerant le symbolisme associe a present a ce site, empreint
de sideration et desagreable, c'est pour un peuple entier un fait
historique, la Place Tassim est desormais une representation de la
demolition du passe. Dans l'une des allees du Parc Gezi, les militants
ont place une tombe improvisee portant l'inscription " Cimetière
Armenien Saint Jacques, 1551-1939 : vous nous avez depossedes de
notre cimetière, vous ne nous prendrez pas notre parc ! "
C'est un fait ignore de la plupart des courageux manifestants
d'Istanbul : il y a des siècles, des membres de la communaute
armenienne d'Istanbul etaient enterres a l'endroit où ils se trouvent.
Au cours du seizième siècle, sous le règne de Soliman le Magnifique,
sultan de l'Empire ottoman, un groupe de conspirateurs aurait approche
Manuk Karaseferyan, un cuisinier de la cour imperiale, afin qu'il mette
du poison dans la nourriture du sultan. Mais Karaseferyan ayant mis
Soliman au courant du complot, ce dernier lui offrit une faveur pour le
remercier. Karaseferyan aurait alors demande d'affecter un emplacement
pour y enterrer ses compatriotes Armeniens. Le Cimetière Armenien de
Pangali serait alors devenu le plus grand cimetière non-musulman de
toute l'histoire d'Istanbul, bien que dans les annees mil huit cent
soixante, après une epidemie de cholera, les enterrements d'Armeniens
furent deplaces vers le quartier Sisli.
Au debut de la Première Guerre Mondiale, il y avait dans l'Empire
ottoman deux millions d'Armeniens ; en 1922, il n'en restait plus que
cent mille - un massacre d'un million et demi de personnes que les
historiens appellent genocide ( le mot " genocide " avait ete cree
par Raphaël Lemkin, un juriste polonais, au cours de ses travaux
sur les massacres d'Armeniens). L'un des volets de la campagne
contre les Armeniens consistait en la confiscation de leurs terres ;
le cimetière qui en faisait partie a ete rase au cours des annees
1930. À sa place se trouvent aujourd'hui, dans le Gezi Park, des
hôtels, des immeubles d'habitation et un centre de la Radiotelevision
turque. On peut cependant encore y voir des pierres tombales : elles
ont ete recyclees comme marches d'escalier (ce qui n'est pas le seul
reemploi de pierres tombales : Tablet a publie cet ete une serie de
photos de pierres tombales juives integrees a des ateliers d'artistes,
a des terrains de basket-ball, a des bacs a sable du jardin d'enfants
du quartier Pologne).
Après presque cent ans, le gouvernement turc n'a toujours pas reconnu
le Genocide armenien. Il ne reste que peu d'Armeniens en Turquie. Le
Washington Post a recemment publie un article sur une femme âgee nomme
Asiya - la dernière Armenienne de Chunkush, qui en a compte dix mille.
En 1919, un monument au Genocide armenien avait ete erige au cimetière
Pangalti, mais il a ete detruit en 1922, des annees avant que Gezi Park
ne soit amenage. Chaque annee, un groupe turc des droits de l'homme
appele DurDe organise une commemoration silencieuse le 24 avril, le
jour de 1915 où plusieurs centaines d'intellectuels armeniens furent
regroupes pour etre executes. Il projette la reinstallation du monument
a Gezi Park, mais la pression des nationalistes l'en a empeche jusqu'a
present. Cengiz Algan, un membre de DurDe, a declare au journal Le
Monde " tous les partis politiques s'entre-tuent, mais lorsqu'il est
question des Armeniens, ils trouvent toujours un consensus ".
Ceux qui protestent contre Erdogan en Turquie, dans une demarche
compliquee, souhaitent faire usage de leur liberte et se souvenir de
leur passe, sans gaz lacrymogènes, sans effusion de sang, negationnisme
ou souffrance. Ils ne sont pas seuls.
Traduction Gilbert Beguian
Titre original :
The Armenian Past of Taksim Square
Retour a la rubrique
Source/Lien : NAM